Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 12 septembre 2023, point 14 de l'ordre du jour

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Rapport de la commission - RAP_680235 - Sylvie Pittet Blanchette

Texte adopté par CE - Rap-CE POS Jaccard 17_POS_16 - publié

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Mme Sylvie Pittet Blanchette (SOC) — Rapporteur-trice

La Commission de la formation s’est réunie le 9 décembre 2022 sous la présidence de Mme la députée Sonya Butera. Ensuite de sa démission, je lui ai succédé au poste de présidente. Concernant la thématique de l’illettrisme, le chef du département relève un manque d’éléments actualisés permettant de juger la situation, dont il estime toutefois qu’elle est stable. Dans le cadre du programme de législature, le Conseil d’Etat souhaite établir un état des lieux et réactualiser certaines mesures. Il est déterminé à agir en investissant le temps, l’énergie et les moyens nécessaires pour que cette problématique soit apaisée au fur et à mesure des années.

La postulante a conscience que la réponse date de mai 2022, soit de la précédente législature, et que les choses ont évolué depuis. Elle rappelle qu’une personne sur six est en situation d’illettrisme, en Suisse ; la moitié d’entre eux y a fait sa scolarité, y compris dans le canton de Vaud. Selon une étude de 2012, environ 12 % des élèves vaudois ont des manques de compétences les empêchant de suivre une scolarité convenable. Et comme le Conseil d’Etat le rappelle dans sa réponse, entre les pertes de gains individuels, les pertes qui en découlent pour le fisc et les dépenses de la collectivité en allocations de chômage et en aides sociales, la somme perdue se monte à 1,1 milliard de francs. En permettant l’économie de ce montant, l’éradication de l’illettrisme signifierait un gain de plus de 300 millions pour les pouvoirs publics et un revenu amélioré de 310 millions pour l’ensemble des 24’000 personnes qui auraient quitté ce statut. Le problème est donc non seulement social, ou sociétal, mais également économique. Le postulat demandait de définir les coûts de l’illettrisme dans le canton. A cette question, la postulante estime que le Conseil d’Etat n’apporte qu’une réponse vague et aucune étude à ce sujet n’a été entreprise. Le postulat demande également une statistique du nombre de personnes entre 15 et 30 ans en situation d’illettrisme. Là encore, la postulante estime que le Conseil d’Etat n’apporte pas de réponse, ce qui est regrettable à son sens. Des chiffres permettraient de mieux appréhender le niveau des besoins et ainsi pouvoir développer une stratégie et une feuille de route qui répondraient à ces besoins.

Le postulat demandait encore de renforcer les mesures dans le cadre scolaire afin de prévenir et de lutter contre l’illettrisme. Là, à son sens, plusieurs actions ont été menées dans le cadre scolaire, par le département, et elle l’en remercie. Il faut toutefois continuer de renforcer ces mesures. Enfin, le postulat demandait d’étudier les possibilités de mettre en place un concept quotidien de lecture, dans le cadre scolaire, à l’image de ce qui se pratique dans le cadre de l’association « Silence, on lit ». La réponse du Conseil d’Etat fait mention du « Bruit des pages », une jolie opération qui fait la promotion de la lecture avec deux actions par an. Malheureusement, cela ne contribue pas à favoriser l’apprentissage de la lecture, qui doit être quotidien pour être efficace, comme nous venons de le voir.

Lors de la discussion générale, le chef du département partage les mêmes préoccupations que la postulante. A son sens, en agissant contre l’illettrisme, on va essentiellement donner à des gens des chances d’avoir une autre vie plus indépendante, économiquement plus riche, et plus intéressante. La directrice générale adjointe de l’enseignement obligatoire (DGEO) relève, entre autres, qu’elle est en train de mettre en place des épreuves diagnostics en 3P – le repérage précoce. On va également mettre en place un projet de lecture numérique afin de voir comment l’outil numérique peut déclencher plus de plaisir ou de facilité d’accès pour certains élèves. Une députée relève que, malgré les épreuves cantonales de référence (ECR), le département dit ne pas avoir assez d’informations. Le directeur général de la DGEO répond qu’il dispose effectivement de plusieurs outils qui permettent d’évaluer le niveau dans différentes disciplines. Des examens cantonaux écrits ont été introduits l’année dernière, en place des ECR, en 10P, justement pour évaluer le niveau de compétence de manière uniforme, dans le canton. Les premiers retours de ces résultats sont en train d’être analysés. Les milieux professionnels estiment qu’il faudrait aider les élèves qui ont des troubles ou des déficiences. Le département travaille sur la question de l’accès à des prestations de type PPLS pour les apprentis, voire les gymnasiens ; en effet, la Loi sur la pédagogie spécialisée (LPS) concerne la tranche d’âge 0 à 20 ans. Parfois, quel que soit le dépistage, le chef du département confirme que des personnes passent encore entre les gouttes de tous les examens, car elles ont la capacité de se débrouiller dans la vie courante et n’ont pas été détectées. Nous parlons d’un phénomène complexe qui nécessite une analyse approfondie.

La postulante rappelle que l’importance du plaisir de lire sans sanction pédagogique ni note, ce qui aide à l’apprentissage de la lecture et elle espère que ce sera introduit dans les plans d’action. Le directeur général de l’enseignement obligatoire confirme que les bibliothèques scolaires ont été professionnalisées, en lien avec la Bibliothèque cantonale universitaire (BCU). La postulante n’était pas convaincue par le rapport, mais au vu des engagements et des explications fournies par le département, elle l’accepte finalement. Elle suggère que le département informe régulièrement des actions menées, par exemple via la Commission de gestion ou certaines commissions thématiques. C’est donc à l’unanimité des 15 commissaires présents que la commission recommande au Grand Conseil d’accepter le rapport du Conseil d’Etat.

M. Laurent Miéville (V'L) — Président-e

La discussion est ouverte.

Mme Nathalie Jaccard (VER) —

Tout d’abord, je tiens à rappeler mes intérêts : j’ai travaillé pendant plus de 15 ans à l’Association des Familles du Quart Monde et, actuellement, chez Lire et Ecrire, je suis responsable des inscriptions pour la région de La Côte. Je remercie le Conseil d’Etat pour sa réponse même si, comme l’a dit la rapporteuse, elle ne me satisfait qu’à moitié. Mon insatisfaction ne vient pas du temps pris entre le dépôt du postulat en 2017, le rapport du Conseil d’Etat fin 2022 et enfin son passage en plénum aujourd’hui, mais du fait que le postulat demandait au Conseil d’Etat :

  1. de définir les coûts de l’illettrisme dans le canton ;
  2. une statistique du nombre de personnes entre 15 et 30 ans en situation d’illettrisme ;
  3. de renforcer les mesures dans le cadre scolaire afin de prévenir et de lutter contre l’illettrisme ;
  4. d’étudier les possibilités de mettre en place un concept quotidien de lecture dans le cadre scolaire à l’image de ce qui se pratique dans le cadre de l’association « Silence, on lit ».

Or, le Conseil d’Etat ne répond pas aux deux premiers points, ce qui est regrettable quand on sait qu’environ une personne sur six est en situation d’illettrisme, en Suisse, et que la moitié des personnes dans cette situation ont suivi une scolarité ici en Suisse. Pour le canton de Vaud, selon une étude de 2012 – soit il y a plus de 10 ans – environ 12 % des élèves vaudois ont des manques en compétences de base qui les empêche de suivre une scolarité convenable ! Et comme le rappelle le Conseil d’Etat dans sa réponse, la somme des pertes de gains individuels et de celles qui en découlent pour le fisc, avec les dépenses de la collectivité en allocations de chômage et en aides sociales, se monte à 1,1 milliard de francs. L’économie de ce montant que permettrait l’éradication de l’illettrisme signifierait un gain de plus de 300 millions pour les pouvoirs publics, et un revenu amélioré de 310 millions pour l’ensemble des 24’000 personnes qui auraient quitté leur statut d’illettrés. Rapportée au niveau cantonal, l’estimation de ces coûts pourrait être ainsi de l’ordre de 100 millions. Vous conviendrez donc qu’il ne s’agit donc pas seulement d’un problème social et sociétal, mais qu’il est également économique. De plus, du point de vue de la santé, la lecture a également ses bienfaits : stimulation du cerveau, réduction du stress, amélioration du sommeil, stimulation de la capacité analytique, accroissement de l’empathie. Il serait donc urgent d’attendre pour mettre en place des mesures fortes afin de combattre ce handicap invisible ?

Il y a toutefois quelques bonnes nouvelles dans ce rapport. Dans son Programme de législature, le Conseil d’Etat a annoncé vouloir déployer un plan d’action contre l’illettrisme, en particulier dans le domaine de la formation des adultes. Et depuis le dépôt du postulat, en 2016, plusieurs actions ont été menées, décrites dans le rapport du Conseil d’Etat, afin d’améliorer la situation. Les perspectives et les projets qui devraient encore être développés sont également encourageants. Quant à l’action, « Le bruit des pages » est un bon début, mais le rythme de 2 à 3 fois par an est largement insuffisant. Si j’ai été satisfaite de lire dans la conclusion du rapport du Conseil d’Etat :« En ceci, la mise en œuvre du « bruit des pages » ou des projets similaires, comme le demandait la postulante, a sa place parmi les actions menées par l’école pour promouvoir la lecture », je me permets d’insister sur le fait qu’il est particulièrement important de développer des temps de lecture quotidiens. Ce dispositif a largement fait ses preuves dans plusieurs pays et ses coûts sont très faibles. Il est reconnu que des moments de lecture-plaisir, au quotidien, sont un antidote à l’illettrisme. Une compilation de plusieurs études révèle une corrélation entre la pratique régulière la lecture-plaisir et le niveau de compétence en littératie. Les bienfaits sont notamment significatifs lorsque des romans et des contes sont lus, comme une meilleure capacité générale de lecture et d’écriture, un vocabulaire plus large, une meilleure prise de décision, une meilleure compréhension de ce que les personnes lisent dans d’autres espaces tels que les médias sociaux, et notamment une meilleure capacité à détecter la désinformation. Pour conclure, face à la bonne volonté du Conseil d’Etat et à ses promesses, c’est du bout des lèvres que je vous invite à accepter la réponse du Conseil d’Etat, tout en restant attentive à l’évolution de la situation. Si besoin, je reviendrai vers vous.

Mme Elodie Golaz Grilli (PLR) —

Malgré le manque de chiffres actualisés pour le canton de Vaud, en Suisse, un jeune sur six sort de l’école avec un niveau de lecture et d’écriture insuffisant ! Ce chiffre a de quoi interpeller et des mesures doivent être mises en place. Afin de répondre à cette problématique, dans son rapport et lors de la commission, le Conseil d’Etat a décrit les objectifs afin que des solutions soient apportées pour lutter contre l’illettrisme. Il s’agit notamment, dès le premier cycle, d’un rituel de lecture avec deux axes : le plaisir et la technique. Dès la 3P, il y a des épreuves de diagnostics, une ECR en lecture-écriture, l’opération « le bruit des pages », ainsi que la participation des bibliothèques et de partenaires externes. L’ensemble de ces mesures permet un apprentissage plus complet et les moyens d’évaluation mis en place rapidement dans le cursus scolaire donnent l’occasion d’effectuer des dépistages et ainsi d’accompagner au mieux les élèves dans leur formation. Au vu des réponses apportées, le groupe PLR acceptera le rapport du Conseil d’Etat.

M. Jacques-André Haury (V'L) —

Madame la rapporteuse ainsi que Mme Jaccard prétendent que l’illettrisme est un problème social, sociétal, et également économique. Moi, je prétends qu’il est d’abord un problème pédagogique. Comment est-ce qu’on lutte contre l’illettrisme ? Réponse simple : en apprenant aux enfants à lire. Depuis 30 ans, avec l’Ecole vaudoise en mutation (EVM), on a voulu imposer aux enseignants – même à ceux qui avaient une longue pratique faite de succès auprès de leurs élèves – on a voulu imposer la méthode globale, c’est-à-dire une méthode dérivée du socioconstructivisme, la grande idéologie pédagogique qui a été implémentée dans notre système éducatif par EVM. Et alors, c’est avec une immense satisfaction que j’entends, 30 ans plus tard, le département dire en passant – parce qu’on n’oserait jamais dire qu’on s’est trompé ; l’administration ne se trompe jamais ! – que le livre de lecture qui est remis aux élèves de 3e année – anciennement 1re année – applique la méthode syllabique. Et en commission, la directrice générale adjointe a bien précisé que la méthodologie introduite il y a un an et demi est basée sur l’approche syllabique, dite explicite, et non plus sur l’approche globale ! Eh bien, chers collègues, je pense que c’est la clé du gros problème d’illettrisme que nous avons et que c’est une honte que l’école publique ait produit autant d’enfants illettrés ! Et puis, ma foi, le passé est passé ; je me réjouis que la raison revienne dans les instances pédagogiques. Pour le reste, demander des statistiques, des études, etc., au département, comme l’a dit le rapport de majorité, cela donnera beaucoup de travail, mais je ne sais pas si ça fera avancer le monde. Ce qui fera avancer le monde contre l’illettrisme, c’est d’utiliser des méthodes qui ont prouvé leur efficacité.

M. Frédéric Borloz (C-DEF) — Conseiller-ère d’Etat

La question de l’illettrisme reste une de nos priorités. Nous avons pu l’entendre dans les interventions des personnes qui se sont exprimées il y a un instant, les points de vue et les chemins peuvent être différents, mais nous continuons à travailler sur cette question, parce que nous espérons bien amener un plan d’action. Il pourra bien sûr être aussi pédagogique, mais peut-être pas uniquement. Nous explorons encore les situations avec les associations concernées par cette problématique. Nous regardons aussi ce qui se passe dans l’immigration, avec les flux de gens qui viennent s’installer dans notre pays et avec le développement de l’école de l’accueil. Bref, je tenais simplement à attirer votre attention sur le fait que la situation est assez complexe et surtout assez vaste, mais que nous y travaillons.

M. Laurent Miéville (V'L) — Président-e

La discussion est close.

Le rapport du Conseil d’Etat est approuvé à l’unanimité.

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