Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 23 novembre 2021, point 19 de l'ordre du jour

Texte déposé

La Conférence intercantonale de l’instruction publique de Suisse romande et du Tessin (CIIP) a annoncé le 9 juin 2021 une « étape clef dans l’adaptation de l’orthographe à l’état actuel de la langue ». Elle entend ainsi que l’orthographe rectifiée devienne la référence pour l’enseignement du français dans les cantons romands.

 

Il s’agit ainsi d’imposer de nouvelles règles orthographiques, découlant de 14 principes, pour l’enseignement du français dans les cantons romands.

 

Une interpellation a été déposée à ce sujet par la soussignée en juin 2021, à ce jour sans réponse du Conseil d’Etat.

 

Or, cette question de l’orthographe rectifiée pose de nombreux problèmes pratiques et ne peut être mise en vigueur sans une large consultation.

 

Cette décision de la CIIP a immédiatement suscité de vives réactions populaires et politiques, aussi bien sur la forme que sur le fond. Il n’appartient en effet pas à l’État d’intervenir dans le contenu des connaissances ni d’en modifier les règles, mais il doit le transmettre et le promouvoir.

 

Ainsi, plus de 5000 personnes ont signé une pétition demandant à la CIIP de revenir sur sa décision.

 

Il n’appartient en effet pas à l’Etat de définir le savoir, mais de le transmettre, respectivement le promouvoir. Comme le dit la loi jurassienne relative à l’usage de la langue française, l’Etat "assure un enseignement qui permet la maîtrise et suscite l'amour de la langue française." Pas plus notre Constitution que celle des autres cantons romands ne confie à l’Etat la mission de définir le contenu d’une des langues nationales ou d’en modifier les règles.

 

La décision de la CIIP s’appuie sur la réforme de l’orthographe de 1990. Or, cette dernière, après avoir suscité nombre de débats et de prises de positions les plus diverses, a été tolérée par l’Académie française. C’est ainsi qu’un ensemble de rectifications orthographiques proposées par le Conseil supérieur de la langue française a été approuvé par l’Académie française et publié en décembre 1990 dans les « Documents administratifs » du Journal officiel. Ces rectifications avaient pour but de résoudre les problèmes graphiques importants, d’éliminer les incertitudes ou les incohérences et de permettre la formation correcte des mots nouveaux qu’appelle le développement des sciences et des techniques.

 

Or, cette réforme n’a jamais été mise en œuvre de manière large. Des éditeurs scolaires français ont ainsi renoncé à intégrer la réforme de l’orthographe dans leurs manuels. De plus, il apparaît que l’adhésion des enseignant.e.s n’est pas évidente face à cette réforme. Enfin, cela posera de nombreux problèmes pratiques par exemple pour des employeurs, ayant appris l’ « ancienne » orthographe, recevant des lettres de motivation écrites avec la « nouvelle » orthographe, qu’ils considéreront comme pleines de fautes. Il faut ainsi que toute nouvelle réforme reçoive l’adhésion de toutes et tous.

 

La CIIP n’a pas consulté la Commission interparlementaire de contrôle de la Convention scolaire romande à ce sujet. Aucune consultation large n’a été menée.  Cette «simplification» de la langue française décidée unilatéralement est inacceptable tant sur le fond que sur la forme. Il n’est pas admissible de voir une entité échappant à tout contrôle démocratique définir les règles de la langue française. 

 

La présente motion demande ainsi au Conseil d’Etat de surseoir à la décision de modifier les règles orthographiques du français dans les manuels scolaires destinés aux élèves vaudois.

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Josephine Byrne GarelliPLR
Claude MatterPLR
Anne-Lise RimePLR
Florence GrossPLR
Rémy JaquierPLR
Dylan KarlenUDC
Pierre-André RomanensPLR
Aurélien ClercPLR
Nicolas SuterPLR
Jean-François CachinPLR
Guy GaudardPLR
Sergei AschwandenPLR
François CardinauxPLR
Pierre-François MottierPLR
Nicolas BolayUDC
Chantal Weidmann YennyPLR
Marion WahlenPLR
Maurice NeyroudPLR
Alain BovayPLR
Julien CuérelUDC
Jean-Daniel CarrardPLR
Daniel RuchPLR
Jean-Rémy ChevalleyPLR
Werner RiesenUDC
Carole DuboisPLR
Catherine LabouchèrePLR
Gérard MojonPLR
Daniel DeveleyPLR
Olivier PetermannPLR

Document

21_MOT_26-Texte déposé

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
Mme Florence Bettschart-Narbel (PLR) —

Le 9 juin 2021, la Conférence intercantonale de l’instruction publique de Suisse romande et du Tessin (CIIP) a annoncé une étape clé dans l’adaptation de l’orthographe à l’état actuel de la langue. Elle entend ainsi que l’orthographe rectifiée devienne la référence pour l’enseignement du français dans les cantons romands. Il s’agit d’imposer, pour l’enseignement du français dans les cantons romands, de nouvelles règles orthographiques qui découlent de quatorze principes. J’invite chacune et chacun d’entre vous à aller voir ces quatorze principes, assez parlants et qui expliquent bien quelles seront les modifications proposées, qui ne sont pas forcément des simplifications.

J’ai déposé, en juin 2021, une interpellation à ce jour sans réponse du Conseil d’Etat. Or, la question de l’orthographe rectifiée pose de nombreux problèmes pratiques et ne peut entrer en vigueur sans une large consultation. Cette décision a suscité de vives réactions populaires et politiques, aussi bien sur la forme que sur le fond. Une pétition de plus de 5'000 personnes a été déposée, demandant à la CIIP de revenir sur sa décision. En effet, cette réforme de l’orthographe date de 1990, mais n’a jamais vraiment été mise en place ni en France ni en Suisse et elle pose un certain nombre de problèmes pratiques. Des éditeurs scolaires français ont renoncé à l’intégrer dans leurs manuels et de plus, il apparaît que l’adhésion des enseignants et enseignants à cette réforme n’est pas évidente. Prenons l’exemple d’un employeur qui reçoit une lettre de motivation pour un poste. Alors qu’il a appris l’ancienne orthographe, il reçoit des lettres avec la nouvelle orthographe ; cela pourrait poser des problèmes, car il considérera que cette lettre est pleine de fautes. Il est donc important que la réforme reçoive l’adhésion de toutes et tous.

Dans ce dossier, il est également étonnant que la CIIP n’ait pas consulté la Commission interparlementaire de contrôle de la Convention scolaire romande, à ce sujet. Aucune consultation large n’a été menée. Lors de la dernière séance de la commission interparlementaire, ce sujet a été traité dans les « divers » et on nous a annoncé que ce serait traité lors de la séance suivante – je rappelle qu’elles ont lieu deux fois par année – soit en mai ou juin de l’année prochaine. C’est la raison pour laquelle je demande au Conseil d’Etat de surseoir à la décision de modifier les règles orthographiques du français dans les manuels scolaires destinés aux élèves vaudois. Je vous invite à prendre cette motion en considération immédiate et à la renvoyer au Conseil d’Etat.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Pierre Zwahlen (VER) —

L’orthographe rectifiée n’est pas du tout une décision prise en catimini. Elle est le fruit d’un processus qui a été conduit largement et qui a fait l’objet d’un rapport qui porte le doux nom d’Evolangue. Ce rapport compare notamment les pratiques linguistiques d’autres régions, au Canada, en Belgique et dans d’autres pays francophones. En fait, cette orthographe rectifiée entre dans les usages de certaines régions francophones depuis pas moins de 30 ans. Le 9 juin, la CIIP a annoncé une étape clé dans ce processus, sous l’égide de son président, le conseiller d’Etat Jean-Pierre Siggen, du parti démocrate-chrétien fribourgeois et responsable de l’éducation. Cette orthographe a l’aval de l’Académie française. J’ai eu l’occasion de dire dans d’autres débats ce que je pensais de cette institution, mais il faut bien reconnaître que l’Académie française a donné son aval. Surtout, cette orthographe rectifiée est recommandée par le Conseil supérieur de la langue française depuis 1990 – soit 31 ans. Il faut également dire que les élèves pourront continuer à appliquer la graphie traditionnelle ; les deux modalités, soit les formes rectifiée et conventionnelle, resteront admises.

Ce n’est donc pas une décision vaudoise, mais une décision qui concerne toute la Suisse francophone. Voulons-nous devenir, Vaudoises et Vaudois, les représentants d’une île de résistance, le dernier village gaulois à conserver ce qui deviendra à terme des archaïsmes de l’orthographe ? Le français évolue, heureusement. Il intègre des mots nouveaux et il est riche de ses idiomes locaux. Il est appelé à montrer de la flexibilité et de la souplesse, en regard d’un monde qui change à une vitesse extraordinaire. Cela impose aussi de le simplifier. Notre langue, qui était un joyau au XVIIIe siècle, le siècle des Lumières, qui était « l’anglais d’aujourd’hui », a malheureusement souffert de sa complexité. Aujourd’hui, nos amis alémaniques, romanches ou tessinois peinent à l’écrire. Dans mes relations de travail – j’ai eu la chance de beaucoup travailler sur le plan national – je constate ces difficultés, même parmi des personnes fort instruites. Nous devons donc nous donner quelques règles qui permettent à notre langue d’être plus accessible au monde entier. C’est ce qu’ont fait nos collègues d’autres régions francophones. C’est maintenant notre tour, en Suisse romande. Je vous recommande la lecture du petit livre d’or publié par la CIIP. C’est un petit bijou qui remet l’état de notre langue dans son contexte historique, car le français a beaucoup changé au travers des siècles. Je vous appelle à rejeter cette motion ou, au pire, à la transmettre en commission.  

M. Felix Stürner (VER) —

M. Zwahlen a déjà abordé beaucoup des points que je voulais évoquer. En tant que pratiquant, puisque je suis enseignant, je peux vous dire que, depuis une trentaine d’années, l’orthographe rectifiée telle qu’elle a été prévue en 1990 est déjà d’actualité chez les élèves et cela crée un certain nombre de mélanges. De ce point de vue, il n’y a donc rien de nouveau avec la décision de la CIIP. De plus, il faut être en accord avec nos collègues suisses-alémaniques, puisque l’orthographe germanique a elle aussi changé il y a un certain nombre d’années et qu’elle est pratiquée couramment dans les écoles. Je ne vois pas pourquoi la langue française devrait rester dans les arcanes du XVIIe siècle, alors que le reste de la langue helvétique, au sens large, évolue aujourd’hui. Je vous invite donc à ne pas retenir cette motion qui ne répond pas du tout à la réalité du terrain.   

M. Serge Melly (LIBRE) —

Ecriture épicène, écriture inclusive, majuscules contre minuscules : décidément, on court beaucoup au chevet de la langue française, en oubliant que le principal danger pour elle n’est pas tant la suppression ou non de l’accent circonflexe, mais bien l’invasion d’une langue étrangère, et ce, non pas en catimini, mais de manière effrontée, dominante et tyrannique. Ce n’est pas seulement le vendredi que l’avenir de notre langue semble bien noir ! Le problème soulevé par Mme Bettschart-Narbel est lui aussi préoccupant. Comment peut-on, en tapinois, proposer des modifications de l’orthographe, certes admises un temps par l’Académie française, mais jamais entrées en force, car ne correspondant à rien ? La suppression d’un accent sur « abîme » va-t-elle vraiment faciliter l’apprentissage de la langue française ? Et pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Le « s » en français est la marque du pluriel, alors pourquoi ne pas supprimer le « s » chaque fois qu’on utilise le « tu » du singulier ?

De réforme en réforme, on aboutira à une langue phonétique sans âme ni histoire. D’ailleurs, si on voulait vraiment une langue technique et facile à apprendre, elle existe déjà : l’esperanto propose une langue totalement logique et exempte d’exception. Mais le souvenir de la Tour de Babel est tenace et l’Organisation des Nations Unies (ONU) n’a jamais réfléchi à éventuellement l’imposer ; trop de traducteurs auraient perdu leur travail. Alors, continuons à parler un français qui évolue d’une manière naturelle et populaire, et non pas par les diktats d’une administration, même si cette dernière pense bien faire.

Le passage en commission n’étant pas vraiment nécessaire pour répondre aux questions de Mme Bettschart-Narbel et les livres étant de toute façon interdits de commission, je vous invite à renvoyer cette motion au Conseil d’Etat. Et qu’on ne me dise pas qu’il y a plus urgent ; certes, le réchauffement climatique n’arrive pas à bout de l’épidémie du coronavirus, mais la vie de tous les jours continue malgré ces deux importantes préoccupations. Napoléon Ier n’a-t-il pas rédigé les statuts de la Comédie française en plein siège de Moscou, alors qu’il semble qu’il devait avoir des soucis bien plus urgents ?

Mme Sabine Glauser Krug (VER) —

En préambule, j'annonce mes intérêts – si c'en sont : j'offre un enseignement à domicile à deux de mes enfants. Dans notre situation, comme à l'école publique, l'orthographe rectifiée est acceptée. En revanche, nous ne sommes pas obligés d'utiliser les moyens d'enseignement de l'école publique.

La voilà, cette motion tant attendue, qui vise à ancrer l'orthographe bénéficiant du « stämpel » académique dans le cursus scolaire, cela afin que surtout rien ne change et que l'on continue à enseigner une orthographe inutilement compliquée aux générations futures. Il ne faudrait pourtant pas oublier qu’une langue est faite pour être parlée ! L'orthographe n'est là que pour pouvoir communiquer de manière différée ; c'est un outil de transcription. Et spécifiquement dans le cas de la langue française, c’est un outil parfaitement contre-intuitif.

Dans son interpellation, Mme Bettschart-Narbel demandait si l’on allait demain simplifier la musique et renoncer à Mozart, parce qu’il y aurait trop de notes dans ses œuvres. Si l'écriture de la musique avait été élaborée par l'Académie française, une noire vaudrait aussi un temps, du moins la plupart du temps, et elle serait fréquemment remplacée par une blanche ou une ronde. Si une note était précédée par un silence, alors elle se transcrirait par sa version pointée, et il va de soi que, pour la dernière note d'une œuvre, on inverserait la clé de sol et de fa. Si deux notes semblables se suivaient, on les rehausserait d'un ton et on doublerait toutes les derniers dièses et les bémols de la portée. On y ajouterait des milliers d'exceptions, qui justifieraient d'organiser des concours d'écriture de musique. Et pour que la lecture soit juste, il faudrait le faire d'oreille, pour que l'harmonie soit cohérente. Mais les œuvres de Mozart, tout comme celles de Molière - qui écrivait misanthrope sans « h » - n'auraient strictement pas changé. Seules l'écriture et la lecture, et donc l'effort fourni par le musicien dans ce cas-là, en auraient été modifiées.

Pour susciter l'amour de la langue française – entendez bien la langue, pas la plume – quoi de mieux que d'en simplifier son orthographe ? Et précisément, tant que l'orthographe rectifiée ne trouvera pas sa juste place dans les manuels scolaires, les enseignants et autres personnes de référence auront de la difficulté à s'y retrouver entre ce qui est appris et ce qui est acceptable. Il est donc grand temps d'accepter l'adoption de ces simplifications. Elles devraient d’ailleurs être plus nombreuses, mais celles-ci ont le mérite d'être déjà reconnues. Il ne s'agit pas d’un nivellement par le bas, mais de privilégier les efforts d'apprentissages dans les domaines où ils ont le plus de sens : la linguistique ou l'étymologie, par exemple, et évidemment, l'expression et la prise de parole – et je peux témoigner que ça m'aurait été utile – , ou encore le choix des mots et l'usage des figures de style. Les intentions de cette motion sont claires et je vous enjoins à la refuser.

M. Julien Eggenberger (SOC) —

Ce sujet me touche particulièrement, puisque je suis enseignant de français et diplômé de l’Université de Lausanne dans cette discipline. Le poète Paul Valéry fustigeait « la criminelle orthographe de la langue française », comme le mentionne la petite brochure de la CIIP présentant la rectification de l’orthographe. Sa beauté, disait-il, ne se loge pas dans ses innombrables pièges, associés à autant de conventions et d’exceptions parfois déclinées jusqu’à l’absurde, mais elle est dans la musique des mots et d’une certaine manière, l’orthographe ne vient qu’en dernier lieu.

Parlons de cette réformette qui manque singulièrement d’ambition. Elle rectifie quelques exceptions – quatorze – dont plus personne aujourd’hui ne peut expliquer les origines. Quoi qu’en disent certains de mes préopinants, l’orthographe rectifiée est entrée dans les mœurs. La plupart des éléments modifiés sont appliqués par tout le monde, y compris les membres de cette députation. Par manque de temps, je renonce à vous proposer une petite dictée parlementaire des différents éléments rectifiés, mais je pense que vous seriez bien empruntés pour faire la différence entre les éléments rectifiés et les non rectifiés. Je vous donne trois exemples : la rectification des accents aigus et graves au futur et au conditionnel des verbes « céder » ou « espérer », et l’orthographe du mot « événement ». Ces mots sont entièrement entrés dans les mœurs et aujourd’hui personne ne reviendrait en arrière sur ces rectifications.

Il est vrai que certaines orthographes rectifiées résistent un peu, comme des totems dans un ancien temps : le « i » de « oignon », qui a pourtant varié à de nombreuses reprises, y compris dans les dictionnaires de l’Académie française. Les rectifications sont entrées dans les mœurs, simplifient la vie de tout le monde – enseignants et enseignantes, jeunes, mais aussi des députées et députés qui font moins de fautes d’orthographe dans leurs motions et postulats. La demande de Mme Bettschart-Narbel vise à consulter, mais qui consulter ? Qui sont les experts de l’orthographe ? Les linguistes ? Les enseignantes et enseignants ? Je laisserai la conseillère d’Etat expliquer comment s’est déroulé le processus, mais je n’ai pas l’impression que ce sont les personnes que vise Mme Bettschart-Narbel. Sinon, il faudrait lancer une consultation populaire sur les quatorze principes et organiser une votation pour que chacun puisse répondre par oui ou par non : faut-il mettre un accent aigu à « je cèderai »  et met-on deux accents aigus à « évènement » ? Cela ne tient pas la route. A un moment donné, il faut avancer et permettre à la langue d’avancer, car il se trouve qu’elle a avancé avec nous et les manuels doivent maintenant le refléter. Laissons le Grand Conseil en dehors des salles de classe ; pour nous occuper de nos élèves, nous avons autre chose à faire que d’avoir ces discussions.

Mme Carine Carvalho (SOC) —

On a de la peine à comprendre le sens de cette motion, tant sur la forme, puisqu’on ne sait pas ce qui est proposé en remplacement, que sur la méthode, puisqu’on ne sait pas qui devrait être consulté quand il s’agit de la langue française. Le Conseil supérieur de la langue française a déjà ratifié la clarification de la langue française, l’Académie française, tant citée en tant qu’institution de référence, l’a aussi acceptée, et la CIIP, s’appuyant sur les travaux des enseignantes et des enseignants, a elle aussi pris des décisions, et qui ne datent pas d’hier puisque celle du Conseil de la langue française date de 1990 ! On a donc de la peine à comprendre qui d’autre devrait être encore consulté.

J’aimerais recentrer le débat sur celles et ceux qui sont les plus importants ici : les élèves. Il s’agit d’une clarification des règles, et non d’une simplification. Il s’agit de dire que certaines règles de notre langue sont archaïques et n’ont plus de raison d’être. Dès lors, pour le bien des personnes qui apprennent la langue, mais aussi qui la pratiquent, clarifions les règles de la langue ! Ce n’est pas un appauvrissement de la langue, mais bien une clarification qui la rend plus robuste, et c’est là ce qui différencie une langue vivante d’une langue qui va bientôt mourir. L’élève devrait être au centre de nos préoccupations, de même que la facilité d’apprentissage. La motionnaire cite un apprenti qui devrait écrire une lettre de motivation pour un employeur ; je peux penser que l’employeur prendra beaucoup plus en considération les notes qu’a eues cet apprenti pendant son parcours scolaire que le fait qu’il écrive « événement » avec deux accents aigus. Nos élèves francophones ont de la peine et sont à la traîne dans les études, parce qu’on passe beaucoup trop de temps à apprendre des règles archaïques plutôt qu’à apprendre à argumenter, qu’à réfléchir sa langue et à l’utiliser de manière moderne. Je vais refuser cette motion.

M. Stéphane Masson (PLR) —

Il y a d’un côté les règles édictées par la langue française, approuvées ou tolérées par l’Académie française, et de l’autre il y a le pouvoir de les modifier. Dieu merci, le changement est possible ; ces règles ne sont pas inscrites dans le marbre. Ce serait faire fausse route que de se refuser le droit, parfois, d’y réfléchir et de les modifier. Toutefois, comme l’a dit M. Zwahlen, il y a une décision à prendre. Cette décision est importante. Certes, pour certains le thème de l’orthographe n’est pas important et pour d’autres il l’est plus, mais cette décision, si elle est prise, mérite consultation et d’être prise par ceux qui peuvent la prendre. A défaut d’avoir une réponse plus claire, ces derniers c’est l’autorité suprême cette de ce canton, à savoir le Grand Conseil. S’il le veut, il fera une consultation. Pour ce faire, la demande portée par cette motion est logique ; il faut que la décision soit suspendue, le temps d’une réflexion nécessaire. Je vous propose donc de soutenir la motion de Mme Bettschart-Narbel qui demande au Conseil d’Etat de surseoir à sa décision.

M. Vincent Keller (EP) —

On peut comprendre le courroux de Mme Bettschart-Narbel qui n’a toujours pas obtenu de réponse à son interpellation déposée il y a cinq mois – seulement, serai-je tenté de dire. Mais arriver en force avec une motion à prise de considération immédiate est une mesure totalement extrême – et dans ma bouche, extrême n’est pas dénué de sens ! Après la banderille contre un « c » minuscule, voilà que le PLR s’attaque à trois accents aigus : on voit quelles sont les préoccupations majeures de ce parti, à quelques mois des élections. Pourtant, dans le fond, le groupe Ensemble à Gauche et POP souhaiterait discuter de la proposition dans une commission. Il pourrait y avoir certains éléments qui n’entrent certainement pas dans la réflexion de Mme Bettschart-Narbel, comme le fait que cette orthographe rectifiée pourrait être une aide majeure à l’intégration, une facilité pour une partie de la population migrante, ou pour des élèves qui ont des difficultés de type « dys ». En effet, le français tel que nous le connaissons est particulièrement ardu et, même dans ce Parlement, on a parfois de la peine à comprendre ce que certains veulent dire, alors a fortiori écrire ! Nous pouvons accepter un état des lieux et donc une transformation de cette motion en postulat, mais avec renvoi en commission. En l’état, le groupe Ensemble à Gauche et POP refusera la prise en considération immédiate.

Mme Laurence Cretegny (PLR) —

Demandez-vous un renvoi en commission ?

M. Vincent Keller (EP) —

A défaut d’autre chose, oui !

M. Yann Glayre (UDC) —

Au mois de mars de cette année, j’ai déposé une motion relativement similaire qui visait également à favoriser un français dit académique. A cette occasion, j’avais aussi demandé un renvoi direct au Conseil d’Etat, qui n’avait pas été suivi. Dans sa majorité, le groupe UDC refusera le renvoi direct au Conseil d’Etat.

M. Philippe Vuillemin (PLR) —

Je revendiquerai jusqu’à ma mort que l’on écrive Philippe avec « Ph » même si cela ne vous plaît pas. J’ai eu l’occasion d’apprendre la langue française, et d’apprendre à parler à lire l’ancien français, cela sûrement pas dans le canton de Vaud, mais au lycée Malherbe à Caen, à l’âge de 11 ans, avec d’éminents professeurs qui ne nous prenaient pas pour des imbéciles et savaient parfaitement nous enseigner la langue française. Il est vrai que, quand je suis revenu ici, en novembre 1969, j’ai presque été saisi d’un fou rire en entendant le français qui y était pratiqué. Cela me permet de dire que l’on peut changer tous les français que l’on veut, si seul le canton de Vaud le change, ce n’est pas très utile par rapport à la francophonie. Quand on vient me dire que l’on ne sait même pas pourquoi il y a des accents, cela montre le manque de culture historique linguistique de celui qui l’affirme. Je vous suggère donc de reprendre les textes du XVI et XVIIe siècles et vous verrez que les accents ont pu remplacer certaines lettres ; à l’époque aussi, certaines lettres n’existaient pas et étaient remplacées par une petite cédille sur la lettre. Ce débat est intéressant, car il rappelle que l’Etat du Portugal avait décidé, du jour au lendemain, que le portugais ne serait plus écrit et parlé de la même façon ; cela date de l’époque de la Seconde Guerre mondiale – peut-être après. Pour moi, c’est parfaitement clair : une langue change et c’est normal. Que des gens d’une génération plus jeune puissent penser qu’il faut écrire autrement, pourquoi pas ? Mais qu’on ne vienne pas stigmatiser ceux qui veulent continuer à écrire et à parler le français comme ils l’ont toujours fait. A partir de là, j’espère que je ne devrai pas dire comme mon collègue enseignant que les histoires de la médecine ne concernent pas le Grand Conseil, mais seulement l’enceinte de mon cabinet médical.

Mme Josephine Byrne Garelli (PLR) —

Beaucoup de choses ont déjà été dites ; on a particulièrement cité l’acceptation par l’Académie française de la réforme dans les années 90, mais il faut aussi relever que beaucoup de modifications proposées à l’époque ne sont pas encore entrées complètement dans les mentalités. Je parle par exemple du mot « événement » qui longtemps été écrit avec deux « é » alors que le deuxième « è » commence gentiment à faire son chemin. De 1990 à aujourd’hui, les choses ont pris leur temps. Un autre mot, comme « maître » est accepté avec ou sans circonflexe ; pour moi cela ajoute de la complexité et de la confusion. Si l’on doit modifier aujourd’hui l’orthographe pour les élèves de maintenant, je n’ose pas imaginer la rencontre avec les enseignants de leur futur cursus à l’école secondaire, au gymnase, à l’apprentissage ou dans les Hautes écoles, quand il y aura des conflits de vue entre les professeurs et les enfants, par rapport à ce qui est juste ou non. Je pense que cette question mérite une réflexion de notre part, avant de foncer tête baissée dans cette réforme. Je soutiendrai donc la motion.

Mme Florence Bettschart-Narbel (PLR) —

Notre collègue Zwahlen a parlé d’île de résistance, mais j’aimerais dire que le canton du Jura a voté une résolution pour surseoir à la réforme de l’orthographe et que le canton de Genève a aussi voté une motion dans le même sens. Quand nos collègues Eggenberger et Carvalho demandent qui l’on veut consulter, je crois l’avoir dit dans la motion : il y a la Commission interparlementaire romande de contrôle de la convention scolaire romande. Cette commission dont je fais partie se prononce et dispose de certaines informations sur les manuels d’histoire, ou d’autres domaines et elle aurait, à tout le moins, pu être consultée sur cette question, dans la mesure où nous sommes consultés sur plusieurs autres sujets scolaires.

Quand notre collègue Keller dit que je ne me préoccupe pas de l’aide à l’intégration, je suppose qu’il n’a pas lu « le petit livre d’or » cité par notre collègue Zwahlen. Lisez-le et posez-vous la question : est-ce une vraie aide à l’intégration ? Je prends un exemple dans ce livre : il est dit que, par cohérence, tous les verbes en « eter » et « eler » ne prennent plus de doubles consonnes, mais un « è » quand la syllabe qui suit contient un « e » muet, sur le modèle des verbes « acheter » ou « démanteler », sauf les verbes « appeler » et « jeter » ainsi que leur famille qui conservent leur graphie actuelle. J’ai beau avoir bien lu et relu, je ne vois pas en quoi cela va aider à l’intégration ; il y a tout autant de difficultés qu’aujourd’hui dans la langue française. Cette réforme ne résout rien et n’est donc pas une aide à l’intégration. Un certain nombre de choses ne sont pas connues ; si vous lisez les documents sortis par la CIIP, vous verrez que ce n’est ni une simplification ni une rectification qui va faciliter l’apprentissage de l’orthographe pour les élèves.

Enfin, concernant ceux qui demandent un renvoi en commission, je vais maintenir ma demande de renvoi immédiat. En commission, nous aurions la même discussion que celle que nous avons actuellement et cela ne résoudra rien. Je vais demander au Conseil d’Etat qu’il s’adresse à la CIIP et lui dise « pour l’instant, on attend la commission de l’année prochaine et on ne fait rien sur nos manuels scolaires pendant une année. » Il n’y a pas besoin de passer par une commission où l’on aura les mêmes débats que cet après-midi ; c’est une perte de temps pour nous tous.

M. Marc-Olivier Buffat (PLR) —

Qu’est-ce que cette OGM, cette orthographe génétiquement modifiée ? Ce n’est pas une évolution de la langue qui est proposée, mais une soi-disant simplification, avec des règles tout aussi absurdes que celles qui existent aujourd’hui. Ma collègue a cité un certain nombre d’exemples ; pour ma part, je suis dans le chapitre accent grave ou aigu sur le « e » et il y en a des paragraphes. Il y a aussi les trémas, les guillemets et les tirets, comme dans « cure-dent », etc. Il y a de quoi faire de belles dictées à la Bernard Pivot ! Non, monsieur Keller, l’orthographe n’est pas une futilité. Je trouve vos propos curieusement élitistes pour un élu de la gauche de la gauche. Lorsqu’on reçoit des courriers, ou des mails qui sont presque indéchiffrables tellement il y a d’erreurs, et qu’il faut lire à haute voix pour entendre la résonnance des mots et comprendre ce qui est écrit, je pense qu’il y a du souci à se faire. M. Eggenberger nous dit « laissez-nous enseigner, on sait ce qu’on fait ». Mais dans ce Grand Conseil, où nous avons des commissions sur tous les sujets - et en particulier la justice qui en a quatre ou cinq - on constate cette lacune que j’ai déjà soulignée à de nombreuses reprises : il nous manque une commission thématique pour le domaine de l’enseignement. Il faudra bien, un jour, que ce Grand Conseil se préoccupe de cette situation.

J’ai une proposition qui va rallier l’entier des suffrages : on devrait faire l’orthographe sous forme d’émoticônes ! L’émoticône a l’avantage d’être totalement asexuée, ce qui réalise déjà le langage épicène. Tout le monde le comprend, y compris les allophones. Je vous signale que, dans mon métier d’avocat, on reçoit parfois des messages où il y a presque plus d’émoticônes que de lettres de l’alphabet. Pour ceux qui veulent aller dans le sens du moderne, je pense que c’est un pas qu’il faudra bientôt franchir.

Trêve de plaisanterie, dans un pays où l’on vote sur à peu près tout – la pêche à l’ardillon, les vaches avec ou sans cornes – il me semble que la question de l’orthographe, c’est-à-dire de la façon dont des individus communiquent les uns avec les autres, selon des règles prédéfinies pour se faire comprendre des uns des autres… C’est un juriste qui vous le dit : qu’est-ce qu’il est difficile d’interpréter des contrats lorsqu’ils sont mal rédigés ou difficilement compréhensibles. Une virgule peut avoir un impact très important – comme on le sait quand on rédige des lois.

De grâce, ne simplifions pas des choses qui complexifient encore, mais attachons-nous à enseigner l’orthographe. Le PLR s’est toujours battu pour renforcer l’orthographe et les mathématiques. Il n’y a pas urgence que pour le climat, les transports ou l’énergie ; il y a aussi urgence à faire quelque chose de beaucoup plus efficace, au niveau de l’orthographe, pour permettre à nos enfants et élèves de sortir de l’école avec un niveau qui leur permette ensuite de communiquer les uns avec les autres – ce qui est la base du langage.

En définitive, ce que je déplore le plus dans cette histoire d’orthographe, c’est le manque de discussion, car nous devons avoir ce débat et dans une région comme la Suisse romande, ce ne devrait quand même pas être si compliqué. On ne peut pas se laisser imposer des solutions qui ne font pas l’unanimité et de loin, mais apportent des difficultés simplement parce qu’un certain nombre de directeurs se sont réunis et ont décidé de faire ainsi et pas autrement. Ce n’est pas comme cela qu’une langue évolue et que les choses doivent se passer. C’est à juste titre que notre collègue demande que l’on sursoie à tout avancement dans ce dossier.  

Mme Valérie Induni (SOC) —

Nos enfants et nos élèves peuvent être heureux : au lieu de devoir apprendre l’écologie et de devoir faire des sorties dans la nature, ils pourront apprendre  grandes listes d’exceptions de règles orthographiques. Quelle chance ils ont ! Si on leur donnait aujourd’hui un oignon – avec ou sans « i » – ils pourraient pleurer un bon coup. Nous sommes en train de décider pour nos générations futures ce qui est le mieux, avec une vision bien ancienne. Notre chère langue française, on le sait, ade énormément évolué. Il semble qu’à une époque il n’y avait pas de convention orthographique et que l’orthographe pouvait s’écrire de différentes manières. Quand on prend le texte de Jean de La Fontaine La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf, on trouve une orthographe très bizarre. Il est écrit une « Grenoüille vid un bœuf qui luy sembla de belle taille ». Vous êtes d’accord : cela fait bizarre de le voir écrit ainsi. « Vid » vient sans doute de la racine latine « videre », or aujourd’hui, tout le monde trouve normal d’écrire « vit » et personne n’aurait envie d’écrire « vid ». On le voit, l’orthographe change avec les époques. Simplifier l’orthographe permet aussi d’avoir plus d’égalité entre les différents élèves, plutôt que de s’achopper sur des dictées qui vont chercher les petites exceptions – je suis sûr que vous avez tous des souvenirs de ces dictées spéciales avec des exceptions qu’on devait tous apprendre par cœur et sur lesquelles nous avons tous parfois fait de mauvaises notes. Ce temps est dépassé. Il est temps d’apprendre à évoluer avec la langue et d’accepter les conventions déjà acceptées par l’Académie française. Je vous invite à refuser cette motion.

M. Stéphane Masson (PLR) —

J’aimerais m’inscrire en faux contre les propos tenus par Vincent Keller, qui semble être le porte-parole d’une partie de cet hémicycle qui voudrait renier ce débat sous prétexte qu’il ne sert à rien, qu’il est ridicule et que l’on perd du temps. Mais quelle est triste cette société qui n’est pas capable de faire preuve d’un peu d’introspection ni de pouvoir s’offrir l’espace de quelques minutes une petite discussion sur des points importants comme l’orthographe. Cette société peut le faire, à travers son Parlement, sans porter atteinte à des causes qui sont certes plus importantes, comme le climat ou les personnes dans le besoin. On a tort de vouloir réduire le débat et de vouloir tourner la page rapidement, mais on aurait tort d’y passer trop de temps. C’est pourquoi ma collègue demande un renvoi immédiat, pour ne pas passer plus de temps en commission et cela me paraît logique. Je vous demande donc de soutenir sa motion.

Mme Muriel Thalmann (SOC) —

Monsieur Buffat, malheureusement les émoticônes sont sexuées ; certains ont de grosses lèvres rouges, d’autres de grands cils. De plus, la compréhension ne dépend pas nécessairement du fait d’orthographier correctement « oignon ». L’orthographe rectifiée ne mettra pas en danger la compréhension ; au contraire, cela permettra aux élèves de se concentrer sur l’argumentation et moins sur l’orthographe.

Mme Sabine Glauser Krug (VER) —

J’aimerais réagir aux propos de la motionnaire. Si je comprends bien, le but de la motion est de demander à ce que la Commission de surveillance de la convention scolaire romande se penche sur la question. Or, si je me souviens bien, lors de notre séance, vous avez relevé ce point et il vous a été annoncé que nous allions en parler lors de la prochaine séance. Il a également été indiqué que, dans l’immédiat, rien ne serait fait, car une telle rectification des manuels scolaires prend du temps. Si je comprends bien, avec votre motion, vous demandez que le Grand Conseil, via le Conseil d'Etat, appuie l'ordre du jour de notre prochaine séance de commission. Je me demande si cela fait vraiment sens.

M. Julien Eggenberger (SOC) —

Je remercie Philippe Vuillemin pour sa leçon d’histoire du français. Et les accents sont une création pas si ancienne ? Et concernant l’ancien français, à une époque où chacun et chacune écrivaient comme ils le pensaient, l’enseignement de l’orthographe était donc beaucoup plus simple. Notre langue souffre de son manque de transparence, occasionnant frustration et perte de temps. De tous les systèmes scolaires, ce sont ceux des pays francophones qui souffrent de cette complexité : c’est dans ces pays que les élèves passent le plus de temps à apprendre leur propre langue et c’est aussi là où ces mêmes élèves atteignent les moins bonnes performances dans leur langue régionale. Cela devrait nous interroger.

D’ailleurs, malheureusement, les rectifications dont il est question ici sont trop modestes et facultatives : l’ancienne orthographe reste autorisée. Cela dit, dans ce Grand Conseil, peu de domaines accaparent autant d’énergie que l’enseignement. Je suis fasciné de l’intérêt du groupe PLR pour notre travail, dont je comprends la cohérence : la semaine dernière, il a supprimé le volet « durabilité » dans nos classes et ainsi nous permet au moins de remplir nos leçons de français. Heureusement, les députées et députés occupés à réguler l’enseignement public évitent de se mêler de la pratique médicale, de biologie moléculaire, de physique, de chimie ou d’autres domaines. Je ne suis pas membre de la Commission thématique de santé publique, mais j’espère que les médecins ne doivent pas la consulter chaque fois qu’un protocole de traitement est modifié. Plus sérieusement, j’espère que la Commission de surveillance de la convention scolaire romande surveille le fonctionnement des instances intercantonales et non l’orthographe. Bref, laissons les linguistes, enseignantes et enseignants faire leur travail.

M. François Cardinaux (PLR) —

Je me permets de faire un peu d’histoire et de parler du Piège diabolique. Le Piège diabolique a été écrit par Sir Edgar P. Jacobs ; il avait comme principaux personnages Francis Blake et Philip Mortimer. Le Piège diabolique emmenait le personnage principal à travers le temps. Il allait dans le passé jusqu’au paléolithique, et aussi dans l’avenir. Dans l’avenir, il trouvait dans les métros de Paris une langue complètement apocalyptique qui écrivait « Pari » et cette société se détruisait. Je pense qu’on en est là. Il faut revenir à des constances logiques. Respectons notre orthographe et nos origines et tout ira bien.

Mme Cesla Amarelle — Conseiller-ère d’Etat

Concernant les questions de forme, la motion qui est analysée demande spécifiquement au Conseil d’Etat « de surseoir à la décision de modifier les règles orthographiques du français dans les manuels scolaires destinés aux élèves vaudois ». Or, par définition, à l’article 120 de la Loi sur le Grand Conseil, la motion charge le Conseil d’Etat de présenter un projet de loi ou de décret et expose le sens de la législation souhaitée. Avec plusieurs juristes, nous avons cherché en vain, dans le but exprimé par cette motion, quelle disposition légale est demandée au Conseil d’Etat. Ce dernier serait donc dans l’impossibilité de présenter un projet législatif au Grand Conseil, au risque alors de se voir reprocher de ne pas avoir répondu à l’injonction légale du Parlement. La lecture même de la demande formulée par cette motion fait, au contraire, manifestement apparaître que celle-ci ne correspond pas à la définition susmentionnée. Le Conseil d’Etat y est en effet prié de surseoir à une décision et non pas d’élaborer une règle générale et abstraite selon la définition usuelle de ce qu’est une loi. Or, cette décision de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CIIP) est consacrée et s’appuie sur l’article 8 du Concordat intercantonal HarmoS. Je vous rappelle qu’en 2006 le peuple suisse a accepté de modifier la Constitution pour faciliter l’application du concordat HarmoS. Ce concordat devait ensuite être accepté par au moins dix cantons, et le canton de Vaud l’a accepté en 2009. Dès lors, aujourd’hui, il existe une décision qui consacre des compétences. C’est ainsi que fonctionne notre démocratie : on y consacre des compétences. La CIIP dispose donc d’une compétence qui lui a été consacrée directement par le souverain, c’est-à-dire le peuple.

D’autres motions déposées ces dernières années m’ont déjà conduit à soulever la question de la conformité à la définition légale, et partant, de la difficulté subséquente d’y répondre dans le sens de la définition, que ce soit du fait qu’elles visaient à ce que le Conseil d’Etat prenne des mesures spécifiques de sa compétence, ou qu’il modifie un texte de rang non pas légal, mais réglementaire. Ce fut tout particulièrement le cas pour un certain nombre de motions. J’aimerais également relever que, parmi les différents types d’interventions parlementaires définies à l’article 109 de la LGC, les motions qui touchent à une compétence propre du Grand Conseil, soit à une compétence légale bien définie, se distinguent des postulats qui portent sur une compétence propre ou déléguée du Conseil d’Etat. Ainsi, en l’occurrence, la motion qui demande au Conseil d’Etat de prendre une décision, soit une mesure de la compétence de la CIIP, relèverait au mieux de la définition du postulat, et donc de l’article 119 de la LGC qui indique qu’il expose la mesure souhaitée ou l’objet du rapport demandé.

Concernant le fond, je commence par vous donner quelques éléments de contexte. J’aimerais dire à M. Melly que nous ne parlons pas ici de langage inclusif. Dans le cadre de la révision des moyens d’enseignement romands du français, s’est posée la question d’y intégrer les principes de la nouvelle orthographe. Depuis 1996, tous les cantons romands reconnaissent les deux graphies : la graphie traditionnelle et la nouvelle graphie, soit 14 principes adoptés en 1990 par le Conseil supérieur de la langue française, puis validés par l’Académie française. La question s’imposait, parce que la plupart des manuels récents, belges ou français, ont adopté la nouvelle orthographe. Voici maintenant plusieurs années que ces deux pays utilisent les nouvelles règles orthographiques dans leurs écoles et le décalage avec la Suisse romande devenait de plus en plus important. Dans ce dossier, la CIIP n’a pas joué les apprentis sorciers – comme je l’ai entendu ; elle ne fait qu’appliquer des règles fixées par l’Académie française et la très forte majorité des éditeurs. Ce sont des règles déjà appliquées partout ailleurs, depuis plusieurs années. Dans votre motion, madame la députée, vous dites que ce n’est pas vrai. Je dois donc malheureusement vous donner la liste : Paris-Hattier, de Boeck, Fan-In, Paris-Nathan ; toutes les utilisations de tous les éditeurs en France et en Belgique, et les dictionnaires allant du Dictionnaire de l’Académie française au Dictionnaire officiel du scrabble, le Dictionnaire d’orthographe et de difficultés du français Paris-Robert, le Dictionnaire Hachette, le Nouveau Petit Robert, le Petit Larousse illustré, et j’en passe, car la discussion est déjà longue, mais je puis vous la donner à titre de documentation personnelle. La très forte majorité de l’ensemble des dictionnaires et des éditeurs liés au matériel scolaire font usage de la nouvelle graphie.

La volonté d’harmonisation n’a pas seule prévalu dans cette décision, mais il y a aussi les avantages pédagogiques de la nouvelle orthographe. Le français est l’une des langues les plus difficiles au monde ; les jeunes francophones sont d’ailleurs parmi ceux qui passent le plus de temps à l’apprentissage de leur langue, à l’école, soit du temps qu’ils n’ont pas pour d’autres disciplines. Et malgré tout, comme le montrent plusieurs études, ils maîtrisent moins leur langue à l’écrit que les jeunes espagnols, italiens, flamands, finlandais, etc. Or, la nouvelle orthographe diminue le nombre d’exceptions inexplicables que l’on doit apprendre par cœur. Elle permet à l’enfant de se concentrer sur les règles grammaticales, qui sont bien plus déterminantes pour la qualité des textes rédigés que le maintien de quelques règles orthographiques difficiles à justifier. Elle rend donc la langue plus logique, plus facile à comprendre et à apprendre, mais sans l’appauvrir. Je rappelle que cette orthographe rectifiée constitue une adaptation très marginale de l’orthographe : elle ne concerne que 0,4 % des mots écrits dans un texte. D’ailleurs, monsieur Vuillemin, concernant les « phil », seuls « phylloxéra » et « phylum » sont concernés – et non pas « Philippe ».

Concernant l’argument que vous donnez en général du pauvre apprenti qui écrit une lettre de motivation à un futur employeur et serait discriminé par son courrier à cause de la nouvelle orthographe, je peux vous dire que, parmi les mots concernés, aucun n’est concerné par une lettre de motivation, puisque seul 0,4 % des mots écrits dans un texte sont touchés. Ce chiffre est de nature à rassurer par rapport à cette préoccupation, exprimée dans la motion : non, nos élèves ne seront pas recalés parce que leurs lettres de motivation comprendraient de nouvelles règles orthographiques et deviendraient incompréhensibles pour les employeurs. Dans l’immense majorité des cas, il n’y aura aucune différence avec les anciennes règles. Il y a fort à parier qu’un employeur ne renonce pas à un apprenti talentueux, car ce dernier a omis le deuxième « i » de « serpillière » ou a écrit « abîmes » sans circonflexe. Ces changements sont déjà entrés en force en France et en Belgique, contrairement à ce qui a été dit par certains, notamment parce qu’ils appliquent la réforme dans les écoles depuis de nombreuses années.

Sur le fond, par rapport à la demande qui vous est proposée, le canton de Vaud est le canton qui a le plus questionné le périmètre de la réforme, et notamment certains des quatorze principes qui maintenaient malgré tout des exceptions sans aller jusqu’au bout du processus de clarification évoqué. Nous nous sommes finalement ralliés à l’avis unanime des autres cantons, persuadés que les avantages de la réforme l’emportaient sur ses inconvénients. Quant à la demande de moratoire, j’informe formellement le Grand Conseil : cette demande a déjà été faite. Nous n’attendons pas les injonctions du Grand Conseil pour agir. A la suite d’une discussion au Conseil d’Etat, nous avons décidé de demander à la CIIP de surseoir de deux ans à la demande de mise en application de la réforme rectifiée. Face aux vives réactions que cela avait déclenchées – chez le PLR uniquement – et chez Jean Romain, puisque cette motion est un copié-collé de la sienne – nous avons proposé un moratoire de deux ans. Cela ne signifie pas pour autant que la décision de la CIIP a été prise à la légère ; elle est issue d’une consultation qui a impliqué tous les milieux concernés et c’est justement pour pouvoir entériner l’ensemble de ces soutiens que nous pensions utile d’avoir ce moratoire. Les directions d’école, la Fédération vaudoise des parents d’élèves, le Syndicat romand des enseignants, la Société suisse des enseignants du français, l’Association pour la défense de la langue française, les rectorats des Hautes écoles pédagogiques de toute la Suisse romande et, dans sa très grande majorité, la communauté des linguistes et des didacticiens soutiennent cette réforme.

Pour nous, un moratoire aurait pu permettre de faire connaître ce soutien. Mais il aurait aussi – et c’est pourquoi les autres cantons y étaient opposés – retardé l’ensemble des nouveaux moyens d’enseignement attendus sur le terrain. C’est pourquoi tous les autres cantons romands ont écarté cette proposition vaudoise. Aujourd’hui, Vaud est pleinement solidaire de la décision prise par la CIIP, car nous estimons que la diffusion par étapes des futurs manuels intégrant la nouvelle orthographe garantira une introduction progressive et sans dommages. Se lancer aujourd’hui dans un alleingang vaudois nous obligerait à renoncer aux nouveaux moyens d’enseignement de la CIIP et à tous les apports pédagogiques qu’ils comprennent. Cela veut dire beaucoup, puisque cela signifie que l’on rompt avec les moyens d’enseignement intercantonaux, que l’on ne fait plus confiance aux enseignants qui travaillent de manière intercantonale pour élaborer ces moyens d’enseignement et que l’on remet en cause l’article 8 du Concordat intercantonal HarmoS que le peuple a validé de manière très claire, tant au niveau fédéral que cantonal.

En conclusion, par l’action de la CIIP, l’Etat n’est pas en train de définir un savoir ; il se contente d’appliquer une réforme pratiquée partout ailleurs et qui a reçu il y a plus de 20 ans le blanc-seing de l’Académie française. Désormais, la langue française enseignée dans nos écoles sera un français académique tel qu’il est enseigné en France et en Belgique. J’aimerais d’ailleurs rappeler que l’orthographe n’est pas un savoir au même titre que la physique ou l’Histoire. Comme le rappellent beaucoup de linguistes, dont Jaffré : il est temps de redonner à l’orthographe « toute sa place, mais rien que sa place » en cessant d’en faire une institution immuable à laquelle on ne peut toucher sans courir le risque de voir s’effondrer notre langue et nos valeurs culturelles. L’orthographe doit devenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un objet pratique au service d’une communication écrite accessible au plus grand nombre. Cette réforme orthographique a suivi un processus de 30 ans avant d’arriver dans nos écoles. L’appliquer aujourd’hui, dans notre canton, c’est contribuer à la cohérence de la sphère francophone, mais c’est surtout permettre à nos élèves de mieux comprendre les règles complexes de notre langue, une langue vivante qui doit pouvoir évoluer. Pour toutes ces raisons, je vous invite à renvoyer cette motion à l’étude d’une commission et je vous rappelle que les enjeux institutionnels sont importants, parce que l’acceptation d’une telle motion nous placerait devant une impasse institutionnelle.

Mme Florence Bettschart-Narbel (PLR) —

Je vous remercie pour vos explications très complètes. Suite à vos propos, j’accepte le renvoi à une commission.

Mme Laurence Cretegny (PLR) —

La discussion est close.

La motion, cosignée par au moins 20 membres, est renvoyée à l’examen d’une commission.

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