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Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 12 janvier 2021, point 11 de l'ordre du jour

Documents

Texte adopté par CE

Rapport de la commission (179) - Florence Bettschart-Narbel

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
Mme Florence Bettschart-Narbel (PLR) — Rapporteur-trice

Je n’ai pas de remarque particulière à faire en supplément à mon rapport.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Jérôme Christen (LIBRE) —

J’ai imaginé une discussion du Conseil d’Etat en 2050 :

Ce draft est top a dit la boss Cherry Griotte, le secteur est en plein boom, c’est trendy, tandis que le conseiller d’Etat Lower nuançait sur le fait que le back office, le business plan et le background de la team laissaient plutôt à désirer et que sans management et empowerment, on pourrait se mover vers un flop.

Avez-vous prévu une helpline ? Un call center ? Une showroom ? En tout cas, s’est exclamé la conseillère d’Etat Patty Cake, avant de booster ton new deal en prime time à la SwissTV, il est impératif de faire un dernier brainstorming avec la taskforce, afin de détecter les bugs et d’en faire une check list pour y faire des adjustements.

C’est là que le conseiller d’Etat Brou Smooth est intervenu pour poser quelques warnings, notamment sur le risque de faire le forcing. Méfiez-vous, allez-y step by step, commencez par un benchmark basé sur un panel d’inputs, faites un planning, vérifiez votre masterplan, prévoyez un monitoring, rebooster votre équipe du case management et pensez à outsourcer certaines tasks, histoire d’éviter un clash. Il a même évoqué le risque d’un lockdown si plusieurs clusters étaient détectés en cours de process.

Le chancelor Big John a rappelé les impératifs du marketing : n’oubliez pas la newsletter, pensez au shooting pour les slides, préparez un maping, travaillez sur le merchandising, créez un event pour le meeting avec les médias, changez vos looks, imposez-vous un dress-code pour éviter de passer pour des has been.

On peut en rire, mais c’est moins amusant lorsqu’on songe aux conséquences de l’appauvrissement du langage. Lorsque les langues — je dis bien les langues — s’appauvrissent, le moyen que les hommes utilisent pour communiquer ne remplit plus correctement sa fonction. Et lorsque les gens deviennent incapables d’exprimer leur pensée par des mots appropriés, lorsqu’ils ne se comprennent plus, il devient naturel qu’ils finissent par s’exprimer par la violence, comme l’expliquait, il y a vingt ans déjà, la secrétaire de l’Académie française Hélène Carrère d’Encausse. Elle n’imaginait pas, à cette époque, qu’aujourd’hui on pourrait faire le constat suivant : alors que le quotient intellectuel de la population mondiale n’a cessé d’augmenter depuis l’après-guerre jusqu’à la fin des années nonante, depuis il est en baisse constante, selon de récentes enquêtes. Les causes sont multiples, mais l’une d’elles qui est avancée est logiquement l’appauvrissement du langage que constatent plusieurs études publiées ces dernières années, pas seulement à cause de l’affaiblissement du vocabulaire, mais également à cause de la méconnaissance des subtilités linguistiques qui permettent d’élaborer et de formuler une pensée complexe.

Récemment, une internaute expliquait sur les réseaux sociaux que la limitation de l’expression de la pensée, presque exclusivement au présent, pourrait rendre de plus en plus d’individus incapables de projection dans le temps. Par ailleurs, les mots permettent d’exprimer nos émotions et cette incapacité à décrire nos émotions à travers les mots peut nous conduire à des actes de violence. L’internaute poursuivait sa réflexion ainsi : comment peut-on construire une pensée hypothétique déductive sans conditionnel ? Comment peut-on envisager l’avenir sans conjugaison avec l’avenir ? Comment peut-on capter une succession d’éléments dans le temps, qu’ils soient passés ou futurs, et leur durée relative sans une langue qui distingue ce qui aurait pu être, ce qui a été, ce qui est, ce qui pourrait être, et ce qui sera après ce qui aurait pu arriver ? On assiste à un appauvrissement général des langues en général. J’insiste aussi sur ce point, car la richesse de chaque langue, chaque idiome, chaque patois doivent être défendus en général.

Comme je l’ai dit lors des travaux de la commission, plus qu’une loi, un règlement ou une directive, c’est une prise de conscience et des actes concrets qui comptent. C’est pour cette raison que j’accepte cette réponse, quand bien même je regrette que le Conseil d’Etat n’ait pas évoqué, dans son rapport, les funestes conséquences de l’anglopathie américanoïde spongiforme. Comme au poker, il y a parfois des mots qui n’ont pas d’équivalent et qui enrichissent le vocabulaire. Comme au poker, je demande à voir. Le Conseil d’Etat et son administration devront se montrer exemplaires : il y a du travail ! Le Conseil d’Etat a également pris l’engagement d’écrire aux communes pour les sensibiliser. En conclusion, dix ans pour accoucher de cette proposition ; au gouvernement et à l’administration de nous démontrer que ce n’est pas une souris et que les petits rapports et les mesures modestes peuvent avoir de grands effets.

M. Daniel Trolliet (SOC) —

J’ai soutenu le texte de M. Christen, mais j’aimerais toutefois dire que les langues sont vivantes. Le français est une langue vivante, et ce, depuis des siècles. N’ayons donc pas trop de craintes. La langue française a actuellement 500 mots d’origine anglaise, alors que l’anglais compte 25’000 mots d’origine ou dérivés de la langue française. Par exemple, le mot « shop » vient du français « échoppe », sans doute emprunté au néerlandais. Nos amis québécois, qui n’aiment pas les anglicismes, n’utilisent pas le mot « shopping », mais « magasiner ». Or, « magasiner » est bien français, mais vient de la langue arabe, comme 400 autres mots. « Maghzen », qui signifie « entrepôt », a aussi été repris par l’anglais pour donner le mot « magazine », celui que vous allez chercher dans votre kiosque préféré. « Kiosque », un mot français, mais qui vient du turc. Les langues, en reprenant de nouveaux mots étrangers, se les approprient et peuvent ainsi s’enrichir. Pour preuve, même le suisse allemand a donné deux mots à la langue française : le muesli et le bivouac, quand des soldats suisses allemands engagés dans l’armée française, au passage de l’officier, disaient « biwacht »signifiant « je suis présent ».

Mme Cesla Amarelle — Conseiller-ère d'État

Je vous remercie de votre soutien à ce rapport du Conseil d’Etat. Vous émettez et soulevez un certain nombre de questions, avec un style certain, sur un certain nombre de problématiques en lien avec les mots, en particulier les anglicismes. Le Conseil d’Etat a fait un rapport nous semble-t-il équilibré sur les questions en lien avec les exigences particulières qui concernent la langue et le rythme effréné d’un certain nombre de domaines qui produisent du langage, notamment dans le domaine de l’innovation ou des découvertes en matières scientifiques. Si je peux partager un certain nombre de vos remarques, notamment en lien avec l’appauvrissement d’un certain langage, je tiens quand même à relativiser tous ces discours qui contribuent à dire que l’intelligence collective se perd, notamment en prenant en lien la question des tests du quotient intellectuel. C’est un élément sur lequel il faut relativiser l’importance de ces tests.

Le département a entamé, depuis quelques mois, un travail sur les langues anciennes. Dieu sait si la question des langues anciennes est importante pour dégager une conscience linguistique, en particulier celle du français. C’est un travail qui me semble nécessaire. Autant la défense de l’usage de la langue française est importante, autant je pense qu’il faut mener ce combat en profondeur, notamment en lien avec la problématique de la conscience linguistique qui nous vient de très loin, en particulier des langues anciennes. Cela peut paraître simple et réducteur de vous proposer une directive comme un moyen simple et efficace d’arriver aux résultats visés, mais dès que le débat autour de ce rapport sera terminé, il est clair que nous allons produire cette directive auprès des enseignants et des communes, comme nous nous étions engagés à le faire en commission. Ce débat sur la défense de l’usage de la langue française doit aussi être prolongé à d’autres niveaux, comme la conscience linguistique et la problématique de la défense des langues anciennes, en particulier le latin et le grec, qui permettent aux élèves qui suivent cet enseignement de pouvoir découvrir des choses fondamentales comme la multiplicité des significations d’un seul mot, qui est un des axes forts des langues latines et de la langue française en particulier.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est close.

Le rapport du Conseil d’Etat est approuvé à l’unanimité.

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