Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 15 mars 2022, point 37 de l'ordre du jour

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Rapport de la commission - 21_PET_5 - Jean-Marc Nicolet

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M. Jean-Marc Nicolet — Rapporteur-trice

La pétition qui vous est soumise d’aujourd’hui concerne la décision de renvoi en Afghanistan d’un homme âgé de 27 ans, arrivé en Suisse il y a six ans et placé tout d’abord, avec d’autres réfugiés, dans l’abri anti atomique d’Echallens. Célibataire, sans enfant, traducteur auprès d’Organisations non gouvernementales (ONG) internationales actives dans son pays d’origine, ce monsieur a été suspecté d’espionnage du fait de son engagement professionnel par les talibans qui l’ont enlevé. Sa famille a dû verser une importante somme pour sa libération, au risque d’être exécuté comme traître, pratique courante sous le régime de terreur que connaît ce pays d’Asie centrale.

Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) a décidé du renvoi en Afghanistan, donc du refus de l’asile, malgré les preuves apportées sur les menaces de mort et cela, sous peine de renvoi forcé. Les pétitionnaires, qui ont recueilli quelque 6000 signatures, dénoncent la décision de renvoi et demandent le réexamen de cette décision.

L’Etablissement vaudois d’aide aux migrants (EVAM) a accordé à ce requérant une rare aide pour pouvoir suivre une formation à l’Université de Lausanne (UNIL), après qu’il a appris le français en une année seulement. Indépendant financièrement à 100 % et parfaitement intégré, le requérant s’est hélas vu retirer son permis N par le SEM quand la décision de renvoi lui a été signifiée. Depuis, devant l’interdiction de travailler qui lui a été intimée, il se trouve à l’assistance sociale.

Après avoir déposé un recours auprès du Tribunal administratif fédéral et dans l’attente d’une décision, appuyée par les pétitionnaires, le requérant s’est dit déterminé – s’il le fallait – à recourir jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Il faut aussi considérer que le requérant étant arrivé en Suisse depuis plus de cinq ans, il pourrait encore se prévaloir de l’article 14 de la Loi sur l’asile (LAsi), avec des chances de succès. Cela au vu du grand risque et du grand danger de procéder à un renvoi sous le régime taliban.

Par 8 voix contre 1 et 1 abstention, la Commission des pétitions vous propose de prendre cette pétition en considération et de la renvoyer au Conseil d’Etat.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Philippe Leuba — Conseiller-ère d’Etat

Je ne reviens pas sur la question de fond, mais sur quelques éléments de forme. Tout d’abord, le ressortissant afghan dont nous parlons est aujourd’hui sous l’emprise d’une procédure fédérale qui n’est pas arrivée à terme, puisque, comme l’a dit le rapporteur de la commission, un recours au Tribunal administratif fédéral (TAF) contre la décision de Berne est pendant. Le canton de Vaud n’est donc pas partie prenante à ladite procédure. Il n’a rendu aucune décision, puisque cela ne relève pas de sa compétence. La pétition demande donc le réexamen de la décision. Evidemment, ce dernier ne peut être fait que par l’autorité qui a rendu la décision. Le canton ne peut pas revoir une décision prise par Berne. Sur le plan formel, c’est parfaitement impossible !

Par ailleurs, comme je vous l’ai dit, le TAF a été saisi ; il va statuer sur le recours déposé par ce ressortissant afghan. Nous ne pouvons pas nous immiscer dans le cadre d’une procédure qui relève des tribunaux fédéraux. Cela serait contraire à l’indépendance et à la séparation des pouvoirs. Encore une fois, je ne me prononce pas sur le fond, parce que ce qui a été dit par le rapporteur de la commission est rigoureusement exact. Je tenais à vous le dire de manière parfaitement claire : le Conseil d’Etat ne peut pas intervenir auprès du TAF ; c’est impossible. Il ne peut pas revoir une décision prise par une instance fédérale ; ce n’est pas possible non plus.

Le rapporteur a évoqué l’hypothèse d’une régularisation à titre humanitaire. C’est à ce moment que le canton serait partie prenante, en transmettant ou non cette demande à Berne. Pour l’instant, nous ne sommes pas saisis de cette demande, puisque la procédure fédérale n’est pas arrivée à son terme. Sur le fond, cette pétition ne me pose aucun problème, mais elle est en dehors de la procédure et elle arrive dans un timing qui ne peut pas déboucher sur une intervention de l’Etat. Je ne sais pas comment vous expliquer le problème auquel nous sommes confrontés.

Enfin, la décision du SEM de refus de l’asile a été prise en 2016 – si mes renseignements sont bons – soit avant que les talibans ne règnent en maîtres en Afghanistan. Ce n’est que l’été dernier que les talibans ont conquis – si j’ose m’exprimer ainsi – l’ensemble de l’Afghanistan. Il s’agit donc d’un fait nouveau qui, le cas échéant, pourrait être porté devant le TAF ou devant les instances à Berne pour demander une reconsidération.

Un dernier point, toujours sur la forme : aujourd’hui, il n’y a pas de renvois forcés en Afghanistan, compte tenu de la situation afghane – que, je le rappelle, je connais particulièrement bien. Cela étant, sur le fond, je comprends parfaitement les préoccupations de la commission et des pétitionnaires. Néanmoins, le Conseil d’Etat sera bien emprunté, si vous lui renvoyez cette pétition, de savoir ce qu’il pourra en faire. Encore une fois, sur le plan formel, il ne peut la transmettre à quiconque et il ne peut pas donner une suite à la demande des pétitionnaires. Je lis la dernière phrase de la pétition : « (…) et demande le réexamen de la décision ». Encore une fois, c’est une décision prise par Berne et non pas par le canton et nous ne pouvons pas revoir les décisions prises par Berne.

Voilà ce que je voulais vous dire en toute transparence. Il n’y a pas d’opposition du Conseil d’Etat vis-à-vis de la demande de ce ressortissant afghan. La question n’est pas là. Si nous voulons obtenir un titre de séjour pour cette personne, il faut au minimum respecter la procédure, les champs de compétences et l’état d’avancement du dossier. Je ne voulais pas occulter ces différents éléments qui, encore une fois, portent sur des éléments de procédure et de forme et non pas sur des questions de fond. Je ne voudrais pas que ce Parlement nous dise qu’il nous a renvoyé une pétition et que le Conseil d’Etat n’a pas pu y donner suite. Juridiquement, nous ne pouvons pas y donner suite. Il faut que les choses soient parfaitement claires. Cela ne veut pas dire que si d’aventure, le recours au TAF était rejeté, si le ressortissant afghan dont nous parlons déposait une demande de régularisation à titre humanitaire, parce qu’il est là depuis cinq ans et qu’il répond à cette exigence – il faudrait encore voir si les autres conditions sont ou non remplies – cela ne veut pas dire que le Conseil d’Etat ne transmettrait pas le dossier avec un préavis favorable à Berne. Des éléments plaident manifestement en faveur d’une transmission à Berne de cette demande pour une régularisation humanitaire, mais celle-ci ne peut intervenir qu’au terme de la procédure d’asile ordinaire. Compte tenu du recours au TAF et d’absence de décision de ce dernier, cette procédure n’est pas aboutie.

Je tenais à préciser cela en termes de procédure, mais vous ferez naturellement ce que vous voudrez de cette pétition. Néanmoins, il ne faudra pas vous étonner si le Conseil d’Etat vous dira que, en l’état de la procédure, il ne pourra pas donner suite à cette pétition.

M. Philippe Liniger (UDC) —

Je déclare mes intérêts : je fais partie de la commission et je n’ai pas soutenu cette pétition. Nous savons qu’il est difficile d’habiter dans ces pays en conflit permanent, mais tout le monde ne quitte pas ces territoires. D’ailleurs, les parents de la personne en question – sa sœur et ses frères – vivent à Kaboul. J’ai lu attentivement les notes du Service de la population que chaque membre de la commission a reçues. Ces notes ont retenu mon attention. Au sujet de son enlèvement, le SEM a estimé que l’intéressé avait plutôt été enlevé pour des motifs criminels que politiques et qu’il ne courait plus de risques actuellement. L’association pour laquelle il agissait ayant en outre cessé ses activités, l’existence d’une menace future ne pouvait être retenue. Enfin, M. S. a également allégué avoir quitté son pays en raison d’une mauvaise entente avec sa famille éloignée, ce qui ne constitue pas non plus un motif d’asile pertinent. Je fais confiance aux autorités fédérales. La majorité du groupe UDC votera pour le classement de cette pétition.

Mme Anne-Sophie Betschart (SOC) —

Je suis obligée de réagir : ce monsieur est en Suisse depuis plus de cinq ans. Il a été parfaitement intégré ; il a suivi un début de cursus universitaire. Il a trouvé un travail qu’il pourrait continuer avec un permis. Par ailleurs, nous savons que les personnes ayant été en Afghanistan et qui ont travaillé pour des ONG risquent leur vie. Ce monsieur a d’ailleurs été kidnappé, puis relâché contre une rançon. Même s’il n’a pas, à l’heure actuelle, épuisé toutes les possibilités de recours, on peut raisonnablement penser que le risque d’atteinte à sa vie est important et doit être pris en compte, s’il retourne à Kaboul – ce qui a vaguement été annoncé. Par ailleurs, les efforts entrepris par ce monsieur pour s’intégrer dans notre pays sont une raison supplémentaire pour la prise en considération de cette pétition qui, je l’ai bien compris, ne pourra pas aboutir à quelque chose, mais qui donne au moins un signal fort. Pour toutes ces raisons, une grande partie du parti socialiste vous recommande d’accepter cette pétition ou de vous abstenir lors du vote.

M. Olivier Petermann (PLR) —

Je déclare mes intérêts : je suis membre de la Commission des pétitions. Les commissaires PLR n’ont pas vraiment compris la raison de cette pétition, comme l’a rappelé notre conseiller d’Etat. En effet, la pétition est en général la dernière tentative quand toutes les voies de recours sont épuisées. Au moment de la séance de la commission, le dossier était encore en main du TAF pour demande de réexamen. De plus, cette personne étant en Suisse depuis plus de cinq ans, elle pourrait se prévaloir de l’article 14, alinéa 2, de la LAsi, comme l’a dit le rapporteur de la commission. De ce fait, le groupe PLR, dans sa majorité, vous recommande de renvoyer cette pétition au Conseil d’Etat.

M. Marc Vuilleumier (EP) —

L’immense majorité de la commission, sauf le député qui s’est exprimé tout à l’heure, est d’accord sur le fond : cette personne, pour les raisons qui ont été évoquées, ne doit pas être renvoyée. Il serait tout de même regrettable, pour une question de forme, que nous n’allions pas plus loin. Il ne me paraît pas du tout impossible que le Conseil d’Etat – ou l’autorité cantonale compétente – envoie l’avis du Grand Conseil vaudois à l’autorité fédérale en charge de la révision pour dire qu’il souhaite que la décision prise par le tribunal soit revue.

M. Philippe Leuba — Conseiller-ère d’Etat

Je ne veux pas faire de juridisme absolu, mais ce n’est pas possible, monsieur Vuilleumier. En effet, le SEM est aujourd’hui dessaisi de cette question, puisque c’est le TAF qui est compétent. Vous imaginez bien qu’une autorité politique ne peut pas intervenir auprès d’une juridiction. Ce serait contraire à tous les principes de la séparation des pouvoirs. Si vous voulez donner le maximum de chances à cette pétition et à la régularisation de cet Afghan, vous devriez surseoir à votre décision et attendre le résultat du recours au TAF. Si celui-ci est positif, cette personne aura son permis B. Si le recours est rejeté, elle saisira le Conseil d’Etat d’une demande de régularisation humanitaire. C’est dans ce cadre que cette pétition pourrait être jointe au préavis positif du canton et transmise au SEM qui tiendra compte de la position du Grand Conseil. Vous ne pouvez pas exprimer cette position avant que la procédure auprès du TAF soit close.

Encore une fois, j’essaye de trouver une solution pour corriger un problème de calendrier des pétitionnaires – qui ne sont peut-être pas tous juristes et qui n’ont peut-être pas tout à fait perçu la problématique de la procédure. En réalité, ce que vous devriez faire, c’est suspendre le traitement de cette pétition et la renvoyer à la Commission des pétitions qui la traitera au moment où la procédure judiciaire sera close. C’est à ce moment-là que vous aurez l’ensemble des éléments en main et que vous pourrez appuyer le dépôt auprès du SEM d’une demande de régularisation formulée par le canton. Si vous voulez faire les choses proprement, c’est ainsi qu’il faut agir. Si vous voulez donner un maximum de chances à la régularisation de cette personne au motif des éléments qui ont été retenus par votre commission, c’est ainsi qu’il faut agir. Je ne suis pas la présidente du Grand Conseil – qui est excellente – mais je vous recommande vivement de déposer une motion d’ordre visant à renvoyer cette pétition à votre commission qui la traitera au moment où le recours auprès du TAF sera réglé. Ce n’est pas un mauvais signe qui est donné ; il faut comprendre ce renvoi comme étant une volonté de maximaliser les chances de régularisation de cette personne.

Voilà ce que je voulais vous dire. Si vous voulez faire différemment, vous le ferez, mais le Conseil d’Etat ne pourra pas saisir le TAF. Cela serait contraire à la séparation des pouvoirs.

M. Jean-Luc Chollet (UDC) —

Il y a le SEM, il y a le TAF, le CE, le GC… soit. Néanmoins, ce que j’ai cru comprendre de la bouche du représentant du Conseil d’Etat, c’est que la Berne fédérale était parfaitement claire : il n’y a aucun renvoi forcé d’une ou d’un citoyen afghan dans son pays, aussi longtemps que le régime en place ne donnera pas des garanties vérifiables et vérifiées du respect de la personne humaine et des droits fondamentaux. Pour le moment, nous en sommes là ! Quoique nous décidions, cette personne reste chez nous – et c’est bien ainsi.

M. Olivier Petermann (PLR) —

Je suis vice-président de la Commission des pétitions, mais je ne suis pas juriste et je ne connais pas toutes les subtilités de la procédure. Néanmoins, comme l’a suggéré le conseiller d’Etat, la Commission des pétitions est tout à fait disposée à déposer une motion d’ordre le temps que le TAF prenne sa décision et pour autant que la possibilité pour ce monsieur de se prévaloir de l’article 14, alinéa 2, ne finisse pas aux oubliettes. Je pense que c’est précisément le souci de notre plénum : si nous ne renvoyons pas cette pétition au Conseil d’Etat, elle risque de finir aux oubliettes.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La motion d’ordre est appuyée par au moins 20 membres.

La discussion sur la motion d’ordre est ouverte.

Mme Sonya Butera (SOC) —

J’aimerais simplement que notre collègue Petermann nous confirme qu’il demande effectivement, selon l’article 91, alinéa 4, un renvoi de l’objet en commission. J’ai cru comprendre qu’il demandait seulement le renvoi du vote à une date ultérieure à la décision du TAF. Monsieur le député, pouvez-vous nous confirmer que c’est bien ce que vous souhaitez ?

M. Olivier Petermann (PLR) —

Je pense que le sujet devrait revenir en commission. Peut-être que le TAF apportera d’autres éclaircissements. Cette motion d’ordre vise donc à renvoyer cet objet à la Commission des pétitions, une fois que le recours aura été traité par le TAF.

M. Philippe Leuba — Conseiller-ère d’Etat

16 :07 :560 :01 :41Leuba Philippe

M. Petermann a raison : si le TAF accepte le recours, cela signifie que ce ressortissant afghan obtiendra un permis B, la pétition serait donc vidée de sa substance. Si le TAF rejette le recours, la Commission des pétitions sera saisie à nouveau de cette pétition et, à la lumière de la décision du TAF, elle pourra décider de la renvoyer au Conseil d’Etat pour qu’elle serve à appuyer la demande du canton quant à la délivrance d’un permis B à titre humanitaire – c’est le fameux article 14.

Monsieur Chollet, vous avez raison : il n’y a pas de renvoi forcé en Afghanistan, mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas traiter la demande de régularisation, parce que cet Afghan ne sera peut-être pas renvoyé en Afghanistan, mais il n’aura pas de permis B tant qu’il n’aura pas été régularisé. Si vous n’avez pas de permis B, vous ne pouvez pas travailler. Vous êtes, entre guillemets, un clandestin. Il ne s’agit pas de se satisfaire de l’absence d’un renvoi forcé en Afghanistan, il faudra traiter cette question, mais elle ne peut l’être par les autorités cantonales qu’au terme de la procédure fédérale. A mon avis, il faut suivre la motion d’ordre proposée et renvoyer cette pétition à la commission qui, dès qu’elle aura reçu une copie du jugement du TAF, traitera à nouveau cet objet et, à la lumière de ce jugement, ressaisira ce plénum.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est close.

La motion d’ordre Olivier Petermann est acceptée par 115 voix contre 2 et 8 abstentions.

Cet objet est renvoyé à la Commission thématique des pétitions.

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