Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 29 novembre 2022, point 8 de l'ordre du jour

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RC - 21_LEG_120

Texte adopté par CE - EMPD Deal de Rue - publié

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Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
Mme Florence Bettschart-Narbel (PLR) — Rapporteur-trice

La Commission des affaires juridiques s’est réunie le 21 septembre 2021 – il y a un petit moment déjà – pour traiter de cet objet. Il s’agissait d’une commission pléthorique puisque trois départements étaient concernés et avec la présence des chefs du Département de l’environnement et de la sécurité, du Département de la formation, de la jeunesse de la culture et du Département de la santé. Cet exposé des motifs et projet de loi comporte deux aspects : d’une part, une modification de la Loi pénale sur les mesures d’éloignement et, d’autre part, des réponses à divers objets liés au deal de rue qui font partie du package du projet de loi.

Lors de la commission, on nous a rappelé ce qui a donné lieu à ce projet de loi. Les deuxièmes assises de la chaîne pénale ont permis de mettre en exergue les données du marché vaudois de la drogue, un marché dont on estime que le chiffre d’affaires se monte à quelque 80 millions de francs, avec environ 40 millions de francs de bénéfice et des dizaines de milliers de consommateurs. Les différents départements ont décidé d’une approche intégrée de la problématique, avec la création d’un groupe interdépartemental. A plusieurs reprises, lors de la séance de commission, il a été rappelé que la politique de la drogue dans le canton de Vaud – comme la politique suisse, d’ailleurs – est basée sur quatre piliers : la thérapie, la prévention, la gestion des risques et la répression. Comme on le sait, le seul volet répressif ne suffit pas, même si l’on sait que la moitié des détenus dans le canton de Vaud sont des trafiquants. Le Conseil d’Etat a mis en place un plan d’action pour obtenir des retours du terrain sur les plans sanitaire, sécuritaire et scolaire.

Lors de la discussion générale – nous étions alors dans une année Covid – il a été constaté que le deal était moins visible, mais qu’il continuait malgré tout, avec notamment un déplacement du deal dans les transports publics. Mais il est apparu que les mesures STRADA – les mesures prises par toute la chaîne pénale – ont eu un impact sur le deal de rue.

Le point le plus important de ce projet de loi est une modification de la Loi pénale qui propose des mesures d’éloignement pouvant être prononcées pour une durée maximale de 24 heures et, en cas de récidive, pour une durée maximale de trois mois. Il est vrai que dans le canton de Berne, un certain nombre d’interdictions de périmètre ont été prononcés, par contre il est difficile d’en mesurer les effets. S’agissant du volet répressif, il est évident que d’autres mesures – le renforcement des équipes au sein de la police de sûreté, par exemple, pour effectuer des enquêtes plus approfondies – sont nécessaires pour remonter les réseaux et interpeller les dealers. Nous avons également discuté de l’importance de la visibilité des policiers en uniforme. Les mesures prises dans le cadre de STRADA ont démontré qu’une fois condamnés, les dealers ne restent pas dans le canton. Comme ils ont une perception économique du deal, le fait de purger une peine de privation de liberté d’au moins 180 jours représente une perte sèche. Et si ces dealers ne peuvent plus se trouver dans leur zone, en ville, ils n’iront pas dans une autre où il existe déjà un marché avec d’autres dealers.

Ainsi, l’entrée en matière sur ce projet de loi a été acceptée, de même que les articles proposés. S’agissant des différents rapports du Conseil d’Etat aux motions et aux postulats, ils ont tous été acceptés par la Commission des affaires juridiques, à l’unanimité de ses membres. Une motion traitait du trafic dans le cadre scolaire et une autre demandant un plan global coordonné pluridisciplinaire face au trafic de rue et à l’addiction aux stupéfiants. Lors de la discussion, on nous a rappelé toutes les mesures prises par le Conseil d’Etat relativement au trafic de drogue et aux différents piliers mentionnés précédemment. Nous avons aussi discuté d’un laboratoire mobile pour vérifier la composition des drogues, et offrir un monitorage du marché des stupéfiants sur le long terme. Enfin, nous avons également eu une discussion sur la réponse du Conseil d’Etat au postulat de notre collègue Axel Marion « Lutte contre le deal de rue : maintenant c’est le temps de l’action ». Toutes ces discussions ont été transdisciplinaires en fonction de la politique des quatre piliers. Enfin, toutes les réponses du Conseil d’Etat aux différentes interpellations ont également été adoptées à l’unanimité des membres de la commission.

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

La discussion sur l’entrée en matière est ouverte.

M. Patrick Simonin (PLR) —

Par le présent projet de loi, le Conseil d’Etat répond à la motion (12_MOT_005) du député Mathieu Blanc et consorts intitulée « Pour l’adoption de dispositions légales relatives à des mesures d’éloignement afin que les citoyens se réapproprient le domaine public ». Suite au renvoi de la motion Blanc, le Conseil d’Etat a formulé une proposition modifiant la Loi pénale vaudoise, avec une mesure d’éloignement pouvant être prononcée pour une durée maximale de 24 heures et, en cas de récidive, par écrit, pour une durée maximale de trois mois, avec la possibilité de recours. Ceci permet d’octroyer aux polices vaudoises la compétence de prononcer des interdictions de périmètre à certaines conditions.

Dix ans après le dépôt de la motion, cette mesure est plus que jamais attendue sur le terrain. Le groupe PLR vous invite ainsi à accepter cette modification de la Loi pénale vaudoise, ainsi que les rapports du Conseil d’Etat répondant à une motion et quatre postulats relatifs au deal de rue.

M. Jean Tschopp (SOC) —

Le groupe socialiste a une approche systémique sur ces questions de consommation de drogue et de deal. Il faut bien prendre conscience que, lorsqu’on parle de drogue, nous faisons face un système qui est évidemment le fait de trafiquants, mais aussi de consommateurs, dont le profil s’est extrêmement diversifié. Nous aurions tort de véhiculer le message que les seules personnes concernées sont les toxicomanes que l’on peut croiser sur certaines places, dans différentes villes et endroits du canton. Ce n’est pas le cas : en réalité, le profil du consommateur – y compris de drogues dures – s’est extrêmement diversifié. On peut citer le cas du consommateur festif qui, l’air de rien, prétend ne pas avoir un comportement addictif, mais aussi du consommateur qui se fait livrer sa dose de cocaïne à domicile. La réalité de la consommation de drogue s’est extrêmement diversifiée et s’est également banalisée dans notre canton.

C’est ce qui justifie une approche sur les quatre piliers essentiels, pour autant que l’on veuille avoir une réponse sereine et circonstanciée à ces questions. Tout d’abord, sur la question de la prévention, notre groupe a proposé différentes mesures innovantes, y compris en termes de prévention en milieu scolaire. Le pilier « thérapie et conseils » a évidemment toute sa place pour sortir de cette addiction très forte à certaines drogues. La question de la réduction des risques : on peut ici citer la réponse au postulat de notre collègue Amélie Cherbuin « Réduction des risques en milieu festif vaudois : un laboratoire mobile » qui se décline avec une phase de test et qui se réclame d’une approche factuelle : pouvoir tester la drogue dans des milieux festifs pour savoir quels sont les risques encourus pour les consommateurs. En d’autres termes, affronter la réalité en face, sans démagogie.

Enfin, le dernier pilier concerne évidemment la question de la répression. La réponse que donne le Conseil d’Etat à la motion Blanc est en réalité assez nuancée : il faut éviter de présenter cette mesure comme une mesure qui répondrait à tous les problèmes. A la lecture de la réponse du Conseil d’Etat, on apprend qu’en réalité la Police cantonale est déjà compétente pour prononcer des décisions administratives d’interdiction de périmètre. En d’autres termes, le Conseil d’Etat n’aurait pas vraiment de plus-value à cette nouvelle base légale, sinon pour clarifier les choses. Bien évidemment, une zone de deal qui se développe – par exemple, comme on l’a vu à Lausanne, aux abords d’établissements scolaires – ne doit pas être autorisée. Nous avons aussi vu que le développement de ces zones de deal en pleine journée pouvait aussi préoccuper les habitants d’un quartier, les parents et même les élèves.

Je conclus en rappelant la motion de notre collègue Jessica Jaccoud sur la question du cannabis. Là aussi, pour passer à des mesures innovantes en la matière, il nous a été dit que, s’agissant d’expériences-pilotes pour associer le canton de Vaud aux tests de consommation légale de cannabis, la priorité était du côté des villes. Nous regrettons que le canton ne puisse pas s’associer pleinement à ces projets-pilotes qui, de notre point de vue, ont du sens. Là aussi, une approche sereine de ces questions permet d’éviter des débats stériles, toujours avec la volonté de regarder les choses en face pour réduire les risques – j’insiste sur ce point. La réponse du Conseil d’Etat à la motion de notre collègue Jaccoud ne figure pas dans les réponses abordées aujourd’hui, mais nous aurons l’occasion d’y revenir ultérieurement.

M. David Raedler (VER) —

Le projet qui nous est proposé et le rapport qui en est tiré offrent une vue très intéressante sur la problématique du deal de rue. Tout d’abord, il rappelle que le canton de Vaud applique, comme il est requis, la stratégie nationale addiction de l’Office fédéral de la santé publique qui est axée sur les quatre piliers de prévention : thérapie, réduction des risques et, à la fin, la régulation et les sanctions. Ce qui est central, on le sait, est d’agir sur tous les acteurs de la chaîne et surtout d’agir vite, car la célérité en matière de deal et de trafic de drogue est un élément primordial pour éviter le sentiment d’impunité qui crée, cause et développe le deal de rue. A ce titre, on sait malheureusement que même si la drogue est interdite, illicite et mauvaise, l’état général n’est pas du tout reluisant. Aujourd’hui, quelque 5 tonnes de cannabis sont consommées chaque année dans le canton de Vaud, 500 kg de cocaïne et 200 kg d’héroïne. En tout, en 2019, il y a eu 75’757 infractions à la Loi sur les stupéfiants (LStup) et la moitié des détenus du canton sont des détenus LStup. Bien évidemment, ces détenus ne sont pas les Pablo Escobar, les Griselda Blanco et autres El Chapo, mais en grande partie des dealers qui écopent de peines de quelques mois, voire potentiellement d’une année ou une année et demie. Une fois sortis, ils vont immanquablement retomber dans le deal de rue, parce qu’il y a de la drogue, parce qu’il y a de la consommation et parce que, dans ce contexte, nous sommes malheureusement confrontés à de grosses difficultés.

S’agissant spécifiquement du volet pénal, il est important de relever la mise en place, au début des années 2000, du dispositif sécuritaire STRADA – et d’en féliciter les autorités pénales vaudoises. Dans ce contexte, ce dispositif a permis de prendre des mesures, aux effets limités – le Conseil d’Etat le relève à raison – mais tout de même présents. Parmi les effets positifs, la lutte contre le sentiment d’impunité est absolument centrale, avec la rapidité de l’action policière. Cette dernière est une bonne chose, mais elle doit impérativement être suivie par la rapidité du volet judiciaire dans son ensemble. Malheureusement – on le voit d’autant plus, en étant avocat, lorsqu’on est nommé d’office dans des cas Lstup – le volet judiciaire est naturellement lent et finalement ne trouve pas les lieux de détention théoriquement nécessaires pour répondre à tout l’arsenal répressif mis en place.

C’est dans ce contexte que l’on doit considérer l’interdiction de périmètre traitée ici. Cette interdiction est connue dans plusieurs autres cantons, mais lors des commissions parlementaires, des doutes ont été émis par tous les acteurs sécuritaires quant à l’efficience et l’efficacité de ces mesures. C’est un point important, parce que si les mesures d’interdiction de périmètre sont jolies sur le principe – tout le monde est d’accord que le deal ne doit pas s’établir dans certains lieux, voire qu’il ne faudrait pas de deal du tout – elles créent aussi des éléments négatifs, au nombre de trois. Il y a tout d’abord le simple fait que le deal se déplace, et c’est déjà le cas aujourd’hui. Cela a été dit : il se déplace dans les transports publics, dans certains lieux ou dans la sphère privée. Plus il y a d’interdiction de périmètre et plus le deal va facilement se déplacer. Dès lors, il devient plus difficile de suivre les personnes qui dealent ; il sera plus difficile de mettre en place un arsenal pénal répressif efficace, parce que l’on ne peut pas faire de la surveillance dans tous les appartements lausannois pour voir où se trouve le deal de l’héroïne, de la cocaïne ou du cannabis. Dans ce contexte, nous allons aussi perdre le contrôle que nous avons sur d’autres mesures des quatre piliers évoqués, notamment la remise de matériel stérile qui permet d’éviter les risques sanitaires liés à la consommation de drogue. C’est tout le problème : si la vente de la drogue se fait dans des appartements privés et des lieux cachés, la consommation de la drogue fera de même, dans des situations et des contextes négatifs en matière de sécurité et en matière sanitaire.

Dès lors, il est très important d’écouter les professionnels du domaine. Lors des commissions, ces derniers ont malheureusement relevé les limites des mesures prévues, avec ces conséquences négatives. Nous avons vécu la même chose, il y a quelques mois, lorsque nous avons accepté une motion qui visait à instaurer des courtes peines privatives de liberté automatiques pour tous les dealers. Nous le savons : c’est quelque chose qui ne fonctionne pas, qui n’est malheureusement pas conforme au nombre de places de détention dont nous disposons ; le procureur Cottier y était lui-même opposé, mais nous avons tout de même accepté la motion ! Evidemment, tout le monde est opposé à la drogue et, évidemment, nous ne voulons pas de ce volet, mais il est central d’écouter les professionnels et de ne pas se laisser aller à un vote uniquement basé sur nos sentiments ou sur ce que l’on pourrait imaginer. Dans ce contexte, l’exposé des motifs et projet de loi ne répond pas aux demandes faites par les professionnels du domaine, même si, sur le plan du principe, le Conseil d’Etat était obligé de le présenter.

Pour finir, je vous rappelle simplement qu’il est absolument essentiel d’éradiquer le deal de drogue dans les écoles, aux abords des hôpitaux ou d’autres endroits sensibles, mais je vous rappelle aussi que cela est déjà interdit. Prononcer en plus des interdictions de périmètre, c’est bien joli sur le papier, mais sera difficilement applicable dans la pratique et les effets eux-mêmes seront absolument nuls. Nous devrions déjà constater ces mêmes effets aujourd’hui, car si l’on appliquait correctement la loi, il n’y aurait tout simplement pas de deal, pas de drogue. Malheureusement, nous savons que c’est un doux rêve et qu’en pratique, ce n’est pas possible. Pour toutes ces raisons, dans sa grande majorité, le groupe des Verts s’abstiendra dans le cadre du vote sur ce projet de loi.

M. Yvan Pahud (UDC) —

Il était temps ! Plus de dix ans se sont écoulés pour arriver enfin à cet exposé des motifs et projet de loi qui fait suite aux diverses demandes et actions de notre Parlement. L’UDC est favorable au maintien des quatre piliers et au renforcement de ceux-ci. Pas de prévention sans répression, les deux domaines étant intimement liés. Ce projet de loi est finalement une adaptation au marché de la drogue qui, hélas, est en constante évolution, avec une augmentation du trafic. L’UDC salue également le travail de nos policiers et policières, sur le terrain, pour protéger notre jeunesse contre ce fléau. Dès lors, notre groupe soutiendra le projet de loi qui nous est proposé, avec des mesures concrètes pour lutter contre le trafic de drogue, et il vous demande d’accepter également l’entrée en matière et les rapports qui vous seront proposés.

Mme Graziella Schaller (V'L) —

Notre groupe acceptera l’entrée en matière et s’exprimera plutôt dans le cadre des différents objets qui nous sont soumis. Cela a été rappelé dans un récent article du journal Le Temps : la question du deal se déplace. Cela a été relevé à Vevey, mais toutes les grandes villes sont touchées et seul un travail en concertation avec les différents acteurs pourra tendre vers une résolution du problème. Ce n’est probablement pas ici que nous pourrons le résoudre.

Cela a également été dit, mais je trouve qu’on ne le relève pas assez souvent : le deal, c’est les dealers, mais c’est surtout les consommateurs. Dans ce cadre, il y a un réel travail à faire, en particulier en ce qui concerne la prévention en milieu scolaire. J’ai pu lire récemment, dans une réponse à une interpellation sur la question des cigarettes Puff, qu’il n’y aurait pas trop de prévention pour ne pas inciter à la consommation. Je pense que ceci peut aussi s’étendre à un certain nombre de drogues, entre autres le cannabis. Nous avons qu’il y a parfois des messages contradictoires qui passent dans la presse, lorsqu’on parle de consommation ou de projets-pilotes et que, d’un autre côté, on relève les dangers liés à la drogue. Pour moi, il y a aussi de réels dangers au niveau de la santé publique et je trouve que l’on pourrait en faire beaucoup plus en matière de prévention. Nous interviendrons aussi sur ce sujet dans le cadre des différents objets contenus dans cet exposé des motifs et projet de loi. Je pense que le problème n’est globalement pas résolu et j’espère que les discussions que nous aurons donneront de nouvelles pistes. Dans tous les cas, nous entrerons en matière sur ce projet de décret et nous voterons sur les différents objets en fonction des différentes réponses.

M. Vincent Keller (EP) —

J’avoue – et mon groupe avec moi – ne pas bien comprendre le sens premier de ce nouvel article 25 de la loi. Celui-ci concerne-t-il uniquement le deal de rue, comme le titre le laisse supposer ? Ou concerne-t-il aussi et surtout le problème des harceleurs de rue qui passent leurs soirées et leurs week-ends à « importuner sérieusement » – pour reprendre les termes du nouvel article 25 de loi – des femmes, la plupart du temps dans la rue, en les sifflant, les humiliant, voire plus sale encore… des femmes qui, pourtant, ne demandent qu’à passer une soirée tranquille ?

S’il s’agit du deal de rue, alors permettez-moi une réflexion : il est interdit d’interdire – vous connaissez le polyptote ? Interdire la libre entreprise dans une société sans autre règle que celle du marché, n’est-ce pas là le rêve de tout vrai capitaliste qui se respecte, et notamment de la droite qui appelle cette nouvelle loi de ses vœux ? Je vous l’accorde, c’est aussi en partie vrai pour le vieil anar que je risque de devenir. Parce qu’un dealer, c’est avant tout un business man ; moins il a de problèmes, plus il fait du chiffre. J’ai rarement rencontré un dealer qui pousse son insistance plus loin que la liste fournie de son catalogue. Et si le deal de rue se déplace dans les transports publics, comme l’a dit la présidente de la commission, je ne vois pas de problème pour autant que le dealer ait payé son titre de transport avant de monter – avant que les transports publics ne deviennent gratuits. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : je n’encourage pas la consommation de stupéfiants. Je suis moi-même fumeur de Havanes et dégustateur plus qu’occasionnel de vins vaudois, mais je suis conscient que la prohibition de stupéfiants n’a jamais fonctionné, ainsi que l’Histoire l’a démontré à réitérées reprises.

Il est un autre point sur lequel le groupe Ensemble à gauche et POP émet des sérieux doutes, voire de sérieuses craintes, avec ce nouvel article de loi qui n’a pas à voir avec le deal de rue, mais avec les rassemblements citoyens. Faut-il comprendre que la loi autoriserait à éloigner des rues habituelles certaines manifestations des citoyennes et citoyens qui viendraient exprimer un point de vue, dans la rue, respectivement à « éloigner d’un lieu ou d’un périmètre déterminé si ces personnes participent à un rassemblement qui porte atteinte à l’ordre public ou à la sécurité publique », selon notre ancien collègue Mathieu Blanc ? La réponse du Conseil d’Etat à cette motion semble indiquer que l’on se dirige vers une modification d’une autre loi, mais nous voudrions en être certains. Pour le groupe Ensemble à Gauche et POP, de telles dérives sécuritaires ne sont pas souhaitables.

Finalement, s’agissant de l’alinéa 2 de l’article, j’espère fortement que celles et ceux qui souhaitent cette loi sont conscients qu’il ne s’agit pas de trois misérables postes en contrat de durée déterminée (CDD) – tel que mentionné dans le rapport de la commission – qui nous permettront de mesurer correctement les 143 mètres séparant l’entrée Nord de la gare de Lausanne de Jean, les 2 semaines d’exclusion de Jacques et le mois d’interdiction infligé à Claude parce qu’il a vendu 2 grammes de shit à 14 mètres de la Migros de Chauderon ! Trois postes en CDD paraissent peu, et bien précaires pour une mesure « phare ». Le génial Burki l’avait magnifiquement illustré dans un dessin, il y a des années, lors du débat lausannois, dessin dont notre ancien collègue Blanc s’est sans doute largement inspiré.

Bref, même le Conseil d’Etat n’en veut pas – c’est dire – et nous non plus. Notre groupe refusera l’entrée en matière sur ce projet de loi.

M. Hadrien Buclin (EP) —

Je souhaite apporter quelques arguments complémentaires pour vous inviter à refuser la modification de la Loi pénale vaudoise. Premièrement, comme notre collègue Vincent Keller, j’insiste sur le caractère extrêmement vague de la notion qui justifie la mesure, puisque la police peut éloigner une personne « si elle importune des tiers ». C’est une notion tellement floue que non seulement elle pourrait s’appliquer à des manifestantes et des manifestants, mais aussi à des musiciens de rue qui font trop de bruit, voire à des jeunes qui jouent au football dans la rue et qui risquent d’importuner des tiers. Pour moi, il y a dans ce flou un potentiel liberticide inquiétant. Pour la défense des droits démocratiques, je pense qu’il serait raisonnable de rejeter cette proposition.

Notre collègue David Raedler a aussi insisté sur le caractère potentiellement contre-productif des mesures d’éloignement. Je pourrais donner un exemple complémentaire à ce sujet : il n’est pas rare que des personnes toxicomanes revendent de petites doses de drogue à d’autres personnes souffrant de toxicomanie. Lorsque j’étais au Conseil communal de Lausanne, dans les années qui ont précédé mon élection au Grand Conseil, j’ai eu l’occasion de dénoncer des mesures d’éloignement du centre-ville qui frappaient justement des personnes toxicomanes qui pratiquaient la petite revente de drogue, avec comme effet pervers que ces personnes étaient privées d’accès à certains services sociaux ou à certaines institutions socio-sanitaires présentes en ville, notamment visant à la distribution de matériel stérile. Cela avait évidemment des conséquences désastreuses du point de vue de la prise en charge de ces personnes qui sont avant tout des personnes dépendantes qu’il faut aider sur le plan socio-sanitaire. Par ailleurs, il y a un argument supplémentaire pour refuser d’introduire ces mesures d’éloignement dans la Loi pénale : le risque que la police les utilise de manière indistincte, avec comme résultat une dégradation de la prise en charge.

Sur d’autres sujets traités dans ce paquet, j’aimerais dire mon soulagement que le Conseil d’Etat n’ait pas donné suite à la motion de notre collègue Jacques-André Haury qui demandait un dépistage de la consommation de cannabis dans les écoles. Je rappelle que la très grande majorité des spécialistes des addictions explique qu’une approche fondée sur la prévention, la réduction des risques, la prise en charge psychosociale des jeunes qui souffrent de consommation problématique et de dépendance est une méthode beaucoup plus efficace que la traque des consommateurs assortie de menaces de sanctions disciplinaires. Je suis donc satisfait que le Conseil d’Etat ne se soit pas engagé dans la voie, finalement assez rétrograde, souhaitée par notre collègue Haury. Je pense que c’est justement parce que la prévention et la réduction des risques sont des méthodes efficaces qu’elles doivent primer. A ce titre, je regrette aussi l’approche frileuse du canton en ce qui concerne les expériences-pilotes de consommation régulée de cannabis. Ce sont des expériences pour lesquelles notre groupe s’engage depuis plusieurs années. En 2015, j’avais fait accepter au Conseil communal de Lausanne un postulat sur ce thème. On voit donc qu’il y a, de la part des autorités de ce canton, une certaine frilosité que je ne peux que regretter.

Ma dernière remarque est à l’attention de M. Pahud et de l’UDC : il est quand même assez ironique qu’au moment où votre parti réclame un tour de vis en matière de trafic de drogue, on apprenne le jour même, dans les médias, qu’un de vos élus dans le Nord vaudois fait l’objet d’une enquête pour trafic de drogue. J’aurais tendance à vous suggérer de balayer devant votre porte avant de réclamer une législation plus dure. Voilà pour la petite polémique matinale… (Rires.)

M. Vassilis Venizelos (CE22-27) — Conseiller-ère d’Etat

En préambule, il convient peut-être de rappeler que le canton de Vaud est l’un des cantons les plus répressifs de Suisse en matière de deal de rue. Par exemple, en Suisse, 30 % de toutes les peines privatives de liberté sont ordonnées par les autorités vaudoises. Avec le dispositif STRADA cité précédemment, il y a une coordination très forte de la chaîne pénale, ce qui a effectivement permis d’arrêter et d’emprisonner un certain nombre de dealers. Actuellement – ces chiffres ont été rappelés par le député Raedler – la moitié des places de détention est occupée par des personnes arrêtées pour des infractions en lien avec la LStup. Or, nous le savons, les prisons sont pleines et la surpopulation carcérale est une autre problématique à laquelle nous devrons faire face durant cette législature.

Le canton est allé très loin dans la répression, mais le constat des acteurs montre que ce volet a des limites et que la répression ne peut évidemment pas tout. C’est tout l’état d’esprit du plan d’action qui vous est présenté, avec une volonté de changer de paradigme. Le changement de paradigme prend en compte la stratégie des quatre piliers : soit la prévention, la thérapie et la réduction des risques, mais aussi la répression. Ces quatre piliers ont été imaginés par la Confédération dans les années 90 et ont ensuite été traduits et formalisés à travers une révision du droit fédéral adoptée par les Chambres, en 2006. Ce plan d’action fait suite à différentes études de l’Ecole des sciences criminelles qui a étudié les pratiques des villes de Berne et de Zurich. L’expérience de ces villes montre que la coordination des quatre piliers est essentielle pour permettre un meilleur échange des données qui viennent du terrain, pour avoir une meilleure vue d’ensemble du terrain et pour adapter l’ensemble du dispositif en fonction de ces observations.

Sur le plan répressif, les mesures seront évidemment maintenues et même renforcées, avec des interventions supplémentaires et des interdictions de périmètre. C’est l’objet du projet de loi qui vous est présenté aujourd’hui et qui ajoute un élément aux outils dont disposent les autorités de poursuite, ou alors avec le projet NIRLab qui permettra de détecter de nouvelles tendances sur le marché, ce qui nous permettra de mieux observer ce dernier et offrira une réactivité plus forte pour nous aider à remonter les filières et surveiller l’apparition de nouvelles substances. Différentes actions ont pu être observées sur le terrain, que ce soit à Vevey, avec la brigade des stupéfiants et l’aide de la police Riviera et de la gendarmerie, qui a effectué plusieurs interventions et qui va intensifier ses interventions lors des prochaines semaines et des prochains mois. Du côté d’Yverdon, vous avez également pu observer que la police du Nord vaudois a effectué différentes actions sur le terrain.

Dans le cadre du plan d’action, des budgets ont été demandés pour augmenter ce type d’intervention par la division flagrant délit. Ces interventions dans les appartements où sont stockés la drogue et l’argent sont très efficaces et conduisent souvent à des sanctions plus lourdes et plus immédiates, ce qui permet d’éviter de surcharger les prisons avec des dealers de seconde main, si je puis exprimer ainsi. On peut ainsi attraper les gros bonnets, ce qui est beaucoup plus efficace et intéressant.

Sur le plan de la prévention, les mesures mises en place par l’unité de la Promotion de la santé et prévention en milieu scolaire (PSPS) sont déployées depuis plusieurs années. Elles concernent essentiellement la prévention dans les écoles faite par des partenaires externes, le repérage et l’intervention précoce dans les classes et des formations pour les professionnels dans les établissements afin de prendre en charge les élèves vulnérables. Toutes ces actions font évidemment partie du dispositif déployé dans le plan d’action porté par les départements concernés : évidemment, le Département de la santé et de l’action sociale, avec Mme Ruiz qui m’accompagne aujourd’hui, mais également le Département de la formation, porté par M. Borloz. Ce plan d’action est donc porté par une délégation du Conseil d’Etat composée des trois conseillers d’Etat que je viens de citer. La ville de Lausanne est intégrée au Comité stratégique du dispositif qui permet de déployer l’ensemble des mesures qui s’appuient sur les quatre piliers. De plus, des réflexions sont en cours pour proposer à d’autres communes d’adapter ce dispositif à leur réalité locale.

S’agissant de l’interdiction de périmètre, le Conseil d’Etat présente un projet de loi à la demande de votre Parlement, puisque c’est ce dernier qui avait renvoyé une motion au Conseil d’Etat, il y a quelques années, pour lui demander de modifier le dispositif légal et d’introduire des interdictions de périmètre. Ces interdictions de périmètre iraient de 24 heures à trois mois. Cette nouvelle compétence constitue un nouvel outil à disposition des forces de police, qui sera appliqué essentiellement à destination des trafiquants de drogue pour réduire le marché présent dans les rues et pour intervenir certaines fois dans les périmètres scolaires. En effet, on observe malheureusement de plus en plus de situations de deal à proximité des écoles. Toutefois, cette disposition ne signifiera pas que le problème est réglé, car évidemment, l’expérience lausannoise montre que la disposition n’a pas un impact décisif sur le deal de rue, ce dernier étant toujours présent. Il s’agit donc d’un outil supplémentaire, mais qui présente certaines limites. Les acteurs sécuritaires ne misent pas sur cet outil pour lutter définitivement contre le deal de rue, mais il s’agit d’une possibilité supplémentaire qui sera appliquée avec proportionnalité et nuance, en s’inspirant évidemment des exemples bernois et zurichois, les deux cantons où ce dispositif est utilisé spécifiquement pour lutter contre le deal de rue. Mais il faudra évidemment éviter d’engorger les tribunaux avec cette disposition. C’est un argument supplémentaire pour démontrer notre volonté de l’appliquer avec toute la proportionnalité et toute la nuance requise, car évidemment, une application dans tous les cas de figure aurait aussi un impact très fort sur la charge de travail de la Police cantonale, des polices communales et sur leurs charges administratives.

Pour conclure, cette disposition est un outil supplémentaire répressif, mais il me paraît important de rappeler que la stratégie s’appuie sur quatre piliers. En matière de prévention, il y a des actions pour le repérage précoce dans les établissements scolaires et le renforcement du programme « Départ » qui permet un repérage, une évaluation et un accompagnement des adolescents consommateurs de substances. Le drug checking permet de rencontrer les consommateurs en dehors du réseau habituel. Pour une prise en charge pour sortir de l’addiction par la thérapie, il y a l’augmentation du nombre de places milieu hospitalier, avec la meilleure coordination et la structuration de prestations addictologiques de première ligne ; le développement et l’accompagnement à domicile pour renforcer l’autonomie des personnes atteintes. En matière de réduction des risques, il y a le projet pilote qui pourra être évoqué tout à l’heure sur le cannabis, le programme de prescription médicalisée de diacétylmorphine (DAM) avec la prescription d’héroïne thérapeutique ; la participation à l’accompagnement de l’espace de consommation sécurisé et le drug checking. Bref, c’est un dispositif qui s’appuie sur quatre piliers : la prévention, la thérapie, la réduction des risques et la répression. Evidemment, cette dernière reste indispensable et nécessaire. Si ce plan d’action va nous permettre de changer d’ère, pour reprendre une expression, il ne nous permettra malheureusement pas de mettre fin au problème du deal de rue. Il permettra néanmoins de l’apaiser et d’accompagner les personnes qui souffrent d’addiction. C’est à travers ce dispositif que le Conseil d’Etat vous invite à soutenir le projet de loi qui vous est proposé, avec l’interdiction de périmètre et l’ensemble des rapports faisant suite aux interventions parlementaires déposées.

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

La discussion est close.

L’entrée en matière est admise par 98 voix contre 17 et 19 abstentions.

Il est passé à la discussion du projet de loi, article par article, en premier débat.

Article premier. –

Art. 25. –

M. David Raedler (VER) —

M. le conseiller d’Etat a expliqué que l’approche et l’application de la loi seront limitées, mais le point relevé – notamment par M. Buclin – sur le cadre et le champ d’application de cette loi peut interpeller par rapport à l’article 25, alinéa 1, lettres a et surtout b. La lettre a tout comme la lettre c de cet alinéa concernent des interdictions de périmètre qui portent sur des actes qui sont en tant que tels potentiellement illicites. J’ai une question à propos de l’article 25, alinéa 1, lettre b : comment le cadre suffisamment précis de cette disposition sera-t-il appliqué et quels sont les risques d’abus que l’on peut imaginer sur la base de cette disposition ? Sachant que la sécurité juridique est centrale, le flou lié à l’article 25, alinéa 1, lettre b peut donc interpeller.

M. Vassilis Venizelos (CE22-27) — Conseiller-ère d’Etat

Je comprends cette inquiétude ; je ne peux que confirmer que l’intention de cette disposition est vraiment d’offrir un outil supplémentaire qui permettra aux forces de police de lutter contre ce deal de rue dans des situations bien spécifiques. J’ai pu développer ailleurs tous les effets collatéraux que pourrait développer une application tous azimuts de cette disposition. Notre volonté est évidemment d’éviter de trop charger le bateau, les tribunaux, les prisons, ou la Police cantonale qui a d’autres missions essentielles à mener. Ce dispositif s’inspire de ce que l’on connaît à Berne et à Zurich ; il s’inspire aussi des pratiques que l’on a pu observer en ville de Lausanne, avec des succès et des résultats qui ne sont pas toujours excellents ou, en tout cas, qui ne permettent pas de régler de façon catégorique et définitive le deal de rue. Je ne peux que m’engager devant vous sur une volonté du Conseil d’Etat de tout mettre en œuvre pour permettre une mise en œuvre proportionnée et spécifique, sur le deal de rue, de ces différentes dispositions.

Evidemment, avec cette disposition légale, nous ouvrons la possibilité à d’autres types d’intervention, mais ce n’est pas la volonté du Conseil d’Etat. Celui-ci a une réelle volonté de faire en sorte que cette disposition soit appliquée de façon nuancée. Je ne peux que m’engager devant vous – et je vous prie de me croire sur parole – pour vous dire que le Conseil d’Etat envisage une mise en œuvre de l’ensemble du dispositif répressif imaginé de façon ciblée et la plus efficace possible.

Mme Florence Bettschart-Narbel (PLR) — Rapporteur-trice

J’aimerais tout d’abord rappeler que, lorsque la commission s’est réunie, il n’y a pas eu de discussion sur cet article et sur d’éventuelles interprétations de celui-ci. S’il devait y avoir une interprétation postérieure de cet article, nous pouvons entendre l’engagement du Conseil d’Etat sur son périmètre d’application. A mon avis, cela devrait suffire à nous faire accepter cet article tel qu’il a été voté par la commission, c’est-à-dire tel que proposé par le Conseil d’Etat.

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

L’article 25 est accepté avec plusieurs avis contraires et abstentions.

Les articles premier et 2, formule d’exécution, sont acceptés avec plusieurs avis contraires et abstentions.

Le projet de loi est adopté en premier débat.

Mme Florence Bettschart-Narbel (PLR) — Rapporteur-trice

Je demande le deuxième débat immédiat.

M. Hadrien Buclin (EP) —

Je vous propose de refuser cette demande de deuxième débat immédiat. En effet, des inquiétudes ont été exprimées sur l’interprétation qui doit être donnée de la notion de trouble à l’ordre public, de l’idée d’importuner des tiers et du flou qui existe autour de cette notion. Nous aimerions pouvoir, cas échéant, réfléchir à intervenir lors du deuxième débat avec un amendement qui préciserait peut-être les choses. Je vous suggère donc de reporter le deuxième débat à la semaine prochaine.

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

Le deuxième débat immédiat est refusé, la majorité des trois quarts n’étant pas atteinte (76 voix contre 65 et 2 abstentions).

Le deuxième débat interviendra ultérieurement.

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