Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 9 mars 2021, point 14 de l'ordre du jour

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RC 20_POS_194 (min.)

RC 20_POS_194 (maj.)

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Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Yves Ferrari (VER) — Rapporteur-trice de majorité

Je déclare mes intérêts : je suis un homme, je ne serai donc pas le bénéficiaire de la proposition qui vous est faite de renvoyer ce postulat au Conseil d'Etat ! En revanche, je suis directement concerné par ce sujet, parce que les menstruations sont un phénomène naturel et que, sans elles, les femmes ne pourraient pas procréer et nous ne serions donc pas présents aujourd'hui…

La commission s'est réunie le 18 mai 2020, via Webex. Ce postulat est traité un jour après la journée du 8 mars sur le droit des femmes. Revenons sur quelques éléments concernant la problématique qui nous est soumise, à savoir la mise à disposition de produits de protection hygiénique. En effet, ne pas accéder à ces protections hygiéniques peut atteindre les femmes dans leur dignité, mais aussi dans leur santé et conduire parfois à une exclusion sociale. Cette problématique est donc la source d'inégalités économiques, sociales et sanitaires, et les devoirs d'une collectivité publique consistent à les réduire quand cela est possible. Dès lors, le postulat déposé permettrait d'offrir une solution simple et respectueuse aux jeunes filles et aux jeunes femmes fréquentant des lieux de formation, de combattre la précarité menstruelle, en équipant gratuitement les populations dites vulnérables. Il ne s'agit pas d'en mettre partout, mais aux endroits où la vulnérabilité peut être rencontrée, et de garantir un accès sans entrave à ces produits d'hygiène de base au personnel et aux usagers des bâtiments administratifs. Cela ne veut cependant pas dire qu'il y ait une gratuité. Tels sont les objectifs de ce postulat.

Je rappelle que, entre le moment où la commission a siégé et aujourd'hui, certains pays de l'Union européenne, comme l'Écosse, ont décidé de distribuer du matériel de protection hygiénique à l'ensemble des femmes qui avaient des menstruations.

Le Conseil d'Etat s'est prononcé en faveur d'une expérience pilote de cette démarche auprès du personnel le plus à risque face à ces problématiques. Il faut savoir que les menstruations restent encore quelque chose qui relève d'une construction sociale. On nous a appris, depuis le début des temps, qu’il s’agissait de quelque chose de « sale » ou d’une maladie, qu'il fallait se cacher et ne pas trop en parler ‑ parce que cela posait problème d'en discuter en public. Cela est foncièrement faux puisqu’il s'agit d'une manifestation naturelle sur laquelle il est impossible d'avoir un effet physique, pour éviter ce genre de désagrément.

Plusieurs arguments ont été donnés pour ne pas soutenir ce postulat ; je m'empresse de dire que ces arguments ont été facilement contrés. On nous a dit que si l'on distribuait ce type de protections aux femmes, il faudrait que les hommes puissent bénéficier de rasoirs gratuits pour pouvoir se raser. Si Mme la présidente le permet, j'enlève mon masque quelques secondes pour vous dire que je ne dois pas avoir beaucoup de choses naturelles, puisque je ne suis pas rasé ! Il s'agit aussi d'une construction sociale, mais on peut choisir ou non de se raser. Il a également été argué qu’il existait la possibilité d'obtenir ce genre de choses dans les pharmacies de premiers secours qui se trouvent dans les classes. Il a été assez clairement rappelé que les salles de classe ne possèdent pas ce genre de pharmacie de premiers secours et qu'elles ne pourraient donc pas distribuer ce type de protections hygiéniques. Par la suite, la possibilité de se rendre à l'infirmerie a aussi été évoquée. Cela a généré un large débat, car bon nombre de bâtiments scolaires sont répartis sur un territoire sans qu'une infirmerie se trouve forcément dans chacun de ces bâtiments. Il n'est donc pas possible de demander à une jeune fille de se déplacer dans un autre bâtiment scolaire pour aller chercher une protection hygiénique. Il est surtout nécessaire de rappeler que, généralement, lorsqu'on va à l'infirmerie, c'est parce qu'on a un problème. Or, avoir ses règles n'est pas avoir un problème.

En revanche, il est assez vrai — et l'on voit ainsi qu'il s'agit d'une construction sociale — que chacune et chacun d'entre nous allons régulièrement aux toilettes pour satisfaire des besoins naturels qui sont parfaitement prévisibles. Le matin, en nous levant, nous savons qu'il y a de fortes chances pour que nous devions nous rendre aux toilettes, mais malgré tout nous n’emportons pas avec nous du papier hygiénique en nous disant qu'il n’y en aura peut-être pas à disposition. Peut-être que cela paraît assez normal, parce que cela concerne tout le monde, de mettre à disposition du papier toilette dans les WC.

Cette proposition relativement mesurée ayant été combattue sur l'un des points,  la commission s’est déterminée sur une prise en considération partielle. La prise en considération partielle n'a pas été retenue par 3 voix contre 4. La commission vous propose donc de renvoyer ce postulat au Conseil d'Etat par 4 voix contre 2 et 1 abstention. Je vous recommande d'en faire de même.

Mme Florence Gross (PLR) — Rapporteur-trice de minorité 1

La minorité de la commission vous invite à ne pas renvoyer ce postulat au Conseil d'Etat, et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, les termes « libre accès » du titre portent à confusion. En effet, renvoient-ils oui ou non à une gratuité ? Cela n'est pas clair. De plus, plusieurs points sont abordés dans ce postulat, alors même qu'ils ne peuvent être pris en considération comme un tout. La postulante demande premièrement le libre accès aux protections hygiéniques dans les écoles. Si je peux admettre que les jeunes filles peuvent se retrouver dans des situations embarrassantes en période scolaire, il me semble que la situation actuelle — soit le recours à l'infirmière scolaire, voire la mise à disposition de protections au secrétariat ou auprès des enseignantes — est suffisante et correspond au libre accès souhaité par la postulante.

La tendance vers des alternatives aux tampons et serviettes hygiéniques doit également être observée, à savoir une tendance à se tourner vers de nouveaux produits de protection hygiénique ; mais la postulante n'en tient absolument pas compte. En effet, mettre en libre accès des protections hygiéniques équivaut déjà à faire un choix du type de protection, de la marque et de la taille. S'il s'agit uniquement de dépannage, l'infirmière scolaire ou la mise à disposition au secrétariat doit suffire. S'il s'agit d'une mise à disposition gratuite et permanente pour tout le monde, la postulante doit être plus claire. Le personnel pédagogique féminin est formé et responsable pour venir en aide aux jeunes filles qui en ont besoin, souvent en urgence – il est vrai. S'il s'agit d'une réponse à l'urgence, je soutiens cette idée, comme je l'ai annoncé en commission. Toutefois, ce postulat ne me permet pas d'affirmer qu'il ne s'agit que de cela et non pas d'une distribution généralisée et permanente pour toutes.

Le deuxième point du postulat concerne la mise à disposition systématique et en libre accès — donc j'imagine gratuitement — dans les bâtiments fréquentés par des populations vulnérables. Comme annoncé en commission, ce seul point mérite d'être discuté ; j'aurais pu l'accepter. Toutefois, la liste de ces bâtiments mérite d'être exhaustive, afin d'éviter toute interprétation qui induirait des généralisations et certainement des mesures mal ciblées. Prenons les hôpitaux par exemple : sont-ils uniquement fréquentés par des personnes vulnérables ? J'en doute ! Dès lors, ciblons la mesure afin qu'elle soit réellement efficace et que le principe de solidarité — solidarité financière entre autres — puisse être réellement appliqué.

Le troisième point du postulat est celui qui m'a poussée à le refuser et à présenter ce rapport de minorité. Les collaboratrices de l'Etat ont-elles réellement besoin que leur employeur mette à disposition des protections hygiéniques ? Cela favorisera-t-il vraiment la diminution de l'absentéisme, comme j'ai pu l'entendre en commission ? Certes, il est précisé qu'il s'agit de distributeurs à prix coûtant, mais cela nécessite du matériel, de l'entretien et tout cela a un coût que les contribuables ne devraient pas avoir à assumer, car cette mesure créerait de nouvelles inégalités entre collaboratrices de l'Etat et collaboratrices du privé.

Le seul argument de la postulante est la précarité. Rappelons que l'inégalité économique a maintenant été réglée au travers de la motion adoptée par le Conseil national demandant de baisser le taux de TVA de 7,7 à 2,5 % en admettant que les protections hygiéniques soient des produits de première nécessité. Je ne nie pas que la précarité existe en Suisse ou dans notre canton, mais des mesures pourraient alors être ciblées, et non pas généralisées comme le propose la postulante. Des mesures financières spécifiques sont déjà en place dans notre canton pour lutter contre la précarité, et les aides versées servent également à acheter des produits de première nécessité. Je le répète : je suis favorable à la mise à disposition pour répondre à l'urgence, mais défavorable à la généralisation et à la distribution.

Si les règles restent malheureusement un sujet tabou aujourd'hui encore, offrir des protections hygiéniques n'aura aucun impact et ne brisera pas ce tabou. La sensibilisation scolaire, la responsabilisation par le biais de l'éducation et des parents doivent plutôt être encouragées. Nous convenons tous que la menstruation est un processus naturel, cependant je n'aime pas utiliser le sujet comme un argument en faveur de l'égalité ou même de la justice. Nous sommes tous des individus, avec des avantages et des inconvénients, avec des préférences personnelles, mais aussi avec des produits d'hygiène personnelle. Il existe certainement d'autres barrières que les inégalités économiques qui fragilisent peut-être les jeunes femmes à cette étape de leur développement, certainement des entraves sociales ou encore culturelles. Ce postulat, à mon grand regret, ignore totalement ces aspects au profit d'arguments de gratuité terriblement à la mode dans notre canton, mais qui passent à côté de l'essentiel. Je vous invite donc à ne pas renvoyer ce postulat au Conseil d'Etat.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est ouverte.

Mme Muriel Thalmann (SOC) —

Non, ce postulat ne passe pas à côté de l'essentiel. En ce lendemain de la journée internationale des droits des femmes, le groupe socialiste vous invite à soutenir ce postulat qui permet de lutter contre un tabou qu'il est grand temps de lever. On peut se poser la question : pourquoi ne célèbre-t-on pas l'arrivée des premières menstruations, qui est pourtant un moment important dans la vie d'une femme ? Comme l'a dit une journaliste, si les hommes avaient leurs règles, la société aurait instauré, depuis longtemps, une fête pour les célébrer. Pourquoi ne voit-on pas l'arrivée mensuelle des règles avec joie et bonheur ? Aujourd'hui encore, il faut cacher l'arrivée des premières menstruations : c’est une réalité. Une fille n'est pas fière d'avoir ses premières règles, et il y a encore des filles qui ne savent pas ce qui leur arrive. Ce système commence à la préadolescence. Avoir ses règles reste très stigmatisant. Ainsi, dans nos établissements scolaires, des préadolescentes se retrouvent clouées sur leur siège, mortes de honte, et doivent se rendre à l'infirmerie scolaire, qui est ouverte par intermittence, voire au secrétariat de l'école. Comme l'a dit la présidente du Conseil d'Etat, obliger les jeunes filles à aller à l'infirmerie scolaire équivaut à ramener les règles à une maladie. Or, il convient de sortir l'écoulement menstruel de la logique de la maladie et de cette mise en situation de demanderesse, de quémandeuse. Par ailleurs, il est impossible de responsabiliser une préadolescente lorsque les règles sont très irrégulières. Rendre visibles les menstruations, les considérer comme quelque chose de normal, en mettant à disposition des protections hygiéniques de tous types — contrairement à ce que dit Mme la députée Gross, nous n'avons pas du tout précisé quel type de protection il fallait mettre à disposition — dans les toilettes de nos écoles, c'est rappeler que la question de la protection intime est quelque chose de normal, qu'elle n'a rien à voir avec la sexualité. C'est aussi prévenir des problèmes de santé publique. L'utilisation de tampons ou de cups demande une éducation plus importante que celle des serviettes hygiéniques ; il convient donc d'améliorer la communication de concert avec les professionnels de la santé publique. Mettre à disposition des protections hygiéniques dans les toilettes pour les femmes dans les établissements scolaires permettrait d'obtenir des avancées notoires, notamment sous l'angle de la sensibilisation, de l'éducation et de la protection du corps, afin que nos jeunes filles ne soient pas exposées à des problèmes de santé, tel le syndrome du choc toxique.

Enfin, il y a un problème social, qui a été reconnu dans d'autres pays, comme l'Écosse ou récemment la France, qui commence également à l’être chez nous, grâce à l'initiative d'associations qui distribuent gratuitement des protections hygiéniques et déposent des boîtes dans les toilettes publiques. Madame Gross, la précarité menstruelle existe bel et bien et ne signifie pas devoir payer 7,7 ou 2,5 % de TVA, mais de renoncer à l'achat de ces produits pour pouvoir payer l'essentiel. Ce type de comportement peut mener à des infections et à l'exclusion de la vie sociale. Les personnes vulnérables doivent pouvoir s’en procurer dans les centres hospitaliers ou dans les prisons. Dans ces dernières, les détenues doivent aller acheter des protections hygiéniques avec leur argent de poche, car ce n'est pas considéré comme un produit essentiel. C’est absolument intolérable.

Vous l'aurez compris, ne pas avoir accès à des protections hygiéniques au bon moment et en quantité suffisante peut déboucher sur une atteinte à la dignité, peut véhiculer un sentiment de honte, une angoisse de devoir aller en demander auprès d'une personne tierce. Cela peut aussi déboucher sur une atteinte à la santé. Le fait de ne pas changer régulièrement de protection peut amener des infections et des maladies, peut conduire à l’exclusion sociale. Cela existe aussi en Suisse ; nous avons pu voir certaines personnes en situation de précarité financière et menstruelle faire la queue à Genève — qui a centralisé la question — mais aussi dans d'autres cantons, pour obtenir des produits de première nécessité. Certaines personnes renoncent à aller à l'école, au travail ou à participer à des activités ; il s'agit donc aussi d'une exclusion sociale. Cette problématique est donc source d'inégalités économiques, sociales et sanitaires. Nous pouvons y remédier facilement, cela ne coûte pas cher et permettrait de résoudre de nombreux problèmes. Nous demandons donc au Conseil d'Etat de mettre en place les mesures suivantes :

-     offrir une solution simple et respectueuse aux jeunes femmes fréquentant des lieux de formation ;

-     combattre la précarité menstruelle en équipant gratuitement les populations dites vulnérables ;

-     garantir un accès sans entraves à ces produits d'hygiène de base au personnel et aux usagères des bâtiments administratifs et dans les toilettes publiques.

Nous parlons ici de distributeurs, comme il en existe à Tavannes, par exemple. Ces distributeurs ne coûtent pas cher. Pourquoi trouve-t-on des distributeurs de préservatifs qui ne semblent pas poser de problème ? Apparemment, comme il s'agit d'une mesure sanitaire, ce n'est pas problématique d'en installer dans les toilettes publiques. Mais lorsqu'on parle d'installer un distributeur de serviettes hygiéniques à prix coûtant, cela coûte cher, et ce n'est pas possible. J'ai du mal à suivre le raisonnement de certains d'entre vous.

Enfin, je rappelle à Mme Gross qu'un atelier consacré aux dépôts d'objets adressés au Conseil d'Etat a clairement indiqué que, dans un postulat ou une motion, ce n'est pas le titre qui fait foi, mais bien le contenu du texte. Par conséquent, inviter les députées et les députés à refuser ce postulat parce que le titre n'est peut-être pas assez exhaustif n'est pas du tout pertinent. Je vous remercie donc de soutenir ce postulat.

Mme Circé Barbezat-Fuchs (V'L) —

Effectivement, nous avons un problème avec les protections hygiéniques. Je vous avoue humblement que je pensais que les distributeurs étaient déjà répandus, mais j'ai dû faire le constat inverse. Nous avons droit aux sachets plastique, mais pas aux protections hygiéniques, dans les toilettes publiques. Mais, avec ce postulat, nous parlons également de l'école.

À titre personnel, cet été, j'ai géré une buvette dans le cadre d'une exposition en plein air. J'ai décidé de mettre gratuitement à disposition des touristes de sexe féminin des protections hygiéniques dans les toilettes. Mon constat, après plus de quatre mois d'ouverture, a été le suivant : quelques protections hygiéniques ont été prises par des clientes qui m'ont remerciée en laissant un petit mot à la place ou 50 centimes. Ainsi, pas de vol, mais plutôt un geste en faveur d'un besoin naturel qui peut avoir des conséquences dérangeantes et provoquer un sentiment de honte pour les personnes de sexe féminin de la tranche d'âge concernée, c’est-à-dire entre 13 et 51 ans en moyenne, donc environ 40 ans d'existence. Durant ces 40 ans d'existence, une femme peut ne pas toujours avoir avec elle de quoi se protéger et se prémunir de ce sentiment de honte que peut générer l'arrivée impromptue et inattendue des menstruations.

La demande du postulant vise à atténuer le potentiel sentiment de gêne et de honte chez les adolescentes et chez les jeunes femmes dans l’enseignement postobligatoire, en proposant un distributeur dans les toilettes des établissements. Si les infirmeries existent, elles ne sont pas constamment ouvertes, ou alors il n'y a pas une infirmerie pour chaque bâtiment scolaire d'une commune. Non, la solution d'une trousse contenant des protections hygiéniques dans un tiroir du bureau professoral n'est pas une excellente idée. Sincèrement, en me revoyant à cet âge, je ne suis pas sûre que je serais allée demander, devant toute la classe, une protection hygiénique à mon professeur, de surcroît si ce dernier était de sexe masculin. Je voudrais rappeler que l'idée est de proposer un moyen de pallier un souci lors d'une urgence, par exemple des menstruations qui arrivent de manière inattendue, mais aussi d'urgence liée à une précarité menstruelle. Il est aussi important de le souligner.

Enfin, un volet important de ce postulat concerne l'information et l'explication : une information sur les types de protections hygiéniques disponibles sur le marché et comment les utiliser. Comme je viens de le dire, il existe plusieurs types de protections hygiéniques. Sachez, par exemple, qu'un magasin spécialisé dans ce domaine a ouvert dans la ville de Delémont. À l'heure actuelle, plusieurs clientes de tout âge sont heureuses d'avoir enfin un lieu qui offre de réelles informations, un lieu d'échanges sur ce thème qui, pendant des décennies et encore à l'heure actuelle, a été et reste un sujet tabou. Oui, c'est une demande d'une part importante de la population, et je vous propose de commencer à la mettre en place dans des lieux comme les établissements scolaires et les services étatiques.

Comme l'a dit le rapporteur de la majorité de la commission, je tiens aussi à préciser que le Conseil d'Etat a proposé de mettre en place une expérience pilote. Nous estimons que c'est une bonne solution pour pouvoir observer l'impact économique, mais surtout social, de cette mise en place de distributeurs.

M. Nicolas Croci Torti (PLR) —

En préambule, j’aimerais vous dire qu’il est toujours un peu délicat de se prononcer sur ce genre de thématique, lorsqu’on est exempt d’utérus — vous m’excuserez, mesdames ! J’aimerais amener un éclairage par rapport à l’école. Comme vous le savez, je travaille dans une école depuis plus de 20 ans et assure la fonction de doyen depuis plus de 10 ans, dans un établissement de plus de 1000 élèves de l’Est vaudois. Cette problématique a été discutée dans le cadre de notre Conseil de direction qui, j’aimerais le préciser ici, est composé majoritairement de femmes. La discussion n’a pas mis en évidence d’unanimité. En d’autres termes, l’expérience du terrain montre que ce n’est pas un problème insurmontable. Le bon sens qui prévaut dans les relations amène les enseignant-e-s et les élèves à discuter, dans un climat de confiance. La plupart du temps, les jeunes filles se sentent suffisamment à l’aise pour échanger, faire part de leur problème le jour où cela arrive. Aujourd’hui, je ne parle pas au nom de l’ensemble des écoles, mais seulement pour mon établissement dans lequel nous ne sommes pas submergés par cette problématique. Comme cela a été dit, des protections hygiéniques sont mises à disposition des jeunes filles, que cela soit au secrétariat, ou simplement entre les jeunes filles, car l’entraide se met souvent en place. Au contraire de ce qu’a dit Mme Barbezat-Fuchs, je n’ai jamais vu de jeunes filles devoir aller devant la classe pour demander une protection hygiénique ‑ cela se passe en toute discrétion. Par conséquent, je ne crois pas que cela soit un problème majeur dans les écoles. Ainsi, la proposition de prise en considération partielle du postulat de notre collègue Florence Gross constitue une bonne solution que je vous encourage à suivre.

Mme Carine Carvalho (SOC) —

J’aimerais revenir ici sur certains arguments évoqués par la rapportrice de minorité ou par mon préopinant, qui m’étonnent un peu, car je les considère comme teintés d’une certaine mauvaise foi. D’abord, pour la question du titre du postulat et de la notion de libre accès, ceci a été clairement réglé en commission, et la distribution à prix coûtant dans les bâtiments publics a été bien définie. Ainsi, le coût de cette mise en œuvre est marginal, tout comme l’est, d’ailleurs, le fait d’installer dans les toilettes du papier hygiénique. Donner cette responsabilité aux enseignantes dans les écoles me paraît complètement abusif – elles vous remercieront d’ailleurs pour cette charge supplémentaire. Le personnel enseignant a pour fonction d’enseigner et non pas de régler un problème créé par notre société. Ainsi, un accès général serait beaucoup plus efficace et plus juste, tant pour les élèves que pour le personnel des écoles. Enfin, discuter du choix entre divers types de protections hygiéniques en plénum est absurde, puisqu’il s’agit clairement d’une réflexion qui doit être menée par le gouvernement et l’administration dans le cadre de la réponse à ce postulat. Le Conseil d’Etat a d’ailleurs proposé un projet pilote qui pourrait inclure cette réflexion.
J’aimerais terminer en disant que l’impact d’un accès plus aisé aux protections hygiéniques est potentiellement énorme. Des femmes fragilisées auraient enfin droit à leur dignité, à une meilleure santé, des générations de jeunes femmes pourraient enfin être déchargées d’une contrainte archaïque et se libérer l’esprit pour leur formation, leurs ambitions, leurs aspirations sportives, politiques ou professionnelles. Une majorité de femmes demande non pas d’économiser quelques francs, mais d’être vraiment incluse dans l’espace public et dans la vie sociale. Au fond, c’est peut-être cela que veut éviter la minorité ; je l’ignore. Je vous encourage à accepter les conclusions du rapport de majorité.

 

Mme Graziella Schaller (V'L) —

Je remercie Mme Thalman d’avoir déposé ce postulat, et je vous invite, tout comme une grande partie de mon groupe, à soutenir le rapport de majorité. Ayant travaillé pendant plusieurs années à l’Université de Lausanne, cela m’a toujours frappé de voir ‑ comme cela a été évoqué – la présence de distributeurs de préservatifs, mais l’absence de ceux de protections hygiéniques. Il est d’ailleurs étonnant que le rapport de minorité évoque la question du coût des distributeurs, alors que je suis persuadé que les vendeurs de produits hygiéniques pourraient tout à fait les installer gratuitement, comme ils le font pour les préservatifs. D’ailleurs, on peut trouver à l’université des distributeurs de produits qui chauffent le tabac, mais pas de distributeurs de protections hygiéniques ! Ma collègue Circé Barbezat-Fuchs a évoqué un magasin à Delémont ; il en existe aussi un en Suisse romande, à Renens.

Au niveau de l’information sanitaire destinée à la population, nous connaissons tous, malheureusement, le syndrome du choc toxique qui peut s’avérer très grave. Lever le tabou sur la question des règles en passant, déjà, par les mesures proposées par la postulante me paraît tout à fait pertinent. Je vous invite à soutenir le rapport de majorité.

M. Julien Eggenberger (SOC) —

Je n’avais pas particulièrement l’intention d’intervenir dans ce débat, mais suite aux affirmations de mon collègue Croci Torti, je me vois obligé de réagir. Je pense qu’il a lui-même amené la démonstration de l’intérêt que revêt le soutien à la proposition de Madame Thalmann. Je suis également enseignant depuis 20 ans, et je dois dire que jamais, dans ma carrière d’enseignant, une adolescente ne s’est adressée à moi pour demander des protections hygiéniques. Ce qui signifierait, et c’est logique, que de ma propre expérience, ce problème semble bien géré par l’institution scolaire. Or, il me semble que nous devons tous admettre qu’il n’en est rien, et qu’il nous appartient maintenant d’écouter ce que les jeunes femmes et les adolescentes disent, de constater que la réponse que l’école apporte à ce problème est insuffisante. En conclusion, je vous invite à soutenir le rapport de majorité.

Mme Rebecca Joly (VER) —

Comme mon préopinant, je ne pensais pas particulièrement intervenir dans ce débat, ce matin. Je voudrais apporter deux éclairages plus personnels. D’abord, il y a quelques années, je suis allée à Budapest et, dans presque tous les restaurants dans lesquels je me suis rendue, j’ai trouvé une petite coupelle avec des protections hygiéniques destinées aux femmes. Cela m’a fait penser que Budapest était drôlement moderne par rapport à chez nous ! Pour eux, plus sérieusement, cela fait simplement partie des produits d’hygiène de salle de bains, au même titre que du papier toilette. Finalement, cela paraît assez normal que, lorsqu’on se rend aux toilettes, il y ait du papier toilette ! Pour les femmes réglées, avoir accès à des protections hygiéniques, c’est la même chose. Cela est, par conséquent, tout à fait essentiel.

Par ailleurs, et c’est la deuxième chose que je voudrais rappeler, lorsque j’étais adolescente, que j’ai commencé avoir mes règles, à la télévision, les publicités pour les protections hygiéniques montraient du liquide bleu ! Aujourd’hui, cela nous fait sourire, même si je ne sais pas si le liquide dans les publicités a changé de couleur. Cela montre bien l’étendue du tabou, puisqu’il est impensable de montrer que le liquide qui sort du corps des femmes une fois par mois est rouge ! Dans ce contexte, on peut bien imaginer qu’il ne me serait jamais venu à l’esprit de m’adresser à ma prof de classe, même si c’était une femme qui était relativement jeune, pour lui demander une protection hygiénique, quand le message que me renvoyait la société signifiait clairement que ce liquide n’était pas montrable. C’est de ce tabou social dont nous parlons.

Le nombre de fois où, adolescente, je suis rentrée chez moi avec du papier toilette roulé en boule dans ma culotte, parce que j’avais mes règles et ne savais pas qu’elles allaient arriver, parce qu’à l’époque je n’étais pas régulière, parce qu’à l’époque je n’arrivais pas à anticiper, parce que j’avais 12 ans et autre chose à faire. C'est cela la réalité que nous vivons. Mes profs n’ont jamais su, car cela ne me serait jamais venu à l’esprit de leur dire, parce que c’est tabou, parce que l’on n’en parle jamais. De la même manière, lorsqu’il n’y a plus de papier toilette aux toilettes, vous n’allez pas demander aux profs mais à vos camarades. À l’adolescence, quand le corps change, quand le rapport à ce dernier est compliqué, il devient très difficile d’en parler avec des adultes ‑ une expérience que je partage sans doute avec toutes les femmes de cette salle. Il paraît évident que les protections hygiéniques doivent faire partie des produits d’hygiène de base. Nous devrions pouvoir y avoir accès, car nous ne parvenons pas toujours bien à anticiper. Et si, nous, femmes adultes, parvenons à anticiper ou avons toujours ce genre de protections sur nous, ce n’est pas le cas des adolescentes. Ainsi, accepter ce postulat est une évidence. Aujourd’hui, les écoles qui en font l’expérience, en Suisse ou ailleurs, livrent un retour extrêmement positif ; c’est une voie que nous devons emprunter. Malheureusement, le corps des femmes reste aujourd’hui encore beaucoup trop tabou. Il est par conséquent important que nous en parlions plus et mieux.

Mme Amélie Cherbuin (SOC) —

Mme Gross argumente contre ce postulat qui propose une distribution gratuite de protections hygiéniques dans les écoles en expliquant, entre autres, que, pour les personnes précarisées, l’aide sociale couvre les besoins de base et que, par conséquent, cette distribution est inutile. Pour moi, cet argument est totalement hors de propos. J’en veux pour preuve le fait que l’aide sociale verse le même montant pour un homme avec deux fils que pour une femme avec deux filles. Or, cette dernière doit financer les protections pour trois personnes, tous les mois, ainsi que tous les frais liés à la contraception. De ce point de vue, nous nous trouvons bien en face d’une inégalité. Dès lors, il nous semble que, pour éviter cette discrimination, le seul moyen consiste à accepter la distribution libre dans les écoles.

Mme Florence Gross (PLR) — Rapporteur-trice de minorité 1

A l’école, les jeunes femmes de ma génération s’entraidaient, et j’espère que c’est encore le cas aujourd’hui. Si le postulat part d’une bonne intention, je le répète, les mesures proposées ne résoudront pas le problème dont il est question dans ce plénum. Non, en effet, les règles ne sont pas une maladie, et personne ne peut nier que les femmes subissent des frais supplémentaires au travers de l’achat de protections hygiéniques ; mais en offrant le tout, votre proposition va trop loin. Finalement, comment évitera-t-on les réserves personnelles, les constitutions de stocks pour la famille, si tout est mis en libre disposition gratuitement ? Suite à mon interrogation, madame Thalmann, vous nous assurez de la mise à disposition de protection de tous types. Je vous laisse imaginer les conséquences d’une telle affirmation ; cela est totalement utopique. Mais, je comprends maintenant, enfin, que vous souhaitez une distribution élargie et généralisée, non pas une réponse à l’urgence.

Concernant la précarité menstruelle, et malgré l’argument de Madame Cherbuin, je le répète, je pense que les aides octroyées servent également à se procurer des produits essentiels ; si elles sont utilisées pour d’autres types d’achats, il n’est pas de notre rôle de les compenser. Madame Thalmann, si le titre de votre texte dérange, le contenu aussi. En effet, comment comparer des écoles, des hôpitaux, des prisons et des bâtiments de l’Etat ? Comme déjà annoncé en commission, j’aurais pu accepter les deux premiers. Votre texte, n’aurait-il parlé que des prisons, voire des écoles, pour les urgences uniquement, aurait rencontré mon soutien. Toutefois, la commission a refusé ma proposition de prise en considération partielle. Or, il s’agit ici d’un fourre-tout, d’une mesure arrosoir que je ne peux soutenir. Si vous souhaitez changer le tabou social, il faut vous y employer par la sensibilisation, la formation, l’éducation, non pas par de la distribution. Madame Joly, les mesures proposées par ce postulat n’amélioreront absolument pas les problématiques que vous évoquez. Madame Schaller, nous ne réglerons pas le tabou par ce postulat.

En conclusion, je tiens à rappeler que les cantons de Berne et du Valais ont récemment refusé cette même idée, tout comme je tiens à répéter que rien n’est jamais gratuit.

Mme Muriel Thalmann (SOC) —

J’adresse une pensée toute particulière à Mme Joly, puisqu’en effet, toutes les femmes ont fait l’expérience du papier roulé en boule… à de nombreuses reprises, ce qui est parfaitement inconfortable. En réponse à M. Croci Torti qui déclare que ce n’est pas un problème dans son établissement, parce qu’il en a discuté entre enseignants. Vous savez pourtant pertinemment qu’une enquête chiffrée et scientifique menée auprès des personnes concernées met en évidence un problème. Mais comme il s’agit d’un tabou, les personnes concernées ne vont surtout pas en parler, puisqu’il faut le cacher. Ces personnes veulent éviter la honte.

J’ai moi aussi pu en parler autour de moi, mais ce n’est sans doute aucunement représentatif ni scientifique ! Toujours est-il que plusieurs jeunes filles autour de moi me disent à quel point cela paraît une évidence. Un enseignant m’a raconté avoir fait l’expérience d’une jeune fille qui a dû quitter la classe toute honteuse… et de lui, qui a dû nettoyer sa chaise derrière elle. Monsieur Croci Torti, c’est véritablement un problème. Je vous invite à mener une enquête dûment scientifique pour le vérifier. Enfin, si votre établissement est sensibilisé à ce problème, parce qu’il a une direction extraordinaire et exceptionnelle, il n’en va peut-être pas de même pour tous les établissements vaudois.

Madame Gross, c’est avoir bien peu confiance en l’être humain que de penser que les femmes vont en profiter pour constituer des réserves. L’exemple de Mme Barbezat-Fuchs montrerait plutôt le contraire, puisque les femmes ont plutôt offert 50 centimes ou glissé un petit mot de remerciement ! Elles ne se sont pas du tout ruées sur la boîte pour constituer des stocks ! Je peux également citer l’exemple d’une jeune femme qui m’a expliqué que, dans son collège en Valais, ce sont elles qui se sont organisées afin de mettre une boîte dans les toilettes qu’elles approvisionnent au fur et à mesure. Le problème réside dans le fait que cela n’est pas institué, que ce n’est pas une pratique courante, qu’un jour ou l’autre, tout le monde rencontre un manque de protection sanitaire. Encore une fois, il ne s’agit pas de distribution gratuite ; toutefois, il me semble qu’aujourd’hui, quand une détenue en prison doit piocher dans son argent de poche pour payer ses protections hygiéniques, cela est problématique. En outre, qu’on ne tienne jamais compte de cette problématique – que la somme soit identique qu’il s’agisse d’une famille de trois hommes ou de trois femmes ‑ lors de l’octroi de l’aide sociale est aussi bel et bien problématique. La précarité menstruelle existe. D’ailleurs, dans le canton de Vaud, une association s’en occupe. Cela veut bien dire qu’un problème existe. Je crois plutôt véritablement qu’il s’agit de m’intenter un procès en disant que je demande une distribution gratuite de protections hygiéniques, tout comme c’est faire procès aux femmes que de sous-entendre qu’elles vont procéder à des stocks de protections hygiéniques !

Mme Pierrette Roulet-Grin (PLR) —

Faisons un grand saut en arrière ! Il y a 60 ans, j’étais adolescente et j’allais à l’école, tous les matins. Je parcourais à vélo les 8 kilomètres qui séparaient mon domicile de ma maison, tous les jours, c’était normal ‑ quand on habite à l’extérieur, on se débrouille ! Ma mère, alors, m’avait enseigné que nous sommes responsables de ce que nous faisons, qu’on prévoit ce qu’on met dans son cartable lorsqu’on va à l’école. Nous avions toujours une serviette hygiénique avec nous, même deux, même trois.

J’ai interpellé certains de mes amis, doyens ou enseignants, pour savoir comment ils réglaient ce problème. Ils m’ont répondu : « quel problème ? Vous n’allez quand même pas vous occuper de cela au Grand Conseil ? » Je leur ai répondu qu’un postulat avait été déposé à ce sujet. Ils s’en sont étonnés : « mais ce n’est pas possible ! » Ils ont ajouté qu’ils conservaient une réserve de protections hygiéniques dans leur bureau et que, lorsqu’ils oubliaient de la réapprovisionner, ils envoyaient un membre du secrétariat en acheter, et que la question était réglée ! J’estime que c’est un non-problème. La responsabilité ou la responsabilisation personnelle est enseignée par les mères aux filles ; il n’y a pas besoin de mettre des distributeurs partout pour cela.

En outre, il ne me semble pas que cela soit quelque chose d’inattendu, la périodicité est claire, et je ne pense pas qu’il s’agisse de faire une montagne ni un échafaudage de cette question. Nous savons qu’il existe des expériences-pilotes menées dans les collèges. A force de tout vouloir régler par rapport à nos jeunes, nous allons finir par les déresponsabiliser. Et c’est ce phénomène de déresponsabilisation qui me gêne le plus dans ce postulat. L’Etat veut prendre en charge des choses qui, à mon sens, sont très personnelles, qui peuvent être enseignées, vulgarisées. Par conséquent, il me semble que nous sommes complètement hors-sujet et vous prie de refuser ce postulat. Les départements qui s’occupent de nos jeunes sont eux-mêmes complètement capables d’amener des propositions si cela devait devenir un problème. Nous avons d’autres sujets à traiter au Grand Conseil.

Mme Valérie Induni (SOC) —

Je dois avouer à Mme la rapportrice de minorité que j’ai un vilain défaut : chaque fois que je sors des toilettes, je vole un rouleau de papier toilette et une grande pile de serviettes pour les mains qui sont mises à disposition gratuitement… ! Trêve de plaisanterie, ces raisonnements ne tiennent pas la route. On nous a dit qu’il s’agirait de faire payer directement les choses. Je ne dépose pas cinq centimes, lorsque je prends un coupon de papier toilette, et je pense que vous faites la même chose. Il s’agit de produits d’hygiène de base qui sont mis à disposition de toute la population. Et, vous le voyez bien, les gens respectent ces éléments. Il en sera, à mon sens, tout à fait de même pour des serviettes hygiéniques qu’on peut parfois trouver dans les toilettes des restaurants, tout comme on voit parfois à côté des planches à langer quelques langes supplémentaires ; cela fait partie des éléments de base.

À l’époque de la grippe H1N1, il a fallu enlever, en tous les cas dans les écoles de ma commune, les savons et les linges en tissu, et nous avons dû installer très rapidement des distributeurs de serviettes en papier et du savon liquide. Cela s’est fait sans rechigner, dans toutes les communes, tout à fait normalement, car l’épidémie l’exigeait. Au début de l’épidémie de coronavirus, nous avons dû commencer à mettre des masques et, souvent, il en manquait ; alors, nous étions contents d’en trouver à disposition à certains endroits, dans des commerces ou des administrations, des masques de secours pour pouvoir aller faire nos courses. C’est de tout cela qu’il est question aujourd’hui. Il n’y a rien de plus naturel pour une femme que d’avoir ses règles. C’est la vie, et c’est ce qui signifie que nous sommes des personnes qui donnons la vie. Il est, de fait, tout à fait normal que nous ayons dans les toilettes, notamment des écoles et des administrations, du matériel qui soit mis gratuitement à disposition pour les moments où nous avons oublié de nous munir de protection hygiénique.

Je suis assez étonnée d’entendre les dames qui ont pris la parole, parce que, et tout le monde le sait, il y a des périodes à l’adolescence ou à la période de la ménopause où la question de la planification s’avère beaucoup plus compliquée ; nous passons toutes par là. Je vous invite bien entendu à accepter ce postulat.

Mme Alice Genoud (VER) —

Je ne pensais pas non plus prendre la parole aujourd’hui, mais les termes de responsabilisation, de sensibilisation, amenés aujourd’hui par la droite, me chagrinent un peu. Je ne comprends pas vraiment comment il est possible de parler de sensibilisation, lorsqu’il s’agit de quelque chose d’absolument naturel, comme les règles. Ce n’est pas une question de sensibilisation, puisqu’il faut apprendre à vivre avec. Il est important que la société communique que cela est naturel.

Le débat d’aujourd’hui me paraît assez symptomatique de la manière dont nous voyons la femme aujourd’hui. Mme Roulet-Grin disait que des gens ne comprenaient pas pourquoi nous parlions de cela aujourd’hui. Au contraire, je considère que cela est extrêmement important. Pour ma part, j’ai plutôt reçu des échos contraires, c’est-à-dire des gens qui se disaient absolument satisfaits que nous puissions en parler, que cela soit mis à l’agenda politique, car même s’il s’agit d’un petit acte, comme beaucoup de petits actes ils permettent finalement d’exemplifier une problématique importante, de mettre en avant les femmes dans l’espace public, que cela soit dans les écoles ou dans un sens plus large. J’espère que ces réflexions vont en engendrer d’autres, que cela soit la question des règles ou finalement de rendre les femmes visibles dans l’espace public.

M. Jean-Luc Chollet (UDC) —

Je suis quelque part heureux et rassuré que cette noble assemblée, qui d’habitude s’exprime doctement sur des textes de loi pas toujours faciles à comprendre, consacre trois quarts d’heure à parler d’un problème, qui ne devrait pas en être en, pour le 50 % de la population de ce canton et de ce monde. J’en suis reconnaissant ; je souhaite que cela aille plus loin, que nous demandions au Conseil d’Etat son point de vue. Pour cela, il n’y a pas 36 solutions, il faut renvoyer ce postulat. C’est aussi simple que cela.

M. Jean Tschopp (SOC) —

Madame la présidente, merci d’avoir mis ce point à l’ordre du jour, même si nous ne sommes pas le 8,  mais le 9 mars. Je me souviens très bien de la journée du 14 juin 2019. J’étais sur la place Saint-François, bondée, et mes filles et mes neveux s’impatientaient, alors je suis rentré à la maison avec eux, laissant ma femme défiler avec des dizaines de milliers d’autres femmes. J’ai pu lire nombre de pancartes sur le chemin du retour et constater que le thème qui y dominait était celui du rapport des femmes à leur corps, le droit au plaisir, le droit de parler de sujets tels que celui que nous abordons aujourd’hui, c’est-à-dire la question de l’hygiène et des protections menstruelles.

Ainsi, entendre, particulièrement de la part de la droite de l’hémicycle, que cela n’est pas un sujet, que nous n’avons pas à nous en préoccuper, est aberrant, puisqu’il faudrait être sourd et aveugle à la fois pour ne pas percevoir l’enjeu de premier plan que ce sujet constitue, que cela ne doit plus être un tabou, que nous devons en parler, que la nature fait que les femmes et les hommes ne sont pas égaux face à cela. Dans nos établissements, des efforts peuvent être consentis pour permettre aux femmes d’avoir accès à des protections hygiéniques ; il s’agit d’un enjeu de dignité. Par conséquent, rendre ce combat mineur ou indiquer qu’il ne mérite pas notre attention équivaut, madame Gross, à un combat d’arrière-garde, une posture réactionnaire. Je m’étonne qu’elle rencontre quelque écho auprès des collègues de votre groupe. Nous devons véritablement prendre ce sujet au sérieux, écouter et essayer de comprendre ce que nous ont dit ces dizaines de milliers de femmes qui ont défilé le 14 juin, qui ont encore ce sujet bien en tête et qui demandent que cela soit mis à la tête de l’agenda de nos assemblées. Vous l’aurez compris, je vous invite à soutenir ce postulat.

Mme Aliette Rey-Marion (UDC) —

J’aurais pu suivre ce postulat, mais sans le point 3. Où est donc la responsabilité individuelle ? Il me semble que cela fait quand même partie de l’éducation. Je suis une femme depuis 60 ans et également mère d’une fille. Je pense à nos mères et à nos grands-mères, à tous les citoyens qui sont en train de suivre nos débats à la télévision ; ils doivent se demander sur quelle planète nous vivons. Je vous remercie de ne pas renvoyer ce postulat au Conseil d’Etat.

Mme Florence Gross (PLR) — Rapporteur-trice de minorité 1

J’aimerais ramener quelques réponses aux derniers propos. Madame Induni, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit… ou alors c’est que je me suis mal exprimée ! En effet, en fin d’intervention, vous insistez sur la question des bâtiments de l’administration. Les femmes de l’administration sont-elles réellement plus vulnérables ? Assiste-t-on, aujourd’hui, à une précarité du service public ? J’ai beaucoup de peine à le croire.

D’autres députés sont choqués par le terme « sensibilisation ». Si vous ne souhaitez pas sensibiliser, alors il va falloir accepter le fait que les règles restent taboues, car sans sensibilisation, cela le restera. Et si vous ne le souhaitez pas, cessez de vous victimiser ! Monsieur Tschopp, à aucun moment je n’ai dit que ce sujet n’était pas important. Mais, je le répète, l’accès à des protections hygiéniques, par des mesures telles que proposées par ce postulat, ne résoudra pas Le problème de fond : le tabou qui en est le vrai sujet. Et j’aime à croire que ma pensée n’est en rien réactionnaire !

M. Daniel Trolliet (SOC) —

Pour tous ceux qui minimisent la question, nous abordons ici un sujet très important, qui mérite d’y consacrer le temps nécessaire. D’ailleurs, la communauté internationale commémore chaque 28 mai une journée mondiale consacrée à l’hygiène menstruelle. En effet, ce problème bien réel ne touche pas que les contrées retirées d’Afrique ou d’Amérique du Sud, mais également les pays développés de l’Europe de l’Ouest, dont le nôtre. Pour preuve, en 2019, le Secrétariat d’Etat français à l’égalité a placé le sujet comme majeur et proposé un projet d’expérimentation sur la gratuité des protections hygiéniques.

Lorsque nous entendons des arguments qui tendent à dire qu’il n’incombe pas à l’Etat de payer les articles d’hygiène féminine qui seraient mis à disposition, cela me fait sourire. Est-ce que nos mères, nos sœurs, nos femmes et nos filles qui travaillent ne paient pas d’impôts ? Ne passent-elles pas aussi à la caisse par des salaires inférieurs aux nôtres ou alors restent à la maison et effectuent des tâches pour permettre à leur mari de faire une belle carrière ? La société, c’est aussi les femmes ! La moitié du monde !

M. Alexandre Berthoud (PLR) —

J’ai une simple question à poser au gouvernement, qui a sans doute étudié ce texte et qui va nous donner sa position. Combien ces mesures coûteraient-elles ? En francs, en investissement et en exploitation ? Merci d’avance pour votre réponse.

M. Yves Ferrari (VER) — Rapporteur-trice de majorité

Je trouve ce débat très intéressant. Lors de mes propos préliminaires, j’insistais sur le fait qu’il s’agissait d’une construction sociale, d’une habitude prise de ne pas parler de ce genre de choses, et d’estimer, parce que nous n’en parlons pas, que la situation en est exempte. Les propos tenus d’un côté comme de l’autre montrent bien que nous sommes amenés à en parler de plus en plus.

Par ailleurs, sur la question des titres des textes déposés, lorsqu’un titre est trop complet, il est considéré comme n’étant pas assez correct, alors que lorsqu’il est trop général, il n’est pas assez complet… L’intérêt que représente ce postulat, et M. Chollet l’a très justement rappelé, réside dans le fait que, pour voir si cela a du sens, il faut le renvoyer au Conseil d’Etat. Il mènera une expérience pilote, comme annoncé, et pourra évaluer dans quelles mesures cela répond à un besoin ou non. C’est bien dans ce sens que la commission vous encourage à voter le renvoi par 4 voix contre 2 et 1 abstention.

Mme Nuria Gorrite (C-DCIRH) — Conseiller-ère d'État

Le Conseil d’Etat considère ce postulat comme se situant au croisement de plusieurs politiques publiques, celle touchant l’égalité entre les hommes et les femmes, mais pas seulement, car il est à nos yeux principalement orienté vers une problématique de santé publique et peut également être lié à l’éducation. Par conséquent, nous sommes à l’intersection de trois politiques publiques intéressantes et importantes, et même de questions d’actualité, comme le rappelait un certain nombre d’intervenants, ce matin. Aussi, le Conseil d’Etat, à l’instar de M. Chollet, considère qu’il lui est utile de mener une réflexion, de ne pas la balayer d’un revers de main. C’est bien tout le sens d’un postulat, qui n’est pas contraignant en termes de modalités opérationnelles d’implémentation, un outil opportun, parce qu’il nous renvoie à une réflexion globale, laisse une grande latitude au gouvernement pour conduire une réflexion large sur les problématiques posées, et qui ne sont, de surcroît, pas inutiles dans le contexte actuel.

J’ai bien pris note qu’un certain nombre d’entre vous sont partisanes ou partisans d’une acceptation de l’ensemble des mesures décrites, quand d’autres ont exprimé un intérêt pour une prise en considération partielle d’un certain nombre de leviers et d’actions évoquées. Il s’agit de rappeler que la mise à disposition de serviettes hygiéniques, d’outils de protection hygiénique représente, pour les femmes, un besoin de base et non annexe, qui ne devrait pas être entravé. En effet, si ce dernier l’est ‑ et malheureusement l’actualité nous le rappelle ‑ alors il existe un risque de mettre en danger la santé d’un certain nombre de femmes, principalement de jeunes filles, victimes du syndrome du choc toxique. Cela nécessite donc une information large sur les risques encourus par une hygiène insuffisante en matière de protection menstruelle. Quant aux problèmes de santé liés à un usage inapproprié, notamment des tampons hygiéniques, ils sont une préoccupation pour les acteurs de l’éducation et de la santé publique. Dans ce canton, celle-ci pourrait être favorisée par la mise à disposition ou par un accès plus grandement facilité, par de la sensibilisation et de l’information visant à briser ce tabou qui, en effet, existe encore. Les députées qui se sont exprimées l’on dit ; je crois que toutes les femmes sont concernées par cette question et reconnaissent à quel point il est difficile lorsqu’on a 12 ou 13 ans d’aller s’adresser à un adulte, fût-il de confiance ou de référence, pour exprimer ce type de besoin.

Dans notre canton, actuellement, la mise à disposition de protections hygiéniques, qu’elles soient à prix coûtant ou en distribution gratuite, n’est pas une pratique courante dans les bâtiments de l’Etat. C’est pourquoi, aux yeux du Conseil d’Etat, il est nécessaire de procéder à une évaluation spécifique. Cette dernière doit également garder en tête la composante financière, et je répondrai à M. Berthoud, car nous avons déjà procédé à certaines estimations. Ainsi, si votre Grand Conseil devait donner suite à ce postulat, le Conseil d’Etat envisagerait de mener une étude sous l’égide de l’Unité de la promotion de la santé et de la prévention en milieu scolaire (UPSPS) dans une première phase pilote. Cette phase pilote d’implémentation dans les écoles obligatoires et postobligatoires permettrait à nos yeux d’analyser la faisabilité d’une généralisation et poserait les bases d’un projet de sensibilisation autour, principalement, de ses dimensions de santé publique en lien avec les protections hygiéniques et le tableau des règles. Sur la base de cette expérience, nous avons déjà procédé à une extrapolation et évalué que le coût d’achat d’un distributeur, c’est-à-dire un investissement unique, s’élève à 1000 francs. En ce qui concerne les recharges annuelles, nous avons estimé le montant d’un ordre de 800 à 1000 francs. Ce qui, vous en conviendrez, est relativement modeste. Je ne considère par conséquent pas que l’enjeu central soit ici une question de finances publiques.

En ce qui concerne la généralisation à l’ensemble des sites de l’Etat, il faut quand même admettre qu’à ce stade, on ne peut pas non plus affirmer que la mise en place soit si évidente, parce que la question touche un nombre considérable d’institutions, raison pour laquelle nous commencerions là aussi par une phase pilote dans le domaine de la formation et pourquoi pas dans les bâtiments qui proposent des prestations destinées à des populations vulnérables. Encore une fois, cette étape nous permettrait de mieux cerner les implications, notamment logistiques, puisqu’aujourd’hui s’offre aux femmes un certain choix en matière de protection menstruelle. Il s’agirait donc de savoir quel type de protection devrait être facilité par le biais de distributeurs et, surtout, la faisabilité logistique dans un déploiement sur l’ensemble ou non des bâtiments de l’Etat.

Ainsi, la réponse à ce postulat permettrait précisément à votre Grand Conseil de se déterminer sur les différentes propositions que nous vous amènerions. Il s’agit aujourd’hui d’un débat d’entrée en matière sur le principe d’accorder ou non ce mandat au Conseil d’Etat. Comme Mme Gross l’a relevé, et je partage son avis, il sera également question de sensibiliser, dès l’école, les femmes à l’importance de l’hygiène menstruelle, à cette responsabilité qui est la nôtre, et non pas de se doter uniquement d’une serviette hygiénique. En effet, des lacunes en matière d’hygiène menstruelle peuvent conduire à des situations de péjoration de la santé publique. Beaucoup de députées ont raconté leur histoire personnelle ; c’est le cas de beaucoup de femmes qui se retrouvent un jour ou l’autre, malgré le fait que nous soyons si responsables, dans une situation de palier avec les moyens du bord.

Le Conseil d’Etat est conscient que les questions qui touchent à l’intime sont évidemment toujours très sensibles, raison pour laquelle il lui semble que c’est précisément l’objet de ce postulat, et qu’il nous permettra d’y répondre de manière documentée en menant une analyse ciblée par la mise en place de phases pilotes par établissement, en essayant précisément de dépassionner cette question. Pour le Conseil d’Etat, elle revêt un caractère de santé publique important, indépendamment du fait qu’elle ne concerne que les femmes, qu’il ne s’agit pas d’une question sociale mais d’information, d’accès à des protections de base. Par conséquent, ce débat ne concerne pas uniquement votre Grand Conseil, mais plus largement les partis politiques, puisqu’on m’a signalé qu’au Conseil communal d’Yverdon-les-Bains, un député, par ailleurs UDC, a déposé un postulat qui demande la mise à disposition de protections hygiéniques gratuites pour les élèves. On voit que ce débat d’actualité transcende les questions partisanes.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est close.

Le Grand Conseil prend le postulat en considération par 68 voix contre 65 et 2 abstentions.

Mme Florence Gross (PLR) — Rapporteur-trice de minorité 1

Je demande le vote nominal.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

Cette demande est soutenue par au moins 20 députés.

Celles et ceux qui sont favorables au postulat votent oui, celles et ceux qui s’y opposent votent non ; les abstentions sont possibles.

Au vote nominal, 68 députés se prononcent en faveur de la prise en considération du postulat, 68 s’y opposent et 1 s’abstient.

* Introduire vote nominal

Le Grand Conseil prend le postulat en considération, la présidente ayant tranché en sa faveur.

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