Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 24 août 2021, point 14 de l'ordre du jour

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Rapport de la commission - RC 19_MOT_094

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M. Vassilis Venizelos — Rapporteur-trice

La Commission thématique de la santé publique était chargée d'analyser la motion déposée par notre collègue Dolivo ensuite du renvoi, au printemps 2019, d'une famille yézidi géorgienne qui habitait à Leysin où elle était parfaitement intégrée et participait à la vie active. Ce renvoi a ému une large partie de la population et suscité de nombreuses réactions, plusieurs membres de la famille étant atteints dans leur santé. Le renvoi a été exécuté malgré plusieurs rapports médicaux faisant état de cette situation. La motion a pour but d'éviter qu'une telle situation se reproduise dans notre canton et pour cela demande une modification de la Loi d'application dans le canton de Vaud de la législation fédérale sur les étrangers (LVLEtr). L'objectif affiché par le motionnaire est de sursoir aux décisions de renvois forcés lorsque la situation médicale l'exige. L’ajout d’un nouvel alinéa 3 vous est donc proposé à l'article 3 de la loi précitée.

En commission, le Conseil d'Etat a rappelé que l'administration fédérale ainsi que le Tribunal administratif fédéral et le Service de la population (SPOP) s’étaient déterminés à cinq reprises sur le dossier et sur la situation sanitaire des personnes concernées. Ils ont estimé que le renvoi était possible et devait être exécuté. Le Conseil d'Etat a également précisé nous étions face à une compétence fédérale. D'un point de vue général, dans le domaine de l'asile, le seul motif autorisant le canton à différer le renvoi étant une impossibilité matérielle telle que la fermeture d'une route ou d'un aéroport. Les questions touchant à la situation sanitaire des personnes considérées, selon le droit fédéral en matière d’asile, relèvent exclusivement de la Confédération. Le canton n’a dès lors pas la compétence de se substituer à l’analyse médicale de la situation effectuée par Berne. En l’absence d’impossibilité matérielle, le canton est obligé de procéder au renvoi et ne peut pas demander d’admission provisoire ou de régularisation à terme. Quant à l'opportunité de demander une nouvelle décision, il est rappelé que, dans le domaine de l’asile, l’administré peut toujours demander une nouvelle décision basée sur des faits nouveaux. Il appartient alors à la partie et non au canton, d'activer ce processus et levier.

Dans les discussions en commission, il a été rappelé que le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) a délégué et délègue encore l’encadrement médical. Une entreprise, l’OSEARA, a été mandatée pour assurer l’encadrement médical des renvois de requérants d’asile déboutés. Cette tâche semble être réalisée par des médecins qualifiés. Pourtant, cet élément a été contesté en commission par plusieurs députés. Durant toute la procédure d’expulsion forcée, une assistance médicale est présente et dispose de la compétence exclusive de suspendre à tout moment l’expulsion. Le Conseil d'Etat a en outre indiqué que, selon son appréciation, cette compétence ne peut pas relever du médecin cantonal. La motion, qui demande un avis du médecin cantonal sur le caractère exécutable du renvoi en cas de doutes, ne précise pas la portée d’un tel avis. Compte tenu du droit fédéral en vigueur dans le domaine de l’asile, le médecin cantonal ne dispose pas de la compétence de suspendre un renvoi pour raison médicale.

Lors de la discussion générale, les commissaires sont revenus sur la délégation de compétences à l'entreprise privée OSEARA qui est mandatée par le SEM pour évaluer l’aptitude des personnes à entreprendre le retour et pour accompagner les vols spéciaux. Cette entreprise est basée sur sol zurichois et certains députés relèvent que celle-ci aurait engagé des médecins ne disposant pas de l’autorisation de pratiquer délivrée par le canton de Vaud. Par ailleurs, plusieurs députés doutent de la qualité de l’expertise menée par cette société. Concernant le rôle du médecin cantonal, plusieurs commissaires estiment que l’on pourrait tout à fait imaginer que le Conseil d’Etat, sur la base de l’avis médical du médecin cantonal, sollicite le SEM pour demander une admission provisoire, le SEM restant, selon le droit fédéral, libre de réévaluer ou non la situation. Quant aux compétences exclusives du SEM, le Conseil d'Etat relève que, dans le domaine de l’asile et en matière de renvoi, seul ce dernier est compétent. En ce sens, il n’apparaît pas possible au chef de département de s'appuyer sur le médecin cantonal, le SPOP ou encore sur le Conseil d'Etat contre une décision du SEM. Toutefois, le chef du département relève que la dernière phrase de la proposition d’article 3b, alinéa 3, telle que proposée par le motionnaire ne peut pas être transmise au Conseil d’Etat. Cette phrase indique : « Le cas échéant, celui-ci dépose une demande d'admission provisoire auprès du SEM ». Par contre, le chef du département relève qu'il ne verrait aucun inconvénient à ce que l'Office du médecin cantonal fournisse un avis médical directement au SEM.

Suite à ces discussions, plusieurs commissaires plaident en faveur d'un soutien à la motion. Ils soulignent notamment deux éléments :

  1. L’Office du médecin cantonal émet déjà des avis en lien avec des renvois. Il importe que, dans les situations sanitaires problématiques, de tels avis soient systématiquement établis et transmis au Conseil d’Etat afin que ce dernier puisse prendre une décision en toute connaissance de cause.
  2. Lorsque le Conseil d’Etat, chargé de l’exécution d’un renvoi, est nanti d’un avis de l’Office du médecin cantonal recommandant de ne pas procéder au renvoi considéré, il ne s’agit pas de s’inquiéter en premier lieu du problème et de la compétence légale dans l'exécution par le canton de la décision de renvoi ou des conséquences financières pour le canton, qui ont également été relevées par le chef de département en commission, et de la non-exécution du renvoi, mais selon plusieurs députés, il s'agit de se préoccuper avant tout des conséquences humanitaires et de faire primer les conditions sanitaires sur les conditions matérielles du renvoi. La motion vise cet objectif.

Dans un esprit de compromis, plusieurs commissaires plaident en faveur d’une prise en considération partielle de la motion, allant dans le sens suivant – il s'agirait d'un nouvel article 3b LVLEtr, alinéa 3 nouveau : « Lorsque les autorités cantonales ont connaissance, dans le cadre d’une procédure de renvoi forcé – article 69 de la Loi sur les étrangers et l'intégration (LEI) – d’une situation de santé physique ou psychique problématique des personnes concernées – article 69 alinéa 3 LEI – elles demandent un avis à l’Office du médecin cantonal sur l’exécutabilité du renvoi. Cet avis est transmis aux autorités compétentes ». La motion prise en considération partielle a été soutenue par une majorité de la Commission thématique de santé publique. La commission recommande dès lors au Grand Conseil de prendre partiellement en considération cette motion par 8 voix contre 6 sans abstention et de la renvoyer au Conseil d’Etat.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Marc Vuilleumier (EP) —

La motion de notre ex-collègue Dolivo était motivée par la situation de la famille géorgienne et avait surtout pour objectif qu'une telle situation ne se reproduise plus dans le futur. Dans ces cas de renvoi, il s'agit de s'assurer que le renvoi respecte le cadre légal, mais aussi que des éléments nouveaux ne soient pas susceptibles d'aboutir à une révision de la décision de renvoi. Dans la situation de cette famille géorgienne, c'est exactement ce qui s'est passé puisque des certificats médicaux concernant tant le père qu'un des enfants ont été établis par des médecins vaudois, en cours de procédure, mais n'ont probablement pas été pris en compte par le SEM.

Le groupe Ensemble à Gauche et POP connaît les prérogatives de la Confédération dans ces problématiques. Toutefois, il pense que les cantons ne sont pas dénués de toute marge de manœuvre, ne serait-ce pour donner un avis ou pour apporter des éléments nouveaux. De plus, la commission propose une prise en considération partielle qui pose, si tant est qu'il y en ait eu, moins de problèmes légaux par rapport à la version initiale. En effet, rien n'empêche le Conseil d'Etat de demander un avis au médecin cantonal sur la faisabilité d'un renvoi en matière de santé et rien ne l'empêche également de faire sien cet avis et de le transmettre au SEM, en espérant une révision de la décision.

L'approche humanitaire et sanitaire doit compléter l'approche purement légale et juridique. C'est ce que vous propose la commission avec la formulation revisitée. Ce renvoi en commission se justifie d'autant plus aujourd'hui qu'avant-hier, la presse ayant indiqué que, suite à un audit, le SEM a reconnu avoir pris des décisions erronées dans le cadre de certains dossiers, notamment en ce qui concerne le domaine de la santé et qu'il était prêt à apporter des corrections à son fonctionnement. Nous soutiendrons donc la prise en considération partielle de la motion et nous vous invitons à faire de même.

Mme Carole Dubois (PLR) —

Les demandes d'asile et les procédures de renvoi sont des sujets éminemment émotionnels et il est difficile d'y rester insensible. Néanmoins, dans le domaine de l'asile, la compétence est clairement donnée à la Confédération et c’est au SEM d'étudier et d'analyser les dossiers. Dans son texte, notre ancien collègue Jean-Michel Dolivo met en doute l'expertise de la société médicale OSEARA mandatée par le SEM pour évaluer l'aptitude des réfugiés déboutés à rentrer dans leur pays. Il nous semble, d'une part, étonnant qu'un service de la Confédération s'appuie sur une société aux procédés douteux et, d'autre part, inopportun que le SPOP et le Conseil d'Etat mettent en doute ces expertises. Certains dossiers comme celui cité dans la motion sont analysés à plusieurs reprises et la procédure de renvoi est encadrée par des médecins qualifiés qui ont, à tout moment et au moindre doute, la possibilité de sursoir au renvoi le temps d'une nouvelle évaluation médicale. En conclusion, la grande majorité du groupe PLR estime que ce domaine doit rester de compétence exclusive fédérale et vous encourage à refuser cette motion, y compris sa prise en considération partielle.

M. Philippe Leuba — Conseiller-ère d’Etat

Il faut être parfaitement clair sur la portée d'une prise en considération partielle de cette motion. En effet, la prise en considération partielle signifierait qu'en cas de doute médical, le médecin cantonal puisse être saisi pour établir un diagnostic, lequel serait transmis au SEM. N'en déduisez pas que, sur la base seule de cet avis médical, les autorités fédérales ou cantonales suspendraient le renvoi. La décision de l'éventuelle suspension du renvoi relève du seul SEM. Ne venez pas nous dire dans 18 mois, ou encore dans deux ou trois ans : « Le médecin cantonal avait dit que la personne en question souffrait de telle ou telle pathologie. Vous avez transmis le certificat à Berne, comme nous vous le demandions et, malgré tout, le SEM a exigé l'exécution du renvoi et vous l'avez fait ». Cette hypothèse ne peut d'emblée être exclue.

Que les choses soient claires : si vous renvoyez partiellement cette motion, c'est ce qui arrivera et c'est parfaitement conforme – M. Venizelos le confirme – à la volonté de la majorité de la commission. En cas de doute médical, le cas échéant, nous saisirons le médecin cantonal. Ce dernier établira la situation sanitaire, laquelle sera transmise au SEM qui se déterminera. C'est bien la détermination du SEM qui conduira ou non à l'exécution du renvoi. Il ne s'agit pas de ma volonté, c'est la loi telle qu'elle existe aujourd'hui. Voilà la différence entre une prise en considération totale de la motion de M. Dolivo qui avait pour objectif que l'on suspende le renvoi sur la base du seul certificat médical du médecin cantonal, ce qui est contraire au droit suisse, et une prise en considération partielle. La majorité de la commission n'a pas souhaité aller aussi loin et s'est donc arrêtée à une prise en considération partielle, c'est-à-dire la saisine du médecin cantonal et le transfert du rapport médical au SEM qui se déterminera quant à l'exécution du renvoi. Le canton est lié par la décision du SEM, et il faut que les choses soient parfaitement claires devant ce Parlement.

M. Philippe Vuillemin (PLR) —

Le médecin cantonal est le médecin conseil du Conseil d'Etat. Si ce dernier a un problème, il est normal qu'il puisse faire appel au médecin cantonal. Tous les médecins sur cette terre savent que ce qu'ils disent ne constitue qu'un avis. Les autorités, peu importe lesquelles, considèrent cet avis comme une indication leur permettant de prendre la meilleure décision possible, rien de plus. Les docteurs ne demandent pas qu'on leur obéisse, mais qu'on les écoute, qu'on les lise et que ceux qui prennent les décisions les prennent. Il ne s'agit donc pas de prendre le médecin cantonal ni n'importe quel médecin en otage. Si on me demande quelque chose, je réponds en mon âme et conscience en établissant des expertises. Que cela plaise ou non au juge, j'ai fait mon travail. Si le médecin cantonal répond au Conseil d'Etat, c'est le même cas de figure et ce dernier décidera. Il y a toutefois une petite cautèle qui permet de réfléchir à deux fois pour certaines situations complexes sur lesquelles il n'est pas toujours simple de se déterminer. Dans ces cas-là, le médecin cantonal peut donner un coup de main et c'est en ce sens que j'ai voté pour la prise en considération partielle. 

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est close

Le Grand Conseil prend la motion en considération partiellement par 68 voix contre 63 et 1 abstention.

Mme Florence Gross (PLR) —

Je demande un vote nominal.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

Cette demande est appuyée par au moins 20 membres.

Celles et ceux qui acceptent la recommandation de la commission, soit une prise en considération partielle, votent oui ; celles et ceux qui s'y opposent votent non. Les abstentions sont possibles.

Au vote nominal, le Grand Conseil prend la motion en considération partiellement par 71 voix contre 67.

* insérer vote nominal.

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