Point séance

Séance du Grand Conseil du mercredi 16 juin 2021, point 9 de l'ordre du jour

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Objet

Rapport de la commission - 19_MOT_117 - Jean Tschopp 2020 06 10

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M. Jean Tschopp (SOC) — Rapporteur-trice

Vivre avec un handicap, c’est se rappeler jour après jour ses limitations et entendre des vexations parfois. La première limitation concerne les facultés psychiques qui ne permettent pas de raisonner comme on le voudrait. La deuxième limitation est la restriction de ses libertés qui fait que sa curatrice ou son curateur, dans toute une série de décisions, décide à sa place. Troisième limitation : l’empêchement de voter qui est une vexation et pas des moindres.

La commission a entendu des représentants d’associations de personnes en situation de handicap, notamment le Groupe romand d’accueil et d’action psychiatrique (GRAAP) et Solidarité-Handicap mental, et a été marquée par ces témoignages. Dans ce pays, nous votons quatre fois par année sur quinze à vingt objets. Nos droits populaires font notre fierté et, quand je voyage à l’étranger, j’ai toujours du plaisir et une certaine fierté à parler de nos droits populaires qui font la réputation de notre pays. Se voir expliquer que l’on n’est pas en mesure de voter ou de dire si l’on est favorable au mariage pour tous ou à une imposition plus forte du capital des très riches, est d’une grande violence. Cela signifie qu’en trois ou quatre semaines, on n’est pas en capacité de se forger sa propre opinion. Cette situation, beaucoup de personnes en situation de handicap l’ont vécue. Le droit de la curatelle a été révisé et nombre de curatelles ont été étendues ou converties en curatelles de portée générale et ont privé — et privent encore — des citoyens, tout à fait en droit de se forger leur propre opinion, de participer au débat démocratique et de voter, l’un des droits les plus chers.

Des procédures sont en cours ; elles existent pour réintégrer les personnes en situation de handicap dans leur droit, mais elles ne sont pas toujours simples. Ce matin encore, nous avons entendu les témoignages d’associations de personnes en situation de handicap qui ont vécu ces vexations et doivent composer avec, à l’heure actuelle. La proposition de notre collègue Hadrien Buclin vise à renverser le fardeau de la preuve, en considérant que les personnes en situation de handicap mental ont le discernement suffisant pour pouvoir voter et que, si ce n’est pas le cas, c’est à l’administration d’en apporter la démonstration. En droit, le discernement est une notion relative et est en principe présumé. Que l’on soit en situation de handicap mental ou non, à certains moments, on peut être en capacité de discernement, mais à d’autres moments, sous l’effet de drogue ou de l’alcool, on peut perdre ce discernement. Le canton de Genève a récemment voté un texte très proche de celui de notre collègue Buclin et qui propose de renverser le fardeau de la preuve. Cette demande nécessite sans aucun doute une révision de la Constitution – pour pouvoir élargir la notion de corps électoral – et ensuite une mise en conformité de la loi avec notre Constitution.

Encore une fois, et je conclurai là-dessus, les droits populaires sont parmi les plus importants. Nous avons aujourd’hui la possibilité de rétablir une inégalité, de reconnaître aux personnes en situation de handicap mental leurs droits et leur faculté de raisonner et se forger une opinion, tout en réservant la possibilité, dans les cas où ça n’est absolument pas possible, de leur retirer ces droits. La procédure actuelle est vécue comme une vexation par une partie des personnes en situation de handicap, mais nous pouvons changer la situation. C’est donc par 7 voix contre 6 et 2 abstentions que la Commission des institutions et des droits politiques recommande d’accepter la motion de notre collègue Buclin.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Hadrien Buclin (EP) —

La motion vise à mettre un terme, comme l’a bien expliqué le rapporteur de la commission, à une discrimination qui vise les personnes sous curatelle de portée générale, soit le fait qu’elles se voient automatiquement privées des droits politiques, comme si elles n’avaient aucun discernement. Ce qui est tout à fait erroné, puisqu’une personne sous curatelle de portée générale a souvent un discernement réel, même s’il peut être partiellement altéré. De nombreuses personnes sous curatelle s’intéressent à la chose publique, souhaitent voter et éprouvent comme une discrimination ou une vexation le fait d’être ainsi privées de la possibilité de se prononcer sur la marche de la société. Cette privation des droits civiques est d’ailleurs contraire à la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), convention qui a été ratifiée par la Suisse en 2014 et qui prévoit d’encourager ces personnes à participer à la vie publique. Plusieurs éminents juristes, dont le professeur de l’Université de Genève Thierry Tanquerel, ont dénoncé la manière dont les cantons et la Confédération privaient ainsi, de manière quasiment automatique, les droits politiques des personnes sous curatelle de portée générale. Comme l’a rappelé le rapporteur de la commission, la motion est soutenue par diverses associations actives pour la défense des personnes sous curatelle, associations que la commission a eu l’occasion d’auditionner dans une démarche très intéressante. Vous avez aussi certainement pris connaissance des courriels de ces associations durant ces derniers jours ou reçu un tract de deux personnes en situation de handicap qui étaient présentes ce matin devant le Grand Conseil pour soutenir cette proposition.

Le rapporteur de la commission l’a aussi rappelé, il s’agit de suivre l’exemple des autorités et de la population genevoises qui ont rétabli ces droits politiques en octobre dernier, avec une décision populaire qui a été très claire : 75 % des votants se sont prononcés en faveur du rétablissement des droits politiques pour les personnes en situation de handicap.

Concernant la voie à suivre, je pense qu’il y a deux options possibles qui seraient d’ailleurs complémentaires. La première, qui pourrait être mise en œuvre rapidement, dès la révision prochaine de la Loi sur l’exercice des droits politiques (LEDP) qui devrait arriver devant le Parlement cet automne, viserait à rendre plus difficile la privation des droits politiques. Je compte bien intervenir dans ce sens lorsque la LEDP arrivera devant ce plénum. Je proposerai que seules les personnes privées d’une incapacité durable et totale de discernement, par exemple les personnes dans le coma, soient privées des droits politiques. Par ailleurs, je proposerai aussi de faciliter leur réintégration dans le corps électoral. En prévoyant une réintégration sur simple demande auprès de la municipalité de la commune de domicile. Une autre manière de répondre à cette motion – à mon avis, la manière la plus conséquente et la plus complète – serait de ne pas se contenter d’une révision de la LEDP, mais de prévoir en plus une modification de la Constitution, comme cela s’est fait à Genève. L’article 74 de la Constitution vaudoise prévoit effectivement une exclusion du corps électoral pour les personnes sous curatelle de portée générale. Cette démarche serait sans doute plus propre, ce qui suppose bien sûr une votation populaire qui permettrait à la population vaudoise d’avoir le dernier mot. Je souhaitais rappeler qu’il y a plusieurs manières possibles de répondre à cette motion. J’espère que vous ferez bon accueil à celle-ci.

Mme Nathalie Jaccard (VER) —

Comme cela a été rappelé par le motionnaire, en 2014, la Suisse a ratifié la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées, convention qui l’engage à protéger de toute discrimination les personnes en situation de handicap. Il est de son devoir de permettre leur intégration dans la société civile. Ceci passe par le fait que les personnes en situation de handicap jouissent des mêmes droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels que l’ensemble de la population et qu’elles puissent les exercer. Ne pas leur donner la parole ni leur permettre de donner leur avis et de s’exprimer, notamment lorsque des objets les concernent directement, revient à les bâillonner, à nier leur opinion, à annihiler leurs droits en décidant pour eux et en les privant de leur libre arbitre.

En novembre 2020, le canton de Genève a accepté à plus de 75 % de réhabiliter les droits politiques des personnes placées sous curatelle et jugées incapables de discernement, permettant ainsi aux personnes, quel que soit leur handicap psychique ou mental, de pouvoir voter ou être élues. Il est temps que notre canton emboîte le pas à Genève, mais aussi à la France, l’Autriche, l’Italie, la Grande-Bretagne ou encore l’Espagne. Ainsi, les Verts vous invitent à prendre cette motion en considération et à la renvoyer au Conseil d’Etat.

M. Grégory Devaud (PLR) —

Le groupe PLR vous encourage à refuser cette motion. Effectivement, l’exercice est compliqué, la situation est compliquée, le sujet est compliqué. Vous le savez, la Commission des institutions et des droits politiques est en pleine révision de la LEDP, ce qui nous impose évidemment un devoir de réserve sur nos travaux et en particulier sur les articles 3 et 4 de la proposition du Conseil d’Etat. Néanmoins, le PLR a soutenu les interventions précédentes, notamment de MM. Bouverat et Cuérel, visant à clarifier la situation. Effectivement, deux domaines sont touchés par la motion : d’une part, une modification constitutionnelle et, d’autre part, une modification de la loi, respectivement de son règlement d’application. Il s’agit de deux thématiques fortes : les personnes en situation de handicap et les personnes sous le coup d’une curatelle de portée générale. Finalement, en toile de fond, l’incapacité durable de discernement englobe ces deux thématiques. Aujourd’hui, le mécanisme en place mérite d’être amélioré et clarifié par rapport à la possibilité pour ces personnes de s’approcher des municipalités afin d’être réintégrées, sous une forme ou une autre, dans le corps électoral. Le groupe PLR soutient la démarche de clarification et d’adaptation de la loi et de son règlement. Nous aurions peut-être pu imaginer surseoir à ce débat aujourd’hui et attendre cet automne le traitement de la révision de la LEDP en plénum, mais la discussion intervenant aujourd’hui, nous vous encourageons à refuser cette motion et à ne pas accepter une inversion du mécanisme — et donc une modification de la Constitution — mais à privilégier les travaux et les bonnes discussions qui auront lieu dans ce plénum dans le cadre de la révision de la LEDP, cet automne.

M. Nicolas Bolay (UDC) —

N’étant personnellement pas concerné par la problématique, j’ai contacté des parents qui vivent avec un enfant ayant un handicap mental qui est sous curatelle de portée générale. Ils m’ont demandé de refuser cette motion pour protéger leurs enfants qui sont très facilement influençables. Certains handicaps mentaux permettent une part de discernement, mais comment accorder des droits de vote à certaines catégories de personnes et pas à d’autres ? Vouloir ne veut pas dire pouvoir. C’est la raison pour laquelle je vous recommande de refuser cette motion.

M. Philippe Vuillemin (PLR) —

Pendant 24 ans, j’ai travaillé avec des handicapés mentaux, notamment à Eben-Hézer. Je connais donc plutôt bien le milieu. Certains sont parfaitement capables de se préoccuper de l’objet politique en question, d’avoir un avis et d’émettre un vote. En revanche, d’autres n’en sont pas capables, il faut le dire. Vient le problème de la capacité de discernement. Mon collègue Tschopp est enthousiaste par rapport à cette affaire, mais il m’avait semblé que le nouveau Code civil était un peu raide sur ce qu’est le discernement : il y a ou il n’y a pas de discernement. Comme c’est ingérable, cela fait longtemps que les docteurs et beaucoup d’autres travaillent avec la capacité de discernement relatif. Ce n’est pas totalement anodin, par exemple lorsqu’on veut faire une demande d’assistance au suicide. Je me suis battu pour faire reconnaître qu’une personne avait sa capacité de discernement, même si un bataillon de psychiatres avait dit le contraire et ça s’est très bien passé… Si j’ose dire.

La pierre d’achoppement, c’est ça ! C’est pour cela que, sur le fond, Hadrien Buclin a raison : il faut inverser le fardeau de la preuve. Mais comment va-t-on faire pratiquement ? Vouloir résoudre cela pour les élections cantonales, comme par hasard, ne me paraît pas une bonne idée. Il est évident que nous devons viser ce but, mais nous devons nous demander comment l’atteindre. Dans ces conditions, il faut tranquillement refiler la patate chaude au Conseil d’Etat. Finalement, il est aussi élu. Je propose qu’il nous dise comment il voit les choses, qu’il nous dise quelle loi modifier et comment le faire, et finalement qu’il nous dise s’il faut une modification constitutionnelle. Cela me suffit largement, je n’ai pas besoin des exemples de Genève, de l’ONU… Ce sont des gens qui sont très loin de la réalité quotidienne des handicapés mentaux. J’ai l’habitude de faire ce que demande M. Buclin, c’est-à-dire écrire aux justices de paix pour indiquer si certaines personnes ont leur capacité de discernement ou pas, ce n’est pas le contraire qui se passe. C’est la bonne voie à suivre, mais je ne suis pas sûr que la vitesse soit la bonne. Dans tous les cas, il est important de progresser dans ce cadre.

Mme Muriel Cuendet Schmidt (SOC) —

J’annonce mes intérêts : je travaille chez Pro Infirmis Vaud, dans le domaine de l’insertion professionnelle. Les personnes au bénéfice de la prestation de mon service sont au bénéfice d’une rente AI, mais travaillent dans leur domaine ordinaire, mènent une vie autonome et, même si elles peuvent avoir un handicap de type mental ou psychique, sont souvent très intéressées par tous les faits de société, y compris la chose politique. Ce sont des personnes avec qui on peut discuter, débattre ; elles ont toute leur capacité d’exercer leurs droits politiques. Evidemment, comme cela a été dit, ce n’est pas le cas de l’ensemble des personnes avec un handicap mental. Toutefois, une très grande proportion de ces personnes a la capacité de le faire.

Par ailleurs, il y a quelques mois, mon collègue Stéphane Montangero a déposé un postulat intitulé « Bannir le jargon et faciliter la compréhension de nos textes à la population » qui a justement pour but de rendre beaucoup plus compréhensibles et accessibles à l’ensemble de la population les textes officiels. Les recommandations de vote cantonal pourraient donc en bénéficier si ce postulat devait être accepté.

Dans mon activité professionnelle, j’observe également la souffrance générée par l’exclusion et la stigmatisation. Or, la privation de l’exercice des droits politiques en est un symbole particulièrement puissant. Alors, afin de respecter l’article 29 de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, ratifiée par la Suisse, de rendre notre société plus inclusive et plus juste, et de permettre l’autodétermination des personnes en situation de handicap, je vous recommande la prise en considération de la motion de notre collègue Hadrien Buclin.

M. Pierre Zwahlen (VER) —

Voter n’est pas une obligation. Nous le savons dans notre pays où, souvent, seule la minorité des citoyennes et des citoyens participe au vote. En revanche, nous assistons à un large mouvement sur le continent pour mettre un terme aux discriminations pour les personnes atteintes de troubles psychiques ou de déficience mentale. Notre collègue Nathalie Jaccard a d’ailleurs fait la liste des pays qui accordent désormais des droits politiques aux personnes en situation de handicap et cela est essentiel. L’agenda de 2030 des Nations unies pour le développement durable est inscrit sous l’égide de ne laisser personne de côté. Notre gouvernement publiera prochainement son agenda cantonal ; il est essentiel que la question des discriminations soit ainsi levée, notamment à l’égard de personnes souffrant de troubles ou de déficience. Finalement, les droits politiques sont une question d’intégration et de dignité pour ces personnes, je vous invite donc à approuver la motion de notre collègue Buclin et à la transmettre au Conseil d’Etat.

M. Arnaud Bouverat (SOC) —

Je déclare mes intérêts : je suis membre de l’Association Cerebral Vaud et de Solidarité-Handicap mental, deux associations qui réunissent des personnes concernées et leurs proches. J’aimerais revenir avec quelques exemples de situations dans lesquelles j’ai pu constater la perte des droits politiques ou l’absence d’octroi de droits politiques, à mon avis de manière proprement erronée. Tout d’abord, je voudrais prendre l’exemple du réexamen des personnes lors du nouveau droit de la tutelle : toutes les situations ont été scannées à nouveau par les justices de paix et des propositions de curatelle ont été fixées aux personnes sous protection et surtout à leur curateur. Dans ce transfert, malgré tous les slogans qui ont fleuri, on ne s’explique pas pourquoi un nombre étonnamment élevé de curatelles a été fixé de portée générale. Apparemment, il y a des différences culturelles massives : notre canton fait partie de ceux qui proclament tendanciellement beaucoup plus de curatelles de portée générale que des cantons suisses alémaniques, à population égale. Cette situation doit nous interpeller. Des personnes qui ont simplement comme handicap une infirmité motrice cérébrale, par exemple ¾ je rappelle que des philosophes souffrent de ce handicap ¾ se trouvent d’office fixées comme personnes sous curatelle de portée générale. Pour pouvoir conserver ses droits politiques, il faut contester cette décision et, surtout, il faut que le curateur transmette la décision à la personne concernée pour qu’elle puisse émettre son avis. Certaines personnes ont perdu l’usage de leurs droits politiques simplement parce qu’elles n’ont jamais reçu l’information de la part de leur curateur. Elles ont remarqué, un peu tard, qu’elles ne recevaient plus leur enveloppe de vote à la maison. Il leur a ensuite fallu se battre pour récupérer leurs droits. Est-ce que cela est normal ? Non !

Par ailleurs, dans l’institution d’une curatelle, la priorité des familles est la protection des personnes concernées. Dans ce cadre, on pense avant tout à éviter que ces personnes signent des contrats qui les engagent financièrement ou qu’elles ne se fassent pas tromper ou abuser. Toutefois, la question des droits politiques est la dernière de la liste, souvent lorsque ces personnes atteignent leur majorité. Même si c’est peut-être une question plus d’actualité qu’auparavant, c’est une inadaptation de notre législation actuelle et de notre politique d’information et de soutien aux familles qui fait que beaucoup de personnes perdent d’office, automatiquement, leurs droits politiques.

Autre problème vécu dans ce canton, comme les municipalités sont compétentes pour la réintroduction de ces droits, des personnes qui ont simplement changé de communes ont perdu leurs droits politiques, parce que la réintroduction de leurs droits n’a simplement pas suivi lorsqu’ils ont déménagé dans un EMS. La situation est spéciale : vous avez votre capacité de discernement dans une commune, vous déménagez à 5 km de là et vous perdez cette capacité. J’exagère un peu, mais de tels cas se sont produits, ainsi que quelques erreurs administratives dénoncées dans les médias, notamment par une personne concernée ¾ Mme Anne Tercier, malheureusement décédée depuis lors — qui avait fait son cheval de bataille de la réintroduction de ses droits et qui, pour de simples questions administratives, a dû lutter pendant des mois pour recevoir son enveloppe de vote.

Les personnes en situation de handicap ne sont pas des citoyens de seconde zone. Personne, dans ce canton, ne perd ses droits politiques aussi facilement que ces personnes. C’est indécent et peu respectueux, ce n’est pas la notion de citoyenneté que l’on peut imaginer, car de simples aléas administratifs ou des interprétations de certificats médicaux font que l’on perd ses droits politiques. Non, cela ne tient pas la route. Il faut revoir la situation. M. Buclin propose simplement la situation genevoise qui est un renversement de la logique. Il y a plusieurs manières de mettre cela en application, mais on peut tout à fait imaginer des dispositifs de protection. La motion revient simplement à un renversement de la logique et, à mon avis, cette solution permet la meilleure protection des droits des personnes en situation de handicap. A ce titre, comme M. Devaud l’a évoqué tout à l’heure, vous avez à l’unanimité de ce plénum accepté il y a un mois deux motions pour une politique inclusive. La question de l’accès des droits politiques figurait également dans ces motions. Il est intelligent de travailler en parallèle sur ces questions et de ne pas se contredire, à un mois d’intervalle, sur de tels signaux politiques. Dans cette logique, je vous invite à accepter la motion.

M. Didier Lohri (VER) —

Chaque fois que l’on parle de personnes handicapées, j’ai une extrême sensibilité par rapport à celles-ci, sans tomber dans l’émotionnel. Je connais aussi des parents qui aimeraient retirer le droit de vote à leurs enfants sains de corps et d’esprit. (Rires.) Mais ce n’est pas l’objet de notre discussion…

Etant membre de la commission chargée d’étudier cette motion, j’ai été sensible aux arguments du motionnaire, en particulier sa demande de préciser que c’est à l’Etat d’apporter la preuve du manque de discernement et de retirer les droits politiques. Les directives de l’Etat expliquent bien un processus compliqué par le nombre d’intervenants, un processus qui se termine par une prise de position d’un juge de paix nommé par le Tribunal cantonal et donc le canton, et par le Grand Conseil. Cette circulaire précise que, lors de l’audience portant sur la mise en place d’une curatelle de portée générale, le juge de paix informe la personne qu’elle va être privée de ses droits politiques. Là où la situation se complique et n’est pas cohérente, c’est que la demande de réintégration dans le corps électoral par la personne sous curatelle doit être effectuée auprès la municipalité. En extrapolant le fameux « qui paie commande et qui commande paie » au sujet du droit de vote, la logique voudrait que « qui décide retire et qui retire réintègre ». Il est donc évident que les services de l’Etat doivent terminer le travail entamé. Les procédures de la protection des données des personnes mises sous curatelle doivent être simplifiées et surtout, à l’heure où l’on parle de donner ¾ ou de ne pas donner ¾ le droit de vote aux 16-18 ans, mon esprit humaniste consiste à d’abord protéger les plus faibles, qui ont des droits dont les aléas de la vie ont modifié temporairement la situation. En révisant la LEDP, nous n’avons pas accompli le travail en entier et il faut aller plus loin pour donner une ligne claire à la commission chargée de cette loi. Je vous invite donc à soutenir la motion Buclin sans attendre, pour donner des informations claires.

M. Alexandre Démétriadès (SOC) —

Au-delà des arguments développés par plusieurs membres de mon groupe, vous l’aurez compris, l’unanimité du groupe socialiste soutiendra cette motion. Dans presque toutes les interventions que nous avons pu entendre jusque-là, sauf celle de M. Bolay qui rapportait l’avis d’une famille concernée, presque toutes étaient favorables à ce que quelque chose change. Tout le monde s’accorde à dire que la situation est problématique. M. Bouverat a également rappelé que d’autres dépôts d’objets parlementaires empoignaient cette thématique de manière plus transversale et globale. Ces objets ont été soutenus récemment par le Grand Conseil et il serait dommageable d’envoyer un signal contradictoire en refusant ce texte.

Je peine à comprendre ¾ et ce n’est pas du tout de manière irrespectueuse que je m’exprime ¾ la position du groupe PLR exprimée par M. Devaud. Vous dites que, sur le fond, vous êtes d’accord qu’une réflexion doit avoir lieu et pensez que lors des débats sur la LEDP, nous traiterons de ces objets. Certes, nous allons sans doute en parler, mais est-on sûr que nous allons épuiser la matière ? A mon sens, ce n’est pas forcément le cas. Si la motion de notre collègue Buclin est acceptée, quelles en seront les conséquences ? On peut autant arriver à une potentielle modification de la LEDP qu’à une modification de la Constitution. A l’heure actuelle, la commission qui a traité l’objet de notre collègue Buclin n’a pas œuvré très longtemps. Nous avons appris que, potentiellement, une prise en considération impliquerait un changement de la Constitution, mais ce n’est pas sûr. Comme l’a dit M. Vuillemin, je pense que la réflexion doit être menée par le Conseil d’Etat et la commission qui sera chargée de traiter de cet objet. La réflexion doit avoir lieu. Si, au terme de la LEDP, on constate que le but de la motion de notre collègue Buclin est rempli de manière tout à fait satisfaisante, tant mieux. En revanche, si les forces politiques dans le cadre d’un débat apaisé se rendent compte qu’il s’agit de changer la Constitution, ce sera l’option choisie. A ce stade du débat, j’ai de la peine à comprendre le message qui serait envoyé par un refus de la motion de notre collègue Buclin. Accepter cette motion, c’est encore ouvrir davantage de voies possibles pour sa mise en application. Au regard de ces éléments, je vous encourage à accepter la motion ou éventuellement à vous abstenir si vous doutez un peu. Non pas parce que ça ne mange pas de pain, mais parce que ça laisse encore des voies ouvertes. Le groupe socialiste vous encourage à soutenir ce texte.

M. Jean-Luc Chollet (UDC) —

Nous ne traitons pas ici d’un sujet politique dans lequel on échange des arguments et qui finit par un vote. Avec cet objet, nous devons arriver à une forme de compréhension mutuelle, parce que nous parlons des plus petits d’entre nous qui méritent une attention particulière et une écoute bienveillante. Ce que d’aucuns nomment discrimination, personnellement je le traduis ¾ avec la modeste expérience de mes deux curatelles ¾ par empathie, par service au quotidien, par protection. Service au quotidien, parce qu’une curatelle consiste à s’assurer quotidiennement qu’il y a quelque chose dans le frigo, que la personne reçoit une visite et que, si elle sort, elle est accompagnée. Le droit de vote et d’éligibilité, en tout cas dans les types de curatelles dont je m’occupe, n’est pas véritablement leur préoccupation première. Je constate aussi, mais mes souvenirs commencent à devenir vagues, qu’à la lecture de la brochure de plus de 120 pages que chaque curateur reçoit, il y a une gradation dans les types de curatelles. On commence par une curatelle d’accompagnement, puis on monte ¾ je crois savoir que la curatelle dont je m’occupe s’appelle « de représentation et de gestion » ¾ et on termine par la curatelle de portée générale. C’est la dernière, l’ultima ratio. Aujourd’hui, nous parlons précisément de la curatelle de portée générale sans parler des autres formes de curatelles dans lesquelles le droit de vote et d’éligibilité n’est absolument pas remis en cause. Mieux : il est garanti. Ce n’est pas sans raison que le législateur a estimé que, lorsqu’on était dans cette ultime forme, le droit de vote n’était pas opportun.

Je soumets à votre réflexion le fait que le curateur est mis dans une position difficilement conciliable avec sa conscience, parce que son pupille lui demandera de lui ouvrir l’enveloppe, de décider et de voter pour lui, parce qu’il ne sait pas du tout de quoi il en retourne. On se mettra à deux pour laborieusement inscrire la date de naissance qu’il a oubliée et lui faire signer plus ou moins maladroitement son bulletin. Dans le cadre de mon expérience, la personne me transmet le matériel en me disant : « Je te fais confiance. » Cela met le curateur dans une position difficile et dans un débat de conscience qu’il n’a, selon moi, pas à prendre. C’est l’une des raisons pour lesquelles je vous invite à refuser cette motion et surtout à ne pas sortir le grand mot de « discrimination » qui donne une vision absolument tronquée et incorrecte de la situation réelle de la curatelle en général.

M. Philippe Jobin (UDC) —

Je vais m’aventurer sur un terrain un peu différent, mais qui rejoint tout à fait notre discussion. Je reste convaincu que la reconnaissance sociale doit être pleine et entière et que cela fait défaut à l’heure actuelle. En tant que syndic, quelque chose me chiffonne : dans la LEDP, on retrouve à l’article 3, alinéa 2, la mention suivante : « Elles peuvent être intégrées ou réintégrées dans le corps électoral, par décision de la municipalité de leur commune de domicile, en prouvant qu’elles sont capables de discernement. » A la lecture de la loi actuelle, je constate que ce n’est pas la municipalité qui va décider, mais le corps médical. Ce dernier va faire un examen ou une expertise de la personne concernée et donnera ensuite son feu vert ou pas. La municipalité pourra trancher, mais sur avis médical. Selon mes informations, il est délicat de se baser là-dessus, parce que des choses varient en fonction des personnes appartenant au corps médical. Cela me pose un problème, parce que, in fine, cela échoit quand même à la commune de devoir donner son blanc-seing ou pas sur une possibilité de recouvrer l’exercice des droits politiques. Pour le moment, je m’abstiendrai sur ce sujet, même si j’y suis extrêmement sensible.

Mme Valérie Induni (SOC) —

Comme moi, vous avez été accueillis tout à l’heure par notre ancienne collègue Catherine Roulet qui s’est toujours engagée dans la lutte pour les droits des personnes en situation de handicap. J’ai ainsi eu l’occasion de rencontrer plusieurs personnes et d’avoir une petite discussion avec certaines d’entre elles. J’ai notamment rencontré une jeune femme qui m’a dit qu’elle était très fière d’avoir participé à l’émission « Mise au point », lorsqu’il y avait eu un reportage sur le droit de vote pour les personnes en situation de handicap et sous curatelle. Elle m’a notamment parlé d’une action que je ne connaissais pas qui s’appelle « Bla-Bla Vote ». Pendant les discussions, je suis allé regarder de quoi il s’agissait : j’ai découvert que c’est un partenariat entre la Maison de Quartier de Chailly et le Mouvement Tous Citoyens qui a mis sur pied un atelier de préparation mené par des personnes en situation de handicap qui vivent à Eben-Hézer pour les initier aux objets des votations et les accompagner dans la formulation des questions qu’elles adresseront aux intervenants. C’est un projet pilote qui permet à ces personnes de mieux appréhender un sujet de votations et de poser des questions à des intervenants politiques — naturellement de tous bords pour assurer la neutralité politique de cette expérience. La personne que j’ai rencontrée était très contente de faire partie de ce projet. Cela montrait à quel point ces personnes ont des capacités que certaines d’entre nous n’envisagent pas. J’ai trouvé intéressant d’avoir devant nous des personnes en chair et en os, plutôt que des catégories : personnes en situation de handicap, personnes sous curatelle. Finalement, ces personnes sont des hommes et des femmes comme nous. Il est important de s’en souvenir à certains moments. Finalement, les différentes associations spécialisées dans ces thématiques recommandent de donner l’accès à la votation aux personnes en situation de handicap. Nous devons plus leur faire confiance que de céder à un paternalisme pur sucre, comme on a pu entendre tout à l’heure dans nos discussions.

Mme Sylvie Podio (VER) —

Je commence par déclarer mes intérêts : je suis membre du comité ASA-Handicap Mental suisse. J’aimerais reprendre les propos de M. Chollet : pour moi, les personnes en situation de handicap ne sont pas « les plus petits d’entre nous ». Elles sont en situation de vulnérabilité certes, mais elles n’en demeurent pas moins de grandes personnes. Contrairement à ce qu’affirme M. Chollet, les personnes concernées demandent à pouvoir exercer leur droit de vote, même lors de curatelles de portée générale. Elles en font notamment la demande dans le rapport alternatif de 2017 qui analyse le respect par la Suisse de la CDPH par le biais d’Inclusion Handicap. Inclusion Handicap regroupe 25 associations en lien avec les situations de handicap. Ces associations sont composées de professionnels, mais aussi et surtout de personnes concernées et de proches. Pour ma part, je soutiendrai cette demande et soutiendrai cette motion.

M. Julien Eggenberger (SOC) —

Sans reprendre les arguments qui ont déjà été développés, je soutiens sans réserve cette motion et je remercie le député Buclin de nous la proposer. Je dois dire que je suis un peu surpris, voire parfois un peu ébranlé, par certains propos à l’encontre de cette motion, mais ce n’est pas le lieu pour ouvrir un débat à ce sujet.

Cela dit, il a été mentionné à plusieurs reprises que la question était anecdotique et ne concernait qu’une faible part des curatelles. Je souhaiterais demander à Mme la conseillère d’Etat si elle peut nous indiquer combien de curatelles de portée générale sont prononcées chaque année dans le canton de Vaud. Cela nous permettrait d’infirmer ou pas cette affirmation.

M. Jean Tschopp (SOC) — Rapporteur-trice

C’est un débat animé sur un thème important. J’aimerais aussi partager avec vous des discussions que j’ai eues en tant qu’élu avec des personnes en situation de handicap, en particulier de handicap mental. Mme Induni a cité l’expérience « Bla-Bla Vote » menée conjointement par la Fondation Eben-Hézer Lausanne et la Maison de Quartier de Chailly. C’est un exercice que je vous encourage à faire, parce qu’il nous oblige à être plus clairs dans nos propos, à être plus directs. Il permet aussi de voir la capacité qu’ont les personnes en situation de handicap mental à se forger une opinion, à comprendre les enjeux d’un vote et à se déterminer en connaissance de cause. Pour les personnes en situation de handicap, c’est un enrichissement, mais ça l’est aussi pour nous en tant qu’élus. Dans une autre campagne, avec Mme Florence Bettschart et M. Raphaël Mahaim, nous avons aussi participé à un débat sur invitation de l’association Insieme et de parents de personnes en situation de handicap mental. C’était également une expérience extrêmement enrichissante. Si vous faites cet effort, vous verrez que les personnes que l’on serait tenté de priver de leur droit de vote y sont très attachées ; vous verrez concrètement toutes les possibilités de débattre qui existent y compris avec des personnes en situation de handicap mental et d’avoir un débat contradictoire sur une base saine, claire et transparente.

M. Vuillemin a évoqué la question du discernement. Il est vrai que, comme médecin, il est amené à décider, de cas en cas, si une personne en situation de handicap mental a ou pas le discernement, mais l’on peut avoir le discernement à certains moments et pas à d’autres. Cela n’est pas uniquement le lot de personnes en situation de handicap mental, c’est le lot de tout individu : à un moment donné, on n’a plus la conscience suffisante pour se prononcer. Néanmoins, la conviction de la majorité de la commission est que, dans un scrutin qui dure trois ou quatre mois, les citoyens reçoivent leur enveloppe de vote suffisamment à l’avance. Les personnes en situation de handicap mental ont donc le temps de se forger une opinion et peuvent, après en avoir discuté autour d’elles, prendre une décision en toute connaissance de cause. Au fond, c’est ce que demande la motion de notre collègue Buclin et c’est la raison pour laquelle nous devons la soutenir.

Un dernier argument : il a beaucoup été question de la CDPH, je relève qu’il n’y a eu aucun référendum contre cette convention importante qui a été adoptée. Cela signifie donc qu’il y a une adhésion assez large de la population dans son ensemble à supprimer les discriminations faites aux personnes en situation de handicap. On a aussi cité le vote genevois qui était très clair : plus de 75 % en faveur de la suppression de cette discrimination. Aujourd’hui, nous avons l’occasion d’implémenter encore un peu plus en terre vaudoise CDPH et de supprimer une discrimination qui n’a plus lieu d’être en 2021. Je vous invite donc à soutenir ce texte.

M. Grégory Devaud (PLR) —

Parce que les cas ne sont pas anecdotiques, parce que le sujet est complexe et parce que ce thème est important, je me permets de vous proposer une motion d’ordre visant à repousser ce vote après le traitement de la LEDP. Je ne vous cacherai pas une certaine gêne dans cette discussion : des débats ont eu lieu en commission, mais l’on ne peut pas en faire état ici. Je serais tenté d’essayer de vous convaincre de travailler sur la LEDP à la rentrée d’août ou septembre afin que le Conseil d’Etat puisse se positionner, comme l’a dit M. Vuillemin. Nous aurons alors tout en main pour connaître ce qui a été fait ou non pour les personnes en incapacité durable de discernement dans le cadre de cette LEDP. A la fin du traitement, nous saurons jusqu’où nous avons pu aller. Le cas échéant, nous pourrons reprendre cette discussion et le vote pour choisir d’aller plus loin, d’aller dans le sens d’une modification constitutionnelle. Je pense que c’est plus sage de le faire de cette manière. L’article 91, alinéa 4, de notre Loi sur le Grand Conseil prévoit précisément qu’une motion d’ordre peut notamment viser au renvoi d’un vote.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La motion d’ordre est appuyée par au moins 20 députés.

La discussion sur la motion d’ordre est ouverte.

M. Alexandre Démétriadès (SOC) —

Personnellement, je suis opposé à l’idée de surseoir au vote sur cet objet. Je le répète, la motion de notre collègue Buclin a été déposée, nous avons débattu de cet objet. En commission, la majorité a décidé d’entrer en matière sur sa proposition. La mise en application pratique de la motion de notre collègue Buclin peut suivre plusieurs voies. L’une d’elles pourrait être une modification de la LEDP, mais ne préjugeons rien de ce qui va se passer en automne sur cette question. Les travaux de la commission qui travaille sur la LEDP ne sont d’ailleurs pas officiellement terminés et nous verrons ce qui ressortira des débats. Il pourrait tout à fait être possible que, dans la réponse à la motion de M. Buclin, si les débats de la LEDP vont dans ce sens, on parte du principe que la motion est déjà appliquée. En revanche, on ne pourrait pas dire qu’il reste un débat constitutionnel à avoir. Nous pouvons déjà nous prononcer à l’heure actuelle et nous verrons ce que donnera le travail sur la LEDP. Encore une fois, ne préjugeons de rien. Lorsqu’il faudra traiter cette motion — et peut-être que Mme la conseillère d’Etat pourra un peu nous éclairer à ce sujet — nous prendrons évidemment en compte ce que le débat sur la LEDP aura donné. Il me semble que cette motion d’ordre ne sert pas à grand-chose.

M. Hadrien Buclin (EP) —

Je suis d’accord avec ce que vient de dire M. Démétriadès. Cette motion a été déposée en 2019 et est soutenue par des associations qui attendent que le Grand Conseil prenne une direction, quitte à ce que le Conseil d’Etat réponde que les travaux de révision de la LEDP ont permis de répondre de manière satisfaisante à cette motion. Je pense qu’il serait dommage de repousser une décision après un riche débat sur cet objet particulier.

M. Jean Tschopp (SOC) — Rapporteur-trice

Effectivement, cette motion remonte à 2019. Aujourd’hui, nous sommes à la moitié de l’année 2021 et les associations mentionnées précédemment attendent. Comme l’a très bien dit M. Buclin, le Conseil d’Etat aura un délai de deux ans pour répondre à la motion si elle lui est renvoyée. Il pourra intégrer ce qui a été débattu et décidé dans l’intervalle, dans le cadre de nos débats sur la LEDP. J’ajoute au passage que la loi est l’un des enjeux, l’autre étant la Constitution qui devrait à mes yeux être retouchée pour la mise en œuvre du texte. Nous avons donc besoin maintenant d’un vote d’orientation. Encore une fois, les associations attendent ce vote.

M. Didier Lohri (VER) —

Evidemment, nous nous sommes lancés dans une question émotionnelle et n’avons pas vu le côté pragmatique de la chose. Nous allons certainement accepter de reporter ce vote, je le regrette sincèrement, parce que nous sommes en train de passer à côté d’une piste claire pour la commission. On préfère partir dans des exemples émotionnels, alors que le texte est assez simple : il s’agit de redonner, à qui enlève le droit, la possibilité de le remettre. C’est là que réside la question fondamentale. Nous allons reporter ce débat, nous allons de nouveau en parler en commission et, dans six mois ou une année, nous n’aurons pas avancé d’un iota dans la décision.

Mme Christelle Luisier Brodard (C-DITS) — Conseiller-ère d'État

Effectivement, l’exercice des droits politiques fait partie de l’ADN de notre culture politique. La notion de citoyenneté est essentielle dans notre pays et dans notre canton. Il y a en effet plusieurs types de mesures prévues dans le cadre du Service des curatelles et des tutelles. Cela a été dit tout à l’heure, il y a une gradation de toutes ces mesures ; il y a les mandats de représentation et de gestion qui représentent deux tiers des mandats – ce sont les mandats les plus légers – et il y a les mandats de curatelle de portée générale qui représentent le tiers restant. Dans ce cadre, certaines de ces curatelles sont définies pour une incapacité durable de discernement. Par rapport à la position de M. Tschopp, il est évident que l’on ne parle pas d’incapacité durable de discernement lorsqu’une personne boit de l’alcool pendant une soirée. On parle véritablement d’incapacité durable de discernement et pas d’une incapacité temporaire.

Le problème, avec la motion de M. Buclin, est qu’elle demande deux choses très différentes. On nous dit que ce n’est pas clair : faut-il passer par la loi ou par la Constitution ? En fait, c’est très clair : cela dépend de ce que vous voulez. Si l’idée est de dire qu’une personne sous curatelle de portée générale et qui n’est pas incapable de discernement doit pouvoir garder ses droits civiques, c’est uniquement au niveau de la loi et de son règlement qu’il faut agir. J’aurai l’occasion d’y revenir. Pour une personne sous curatelle de portée générale, mais qui a la capacité d’exercer ses droits, parce qu’elle a la capacité de discernement, des mesures d’adaptation sont aujourd’hui prévues. Si votre volonté est différente ; si votre volonté est de dire que toute personne, indépendamment de sa capacité durable de discernement, doit pouvoir exercer ses droits politiques, on n'est plus sur la même notion, on est sur un changement constitutionnel. Ce sont deux éléments différents. Ce n’est plus une question de renversement du fardeau de la preuve, il s’agit de dire que la notion de capacité de discernement n’est plus un élément qui doit être pris en considération au moment d’octroyer ou non les droits politiques. Il n’est donc pas question de dire s’il est préférable d’agir dans la Constitution ou dans la loi, ce sont des positions de fond différentes.

Si je reprends la problématique des curatelles de portée générale qui impliqueraient aujourd’hui un retrait systématique des droits politiques, je vous le dis clairement : oui, aujourd’hui, nous avons un souci dans notre canton. Il ne s’agit pas d’un souci légal, mais d’un souci de pratique. Si l’on reprend les textes légaux, dont la Constitution vaudoise, il est prévu une privation des droits politiques des personnes au bénéfice d’une curatelle de portée générale ou d’un mandat pour cause d’inaptitude en raison d’une incapacité durable de discernement. Il y a donc une privation des droits politiques dans la Constitution, mais uniquement pour les personnes qui sont incapables de discernement de manière durable. C’est la raison pour laquelle, si on voulait que toutes les personnes, indépendamment de leur capacité de discernement, puissent exercer des droits politiques, nous devrions changer la Constitution. Dans la LEDP, il n’y a pas non plus d’exclusion systématique du corps électoral des personnes sous curatelle de portée générale. En revanche, c’est le problème aujourd’hui, la pratique ne respecte pas forcément ce qui est inscrit dans la Constitution et dans la loi et le retrait des droits politiques aux personnes sous curatelle de portée générale est quasiment systématique, indépendamment de la typologie de curatelles qui est définie. Même si une curatelle de portée générale est décidée pour une autre raison que l’incapacité de discernement, il y a quasiment systématiquement une perte des droits politiques. Ce point a été pris en compte par le Conseil d’Etat, dans le cadre de la LEDP. Dans le cadre de l’exposé des motifs, vous retrouvez un passage consacré à ces aspects. L’idée du Conseil d’Etat n’est pas de changer la loi et la Constitution. Il est clair que nous ne devrions pas priver de leurs droits politiques les personnes qui ne sont pas en incapacité de discernement. Il faudrait changer la pratique et le règlement. Vous retrouvez ce point dans l’exposé des motifs et projet de loi sur la LEDP et il est débattu dans le cadre de la Commission thématique des institutions et des droits politiques. Je ne vais pas entamer la discussion sur le fond, puisque les travaux de la commission sont tenus secrets. Tout le monde est sensible à ces éléments, que ce soit à gauche ou à droite de l’hémicycle.

La problématique qui consiste à savoir si toute personne, indépendamment de sa capacité, peut avoir l’exercice des droits politiques est une autre question qui n’a pas été abordée et qui ne le sera pas dans le cadre de la LEDP. En effet, dans le cadre de cette loi, on ne reprend pas les éléments qui impliqueraient un changement constitutionnel.

En conclusion, dès le moment où l’on estime que la réponse à apporter est simplement de mettre en œuvre le respect des dispositions constitutionnelles et légales, il n’y a pas forcément besoin de suivre cette motion. Il y a un souhait partagé par le Conseil d’Etat et le Grand Conseil d’aller vite en la matière. Il s’agit de mieux coordonner la pratique entre les justices de paix et les communes, mais cela ne nécessite pas de changement légal. Si votre souhait est d’aller au-delà, il faut effectivement prendre en considération cette motion. Néanmoins, on pose alors des questions très différentes, puisqu’il s’agit de savoir si la notion de capacité de discernement est encore un élément qui doit être pris pour savoir si l’on peut ou pas exercer ses droits politiques. Ce sont deux champs d’investigation différents : le premier est traité par la LEDP, ou plutôt par son règlement, les pratiques et la volonté du Conseil d’Etat de modifier ces pratiques ; le deuxième est un aspect constitutionnel qui demanderait une large réflexion populaire.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est close.

La motion d’ordre Grégory Devaud est acceptée par 66 voix contre 60 et 3 abstentions.

M. Jean Tschopp (SOC) — Rapporteur-trice

Je demande un vote nominal.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

Cette demande est appuyée par au moins 20 députés.

Si vous soutenez la motion d’ordre, vous votez oui ; si vous la refusez, vous votez non. Les abstentions sont possibles.

Au vote nominal, la motion d’ordre Grégory Devaud est acceptée par 67 voix contre 61 et 3 abstentions.

* Introduire vote nominal

Le vote sur cet objet est reporté à une séance ultérieure.

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