Archéologie et grands chantiers

Vue par drone de la villa gallo-romaine d'Orbe-Boscéaz, contournée par l'autoroute A9 dont le tracé a été modifié pour épargner le site. © Archeotech SA

La densification toujours plus grande du territoire requiert un développement constant des infrastructures, et en premier lieu routières. La mise en place du réseau autoroutier à partir des années 1950, puis les différents projets de contournements d’agglomérations ont révélé des sites archéologiques inconnus jusqu’alors.
Le réseau ferroviaire a eu, quant à lui, un impact important sur l’histoire de l’archéologie vaudoise. En effet, le projet Rail 2000 a permis de découvrir des vestiges de villages lacustres préhistoriques conservés dans les milieux humides. Ce site, localisé dans la région de Concise, est maintenant inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. D’autres projets, comme l’aménagement de parcs éoliens ou mêmes l’exploitation de gravières ont aussi permis de faire de nouvelles découvertes archéologiques d’importance.

Les routes nationales

Bavois "En Raillon". Le chapiteau de cirque qui abrite la fouille durant l'hiver 1977

Le canton de Vaud a été très tôt confronté aux problèmes relatifs à la construction du réseau autoroutier suisse, dont les premières réalisations remontent à 1959.C’est la construction du tronçon d’autoroute A1 Lausanne-Genève, au tout début des années 1960, qui marque le début d’une succession de fouilles de grande envergure sur le sol vaudois. En un peu moins de 50 ans, l’archéologie autoroutière vaudoise aura livré une série exceptionnelle de sites. Au total, ce sont plus de 2'100 structures archéologiques qui ont été documentées, de toutes tailles et périodes! De la préhistoire à l’époque médiévale, dolmens, routes et ponts, habitats protohistoriques, mausolées, nécropoles, sanctuaires, établissements ruraux et quartiers d’agglomérations ont largement contribué à améliorer la connaissance de l’histoire de nos contrées pour ces périodes.

A1 Genève-Yverdon

Le secteur le plus occidental de Lousonna, fouillé en 1961. © Archives CCA

C'est dans la perspective de la future Exposition Nationale prévue à Lausanne en 1964 que débute la construction de la première autoroute de Suisse, entre Genève et Berne. Cela marquera le début des fouilles autoroutières en terres vaudoises. La fouille, dans l’urgence, d’une grande surface de l’agglomération gallo-romaine de Lousonna-Vidy, constitue un coup d'essai bien loin du coup de maître.
Progressivement, une systématique se met en place. Au début des années 1970, c’est le site protohistorique de Bavois "En Raillon" qui, le premier, en bénéficiera: fouillé sur deux ans entre 1977 et 1978, il a été détecté bien plus tôt grâce aux sondages prospectifs réalisés dès 1973 sur le tracé du futur tronçon Lausanne-Yverdon de l’A1.

A1 Yverdon-Faoug - tronçon des découvertes

Avenches-Chaplix. Viaduc de l'A1 et mausolée romain nord. © Archeodunum SA

Au début des années 1970, l'Office fédéral des routes projette de faire passer l’autoroute A1 entre Yverdon et Yvonand, au cœur des zones marécageuses de la rive sud du lac de Neuchâtel. Plusieurs stations littorales préhistoriques avaient été détectées lors des corrections des eaux du Jura. Le projet de conservation du site naturel de "La Grande Cariçaie" entraînera l’abandon du tracé de l’A1 dans ce secteur et limitera l’exploration archéologique à des sondages préliminaires.
Les sondages préliminaires réalisés dès 1986 sur le nouveau tracé d’environ 40 km de l'autoroute A1 qui doit relier Yverdon à Morat marquent le début d'une série de campagnes de fouilles d’une ampleur inconnue jusque-là.

Des stations lacustres à Yvonand

On connaissait déjà du site d’Yvonand trois stations littorales préhistoriques, s’échelonnant entre le Néolithique moyen, entre 3900 et 3000 av. J.-C. et le Bronze final, vers 1000 av. J.-C.

Dès 1971 et durant l’hiver 1972/73 les sondages et investigations préliminaires réalisés dans le cadre du projet de l’A1 ont identifié deux nouvelles stations, toutes deux datées du Néolithique. La modification du projet du tracé de l’A1 entraînera cependant la fin des recherches dans ce secteur et limitera l’exploration à quelques caissons de sondages. Les résultats participent néanmoins à une augmentation notable des connaissances de cette partie de la rive sud du lac pour ces périodes. Le plus ancien de ces deux nouveaux villages remonte au Néolithique, vers 3900/3800 av. J.-C. (civilisation dite de Cortaillod Classique). Le plus récent est à rattacher à la civilisation d’Auvernier (Néolithique récent et final, vers 2500 av. J.-C.). Parmi les trouvailles remarquables, on peut citer un fragment de peigne dans un état de conservation exceptionnel.

Les fouilles de Pomy-Cuarny

Exploré de 1993 à 1995, le vallon de Pomy et Cuarny réunit des traces d’occupation qui s’étalent de la protohistoire au haut Moyen âge. On relèvera particulièrement les vestiges d’un aedificum privatum qui date de la fin de l’âge du Fer (période de La Tène finale) et qui constitue l’un des rares témoignages de ce type en Suisse romande. Une autre découverte remarquable est une conduite d’adduction d’eau en bois, parfaitement conservée et datée du 2e s. apr. J.-C. On notera aussi la pérennité d’occupation d’un établissement constitué de plusieurs bâtiments jusqu’au haut Moyen âge. Ces découvertes ont apporté un éclairage nouveau sur l’occupation rurale aux deux périodes charnières que sont La Tène Finale et le Bas-Empire/haut Moyen âge.

Payerne - En Planeise. Un habitat de l'âge du bronze

Repéré en 1991 et fouillé entre 1993 et 1994, le site de Payerne-en Planeise a livré les vestiges d’un habitat occupé dans la seconde moitié du Bronze moyen et dans une moindre mesure durant Bronze récent. Quelques traces attestent une fréquentation marginale du secteur durant le Bronze final et l’époque romaine. Les structures mises au jour (près de 250), essentiellement des fosses et des trous de poteau, témoignent de l’existence de grands bâtiments – un important édifice rectangulaire à deux nefs à été identifié – et de structures de stockage associées. Le mobilier issu des fouilles, particulièrement abondant (plus de 100'000 objets) et très varié (épingles, appliques, bracelets, faucille poignard, couteau, poinçons, …), constitue un corpus exceptionnel pour cette période. L’artisanat du métal a par ailleurs pu être mis en évidence sur le site. 

Payerne - Route de Bussy. Un lieu très fréquenté

En 1991, les sondages exploratoires liés à la construction de l’autoroute A1 ont mis au jour une nécropole gallo-romaine qui fera l’objet de quatre campagnes de fouilles et de prospection. Cinq ans plus tard, en 1996, dans le même secteur, des fouilles consécutives à l’aménagement de l’échangeur autoroutier de Payerne ont abouti à la découverte exceptionnelle d’un pont celtique en bois. Sur les deux sites, des aménagements viaires celtiques et romains ont également pu être investigués. 

Une nécropole a été repérée en 1991 et fouillé de 1992 à 1995, le tracé de la voie romaine semble se superposer à celui de la route cantonale RC 517 reliant la Broye au lac de Neuchâtel. Dans la nécropole gallo-romaine, deux secteurs ont été identifiés.  Le premier, plus précoce, a livré principalement des sépultures à incinération (coffret de bois et concentration d’ossements). Sa fréquentation s’est étalée du milieu du Ier siècle au milieu du 2e siècle apr. J.-C. L’utilisation du second secteur est plus tardive, du 2e au 4e siècle, voire au-delà, et le rituel funéraire favorise les inhumations en pleine terre, dans de simples fosses et pauvres en mobilier. L’une des tombes se distingue toutefois par la richesse de son mobilier et la présence d’un cercueil. 

Lors de l’été-automne 1996, un pont celtique en bois a été observé sur une longueur de près de 57 m, franchissant une zone marécageuse. Deux canaux successifs partiellement boisés, certainement destinés à drainer le marais, semblent lui succéder, avant d’être remplacé par une route romaine établie sur un remblai. Cette découverte conforte l’hypothèse que le réseau viaire développé par l'occupant romain a suivi des voies indigènes préexistantes.

Avenches - En Chaplix

Après une campagne de sondages exploratoires systématiques en 1986, un premier chantier est ouvert en 1987 au lieu-dit En Chaplix. Au lieu de la brève intervention prévue, il faudra presque une année pour dégager environ 200 sépultures romaines à inhumation et à incinération. Par la suite, de 1988 à 1990, alors que les sondages ne laissaient rien entrevoir de tel, ce ne sont pas moins de deux mausolées, une succession de sanctuaires, l'extrémité nord du canal qui relie la ville au lac de Morat, un moulin hydraulique qui sont mis au jour en plus de la nécropole.

Faoug - De l'époque romaine à l'âge de fer

En 1989 à Faoug, une série de sondages préalables aux travaux de l’A1 permet de confirmer le tracé de la grande voie romaine qui quitte le périmètre urbain d’Avenches vers le nord-est. Dans le même secteur, une nécropole à incinération d’époque romaine et un habitat hallstattien sont également repérés, puis fouillés.

La nécropole du Marais de Clavaleyres, découverte lors de sondages préliminaires à la pelle mécanique en 1989, a été l’objet de deux campagnes de fouilles en 1990 et 1991. Les 16 tombes à incinération dégagées ont été disposées irrégulièrement et témoignent des rites funéraires pratiqués : incinération sur un bûcher commun, offrandes alimentaires, petites fosses pour les cendres, plus rarement une urne. Le matériel recueilli indique une fréquentation entre le 1er et le 3e siècle apr. J.-C. Située à 2 km d’Avenches, ce n’est probablement pas une nécropole urbaine, mais plutôt un cimetière à mettre en relation avec un domaine ou un hameau établi dans les environs.

Les vestiges d’habitat hallstattien repérés à Derrière le Channey durant l’été 1989 ont pu être fouillés sur près de 700 m2 en 1989-1990. Le site a livré des structures bien conservées et un abondant mobilier. Il a été possible d’identifier un plan de maison avec des cloisons internes et un foyer soigneusement aménagé. Le bon état de conservation des vestiges renseigne sur la technique de construction utilisée, un torchis sur clayonnage reposant sur des solins de pierres sèches. Des scories témoignent du travail du fer dans le secteur. L’extension du site reste inconnue, mais il s’agit probablement d’une ferme ou d’un hameau.

A5 Grandson-Vaumarcus

La construction de l’autoroute A5 reliant Yverdon-les-Bains à Soleure par la rive nord des lacs de Neuchâtel et de Bienne a entraîné la plus grande opération de fouilles qu’ait connue l’archéologie vaudoise. En 1994, un bon millier de sondages ont été effectués à la pelle mécanique sur les six kilomètres que compte le tracé vaudois de l’A5 entre Grandson et la frontière neuchâteloise. Ils ont permis de localiser un peu plus de trente sites de taille et d’importance variables. Seize d’entre eux ont été retenus pour faire l’objet de fouilles programmées, qui se sont déroulées entre 1995 et 2004. Seule une partie des données a pu être analysée à ce jour, livrant des informations passionnantes sur l’évolution des occupations humaines dans la région. Ces investigations ont révélé des sites d’une grande diversité (habitat, nécropole, artisanat, militaire, etc.), dont les occupations s’étendent au total entre le début du Mésolithique moyen (environ 8'000 av. J.-C.) et la fin du Moyen âge.

A9b Chavornay-Vallorbe

Décapage dans un des corps de bâtiment de la villa d'Orbe, en 2003. © Université de Lausanne

Dès 1970, une série de campagnes de prospection par résistivité électrique est entreprise à Orbe-Boscéaz, dans l'idée de préciser le plan du site, connu depuis le 19e siècle par ses magnifiques mosaïques, mais cela n'aura pas les résultats escomptés.
À partir de 1974, des opérations de prospections aériennes ont lieu, mais il faut attendre le printemps et l’été caniculaires de 1976 pour des observations favorables du site: quelques photos suffisent alors pour établir un premier plan interprétatif qui révèle l’une des plus grandes villae romaines connues au nord des Alpes.
Ces résultats justifient de dessiner un nouveau tracé de l'autoroute évitant complètement le site. Au milieu des années 80, ce sont le tracé de la route cantonale et de son giratoire de raccordement qui sont déplacés à l’extérieur du site, le démantèlement de l’ancienne route cantonale entraînant des fouilles de sauvetage entre 1986 et 1988, conduites par l’Institut d’archéologie et des sciences de l’antiquité (IASA).
Dans le cadre des aménagements fonciers, le site de la villa sera ensuite exploré annuellement de 1989 à 2004, toujours par l'Université de Lausanne.

Vue aérienne du secteur de Concise en cours de travaux, été 1998

Le réseau ferroviaire

A la fin des années 1980, dans le cadre du projet CFF "Rail 2000", prévoyant l’aménagement d’une nouvelle voie ferrée le long du pied du Jura, la Division archéologie a entrepris une reconnaissance méthodique par sondages des tracés projetés par les CFF.Dans la zone littorale se trouvent les stations lacustres de Concise, particulièrement menacées par les travaux. Connues depuis leur découverte en 1860 lors de la construction de la première voie ferrée Yverdon-Neuchâtel, elles sont classées comme monuments historiques cantonaux depuis 1900 et figurent parmi les sites les plus importants de l’archéologie palafittique d’Europe. Sur un tracé de 10 km, les 700 sondages réalisés ont permis de repérer une trentaine de sites. La seule commune de Concise compte déjà quatre sites d’envergure. De plus, les résultats des investigations ont montré l’importance, la richesse et la bonne conservation des vestiges encore conservés sous les eaux. Ces résultats ont orienté le choix du tracé final afin de sauvegarder cet ensemble au titre de "gisement de réserve". Par contre, le tiers nord de la station lacustre sera en revanche irrémédiablement détruit.

Carrières et gravières, contournements d'agglomérations et parcs éoliens

Carrières et gravières

Dans le canton, les travaux qui touchent des grandes surfaces de plus de 5'000 m2 génèrent des campagnes de sondages exploratoires systématiques. Ces dix dernières années le développement des carrières et gravières consécutif au boom de la construction et de la hausse de la demande en matière première qui en découle, a donc logiquement entrainé de vastes opérations de diagnostic.

Les résultats enregistrés ont largement dépassé les espérances, avec notamment la découverte en 2006 du « sanctuaire » celtique de Mormont, d’importance européenne, ainsi que la série de vestiges insoupçonnés explorés lors de l’extension de la gravière de La Caroline à Tolochenaz qui s’échelonnent du Mésolithique à l’Epoque romaine. On relèvera aussi la mise en évidence des occupations néolithiques et de l’âge du Bronze dans la carrière des Clées, l’ensemble funéraire laténien d’Orny-Sous-Mormont, ou encore l’établissement rural d’époque romaine à Prangins et la nécropole romaine d’Orny-Plan Marnand.

Contournements d'agglomérations

Comme pour les autoroutes, l’emprise très importante des aménagements routiers de contournements d’agglomérations nécessite une reconnaissance systématique par sondages des tracés projetés. Parmi les sites découverts lors de travaux de cette nature, on mentionnera la Villa romaine de Buy à Cheseaux, avec son grand atelier de forge, et surtout l'importante agglomération celtique du 2e siècle avant J.-C., découverte à Vufflens-la-Ville sur le tracé de la future route cantonale, dont les fouilles se sont achevées à l'automne 2016. L'élaboration des très riches résultats de ces investigations ainsi que du mobilier archéologique exceptionnel qu'elles ont livré permettra d’apporter un éclairage très attendu sur une période encore mal documentée dans nos contrées.

Parcs éoliens

Les nombreux projets de parcs éoliens qui ont fleuri ces dernières années ont rendu indispensable une évaluation archéologique, compte tenu de l’impact important de ces projets, notamment la creuse de fondations, l’aménagement de plateformes de montage de grandes dimensions (800-2500 m2 environ) et la création de routes d’accès. A ce jour, les découvertes se résument à quelques objets, des vestiges de fours à chaux, des chemins et bornes anciennes qui attestent une fréquentation remontant à l’antiquité, mais dont l’occupation plus régulière et dense semble essentiellement commencer à partir du 16e siècle.

Ce ne sont pas moins d'une trentaine de parcs éoliens qui sont à l'étude dans le canton, projetés soit dans l'Arc jurassien, soit sur le Plateau. © Archéologie cantonale

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