Le bruit de pages : la promotion de la lecture soutenue par le Conseil d’Etat
Plusieurs indicateurs mettent en évidence que la lecture comme activité de loisir diminue chez les adolescents et certains élèves ne maîtrisent pas suffisamment la lecture pour tirer profit de leur formation. Devant ces constats, et parce que la transition numérique accentue encore le besoin de maîtriser l’écriture et la lecture, le Département de la formation, de la jeunesse et de la culture (DFJC) entend (re)donner le goût de lire et favoriser l’apprentissage par toute une série de mesures concrètes.

Favoriser une lecture quotidienne
L’une d’elle s’appelle le bruit des pages et consiste à organiser une lecture quotidienne de 5 à 15 minutes pratiquée par l’ensemble des élèves, des enseignants et du personnel administratif d’un établissement à une heure donnée et sur une période d’une semaine, d’un mois, d’un semestre ou d’une année. C’est symboliquement ce qui a été mis en œuvre mercredi 11 novembre 2020 lorsque les 93 établissements scolaires vaudois et tous leurs occupants ont ouvert un livre pour 10 minutes de lecture à 11h11.
Un échange sur la lecture en séance du Conseil d’Etat
A la même heure, pour marquer son soutien à l’opération « Le bruit des pages », le gouvernement a interrompu sa séance habituelle, qu’il tient désormais à la Maison de l’Elysée pour des raisons sanitaires. Les conseillères et conseillers d’Etat ont alors procédé à un bref échange sur la lecture, alimenté par le choix d’un ouvrage amené en séance. Chacune et chacun a ensuite commenté ce que la lecture représentait à tire personnel et les raisons du choix dévoilé aux collègues.
Découvrez ci-dessous les choix et réponses des membres du gouvernement.
Christelle Luisier Brodard.
Que représente la lecture pour vous ?
Dès ma jeunesse, la lecture a été une possibilité de découvrir des mondes inconnus. Je lisais plus d’un livre par semaine et cela m’a beaucoup apporté. Aujourd’hui, je garde cet esprit d’évasion en voyant la lecture comme une sorte de bulle ou de parenthèse qui permet de déconnecter, de réfléchir, de ressentir des émotions. Les livres donnent des clés de compréhension du monde, une possibilité de se confronter à la manière de penser des autres et ils sont autant de grilles de lecture de la réalité.

Quel ouvrage avez-vous choisi ?
Persepolis de Marjane Satrapi (Association, Pantheon Books, 2000). Tout d’abord pour l’œuvre en elle-même, il s’agit d’une bande dessinée exceptionnelle avec un dessin épuré, faussement naïf, au service de l’histoire. Ensuite pour le récit magnifique qui décrit le parcours initiatique d’une jeune fille qui acquiert sa liberté en quittant l’Iran à la suite de la révolution de 1979. Il montre que ce chemin vers la liberté est bien entendu compliqué dans un régime autoritaire, mais qu’il peut l’être également à la suite d’un exil dans un pays libre. Cet ouvrage fait également écho à mes valeurs sur l’engagement des femmes, en l’occurrence contre un régime qui brise et contrôle les individus. Cela permet aussi de rappeler l’importance de valeurs qui nous paraissent trop souvent acquises, comme la liberté d’expression, la liberté de choix de vie et la démocratie.
Cesla Amarelle
Que représente la lecture pour vous ?
La lecture est comme un couteau suisse. Enfant, elle m’a permis de grandir. Adolescente, elle m’a permis de m’affranchir, de m’apaiser et m’a ouvert de larges fenêtres sur le monde. Elle me permet aujourd’hui de retrouver la sérénité et d’aller à la profondeur des choses. Elle me donne toujours une capacité incroyable à prendre le large. Face à un quotidien difficile comme en ce moment, la lecture est l’une des plus belles manières de s’ouvrir au monde, de s’évader et de se lier aux autres.
Quel ouvrage avez-vous choisi ?
L'empreinte de toute chose, d’Elizabeth Gilbert (Calmann-Lévy, 2008) est un roman qui fait du bien: il fait du bien car il nous fait voyager des Andes à Tahiti en passant par Philadelphie au cœur de ce «long siècle» qui fourmille de curiosité intellectuelle et scientifique. Il fait du bien car il redonne vie à son héroïne, Alma Whittaker, une femme passionnée de botanique dont les travaux sur les mousses vont la conduire à anticiper la théorie de l’évolution darwinienne. Il fait du bien car il nous parle aussi bien de la place des femmes dans l’histoire des sciences, des relations sociales au XIXe siècle que d’amour, tout simplement.

Béatrice Métraux
Que représente la lecture pour vous ?
Aussi loin que remontent mes souvenirs, j’ai toujours beaucoup lu. Appartenant à la génération d’après-guerre, dernière d’une nombreuse fratrie, les moyens financiers dévolus aux loisirs n’étaient pas importants à cette époque. Aussi, nous allions avec mes frères et soeurs à la bibliothèque municipale (gratuite) de Roubaix tous les 15 jours puis nous parlions de nos livres à table, en famille. Loisir accessible à tous, peu onéreux, essentiel.
La lecture pour moi, c’est l’évasion, la découverte d’autres mondes, la connaissance autre que scolaire, la remise en question, passe-temps indispensable et aussi le goût de l'écriture, de la langue, du jeu des mots. Je lis de tout, de la BD à la poésie en passant par l’histoire, la philosophie, la religion, les polars et autres romans sans oublier la presse quotidienne suisse et étrangère. Je lis tous les jours, moments indispensables pour me retrouver, avoir un temps de sérénité, de paix, essentiel à la fonction que j’exerce.
J’ai partagé ma passion de la lecture avec mes enfants. J’en suis heureuse, ils aiment lire.

Quel ouvrage avez-vous choisi ?
Missa sine Nomine de Ernst Wiechert (Calmann-Lévy, 1953) peu avant la mort de l’auteur, réfugié en Suisse. J’ai découvert ce livre quand j’avais 15 ans, j’en ai 65 et il m’a accompagné partout, y compris pendant toutes mes années africaines. C’est un livre plein d’humanité, d’espoir, il célèbre la vie, la nature, Dieu. Tryptique fondamental pour moi.
L’écriture est belle, profonde, elle célèbre la renaissance de cet homme. La traduction est magnifique. L’espoir, présent dans toutes les pages du livre, me porte en cette période troublée.
Rebecca Ruiz
Que représente la lecture pour vous ?
Une activité essentielle à mon bien-être et à mon épanouissement, et cela depuis l’enfance.
Quel ouvrage avez-vous choisi ?
La place, d’Annie Ernaux, édité par Gallimard. Ce récit autobiographique de cette auteure que j’admire beaucoup m’a transpercé le cœur.
D’abord, parce qu’elle raconte sobrement (mais magistralement) le difficile apprentissage, lorsqu’on est issu d’un milieu modeste, des codes imposés par une ascension sociale. Ceux qu’on découvre et qu’on tente d’appréhender, voire de faire siens, au contact de milieux plus privilégiés. Ceux qui apportent jugement et malveillance aussi, lorsqu’on ne les maîtrise pas totalement.
Ensuite, parce qu’elle décrit avec force et justesse son lien avec son père, désormais décédé.
Enfin, car comme dans d’autres de ses œuvres, Annie Ernaux nous livre un roman social profond, à portée universelle.

Philippe Leuba
Que représente la lecture pour vous ?
Une source de culture, d’abord; une échappatoire à la charge professionnelle, ensuite; un plaisir, enfin.

Quel ouvrage avez-vous choisi ?
L’ordre du monde de Henri Kissinger (Fayard, 2016). Son auteur, l’ancien Secrétaire d’Etat Henry Kissinger, m’a dédicacé cet ouvrage. Je dois l’avouer, c’est l’un des livres les plus intelligents qu’il m’ait été donné de lire. Il vous permet de comprendre l’ordre du monde tel que les Européens l’ont construit depuis les Traités de Westphalie, en 1648, jusqu’à nos jours ; il explique également combien et en quoi cette conception de l’ordre du monde est propre à l’Europe ; enfin, le lecteur prend conscience que chaque civilisation se considère comme le centre du monde et regarde ses valeurs comme universelles.
Au fur et à mesure de sa lecture, vous avez le sentiment d’être un peu moins stupide quant à la compréhension du monde actuel !
En réalité, un livre, c’est d’abord un auteur. Dès lors, que dire d’Henry Kissinger ? Juif allemand fuyant le nazisme en 1938 pour devenir 35 ans plus tard Secrétaire d’Etat des administrations Nixon et Ford, il est l’artisan de la normalisation des relations entre la Chine communiste et les Etats-Unis…Une problématique qui n’a rien perdu de son actualité…
Nuria Gorrite
Que représente la lecture pour vous ?
Depuis mon enfance, la lecture est une fenêtre ouverte vers d’autres possibles. Elle m’a permis à la fois de m’échapper de moi-même, de visiter d’autres univers, et précisément en me confrontant à d’autres réalités, elle m’a permis de mieux me connaitre.
Quel ouvrage avez-vous choisi ?
Atlas, de Laurent Koutaissoff (Bernard Campiche, 2020). D’abord pour la qualité de l’œuvre, d’une densité émotionnelle immense et servie par une plume incisive. Cette plume, ensuite, c’est celle d’un proche collaborateur, le vice-chancelier de l’Etat de Vaud, Laurent Koutaissoff. Le choix de ce roman me permet de dire toute la fierté que j’ai de travailler avec un homme de tant de talents. Et puis, c’est un clin d’œil à la littérature romande, que j’affectionne et que j’encourage depuis mes études de Lettres à l’Université de Lausanne.

Pascal Broulis
Que représente la lecture pour vous ?
D’abord une activité indissociable de ma charge de Conseiller d’Etat, pratiquée quotidiennement à haute dose avec des journaux, des rapports, des sites internet, etc. Pour savoir ce qui se passe dans le monde, la Suisse, le Canton, suivre le travail de mon Département, connaître les demandes, propositions, messages qui me sont adressés, etc.
Dans le cadre privé je lis des romans, des essais, de l’histoire, des BD aussi. C’est une évasion, un plaisir, de fréquentes découvertes et une nourriture intellectuelle qui me forme et alimente mes réflexions.

Quel ouvrage avez-vous choisi ?
Une BD française : «Le Château des animaux». Tome 1 : «Miss Bangalore» (Scénario Xavier Dorison; Dessin Félix Delep. Editions Casterman, 2019). C’est un bel ouvrage, magnifiquement dessiné et écrit avec piquant, à la fois amusant et plein de sens. Un sujet grave abordé avec légèreté. Une BD attrayante qui traite une question politico-philosophique fondamentale. Ses auteurs adaptent « La Ferme des animaux » de Georges Orwell, dystopie inspirée de la révolution russe et de la montée du totalitarisme communiste qui vaut pour tous les totalitarismes d’ailleurs.
Je pense que c’est une réflexion très actuelle sur les libertés dans l’Etat-nation, leur importance, la nécessité de les défendre, de se méfier de leur étouffement même quand il est pétri de bons sentiments. La pensée autonome est indispensable à la démocratie.