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Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 29 mars 2022, point 32 de l'ordre du jour

Texte déposé

La situation en Ukraine va nous conduire rapidement vers une crise alimentaire de niveau mondial et notre Pays ne sera pas épargné.

 

La politique agricole et l'application des Lois la concernant est de la compétence du Conseil fédéral. Par cette résolution, je demande à notre Conseil d'Etat d'intervenir à Berne en incitant le Conseil fédéral de prendre un train de mesures afin de garantir à notre population la sécurité alimentaire.

 

Pour parer à cette situation très inquiétante, un certain nombre de dispositions pourraient être prises par les points énumérés ci-dessous en précisant que ces mesures ne visent pas à affaiblir les questions environnementales, mais bien à assurer de façon concrète et responsable l'approvisionnement de la population de notre Pays en denrées alimentaires indigènes.

 

Sur le plan national,

 

1.-   3'500 hectares sont consacrés à des pratiques culturales improductives, telles que jachères, bandes culturales extensives ou ourlets sur terre assolées.

Il est indispensable de remplacer provisoirement les surfaces en jachères par des cultures assurant de la production de denrées alimentaires.

 

2.-   Dans un prochain train d’ordonnances, le Conseil fédéral prévoit de consacrer à la biodiversité 3,5 % des 400'000 hectares de terres assolées, soit 14'000 ha.

Cette mesure doit être suspendue afin de permettre la production de denrées alimentaires sur l'ensemble des terres assolées.

 

3.-   Sachant que plus du 3/4 du tourteau de soja importé en Suisse provient d'Ukraine et que la pénurie des sources protéiques pour affourager les animaux est imminente, il faut autoriser l'utilisation des protéines animales adaptées à certaines catégories d'animaux telles que la volaille et les porcs.

 

4.-   Pour parer à nos stocks insuffisants face à une crise alimentaire majeure, il faut stimuler et encourager la production de céréales panifiables, d'oléagineux, de pommes-de-terre, de légumes, de sucre, etc....

 

5.-   Pour assurer la mise en œuvre de ces mesures, de nouveaux moyens financiers seront mis à disposition.

 

Pour conclure je dirai qu'il faut semer pour récolter et sans vouloir faire de catastrophisme, il faut comprendre que le temps presse si l'on ne veut pas être dépassé par les saisons; fin mai il sera trop tard pour espérer récolter.

 

J'ai donc l'honneur de proposer à mes collègues députées et députés, de prendre en considération cette résolution,  pour demander au Conseil d'Etat d'intervenir auprès du Conseil fédéral pour aller dans le sens des propositions ci-dessus.

 

Document

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Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Jean-Luc Bezençon (PLR) —

Je vous remercie de me donner l’occasion de présenter cette résolution qui nous permettra de débattre d’un problème important de notre société : notre alimentation. La situation en Ukraine va rapidement nous conduire vers une crise alimentaire de niveau mondial et notre pays ne sera pas épargné. La politique agricole et l’application des lois la concernant sont de compétence du Conseil fédéral. Par cette résolution, je demande à notre Conseil d’Etat d’intervenir à Berne en incitant le Conseil fédéral à prendre un train de mesures afin de garantir à notre population la sécurité alimentaire.

Pour parer à cette situation très inquiétante, un certain nombre de dispositions pourraient être prises, les points énumérés ci-dessous, en précisant que ces mesures ne visent pas à affaiblir les questions environnementales, mais bien à assurer de façon concrète et responsable l’approvisionnement de la population de notre pays en denrées alimentaires indigènes.

Voici donc quelques mesures non exhaustives qui pourraient aider à garantir à notre population une meilleure couverture de nos besoins alimentaires :

  1. Il faut savoir que, sur le plan national, 3500 hectares (ha) sont consacrés à des pratiques culturales improductives, telles que jachères, bandes culturales extensives ou ourlets sur terres assolées. Pour ceux qui ne visualisent pas ce que représente un hectare, c’est un grand terrain de football. Imaginez donc 3500 terrains de football retirés de la production. Il est indispensable de remplacer provisoirement les surfaces en jachère par des cultures assurant la production de denrées alimentaires.
  2. Dans un prochain train d’ordonnances, le Conseil fédéral prévoit de consacrer à la biodiversité 3,5 % des 400’000 ha de terres assolées, soit 14’000 ha. Pour reprendre l’image du terrain de football, 14’000 terrains de football. Cette mesure doit être suspendue afin de permettre la production de denrées alimentaires sur l’ensemble des terres assolées.
  3. Sachant que plus des trois quarts du tourteau de soja importé en Suisse proviennent d’Ukraine et que la pénurie des sources protéiniques pour affourrager les animaux est imminente, il faut autoriser l’utilisation des protéines animales adaptées à certaines catégories d’animaux tels que la volaille et les porcs.
  4. Pour parer à nos stocks insuffisants face à une crise alimentaire majeure, il faut stimuler et encourager la production de céréales panifiables, d’oléagineux, de pommes de terre, de légumes, de sucre, etc.
  5. Pour assurer la mise en œuvre de ces mesures, de nouveaux moyens financiers seront mis à disposition.

Pour conclure, je dirais qu’il faut semer pour récolter. Sans vouloir faire de catastrophisme, il faut comprendre que le temps presse si l’on ne veut pas être dépassé par les saisons. Fin mai, il sera trop tard pour espérer récolter. J’ai donc l’honneur de proposer à mes collègues députées et députés de prendre en considération cette résolution pour demander au Conseil d’Etat d’intervenir auprès du Conseil fédéral pour aller dans le sens de ces quelques propositions.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

Vingt membres appuient-ils cette résolution?

La résolution est soutenue par au moins 20 membres.

La discussion est ouverte.

M. Yvan Pahud (UDC) —

Le groupe UDC soutiendra la résolution de notre collègue Bezençon. En effet, la politique agricole relève de compétence fédérale. La résolution déposée reprend pratiquement in extenso la motion du conseiller national UDC, Jacques Nicolet, déposée il y a deux semaines à Berne. J’avais aussi eu l’honneur de déposer, mardi dernier, une interpellation qui reprenait cette motion avec sa causalité au niveau cantonal. Dès lors, cette résolution ne peut qu’appuyer la motion Nicolet à Berne. Je vous invite donc à la soutenir.

M. Stéphane Montangero (SOC) —

Cette résolution même si elle est peut-être le reflet de soucis légitimes – quoique quelque peu alarmistes – pose problème tant sur le fond que sur la forme. Pour la forme d’abord : formulation floue, à la première personne, décousue, sans queue ni tête, mal fagotée, sans la formulation idoine d’un texte de ce type. Pour le fond : en gros, ce que propose notre collègue, c’est un retour au productivisme des années 1980, avec tous les problèmes liés, par exemple en matière de traitement chimique. On pourrait aussi croire que cela fait référence à la Deuxième Guerre mondiale. A ce sujet, je m’étonne que, dans les mesures proposées, ne figure pas le labourage des terrains de football pour y planter des patates. Plaisanterie mise à part, rappelons que pendant le Plan Wahlen, avec 4 millions de personnes habitant le pays à cette époque, l’autosuffisance fut au maximum de 72 %, les sources historiques indiquant plus généralement un taux de 59 %. Le rapport agricole 2021, qui rapporte le taux de 2019, indique qu’il est à 57 %. Pas besoin de vous expliquer combien de terrains de football devraient être ensemencés en mai pour combler les 43 % manquants, avec une population suisse qui a presque doublé depuis le Plan Wahlen. Au nom du groupe socialiste, je vous invite à refuser cette résolution.

Mme Rebecca Joly (VER) —

Si nous pouvons comprendre et partager une partie du fond de cette résolution – tendre vers une forme de souveraineté alimentaire – la méthode proposée ne nous paraît pas adéquate. Pour les mêmes raisons que celles expliquées par mon préopinant, ces cultures intensives – qui assèchent et appauvrissent les sols à terme – nécessitent énormément de pesticides et d’engrais chimiques qui appauvrissent encore les sols, qui les acidifient et qui causent de nombreux problèmes à moyen et long terme. Des problèmes auxquels nous faisons face maintenant : l’acidification et l’appauvrissement des sols sont une réalité. Concrètement, plutôt que de répondre à ces problématiques sur une solution à plus long terme, on continue avec les solutions à court terme. Cela ne nous paraît pas être un biais approprié.

Au contraire, il existe d’autres mesures que nous pourrions prendre immédiatement : d’abord, lutter contre le gaspillage alimentaire. Aujourd’hui, nous jetons énormément de nourriture qui est produite. Dans une optique de raréfaction des ressources, nous devons arrêter de gaspiller notre alimentation et de jeter des denrées comestibles. Par ailleurs, je sais que ce que je vais dire ne plaira pas, mais c’est une réalité : aujourd’hui beaucoup de nos sols et de nos cultures sont pris pour de l’élevage, que ce soit pour produire la nourriture pour les animaux d’élevage ou pour garder les animaux. Réduire notre consommation de viande à une consommation raisonnable permettrait de gagner beaucoup de surfaces pour planter d’autres types de culture : des légumineux, des oléagineux, des céréales qui permettraient de nourrir plus de monde avec les mêmes surfaces. Ce sont des mesures très concrètes que nous pouvons prendre à court, à moyen et à long terme, des mesures qui nous permettraient d’aller vers une plus grande souveraineté alimentaire et ainsi de répondre à cette préoccupation légitime et que nous partageons, mais avec des mesures viables sur le long terme et durables. Au nom du groupe des Verts, je vous invite à rejeter cette résolution.

M. Philippe Jobin (UDC) —

Madame Joly, je pense que vous ne connaissez pas très bien la topographie de notre pays. Les trois quarts du temps, c’est de l’herbage. Pour le reste, nous faisons du blé, de l’orge ou du maïs. Le 27 septembre 2017, le peuple a accepté, à une écrasante majorité – 78,6 % – d’inscrire dans la Constitution fédérale la sécurité alimentaire. C’est l’article 104a. Ce résultat net montre très clairement que les citoyennes et citoyens reconnaissent les défis à venir au niveau national et mondial. A gauche, je constate que ce n’est pas encore le cas. La sécurité alimentaire n’est pas une évidence ; on le voit à l’heure actuelle. Allez faire ce genre de théories au Yémen, au Liban, en Egypte, dans des pays qui ont véritablement besoin d’avoir du blé pour pouvoir nourrir leur population. Le Grand Conseil doit absolument concrétiser cette volonté populaire.

Je constate – et je l’ai souvent dit au conseiller fédéral Parmelin – que nous n’avons pas de stratégie claire au niveau de l’autoapprovisionnement de la Suisse. Je le martèlerai jusqu’à ce que mon souffle soit coupé, jusqu’à la mort : nous n’avons pas de stratégie précise en Suisse pour cela. Si nous écoutons la gauche, nous n’aurons jamais cette stratégie. Je défie qui que ce soit de nous dire qu’en produisant un peu plus, nous polluons plus. C’est fondamentalement faux ! Pour les produits que je mets en vente – du blé et du maïs en extenso – j’ai limité les engrais et supprimé les pesticides, les fongicides, les insecticides et les raccourcisseurs, et je produis un peu plus, avec des terrains nourris année après année. Ne venez pas nous faire des théories à trois francs six sous qui ne valent strictement rien ! Je sais bien qu’une élection importante aura lieu dans une semaine et demie, mais il faut aussi savoir de quoi nous parlons.

La résolution de M. Bezençon est très bonne ; elle pose sur la table une problématique essentielle. Bien sûr, comme d’habitude, ce n’est jamais jugé assez bon : « Monsieur Bezençon, vous avez oublié la virgule, vous avez oublié le point. » On connaît tout cela, c’est la même chose chez nous.

J’aimerais encore rappeler une chose importante. A mon avis, nous donnons un signal très clair à notre population si nous ne soutenons pas cette résolution : le non-respect de l’article 104a de la Constitution. Nous allons dire à notre population qu’elle a accepté cet article, mais qu’il ne nous sert à rien et que nous ferons différemment. Je suis désolé, mais ce serait un signal extrêmement mauvais pour notre population. Je soutiendrai donc cette résolution et je remercie encore les groupes du centre droit de la soutenir également.

M. Claude-Alain Gebhard (V'L) —

La fragilité de notre sécurité alimentaire n’est pas un mythe rural. L’inverse n’est pas non plus une légende urbaine, mais une réalité. Sur les 15,7 millions d’hectares que compte la superficie de la Suisse, seul 1 million d’hectares est apte à la production de nourriture. Le reste est occupé par des montagnes, des lacs, des zones urbaines, des autoroutes et des voies ferrées. Seul le quart de cette surface, à savoir 250’000 ha, est dédié à la culture des céréales, des protéagineux, des oléagineux, des pommes de terre et des betteraves sucrières. Le reste de notre surface agricole est constitué d’herbage obligatoire – et je précise obligatoire – à cause de l’altitude et de la pente, chère madame Joly. Il nécessite l’interface des ruminants – des bovins, des ovins et des caprins en altitude – pour être transformé en protéines à haute valeur alimentaire. Globalement, nous produisons, sur ce petit million d’hectares, la moitié de nos besoins alimentaires, ce qui est déjà un succès énorme pour nos agriculteurs suisses. Le 50 % de notre alimentation est actuellement importé du reste du monde, souvent au détriment des populations locales, surtout si l’on inclut le fameux gaspillage alimentaire. La crise alimentaire mondiale de 2008, et plus récemment la crise sanitaire, nous ont clairement montré la fragilité de notre accès aux ressources, alimentaires notamment. Cette tension va assurément perdurer, car la population mondiale est toujours en augmentation constante, malgré le coronavirus et malgré les guerres, mais nos ressources alimentaires sont de plus en plus limitées sous l’effet du changement climatique.

Mesdames et messieurs, la situation est à prendre au sérieux, car ce n’est pas juste une question nationale, mais un thème extrêmement grave qu’il faut replacer dans le contexte mondial. Ce ne sont pas les Suisses qui vont souffrir en premier lieu de la pénurie alimentaire, mais bien les pays émergents, notamment dans la zone du Sahel et du Moyen-Orient. Ces pays vont se retrouver dans l’impossibilité d’acheter des céréales face à la surenchère mondiale, notamment provoquée par notre pays. Chers collègues, ce sujet est bien trop grave pour faire l’objet d’un débat polarisé gauche-droite et aussi choquant qu’inutile. Je vous encourage vivement à prendre maintenant un peu d’altitude pour adopter une posture réaliste et responsable en soutenant cette résolution de notre collègue Bezençon à l’intention du Conseil fédéral.

M. Vincent Keller (EP) —

Je pensais, pour un objet de cette importance, que l’on donnerait la parole à l’ensemble des groupes, avant d’ouvrir le débat. Lorsqu’on parle d’agriculture, dans ce plénum, on aime s’étendre et l’on sait toutes et tous pourquoi…

Sur le fond, si la résolution de notre collègue Bezençon s’intéressait à la souveraineté alimentaire, notre groupe l’aurait analysée et probablement acceptée. Le problème de cette résolution est assez simple, mais multiple : cette résolution demande de reprendre un Plan Wahlen de cultures intensives et de traitement chimique des sols pour un résultat écologique dramatique. Nous avons commis ces erreurs dans le passé, mais, visiblement, certains veulent nous y replonger. Un retour en arrière auquel la droite nous a habitués depuis longtemps : avec la mobilité, c’est un retour aux années 70 ; avec l’agriculture, aux années 30 ! Quand viserez-vous le XXIe siècle ?

M. Montangero a donné les chiffres que je voulais vous communiquer. Je ne vais pas les rappeler. L’avenir n’est pas à la culture intensive. Il est à la souveraineté alimentaire, mais pas en appauvrissant les sols chimiquement et en détruisant la biodiversité. La lutte contre le gaspillage alimentaire est aussi une partie de la solution. Par exemple, l’arrêt du choix de calibrage des fruits et légumes et la destruction de tous ceux qui ne rentrent pas dans un cadre bien précis.

Monsieur Jobin, arrêtez avec ces arguments ad personam et votre agressivité à l’endroit de ma collègue Joly et de la gauche en général. Ce n’est pas parce que nous ne sommes pas des agriculteurs que nous ne comprenons pas la situation. Bien au contraire !

Pour toutes ces raisons, notre groupe refusera cette résolution.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

Monsieur le député, pour votre information, nous donnons la parole aux groupes dans l’ordre d’importance lorsque cela est annoncé à l’avance, ou lors des comptes ou du budget.

M. Grégory Devaud (PLR) —

D’aucuns m’ont parfois qualifié de député modéré, voire trop gentil. Loin de moi l’idée d’être un donneur de leçons aujourd’hui, mais je suis aussi agriculteur et j’aimerais vous appeler, pendant les quelques jours qui précèdent cette élection, à mettre un peu la politique entre parenthèses, parce que nous vivons une situation mondiale, ou en tout cas européenne, qui est elle-même dans une espèce de parenthèse qui, nous l’espérons, se terminera le plus rapidement possible.

Bien entendu, nous sommes conscients des effets de cette résolution qui se résume finalement à un vœu, celui d’encourager, par une voix forte de notre Parlement, le gouvernement à intervenir auprès de la Berne fédérale, conscients de cette thématique de politique agricole qui se joue sur le plan fédéral. Aujourd’hui, il est important de donner ce signal.

Deux mots sur ma situation personnelle : nous sommes en association avec un certain nombre d’exploitants de la plaine du Rhône. Nous cultivons environ 200 ha. Votre serviteur, sur une cinquantaine d’hectares de surfaces assolées, a quasiment 10 % de surfaces dites non productives, des surfaces pré extensives, de prairies permanentes pour la fauche, de pâturages attenants et de pâturages extensifs. Ce sont des surfaces de compensation écologique qui, comme cela a été dit par l’un de mes préopinants, sont obligatoires pour l’exploitation. En plus des traditionnelles cultures « au plat », dans la plaine du Rhône, avec l’entier des surfaces de mon domaine potentiellement cultivable, nous avons une obligation de surfaces improductives que j’ai le bonheur de valoriser – et non pas de cultiver les différents produits qui ont été énoncés jusqu’à maintenant pour engraisser quelques bovins – ces quelques produits herbagers en une production d’élevage extensif qui font d’ailleurs le bonheur de quelques collègues députés lorsqu’on produit cette viande.

Je trouve que cette demande tombe à point nommé : aujourd’hui, l’urgence est d’avoir une production particulièrement respectueuse de l’environnement, mais cette production nécessite justement plus de surfaces. Le débat ne porte pas sur une augmentation des produits phytosanitaires ou des engrais. Le prix des engrais a pratiquement doublé ces derniers temps. L’idée est de pouvoir valoriser chaque mètre carré pour notre production alimentaire. Lorsqu’on parle de méthodes culturales particulièrement respectueuses, on pense à du sarclage, à du semis direct sans labour, avec l’entier des résidus de l’année précédente qui sont conservés pour la matière organique, avec des blés qui se font étriller de manière mécanique. Nous ne sommes pas du tout dans l’idée d’une utilisation supplémentaire de produits, mais plutôt d’avoir plus de surfaces cultivables.

J’ai entendu parler du gaspillage alimentaire. C’est juste, il faut lutter contre ce gaspillage. Je ne sais pas si beaucoup de personnes connaissent l’application « Too Good To Go » . Il m’est arrivé de me retrouver dans un magasin ou dans un restaurant, à 22 heures 30, et de pouvoir valoriser des produits non vendus pour les utiliser le lendemain, pour ma famille. J’espère que ceux qui en parlent utilisent réellement ce type d’application et sont exemplaires à ce sujet. C’est en tout cas le cas de votre serviteur.

Finalement, si nous pouvons maintenir une certaine indépendance du point de vue de la production agricole, nous maintenons aussi les prix et un certain pouvoir d’achat. Les députés bien-pensants que nous sommes ne seront pas maîtres des prix s’il y a demain une réelle pénurie sur le plan européen. Il y a un vrai risque que le prix des matières augmente et que les citoyennes ou citoyens vaudois doivent faire face à une augmentation des prix de l’alimentation de base – l’huile, le riz, le blé ou tous les produits nécessaires au quotidien. Alors, visons cette autonomie alimentaire pour garantir ce pouvoir d’achat.

Pour conclure, le temps nous incite probablement à jouer à la fourmi – et non pas à la cigale – pour prévoir, cette année déjà, des plantons, des cultures et des semis, mais aussi et surtout l’année prochaine. Il est temps de prévoir de remplir nos greniers, de remplir nos caves et potentiellement remplir nos frigos pour tenir le plus longtemps possible avec des produits accessibles à des prix corrects. Ce n’est pas de l’alarmisme, c’est être réaliste et essayer d’anticiper. Aujourd’hui, nous avons accueilli plus de 1000 personnes. Nous visons grosso modo 6000 personnes en provenance d’Ukraine : des familles nombreuses, des femmes et des enfants, même des orphelins. J’ai envie de pouvoir les accueillir, j’ai envie que nous puissions jouer notre rôle humanitaire et développer ces aides, mais j’ai aussi envie aussi d’avoir suffisamment à manger pour toutes et tous et à des prix accessibles. Dès lors, je vous encourage à soutenir cette résolution de notre collègue Jean-Luc Bezençon.

M. Jean-Luc Chollet (UDC) —

C’est étonnant comme le poids des mots peut conduire à des interprétations fort différentes. A ce que je sache, notre collègue Bezençon a parlé d’extension des surfaces cultivées, mais une part de cet hémicycle l’interprète et le traduit par intensification. Quand bien même nous voudrions revenir aux normes de rendement des années 1980 à 2000, nous serions bien en peine de le faire, faute de pouvoir trouver les produits phytosanitaires qui permettaient ces rendements. Ces produits n’existent plus ni sur le marché suisse ni sur le marché européen en importation parallèle. Nous parlons donc effectivement d’extension.

Un mot a été cité par notre collègue, Mme Joly : le mot « gaspillage ». Je vous donne deux exemples de gaspillage qui vous feront peut-être hurler. Lorsqu’on a arrêté de ramasser les lavures – les déchets des cuisines industrielles, des cliniques et des restaurants – pour en faire de la bio méthanisation, on a arrêté d’engraisser les porcs avec ces déchets. Nous avions alors un cercle parfait : les lavures nourrissaient les porcs, ces derniers étaient abattus pour leur viande, etc. Ce système fonctionnait, mais pour des raisons sanitaires que nous n’avions pas su maîtriser à l’époque, mais que nous pourrions maîtriser maintenant, nous en avons fait de la bio méthanisation.

Je voudrais également citer ces termes, honnis au début des années 2000, des farines animales. Il est vrai que c’était un scandale et un non-sens de donner des farines animales – d’autant plus insuffisamment stérilisées – à des polygastriques : du bétail, des moutons ou des chèvres. Or, ces farines animales bien stérilisées, selon les règles de l’art, pourraient être données avec de gros apports protéiniques à des poules pondeuses ou de chair et à des porcs qui sont des monogastriques. Aujourd’hui, que fait-on de ces farines animales ? Heureusement que nous avons des cimenteries, heureusement que Holcim reprend ces farines animales – mais pas gratuitement, ce n’est pas le père Noël – pour chauffer ses fours et faire du ciment avec ces farines animales. Je persiste néanmoins à penser qu’elles seraient bien mieux valorisées, avec toutes les précautions d’usage, pour l’alimentation animale.

Comme vous le voyez, les termes n’ont pas forcément la même signification selon que nous soyons, non pas d’un côté ou de l’autre de cet hémicycle, mais d’un côté ou l’autre de la profession.

M. Pierre-François Mottier (PLR) —

A ce stade du débat, je pense que presque tout a été dit. Personnellement, je trouve que l’on est un peu à côté de la plaque et certaines interventions me paraissent un peu « lunaires » : on parle aujourd’hui de 4000 ha qui pourraient servir à nourrir la population. On voit les conflits qui se passent à l’est et on sait que nous aurons besoin de nourrir des bouches. On ne parle pas de sur engraisser des surfaces, de mettre des phytosanitaires dans tous les coins, on parle d’exploiter effectivement un tout petit peu plus pour nourrir la population supplémentaire qui en aura besoin dans les jours à venir. Cela me paraît urgent. C’est la raison pour laquelle la résolution de notre collègue Bezençon me paraît utile et intelligente. A ce stade du débat, le clivage gauche-droite me paraît complètement anecdotique. Je pense également que cela n’a absolument rien à voir avec les prochaines votations. Je vous encourage à soutenir cette résolution et à donner un peu de lest, sur le terrain, à nos producteurs-agriculteurs pour nourrir éventuellement ces bouches supplémentaires.

M. Olivier Epars —

Je ne vais pas parler du clivage gauche-droite, mais vous donner quelques faits scientifiques. Je ne sais pas s’ils sont de gauche ou de droite, mais 500 scientifiques soutiennent une publication récemment traduite en français qui s’appelle « Face à la guerre en Ukraine, nous avons maintenant, plus que jamais, besoin d’une transformation du système alimentaire ». Je ne vais pas vous lire l’entier de la publication, mais je voudrais revenir sur trois mesures proposées :

  1. Accélérer la transition vers des régimes alimentaires plus sains, avec moins de produits d’origine animale en Europe et dans d’autres pays à revenu élevé. Un tiers des calories mondiales sont actuellement utilisées pour nourrir des animaux et plus des trois quarts des terres agricoles sont utilisés pour produire des aliments d’origine animale. Sur la base des données de la FAO, nous estimons qu’une réduction d’environ un tiers des céréales utilisées par l’Union européenne pour nourrir des animaux pourrait compenser l’effondrement des exportations ukrainiennes de céréales et d’oléagineux.
  2. Augmenter la production de légumineuses et renforcer la stratégie « de la fourche à la fourchette ». L’agriculture européenne dépend fortement des engrais azotés à forte intensité énergétique. Les approvisionnements sont actuellement interrompus, car la Russie est l’un des plus grands producteurs mondiaux d’engrais et de gaz naturel. La stratégie « de la fourche à la fourchette », qui vise à réduire de moitié les excédents d’azote et à étendre l’agriculture biologique sur 25 % des terres, permettrait de réduire largement cette dépendance à l’égard des importations. Accroître la diversité des rotations de cultures et inclure des légumineuses fixatrices d’azote permettrait de remplacer les engrais de synthèse par une fixation biologique. Améliorer l’efficacité de l’utilisation de l’azote en dosant mieux les engrais synthétiques et organiques et en choisissant le bon moment pour les utiliser améliorerait la qualité des sols.
  3. Réduire la quantité de déchets alimentaires. Nous en avons déjà parlé. Le gaspillage actuel correspond à la moitié du blé ukrainien produit et au quart des autres céréales.

Je vous livre encore la conclusion de cette étude : « L’invasion de l’Ukraine par la Russie et la guerre en cours ont envoyé des ondes de choc dans le système alimentaire. (…) Le rapport récemment publié par le GIEC indique qu’il ne reste qu’une courte fenêtre d’opportunité pour une action efficace face à l’accélération du changement climatique et à d’autres crises environnementales. Se concentrer aujourd’hui sur des solutions à court terme sans tenir compte des conséquences à plus long terme ni intégrer une vision plus large exacerbe les risques futurs, y compris la menace de dépasser les points de basculement critiques des systèmes naturels de notre planète. Il est essentiel d’investir dès maintenant dans une transition vers des systèmes alimentaires sains et durables afin d’accroître notre résilience face aux crises futures et assurer une planète sûre et vivable pour les générations à venir. »

M. Serge Melly (LIBRE) —

La récupération, c’est « la bonne combine » nous assurait l’ancien conseiller d’Etat Marthaler, mais la récupération politique d’événements tragiques pour promouvoir des idées conservatrices, cela a un côté très déplaisant, à la limite indécent. On nous a déjà fait le coup il y a 15 jours, en profitant de la guerre en Ukraine pour proposer d’étoffer notre armée suivant l’adage romain « si tu veux la paix, prépare la guerre ». Cet adage s’est révélé faux depuis 2000 ans et César aurait été mieux inspiré de dire : « Si vis pacem, para pacem ». Aujourd’hui, second épisode – et j’espère le dernier – avec une attaque en règle contre la biodiversité et les nouvelles méthodes de culture qui tendent à se passer d’engrais et d’antiparasitaires. Vu leur coût désormais exorbitant, c’est peut-être justement le moment d’en éviter l’emploi. Car avant de labourer les prairies florales et écologiques, il y a des solutions pour maintenir et augmenter la surface nourricière. Appliquer la Loi sur l’aménagement du territoire (LAT) de façon plus stricte et geler tout projet de construction hors de l’espace déjà bâti. Quand je pense que l’on est prêt à construire un centre d’entraînement pour un club de football en pleine campagne sur des centaines de mètres carrés ou et prêt à promouvoir des plans de quartier en périphérie des villes, comme à Yverdon ou à Blonay, pour citer les projets dont je me souviens par la lecture de la presse. La zone agricole doit être déclarée intouchable. Un point c’est tout. En contrepartie, il faut bien sûr supprimer un maximum d’embûches pour la construction dans l’espace déjà bâti et déjà soustrait à la production agricole. Au nom d’études démographiques à quatre sous, on interdit dans certaines communes, la densification de zones à faible densité, mesure indécente quand on connaît la rareté du terrain à bâtir. Il faut construire les villes dans les villes et les villages dans les villages et ne plus toucher, sous aucun prétexte, sauf l’intérêt public, aux surfaces d’assolement. Hic et nunc !

Mais il est surtout temps désormais de ne plus soutenir, d’une manière ou d’une autre, des cultures dont on peut se passer, dont on doit se passer. Il n’est plus admissible de produire, sur de bonnes terres arables, du tabac que l’on doit remplacer aujourd’hui par du froment. Nous ferons d’une pierre deux coups : augmentation de céréales et diminution de drogue. Cette culture était un créneau de diversification agricole à une époque où l’on devait affronter un lac de lait et une montagne de beurre. Aujourd’hui, elle est indécente face à la pénurie.

Avec ce risque, de nouvelles tendances vont également s’affirmer et vont devenir la norme : éviter le gaspillage alimentaire, manger moins de viande. Et bien sûr, comme l’a dit le député Chollet, reconsidérer notre position sur les farines animales. Avant de s’attaquer à la biodiversité, réfléchissons à toutes les mesures qui pourraient être prises pour limiter une éventuelle pénurie. (Applaudissements.)

M. Pierre-Alain Favrod (UDC) —

Non, madame Joly et monsieur Keller, il n’y a pas en Suisse de culture intensive. Cela n’existe pas. Monsieur Montangero, il faut le rappeler ici, ce n’est pas non plus comme dans les années 80 : les règles PER au niveau des engrais et des phytos resteraient en vigueur même avec cette résolution. Vous nous prenez pour des extrémistes, mais quand l’Europe demande à l’Ukraine de pouvoir semer ses céréales… parce que oui, l’Ukraine est et restera le grenier de l’Europe. Vous qui voulez du pain bio, savez-vous d’où vient principalement la farine bio de qualité ? De Russie. Oui, la Russie fournit une qualité supérieure de farine bio. Mais je pense qu’il y aura un manque au niveau mondial : il ne faut pas rêver, mais il est aussi permis de réfléchir. C’est ce que je vous invite à faire.

M. José Durussel (UDC) —

Dans cette période très douloureuse, on voit que les gens ont la mémoire courte. Mars 2020, le Covid entraîne une ruée sur les aliments : farine, huile et sucre. Dans les supermarchés, on se bagarrait, même pour du papier de toilette…

Monsieur Montangero, il ne faut pas trop vous inquiéter, les terrains de football dans le canton de Vaud ou en Suisse, notamment dans les milieux urbains, sont en synthétique. Il y a encore de la marge avant qu’on s’attaque aux terrains synthétiques de la ville de Lausanne.

Monsieur Keller, en 1940, il y avait déjà des jachères. C’étaient des jachères naturelles, parce que nos grands-parents n’étaient pas équipés pour cultiver. On utilisait la faux, le râteau et le croc pour planter et récolter des pommes de terre. Evidemment, l’agriculture a évolué dans les années 60, 70 et 80. J’ai fait l’Ecole d’agriculture en 1982 et on nous y apprenait à produire des aliments dignes de ce nom, des aliments durables. Aujourd’hui, je suis choqué quand j’entends certaines paroles. J’ai vu, dans un reportage sur l’Ukraine, que les abattoirs et les frigos avaient été détruits. Imaginez que les agriculteurs qui ont des bêtes prêtes à partir à l’abattoir dans des camions-remorques les laissent crever sur place. Pendant ce temps, la moitié de la population traverse le pays à pied ou en voiture pour se déplacer ou pour chercher à se nourrir, parce qu’elle n’a plus rien à manger. Lorsque j’entends le slogan « produire moins, partager plus » – que j’ai entendu il y a trois semaines dans la région du Nord vaudois – je suis dégoûté.

M. Andreas Wüthrich (V'L) —

Je me joins aux propos de mes collègues Gebhard et Joly, j’ajouterai une référence à une étude de l’Institut de recherche de l'agriculture biologique (FIBL) qui précise qu’il faudrait abandonner les cultures qui servent à nourrir les animaux au bénéfice de production de nourriture végétale : céréales panifiables, protéagineuses, légumes, etc. Dans le quotidien 24heures, on a pu lire dernièrement que le Conseil fédéral suivrait exactement cette stratégie afin d’augmenter notre autoapprovisionnement prôné par l’étude précitée. Pour soutenir le Conseil fédéral dans cette stratégie et non pas pour revenir en arrière concernant l’écologie en agriculture, je soutiendrai cette résolution.

M. Olivier Petermann (PLR) —

En réponse à certains propos antiviande, pourquoi notre pays base-t-il sa production de protéines sur la viande ? Nos surfaces agricoles cultivables sont en grande majorité composées d’herbage et la seule façon de valoriser nos pâturages et nos prairies, c’est d’élever du bétail, particulièrement des ruminants qui ont la fabuleuse capacité de transformer la cellulose en protéines assimilables par l’être humain. Je n’ai encore jamais vu des humains pâturer ou manger l’herbe de nos magnifiques prairies pour y survivre. Alors oui, il faut rouvrir des jachères et autres terrains non cultivés afin de pouvoir garantir un meilleur approvisionnement en céréales, en légumineuses, en légumes pour les citoyennes et les citoyens de ce pays. Je vous recommande donc de soutenir cette résolution.

M. Philippe Cornamusaz (PLR) —

Je ne vais pas revenir sur les propos tenus jusqu’ici, mais je soutiens ceux exprimés par MM. Gebhard et Wüthrich. Quant à M. Keller, j’ai l’impression qu’il voulait nous dire qu’on voulait introduire une agriculture hors-sol. Je déclare mes intérêts : je suis agriculteur dans la Broye et j’ai 3,5 ha de jachères qui sont inscrites dans ma surface agricole utile aux terres assolables. Il suffit donc de me donner le feu vert et, dans un mois, elles accueilleront des pommes de terre ou des céréales de printemps. Je crois que l’agriculture a besoin d’un signe. Ces surfaces sont déjà inscrites dans la surface agricole utile, nous avons assez d’engrais de ferme ou de digestats de biogaz pour nourrir ces terres. Ces dernières sont en repos depuis une dizaine d’années et on peut les rendre à l’agriculture cultivable avec un coût – écologique, environnemental et humain – supportable. Je vous rappelle que, il y a deux ans, au début de la pandémie, les étals des magasins ne contenaient plus de riz, de pâtes, de sucre ou de papier de toilette. On y arrive vite et l’agriculture, tout en respectant les méthodes écologiques, est prête à faire le nécessaire. Je vous demande donc de soutenir cette résolution.

Mme Alice Genoud (VER) —

Nous partons sur un débat qui fait peur. On le sent, la peur est présente, mais elle peut être étayée par des chiffres et par la réalité donnée par le Département fédéral de l’économie qui répond très clairement à des interrogations qui venaient du plénum national, des interrogations qui sont sans doute les mêmes que celles dont nous parlons aujourd’hui. Finalement, les volumes venant d’Ukraine ou de Russie sont extrêmement faibles. Les réponses du département sont claires à ce sujet : 2 % des céréales, 4 % des fourrages, 4,5 % des huiles et graisses végétales viennent aujourd’hui d’Ukraine et de Russie. Si le débat que nous avons aujourd’hui a lieu d’être, nous ne sommes pas dans une situation de pénurie ou une grande problématique alimentaire au niveau de la Suisse. Je pense qu’il faut être raisonnable par rapport à tout ce qui a été dit jusqu’à maintenant. Finalement, on ne peut pas soutenir cette résolution, parce qu’elle ne reflète pas la réalité des faits et du marché local ou du marché suisse.

M. Eric Sonnay (PLR) —

Madame Genoud, j’espère que vous avez raison. Personnellement, je trouve égoïste de dire que l’on importe 4 % de fourrage, 2 % de céréales, etc. Je rappelle que nous sommes un pays riche, nous pourrons donc acheter ce qui nous manque, mais nous le ferons au détriment des pays plus pauvres… et là, je ne suis plus d’accord.

Monsieur Epars, vous avez dit que nous devions augmenter les légumineuses. Monsieur Epars, dans le Plateau suisse, expliquez-moi, à part les jachères, quel mètre carré n’est pas cultivé ? Il n’y en a pas ! Comment voulez-vous augmenter les légumineuses lorsqu’on cultive déjà toutes les terres disponibles ?

En tant qu’agriculteur, j’ai un autre problème : les agriculteurs ont toujours suivi ce que le consommateur demandait. Aujourd’hui, on produit des œufs, des poulets de chair, du porc. Ces trois espèces animales sont nourries à 90 % par des farines et des aliments importés. D’où viennent ces farines importées ? D’autres pays ! Si vous voulez tout fermer, si vous voulez dire aux agriculteurs de produire moins, il n’y aura plus d’œufs suisses, plus de poulets suisses et plus de porcs suisses. Réfléchissez-y ! Je vous encourage à accepter cette résolution.

M. Jean-François Chapuisat (V'L) —

C’est un débat fort riche et fort intéressant. J’ai simplement une question à poser à M. le conseiller d’Etat : quelles sont la réelle portée et la durée de vie d’une telle résolution à Berne ? Je le remercie d’avance pour sa réponse.

M. Jean-Luc Bezençon (PLR) —

Je suis ébahi par les propos tenus par certains de nos collègues. Je dois être un très mauvais politicien, parce que je pensais que, pour un objet aussi important que celui-ci, « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». Nous parlons de la nourriture de nos concitoyennes et de nos concitoyens, de la nourriture que nous devons produire pour le peuple suisse et vaudois. Je pensais que nous pourrions tous tirer à la même corde. M. Epars nous parle de faire un régime, je vous assure que celui-ci va s’imposer de lui-même et que nous allons devoir partager nos assiettes en deux, même si nous utilisons toutes les parcelles auxquelles j’ai fait allusion.

Monsieur Melly, vous qui êtes agriculteur, parler de récupération… Franchement ? Contrairement à vous, j’ai été réélu… (Réactions dans la salle.) C’est vrai, j’ai été réélu, je ne fais donc pas de la récupération politique.

Je voudrais encore préciser que l’Allemagne et la France ont décidé de rouvrir les jachères. Je verrais d’un mauvais œil le fait que la Suisse ne fasse pas de même.

Madame Genoud, vous êtes un Bisounours ! Les propos que vous tenez sur l’agriculture relèvent d’une méconnaissance totale de notre métier et de nos responsabilités.

Pour le peuple suisse, pour le peuple vaudois, j’espère que cette résolution sera acceptée. Je remercie les députées et députés de la gauche d’avoir montré leur vrai visage et l’intérêt que vous portez à l’alimentation de notre population.

M. Philippe Leuba —

Naturellement, le Conseil d’Etat ne s’est pas déterminé sur une résolution qui pourrait ou non lui être renvoyée. Cela étant, j’ai été interpellé par l’un d’entre vous, je vais donc m’exprimer dans le cadre que je viens de préciser. Il ne s’agit donc pas de la position du Conseil d’Etat. J’aimerais revenir à des faits concrets.

Monsieur Melly, rendons à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu : « si vis pacem, para bellum », ce n’est pas de César, mais de Végèce… Mais nous ne sommes pas à une exactitude près dans ce débat.

Il est vrai qu’en l’état, selon les discussions que j’ai eu l’honneur d’avoir avec M. Parmelin, il n’y a pas de risque de pénurie de produits alimentaires à court terme en Suisse. J’étais l’autre jour à l’assemblée générale des boulangers-confiseurs et le responsable des meuniers nous a indiqué que, jusqu’à la saison prochaine – jusqu’à la fin de l’automne – l’alimentation des moulins et de la chaine de production panifiable était assurée en Suisse. Il ne s’est pas exprimé sur la suite des opérations. Il n’y a pas de risque de pénurie ; il est donc parfaitement inutile de se précipiter dans les grandes surfaces pour faire des réserves de pain, de pâtes ou de Dieu sait quoi !

Cela est vrai aujourd’hui, mais la situation pourrait évoluer de manière significative sur le plan suisse et sur le plan mondial. Toujours selon les indications que nous avons de Berne, le risque le plus important à la suite de la pénurie de production ukrainienne et russe et du blocus de l’acheminement des matières premières comestibles depuis ces deux pays concerne d’abord le Maghreb. Pour le blé, le nord de l’Afrique est effectivement dépendant à hauteur de 80 % de la production ukrainienne – et russe dans une moindre mesure. Il s’agit donc d’un problème qui dépasse très largement les frontières de la Suisse. Dès lors, il est audacieux d’être très affirmatif – dans un sens ou dans l’autre – quant à la situation qui résultera de la récolte 2022 dont on ne connaît évidemment pas la production. Cela dépendra évidemment de la situation en Ukraine et en Russie, mais également de la situation climatique en Suisse et dans le reste des pays européens.

C’est aujourd’hui que les quantités semées sont déterminées ; c’est aujourd’hui que les récoltes doivent être prévues, quand bien même elles seront effectuées cet été et cet automne. A ce propos, il y a quelques jours, j’ai sollicité par écrit le chef du Département fédéral de l’économie pour que l’on réfléchisse à des hypothèses très voisines de celle évoquée dans la résolution de M. Bezençon. S’il s’agissait de modifier durablement – et j’insiste sur ce terme – la politique agricole, et notamment l’équilibre entre normes environnementales et normes de production, le Conseil d’Etat refuserait toute démarche allant dans ce sens. Je le répète : s’il s’agissait de modifier, de manière pérenne, l’équilibre trouvé entre production et normes écologiques, le Conseil d’Etat s’y opposerait assurément. S’il s’agit de répondre à une crise – que chacun souhaite ponctuelle ou au moins limitée dans le temps – je pense qu’il est judicieux de réfléchir de manière dépassionnée à cette question, parce que les conséquences d’une pénurie alimentaire à l’échelon mondial seront assurément multiples. Encore une fois, les pays en voie de développement seraient les premiers à subir le contrecoup d’une raréfaction de la production alimentaire mondiale. Dans les pays dits « riches », c’est l’augmentation des prix qui en résulterait, avec des conséquences sur les milieux les moins favorisés quant à l’accès à l’alimentation.

Cela étant, sans en faire une querelle de principe, je pense qu’une réflexion sur ces questions est pertinente. Je pense également qu’il ne s’agit pas de remettre en cause les normes environnementales, il ne s’agit pas de pousser la production au travers d’un recours aigu aux produits phytosanitaires. Il ne s’agit pas de déplafonner – si j’ose m’exprimer ainsi – les normes de cette nature. Bien au contraire, il s’agit de savoir si, de manière temporaire et limitée, des surfaces qui ne sont pas dévolues à la production alimentaire pourraient l’être en Suisse. C’est à ce sujet que mon département a appelé M. Parmelin et l’Office fédéral de l’agriculture à la réflexion. Ce serait de manière temporaire et pour répondre à une situation préoccupante, mais extrêmement rare dans l’histoire des vingt ou trente dernières années. Rappelez-vous que, depuis trente ans, personne n’a jamais évoqué l’hypothèse d’une pénurie alimentaire frappant le monde occidental.

Il ne s’agit pas de sombrer dans le catastrophisme ni de remettre en cause l’entier de la politique agricole, mais de mener en quelque sorte une réflexion. Les pays européens réfléchissent également de leur côté à une augmentation de la production indigène – à l’Europe – au travers du fait de consacrer à l’agriculture alimentaire des surfaces supplémentaires.

Voilà ce que je peux vous dire en mon nom propre, sans engager le Conseil d’Etat qui ne s’est pas déterminé sur cette question. Ce sont les réflexions qui sont conduites à mon niveau dans le cadre de cette crise ukrainienne aux multiples conséquences, notamment en matière d’alimentation à moyen terme.

M. Serge Melly (LIBRE) —

Je félicite M. le conseiller d’Etat pour son extrême attention. J’ai justement utilisé une figure de rhétorique – qui se nomme la personnification – et qui veut que par César, j’englobais bien entendu tout Rome. (Réactions dans la salle.)

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est close.

La résolution est adoptée par 69 voix contre 60 et 2 abstentions.

M. Jean-Luc Bezençon (PLR) —

Je demande un vote nominal pour savoir qui se soucie de l’alimentation de notre pays.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

Cette demande n’est pas appuyée par au moins 20 membres.

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