Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 4 mai 2021, point 9 de l'ordre du jour

Texte déposé

Depuis la première ouverture du mariage aux couples de même sexe aux Pays-Bas en avril 2001, de nombreux pays ont suivi cette voie afin d’assurer une égalité concrète à chacune et chacun dans son état civil. Au 6 avril 2021, c’est ainsi 29 pays – représentant ensemble près de 1.2 milliard de personnes – qui autorisent les couples de même sexe à se marier[1] et leur reconnaissent une égalité de droits. Une étape fondamentale pour l’égalité, mais également pour la reconnaissance légale et juridique de l’amour que se portent deux personnes. Et qui s’étend impérativement aux liens de filiation, tant l’intérêt supérieur de l’enfant commande une reconnaissance juridique.

 

Prenant souvent son temps y compris en termes juridiques, le Parlement suisse a été saisi en 2013 d’une initiative parlementaire visant l’introduction du mariage civil pour toutes et tous[2]. Après de longues analyses, études et discussions, c’est ainsi finalement en décembre 2021 que les Chambres ont enfin accepté de confirmer l’égalité dans le mariage. Une égalité complète, par le fait qu’elle donne aux personnes concernées les mêmes droits également en termes d’accès à la procréation médicalement assistée et, dans le même sens, d’inaccessibilité à des méthodes de procréation interdites par le droit suisse. Et une égalité contre laquelle, nous l’apprenions il y a quelques jours, un référendum vient tout juste d’aboutir – entraînant un vote populaire vraisemblablement en novembre 2021[3].

 

En tant que gardien de l’état civil, le Canton de Vaud joue un rôle central dans ce cadre. Bien que remontant historiquement à des temps peu appréciés des vaudoises et vaudois – soit la conquête bernoise du Pays de Vaud en 1536 – l'obligation de tenir des registres sur l’état civil de la personne constitue une prérogative essentielle du canton. Bien qu’en compétence fédérale sur le principe, la tenue des registres de l’état civil revient en effet aux autorités cantonales qui déterminent sur leur territoire les arrondissements, désignent, nomment et rétribuent les officiers et officières de l'état civil, et sont chargés du contrôle de la gestion des offices[4]. Un rôle d’autant plus central qu’il s’inscrit dans les étapes de vie les plus importantes des citoyennes et citoyens.

 

Au regard de ce rôle essentiel lié à la tenue de l’état civil, et plus généralement au droit fondamental au mariage garanti par les art. 14 de la Constitution suisse et de la Constitution vaudoise, il apparaît nécessaire que le Canton s’engage en faveur de l’égalité. Ceci a fortiori dans la mesure où, vu les expériences vécues dans d’autres pays ayant débattu de l’ouverture du mariage, les actes homophobes augmentent drastiquement dans ce contexte[5]. Un danger réel pour la société dans son ensemble. Et contre lequel seuls une intervention et un soutien clairs de l’Etat permettent d’agir, tant par des actions concrètes que symboliques.

 

Au regard de ces éléments, le Grand Conseil invite le Conseil d’Etat à marquer le soutien des autorités cantonales à l’égalité complète dans le mariage par des actions concrètes et symboliques, et à prendre toutes les mesures visant à éviter une augmentation des actes homophobes dans le cadre de la campagne de votation à venir.

 

[1]https://www.hrc.org/resources/marriage-equality-around-the-world.

[2]Initiative parlementaire 13.468 déposée par Kathrin Bertschy.

[3]https://www.24heures.ch/le-peuple-aura-le-dernier-mot-sur-le-mariage-pour-tous-302320509490.

[4]https://www.vd.ch/themes/etat-droit-finances/archives-cantonales/la-genealogie/pour-en-savoir-plus/.

[5]https://www.france24.com/fr/20130421-climat-homophobie-agression-insecurite-mariage-pour-tous-extremisme.

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Graziella SchallerV'L
Sébastien CalaSOC
Jérôme ChristenLIBRE
Cendrine CachemailleSOC
Pierre ZwahlenVER
Julien EggenbergerSOC
Jean TschoppSOC
Carine CarvalhoSOC
Felix StürnerVER
Léonard Studer
Arnaud BouveratSOC
Anne Baehler Bech
Muriel ThalmannSOC
Jean-François ChapuisatV'L
Céline MisiegoEP
Cédric EchenardSOC
Anne-Laure Métraux-BotteronVER
Valérie InduniSOC
Stéphane BaletSOC
Muriel Cuendet SchmidtSOC
Alice GenoudVER
Jean-Marc Nicolet
Yves PaccaudSOC
Circé Barbezat-FuchsV'L
Vassilis Venizelos

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. David Raedler (VER) —

En mai 2021, soit à ce jour, vingt-neuf pays autorisent les couples de même sexe à se marier. Ces pays comprennent des pays voisins tels que la France et l’Allemagne, comme des pays moins voisins tels que le Canada, le Brésil, l’Australie, l’Argentine, l’Afrique du Sud, la Colombie, le Costa Rica, etc. La liste est longue et ces pays ensemble comptent 1,19 milliard de personnes, soit 15 % de la population mondiale. En Suisse, comme on le sait, si nous ne brillons pas toujours par notre rapidité, nous brillons par notre raisonnement. C’est en 2013 soit il y a déjà huit ans qu’une initiative parlementaire a été déposée auprès des Chambres fédérales afin d’assurer l’égalité dans le mariage. S’en est suivi un énorme travail d’analyse qui a mené, en 2015, à un rapport de 56 pages du Conseil fédéral sur la modernisation du droit de la famille, avec la volonté d’assurer une égalité dans le mariage et de « moderniser » le droit de la famille afin d’assurer deux éléments. Premièrement, il s’agit d’assurer l’égalité de chacune et de chacun par rapport au droit au mariage, au droit de voir un amour reconnu par l’Etat à égalité avec celui des autres, et non une forme réduite, déclassée, volontairement minimisée comme le prévoit actuellement le droit suisse avec le partenariat enregistré. Pourquoi est-ce si central ? Je vais tenter de le faire comprendre avec quelques exemples.

Tout d’abord, le droit actuel contient de nombreuses différences terminologiques introduites essentiellement pour des motifs négativement vétilleux : l’absence de fiançailles, la réception de l’enregistrement du partenariat alors que le mariage est célébré, un logement commun à la place d’un logement de famille dans le mariage. Il y a également des différences de modalités : une simple déclaration de volonté pour le partenariat alors que le mariage connaît un échange de « oui » devant témoins ; une simple obligation d’assistance dans le partenariat, alors que le mariage connaît l’obligation d’assistance et de fidélité ; un régime ordinaire de la séparation des biens dans le partenariat alors que la participation aux acquêts est la règle dans le mariage et, enfin, pas de naturalisation simplifiée comme dans le mariage. Il y a surtout une différence de nom entre le partenariat enregistré et le mariage, qui a des effets concrets pour les personnes concernées, dont notamment un essentiel du point de vue professionnel, qui est l’imposition d’un coming out forcé des travailleurs et travailleuses envers leur employeur. En effet, l’employé doit communiquer à l’employeur son état civil pour des motifs liés à l’AVS et à la Loi sur la prévoyance professionnelle (LPP) et que par une simple différence de nom, on crée une situation de coming out forcé avec des risques concrets pour la personne et pour son travail. C’est donc là le premier objectif de la révision de loi.

Le second objectif concerne l’intérêt général de l’enfant dans le cadre des droits de filiation. L’existence de familles dites Arc-en-ciel est aujourd’hui une réalité qui concerne plusieurs dizaines de milliers d’enfants, en Suisse, selon l’Office fédéral des statistiques. Un intérêt primordial impose de lui donner le plus de droits possible à l’égard de ses parents et des autres personnes qui composent sa vie. Cette nécessité a encore une fois été rappelée très récemment par le Tribunal fédéral en avril dernier, dans un arrêt de principe qui a mené à assurer que les partenaires et parents aient des droits réels envers l’enfant et surtout que les enfants aient des droits réels envers les personnes composant leur vie. Voilà donc les deux éléments visés par l’égalité dans le mariage, enfin votée en décembre 2020 par une majorité très importante de 136 voix contre 48 au Conseil national et de 24 voix contre 11 au Conseil des Etats. C’est un élément à souligner et à célébrer, qui a été voté par des représentantes et représentants de tous les partis et mouvements qui y sont représentés comme ils le sont ici, allant des Vertes et des Verts au parti socialiste, au POP, à SolidaritéS, au PLR, aux partis de centre, aux Vert’libéraux et également à l’UDC !

Deux éléments n’ont pas été pris en compte par les comités référendaires qui ont péniblement, mais néanmoins effectivement récolté les 50'000 signatures nécessaires pour le référendum, ce qui nous amènera à voter sur ce sujet très vraisemblablement en novembre prochain. Un vote n’est naturellement pas quelque chose de négatif, mais de démocratique, qui permettra de mettre en lumière le soutien de la population à cette réalité, les graves problèmes qui existent aujourd’hui du fait d’une situation inégalitaire, et tout simplement de mettre le sujet sur la table. Mais ce vote aura très vraisemblablement pour conséquence de tendre encore la discussion et de fragiliser encore plus les personnes qui se trouvent dans une situation très précaire et plus fragile. On a malheureusement pu constater ce genre de choses, lorsque les pays voisins ont eu ce même débat. Les actes homophobes et par adhésion confuse les actes transphobes augmentent drastiquement, dans ce contexte. En France, par exemple, il y a eu 1156 actes homophobes annoncés pour toute l’année 2011 et lorsque le débat sur le mariage pour tous est arrivé sur la place publique, 1100 actes homophobes ont été signalés sur seulement trois mois. La situation est donc dangereuse pour toutes et tous, mais particulièrement pour les jeunes personnes LGB qui ont cinq fois plus de risques de porter atteinte à leur propre vie que les jeunes personnes hétérosexuelles, et bien évidemment, cela présente des risques pour la société en général. Pour ces motifs, il est impératif que l’Etat vienne expressément en soutien à l’égalité adoptée par les Chambres fédérales, tous partis confondus. Car le message d’un Etat, d’une autorité en charge de l’état civil, est essentiel pour réduire ces risques et incidences, naturellement aux côtés de mesures prises pour les prévenir afin d’éviter, dans l’ensemble, une augmentation des actes homophobes. Ce message sera naturellement symbolique, mais aura des effets concrets et réels pour toutes les personnes qui se trouvent aujourd’hui à la frange de l’égalité, mais en partie oubliées par cette égalité : adultes, adolescents et enfants sont concernés et toutes et tous bénéficieront de telles actions symboliques dans un contexte que l’on espère le plus apaisé possible, mais dont on sait qu’il entraînera malheureusement une tension dans le discours. C’est à nous maintenant par cette résolution de nous assurer que cet apaisement puisse venir dans notre canton, par notre canton et pour notre société. Je vous remercie donc de votre soutien à la résolution.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Julien Eggenberger (SOC) —

L’ouverture du mariage aux couples de même sexe est une reconnaissance longtemps attendue de l’amour entre personnes de même sexe. Elle s’inscrit dans un combat de longue haleine : les personnes homosexuelles ne sont pas égales en droit, notamment parce qu’elles ne peuvent pas se marier ; un droit important leur est ainsi refusé. Les couples de même sexe et leurs enfants sont donc moins bien protégés par la loi, alors que la Constitution garantit le droit au mariage et à la famille et interdit les discriminations sur la base des modes de vie. L’ouverture du mariage civil permet d’éliminer cette discrimination et de mettre tous les couples sur un pied d’égalité. Lutter contre les discriminations, mettre en lumière tous les modes de vie, en fait montrer comment les différents habitantes et habitants de ce pays vivent : cette loi est un message fort à la société et en particulier aux jeunes. Dans les pays qui ont déjà réalisé cet élargissement, le taux de suicide des personnes LGBT a diminué et les préjugés à leur encontre ont diminué. Les modèles familiaux variés font partie intégrante de notre société depuis longtemps, sans que la loi ait suivi l’évolution de la société, sans que la loi permette de répondre à ces situations. Les enfants ont avant tout besoin de personnes de référence stables et aimantes, indépendamment de leur genre ou de leur orientation affective et sexuelle. Ces enfants ont le droit d’être traités de la même manière que les enfants issus de familles traditionnelles : ni mieux ni moins bien. Il est nécessaire que notre société vive son temps, et c’est la raison pour laquelle notre groupe vous encourage à vous engager pour l’ouverture du mariage aux couples du même sexe et à accepter cette résolution. Réaliser ce pas vers l’égalité est une avancée significative pour les personnes concernées, pour l’égalité des droits, pour la visibilité, contre les discriminations, sans priver quiconque de quoi que ce soit. C’est une loi « gagnant gagnant », l’amour pour toutes et tous sans privilège.

Mme Carole Dubois (PLR) —

Le PLR a pris connaissance de la résolution du groupe des Verts et, sur le fond, nous partageons les préoccupations évoquées par ce texte et sommes favorables au mariage pour tous. Le PLR a à cœur de défendre la possibilité, pour chacune et chacun, de vivre sa vie librement. Indépendamment du fond du sujet et le fait que notre parti soutient la loi fédérale, sur le principe, le groupe PLR estime néanmoins qu’il n’est pas de la compétence du Parlement cantonal de prendre position sur les objets fédéraux et de prendre part à une campagne fédérale. C’est pour cette raison de principe que bien que nous partagions les principes qui fondent la résolution, notre groupe ne s’y opposera pas, mais s’abstiendra dans sa grande majorité.

Mme Nuria Gorrite (C-DCIRH) — Conseiller-ère d'État

Le Conseil d’Etat constate qu’il s’agit effectivement ici d’une question de rang fédéral. Néanmoins, dès lors que votre Parlement et votre Conseil d’Etat ont régulièrement par le passé pris des positions aussi sur des sujets qui ne les concernaient pas directement d’un point de vue institutionnel, il tient ici à dire qu’il ne s’opposera pas à la vision proposée par le député Raedler, tant il tend à mener des politiques d’inclusion, d’ouverture et de non-discrimination dans l’ensemble des politiques qu’il met en place de manière transversale. C’est un sujet qui est sur la table, qui est d’actualité, qui intéresse celles et ceux qui sont concernés, mais aussi la société dans son ensemble et dans ce qu’elle vise à être plus ouverte aux différences. En ce sens, le Conseil d’Etat a défendu la vision défendue par la résolution Raedler dans toutes les politiques qu’il mène.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est close.

La résolution est adoptée par 74 voix contre 12 et 36 abstentions.

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