Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 25 avril 2023, point 28 de l'ordre du jour

Texte déposé

Les problèmes de santé et d’accident au travail sont une réalité qui touchent de nombreux salarié·es en Suisse. Ils font perdre des milliers d’années de vie en bonne santé et provoquent plusieurs centaines de décès chaque année. Les coûts des problèmes de santé au travail se chiffrent par ailleurs en milliards[1]. Pourtant, les informations dont disposent les pouvoirs publics sur cette problématique demeurent fragmentaires et partielles. Par exemple, par manque de ressources, les professions ne sont actuellement pas codées dans le registre des tumeurs, ce qui empêche d’établir une relation entre ces maladies et les différentes activités professionnelles. La SUVA dispose de données exhaustives en ce qui concerne les accidents professionnels, mais les statistiques disponibles pour les maladies se limitent aux maladies professionnelles reconnues, soit sur un petit nombre de pathologies, qui n’inclut pas les maladies dites « liées » au travail, comme les maladies psychiques, dont la causalité est difficile à déterminer. Les données sur la situation des indépendant·e·s sont aussi particulièrement lacunaires compte tenu de l’absence d’affiliation obligatoire à une assurance-accident professionnelle. La pandémie de Covid a également illustré le défaut d’informations sur la santé au travail, car il s’est avéré très difficile d’estimer le nombre de contaminations intervenues sur les lieux de travail.

Ce défaut d’informations limite la capacité des autorités à mettre en œuvre des actions de prévention et des interventions visant à améliorer la santé au travail et à réduire les risques de maladie. Par exemple, il serait intéressant de pouvoir mener une étude sur l’évolution des risques en cas de fortes chaleurs dans des domaines comme la construction, afin de pouvoir prendre des mesures de prévention plus adaptées. Les études sur l’impact des gestes répétitifs ou du port de lourdes charges sur la santé manquent également. Il en va de même de celui du télétravail sur la santé mentale des salarié·e·s. Un tel défaut d’informations limite aussi la capacité des employeurs à appliquer avec toute la portée que l’on pourrait atteindre l’art. 82 de la Loi fédérale sur l’assurance-accidents, qui prévoit que l’employeur est tenu de prendre, pour prévenir les accidents et maladies professionnels, toutes les mesures dont l’expérience a démontré la nécessité, que l’état de la technique permet d’appliquer et qui sont adaptées aux conditions données.

 

Le présent postulat demande au Conseil d’État d’étudier l’opportunité de mettre sur pied, par exemple dans le cadre des activités d’Unisanté à travers un renfort conséquent des moyens budgétaires pérennes dont disposent cette institution, un Observatoire de la santé et des accidents au travail, selon les lignes directrices suivantes :

 

- récolter des informations auprès du SECO, de la SUVA, des syndicats, des entreprises, des assurances, du corps médical, du médecin cantonal, des hôpitaux, des services statistiques et les croiser entre elles afin de disposer d’informations plus complètes sur l’évolution de la santé et des accidents au travail dans le canton de Vaud

- offrir des données quantitatives et qualitatives ainsi que des analyses et indicateurs au sujet notamment des accidents au travail et de la santé au travail, ainsi que des statistiques concernant la santé en lien avec les catégories socioprofessionnelles, les niveaux d’études, et divers autres critères socio-démographiques

- introduire des déterminants socio-professionnels dans les cohortes et registres existants (p. ex. registre des tumeurs), pour permettre l’évaluation de l’impact des maladies liées au travail qui n’apparaissant pas dans les statistiques liées à la Loi fédérale sur l’assurance-accidents (LAA)

- élaborer, en partenariat avec d’autres instances comme l’Inspection du travail, des campagnes de prévention concernant la santé et les accidents au travail à l’intention des entreprises, des salarié·e·s et d’autres acteurs concernés

- élaborer, en partenariat avec d’autres instances comme l’Inspection du travail, d’autres types d’interventions publiques visant à favoriser la santé et à réduire les risques d’accidents de travail et émettre des recommandations à l’intention des responsables politiques

- collaborer avec d’autres instances publiques en charge des questions de santé et d’accidents de travail au niveau romand et suisse (par exemple l’Observatoire valaisan de la santé ou l’Office cantonal de l’inspection et des relations du travail de Genève qui a mis sur pied une Consultation interdisciplinaire sur la santé au travail) pour élaborer des campagnes de prévention et d’autres interventions coordonnées.

 

[1] Université de Genève, « Quelques chiffres sur la santé au travail », en ligne sur : https://www.unige.ch/steps/prestations/sante-securite/chiffres/

Conclusion

Renvoi à une commission avec au moins 20 signatures

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Jean-Claude GlardonSOC
Claude Nicole GrinVER
Taraneh AminianEP
Yannick MauryVER
Marc VuilleumierEP
Yves PaccaudSOC
Sylvie Pittet BlanchetteSOC
Pierre WahlenVER
Vincent KellerEP
Felix StürnerVER
Blaise VionnetV'L
Julien EggenbergerSOC
David RaedlerVER
Cendrine CachemailleSOC
Maurice Mischler
Alexandre DémétriadèsSOC
Sébastien CalaSOC
Cédric EchenardSOC
Elodie LopezEP
Eliane DesarzensSOC
Rebecca JolyVER
Céline MisiegoEP
Léonard Studer
Carine CarvalhoSOC
Sonya ButeraSOC
Salvatore GuarnaSOC

Documents

Rapport de majorité de la commission - RC 22_POS_21 maj - Gérard Mojon

Rapport de minorité de la commission - RC 22_POS_21 min - Marc Vuilleumier

22_POS_21-Texte déposé

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Gérard Mojon (PLR) — Rapporteur-trice de majorité

La Commission de santé publique – présidée par son vice-président à l’occasion de la discussion de cet objet, d’où ma présence à cette tribune – recommande au Grand Conseil de ne pas prendre en considération le postulat du député Buclin. Le postulant constate que les informations actuellement produites en Suisse sur la santé au travail sont lacunaires, la médecine du travail étant peu développée dans notre pays. A titre d’exemple, il cite le fait que les professions ne sont actuellement pas codées dans le Registre des tumeurs ou que l’information est particulièrement lacunaire dans le domaine des maladies psychiques. A ses yeux, disposer d’informations plus complètes permettrait à l’Etat de mettre en œuvre des actions de prévention beaucoup mieux ciblées.

La conseillère d’Etat en charge du Département de la santé et de l’action sociale admet l’importance de la thématique, mais rappelle que la santé au travail figure au rapport sur la politique de santé publique du canton 2018-2022 et que la Direction générale de la santé souhaite poursuivre ses efforts en la matière. A ses yeux, la création d’un observatoire de la santé serait extrêmement lourde administrativement, et d’autant plus si l’on considère l’extrême transversalité de la thématique. Elle rappelle deux éléments : d’abord, au niveau fédéral, la Commission fédérale pour la sécurité au travail a mandaté quatre organes d’exécution – la Suva, les cantons, le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) et l’Office fédéral de la santé – afin de collecter des données et de conduire des études y relatives ; ainsi du travail est donc accompli niveau fédéral. Ensuite, au niveau cantonal, Unisanté est doté d’un département exclusivement consacré à la santé au travail. Mme la conseillère d’Etat nous a précisé que, dans le cadre du contrat de prestations liant Unisanté à la Direction générale de la santé, un axe spécifique prévoit le renforcement des études, de la recherche et des interventions en santé au travail allant directement dans le sens du texte déposé.

Au niveau des prises de position des différents membres de la commission, les commissaires favorables au postulat insistent sur la pauvreté des données actuellement disponibles en matière de santé au travail et plaident pour la création d’un observatoire, au moins au niveau romand. Pour eux, le rapport du Conseil d’Etat pourrait être axé sur l’évolution des différents types de maladies professionnelles et sur les mesures de protection de la santé au travail qui pourraient y être liées. Leurs arguments font l’objet d’un rapport de minorité qui sera commenté d’ici quelques minutes.

De leur côté, les commissaires opposés au postulat constatent qu’actuellement les gens changent plusieurs fois de profession au cours de leur carrière et qu’il est ainsi particulièrement difficile d’établir un rapport de causalité clair entre une maladie donnée et une activité professionnelle particulière. Ce n’est pas parce que vous faites un apprentissage de boulanger que vous allez nécessairement terminer dans une boulangerie ; vous terminerez peut-être dans un bureau d’ingénieur.

Dans le domaine des maladies psychiques, expressément cité par le postulant, les pathologies sont très fréquemment d’origine multifactorielle, ce qui complique d’autant plus la situation. Les opposants rappellent également que les entreprises ont tout intérêt à ce que leurs employés travaillent, et donc qu’ils soient en bonne santé. A titre d’exemple, les relations et la collaboration entre les entreprises et Unisanté sont excellentes en matière de prévention des maladies et d’identification des risques.

Le postulant cite le cas du Covid et plusieurs commissaires opposés au postulat relèvent le manque de pertinence dans l’affirmation du postulant. Il s’est avéré extrêmement difficile d’estimer le nombre de contaminations intervenues en entreprise, mais on s’accorde sur le fait qu’elles étaient relativement peu nombreuses ; les entreprises n’ont donc pas constitué des foyers majeurs d’infection.

Finalement, le postulant a mentionné le fait que le télétravail pouvait provoquer un souci de santé mentale chez les salariés. C’est possible, mais cela laisse plusieurs membres de la commission songeurs, lorsqu’on sait que ce sont d’abord les employés qui demandent à télétravailler et non les employeurs. Lors du vote, la Commission de santé publique recommande au Grand Conseil de ne pas prendre en considération ce postulat par 7 voix contre 6 et 1 abstention.

M. Marc Vuilleumier (EP) — Rapporteur-trice de minorité

Il est de notoriété publique que les accidents et maladies professionnelles occasionnent des pertes de milliers d’années de vie en bonne santé et des coûts qui se chiffrent en milliards de francs, par exemple en raison de l’absentéisme, au fait de recouvrer la santé, ou à l’invalidité. Une récente étude a évalué à 6,5 milliards les coûts des seules maladies psychiques dans le monde du travail.

Avec sa proposition, le postulant veut améliorer la santé des salariés et des indépendants, en diminuant les coûts liés aux maladies et aux accidents professionnels – rien de moins, rien de plus ! Malheureusement, comme cela a été dit dans le rapport de majorité, en Suisse en général et dans le canton de Vaud, nous sommes très pauvres en données. Ainsi, il est étonnant de constater qu’aucune profession n’est codée dans le Registre des tumeurs ou que la Suva ne dispose quasiment d’aucune statistique sur les liens indirects entre un accident et une profession. Par ailleurs, de nombreux nouveaux thèmes pourraient être étudiés, notamment au niveau romand ou vaudois. Je pense par exemple aux chaleurs extrêmes dans les métiers de la construction ou à l’utilisation toujours croissante des écrans, en télétravail, mais aussi à l’épuisement lié à une pandémie comme celle que nous avons vécue et que nous pourrions vivre à nouveau, à l’avenir. Seules des études sérieuses et des données précises permettront de mettre sur pied une politique publique fiable dans le domaine de la prévention. C’est le but de ce postulat : un but simple, mais ambitieux qui prend d’ailleurs toute son importance pour les indépendants, les parents pauvres de toute politique statistique dans notre pays.

Si le postulat évoque la création d’un observatoire, le postulant nous a dit, en séance de commission, qu’il pourrait très bien s’accommoder d’un mandat supplémentaire ou d’un renforcement d’Unisanté qui travaille déjà dans ces domaines. Enfin, la mise sur pied de la politique demandée par le postulat pourrait effectivement donner une impulsion, au niveau romand. En effet, il serait encore plus intéressant de travailler sur ces données au niveau romand.

Le rapporteur de majorité vient de nous dire que c’était compliqué, pour les professions, parce que les gens changent souvent de travail ; mais si c’est compliqué, c’est une raison supplémentaire pour avoir des études précises ! Pour toutes ces raisons, je pense que ce postulat, qui a été rédigé avec des spécialistes de la santé au travail, mérite d’être renvoyé au Conseil d’Etat.

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Hadrien Buclin (EP) —

Ainsi que l’a souligné le rapporteur de la minorité, la promotion de la santé au travail en tant que politique publique en Suisse et dans le canton de Vaud peut être qualifiée de sous-développée en comparaison avec des pays voisins. Les informations dont nous disposons sur la santé au travail sont lacunaires ; l’exemple du Registre des tumeurs a été donné, je n’y reviendrai pas. Les informations sur les maladies psychiques sont incomplètes, elles aussi, notamment parce que la Suva ne récolte des données que sur un très petit nombre de pathologies dont le lien direct avec le travail est établi. Parfois, les relations de cause à effet sont complexes et multifactorielles ; il faut donc aller au-delà des quelques pathologies pour lesquelles le lien est clair et facile à établir. Cela suppose de récolter des données à une plus large échelle.

On sait que le stress et l’épuisement professionnel affectent de nombreuses travailleuses et de nombreux travailleurs en Suisse. Pour donner un ordre d’idée du phénomène, une étude a chiffré à 6,5 milliards le coût pour l’économie des arrêts de travail liés aux seules maladies psychiques. Au-delà de la souffrance générée par ces problèmes au travail, cette question du coût devrait, à mon avis, parler aux représentants des employeurs dans cet hémicycle et les convaincre de l’importance de renforcer l’action publique en la matière.

Cela a été dit par les deux rapporteurs, on constate aussi l’émergence de nouvelles formes de travail, comme le télétravail. Avec ce postulat, mon but n’est pas de dire que cette évolution serait mauvaise en soi, mais de souligner ici aussi que l’impact sur la santé, à moyen terme, de ces nouvelles formes d’activités est encore peu connu. Une récolte de données à ce sujet paraîtrait utile, à condition d’avoir les ressources pour le faire et c’est précisément ce que demande mon postulat.

En matière de prévention, la Suisse est aussi à la traine, notamment parce que le système d’assurance-maladie privé néglige presque totalement le domaine de la prévention, là encore par contraste avec des pays voisins où le système de sécurité sociale finance des politiques de prévention et récolte des informations. C’est un manque manifeste en Suisse.

Permettre à l’Etat, mais aussi à d’autres acteurs, d’acquérir une meilleure connaissance de ces problématiques permettrait d’avoir des politiques de prévention plus efficaces, plus ciblées. C’est aussi la raison pour laquelle mon postulat propose d’augmenter les moyens pour la récolte de données. Il se trouve qu’Unisanté – cela a été dit – dispose déjà de compétences et d’une certaine activité dans le domaine, notamment avec un mandat de prestations. Nous pourrions renforcer ce mandat pour permettre à Unisanté de jouer le rôle d’un véritable observatoire sur la santé et les accidents au travail, sans forcément créer une nouvelle entité, administrativement lourde, comme certains commissaires ont pu s’en inquiéter. Aujourd’hui, les moyens dévolus à Unisanté sont de 2 millions, ce qui paraît assez faible en regard du budget de l’Etat de Vaud qui dépasse 11 milliards et pour un canton peuplé de plus de 830’000 habitants.

Mon postulat suggère aussi d’autres pistes, telles que des synergies entre les organes en charge de la santé publique et d’autres services de l’Etat. Je pense en particulier à l’inspection du travail : d’après ce que je sais, dans le canton de Vaud, l’inspection du travail est très orientée sur des problématiques comme la lutte contre le travail au noir, mais elle paraît peu préoccupée par les questions liées à la santé. Peut-être qu’une collaboration plus active entre le Département de l’action sociale et le Département de l’économie qui héberge l’inspection du travail serait bénéfique ?

Ces pistes sont suggérées de manière assez souple et c’est d’ailleurs le propre d’un postulat. J’espère que le Grand Conseil confirmera l’importance de la problématique de la santé et de la prévention des accidents au travail, en renvoyant ce postulat pour qu’une réflexion et une action soient menées pour améliorer la situation.

M. David Vogel (V'L) —

Etant donné la provenance de la demande, vous l’aurez compris : le travail est dangereux pour la santé. On parle de plus de 6 milliards perdus et de milliers d’années en bonne santé de perdues. J’en profite pour signaler que l’absence de travail est aussi dangereuse pour la santé si l’on part du principe que les gens ont un moral plus bas, un manque d’estime de soi et que parfois ils perdent aussi le rôle qu’ils peuvent jouer dans la société grâce à leur travail. J’encourage donc la gauche de cet hémicycle à éviter de suivre les sirènes d’une partie de la gauche française qui considère que le mot travail rime avec souffrance et qu’il n’y a jamais rien de positif dans le travail. (Réactions dans la salle.)

Le postulat demande la création d’un observatoire de compétence cantonale… Nous aurons donc un observatoire vaudois, puis un observatoire genevois – parce que ce ne sont pas des gens comme nous – puis un observatoire valaisan… Ensuite, nous allons monter une commission interparlementaire pour coordonner les travaux des différents observatoires et, ensuite, nous aurons un observatoire national qui va coordonner les différents cantons. Cela aura une conclusion très positive : nous aurons des tas d’emplois financés par l’Etat pour créer ces observatoires. Conclusion négative : ce sera une usine à gaz et une utilisation discutable, pour le moins, des deniers de l’Etat. Pour ma part, je préfère que les universités et les hautes écoles effectuent le travail qui est demandé – à savoir étudier l’effet du travail sur la santé – et je m’oppose bien évidemment à une structure pérenne. Dès lors, je vous recommande de suivre la majorité de la commission et de classer cette demande.

M. Blaise Vionnet (V'L) —

Après la brillante intervention de mon collègue Vogel, je vais renoncer à prendre la parole, si ce n’est pour vous encourager aussi à suivre le rapport de la majorité de la commission.

M. Arnaud Bouverat (SOC) —

Je déclare mes intérêts : je suis secrétaire syndical auprès du syndicat Unia et je préside cette année l’Union syndicale vaudoise. Je voudrais revenir sur les propos tenus par M. Vogel. Je dois dire que je suis assez affligé du fait que, de toute évidence, mon cher collègue ne connait pas l’historique d’Unisanté et de la création de l’Institut universitaire romand de santé au travail, les prémices de l’unité « santé au travail » d’Unisanté. S’il avait connu ces éléments, il comprendrait que nous avons une base de travail pour des prestations, à l’échelle romande, et il n’aurait pas prononcé le discours insensé qu’il vient de tenir devant ce Parlement. (Rires.)

J’aimerais aussi revenir sur les propos du rapporteur de la majorité de la commission qui tendent à nous faire croire qu’il y a une pléthore d’activités en matière de santé au travail. C’est vrai qu’il y a de nombreuses entités nanties d’une part d’activité, en matière de prévention et d’études. Mais le fractionnement de ces responsabilités est un des gros problèmes de ce pays, avec l’assurance-accident d’un côté, l’assurance-maladie de l’autre, et les entités de surveillance du marché du travail en plus. A l’heure actuelle, la coordination entre les différents acteurs crée un nombre d’angles morts absolument phénoménal, et de ce fait, notre pays se signale, en comparaison européenne – comme le souligne le rapport de minorité – par une extrême pauvreté en matière de connaissance et de recherche sur la santé au travail. Et cela alors qu’un quart des consultations de première nécessité sont liées de près ou de loin au travail !

On l’a évoqué : les coûts de la santé augmentent aussi, en grande partie, en lien avec les atteintes à la santé au travail. Lorsqu’on regarde les statistiques, depuis 2020, dans les études, on parle toujours d’une fourchette allant de 1,6 milliard pour les atteintes directes jusqu’à 14 milliards si l’on comprend les atteintes indirectes. Le fait qu’il existe une fourchette allant approximativement de 1 à 15 devrait nous alarmer, plutôt que nous rassurer. Cela peut s’expliquer par le fait que la portée du phénomène et de ses atteintes au quotidien est mal documentée, tant pour les personnes que pour les entreprises et pour le tissu économique. En 2022, la Revue médicale suisse soulignait le manque de relève en matière de médecine du travail, non seulement en ce qui concerne la recherche, mais aussi concernant les praticiens. Et le cadre légal qui prévoit l’intervention de la médecine du travail, dans notre pays, est aussi extrêmement faible.

Tout cela m’amène à constater qu’un problème que nous ne voulons pas documenter est un problème que nous ne pouvons pas résoudre. Cela doit nous inquiéter, nous interpeller et nous amener, en tant que législateurs, à initier des démarches. La proposition de notre collègue Buclin a au moins le mérite de mettre le problème sur la table et d’envisager des pistes de solutions, même s’il est vrai qu’il n’y a pas eu de grande concertation préalable sur la création d’un observatoire de la santé au travail. Et c’est un grief que je pourrais faire à mon collègue : face à un tel projet, une concertation des acteurs serait peut-être une prémice utile. En revanche, renforcer la recherche et l’expertise en matière de santé au travail est une nécessité absolue. Dans cette optique, je soutiendrai ce postulat. S’il devait ne pas être soutenu, j’imagine qu’il sera toujours temps de revenir à la charge avec de nouveaux projets. Chers collègues, je suis effaré par la politique de l’autruche de la majorité de la commission et je la considère comme irresponsable. (Réactions dans la salle.)

M. Philippe Miauton (PLR) —

Je ne serai pas long, parce qu’il est 17 heures et que, comme de coutume, je m’exprime après mon camarade Bouverat sur ce sujet. Je déclare mes intérêts : je suis directeur de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie. Pour faire court, il s’agit aussi de signaler – et cela figure dans le rapport – que le travail des entreprises et des organisations économiques avec Unisanté est très satisfaisant et les échanges sont importants. Il est aussi important de signaler que, dans ce contexte de travaux pénibles ou de situations compliquées, les entreprises comme les entrepreneurs n’ont aucun intérêt à maintenir des problématiques qui provoquent des dégâts humains. C’est même le propre de chaque entreprise : vous avez signalé les sommes perdues pour les entreprises, en plus des problèmes humains. Dans cette problématique, il faut aussi faire confiance au monde de l’économie pour observer les situations compliquées et variées telles que les changements d’emploi et les situations spécifiques liées aux entreprises, etc.

Lors des travaux de la commission – cela se trouve dans le rapport – nous avons parlé de deux situations spécifiques, et tout d’abord du Covid. A ce sujet, j’aimerais bien voir les statistiques qui montrent que le Covid dans les entreprises aurait induit une problématique particulière, dans la mesure où le Covid a été quasiment absent des entreprises et que ces dernières n’ont pas été des foyers de propagation de la maladie. La deuxième situation spécifique concernait le télétravail. Or, ce dernier est avant tout une demande des employés. Les entrepreneurs ainsi que les employés constatent que le télétravail est certainement une bonne chose, mais que pratiqué à haute dose, il induit un manque d’une partie humaine, d’une partie de relationnel. Il n’y a aucun besoin d’une statistique particulière pour le comprendre. A mon avis, le télétravail n’est pas un élément provocateur d’une quelconque problématique.

Cela a été dit : ce n’est pas à l’échelle vaudoise que l’on trouvera la solution. Peut-être à l’échelle fédérale ? Quelque chose a été déposé à Berne à ce sujet. Ce n’est pas à l’échelle d’un seul canton que les statistiques vont amener quelque chose. Je crois à la responsabilité des entreprises et des entrepreneurs, mais je pense qu’une statistique ne pourrait pas amener de prise de conscience supplémentaire par rapport à la volonté qui existe déjà de faire en sorte que tout le monde se sente bien au travail. Je souligne également qu’avant de déposer des demandes pour une semaine de quatre jours travaillés, mais payés cinq, il faudrait faire une analyse des conséquences que cela aurait sur la santé psychique des travailleurs qui devront faire en quatre jours un quota de travail prévu pour cinq.

M. Hadrien Buclin (EP) —

Je regrette l’intervention extrêmement caricaturale de M. Vogel qui révèle une étonnante désinvolture par rapport aux problématiques de santé et d’accident au travail. On peut estimer – et c’est une position tout à fait légitime – que les pouvoirs publics en font assez, mais je pense que traiter cette question par l’ironie est un peu déplacé quand on sait que des vies humaines sont en jeu. Chaque année, il y a des morts ou des accidents, sur des chantiers ou dans des entreprises industrielles.

En ce qui concerne certaines objections formulées et notamment le fait qu’il faudrait une intervention à plus large échelle, je suis d’accord avec vous, monsieur Miauton, mais je vous invite à relire plus attentivement mon postulat qui appelle justement une meilleure synergie, entre les cantons, avec la Suva et le SECO, ainsi qu’un meilleur échange des informations. Il est vrai qu’il y a beaucoup de choses à améliorer de ce point de vue. Lorsqu’on parle avec des spécialistes de la santé au travail, on se rend compte que la multiplication des entités et des sources d’information, actuellement dans notre pays, est l’un des handicaps. C’est précisément un élément sur lequel mon postulat appelle à travailler, pour améliorer l’échange d’information entre les différentes entités existantes. Encore une fois, je vous invite à soutenir ce postulat.

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

La discussion est close.

Le Grand Conseil refuse la prise en considération du postulat par 74 voix contre 50 et 2 abstentions.

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