Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 4 mai 2021, point 23 de l'ordre du jour

Texte déposé

Depuis la fin du siècle dernier, le numérique a bouleversé nos vies, en particulier la communication électronique. Pour le meilleur et pour le pire, ce mode de communication est devenu l’alpha et l’oméga de la vie professionnelle, de la vie sociale et de la vie privée. Nul besoin d’insister sur les progrès extraordinaires que la communication numérique a apportés dans tous ces aspects de nos vies. Il permet de créer du lien, de communiquer, de partager, de collaborer, etc. Mais il devient désormais de plus en plus manifeste que le développement de la communication numérique soulève de nouveaux gigantesques défis sans précédents similaires.

 

Du point de vue du bilan environnemental, la face sombre de la communication numérique apparaît malheureusement de façon de plus en plus criante. Si Internet était un pays, il serait le troisième plus gros émetteur de gaz à effet de serre après les USA et la Chine[1]. Pour les courriels spécifiquement, on estime aujourd’hui leur nombre quotidien à quelque 300 milliards sur la planète entière. Or, selon sa taille et ses pièces jointes, l’envoi d’un e-mail peut aisément consommer jusqu’à 50g de CO2, en raison des machines nécessaires à son transport sur des milliers de kilomètres et à son stockage (data centers, routeurs, ordinateurs, serveurs, etc.)[2]. Pour une personne recevant 100 mails par jours, cela représente en moyenne près d’1,5 kg de CO2 émis. Ainsi, une semaine ordinaire de mails représente environ un trajet de 50 km en voiture (avec une voiture qui consomme 8 litres/100 km). En une année, une seule personne a donc, par ses seuls e-mails reçus, fait l’équivalent d’un trajet de 2500 km en voiture... Les mails envoyés par une entreprise de 100 personnes représentent quelque 13 tonnes de CO2 par an, soit l’équivalent de 14 vols allers-retours entre Paris et New-York.

 

Du point de vue de l’utilisateur, la communication électronique et l’hyperconnectivité comportent le risque de faire sauter les barrières entre vie privée et vie professionnelle, contribuant à un stress permanent et à l’avènement d’une “Rund-um-die-Uhr-Gesellschaft”. Les attentes du monde professionnel et de l’entourage sont de plus en plus orientées vers le “tout, tout de suite” et l’immédiateté, souvent au détriment de la qualité et de la réflexion. Les communications électroniques provoquent des dérangements et des difficultés de se concentrer durablement. On estime qu’un salarié passe environ un tiers de son temps à gérer sa communication électronique, soit près de 600 heures par années[3]!

 

Ce défi gigantesque doit devenir une propriété absolue des collectivités publiques ces prochaines années, sans parler de son bilan environnemental. Le Conseil d’Etat vaudois n’est pas resté inactif en la matière: dans sa réponse à l’interpellation Nathalie Jaccard et consorts (19_INT_307), il expose les mesures de sensibilisation et de formation qui sont déjà mises en place quant à la gestion des e-mails dans le cadre de la modernisation du parc informatique de l’Etat de Vaud. Dans cette même réponse, le Conseil d’Etat indique vouloir accorder à cette question une certaine place dans sa stratégie d’éducation numérique. Dans la réponse du Conseil d’Etat à l’interpellation Marc-Olivier Buffat (20_INT_390), on apprend qu’une directive élaborée par les Archives cantonales vaudoises sur la gestion des courriels a été adoptée par le Conseil d’Etat en novembre 2020; on apprend également que diverses actions de sensibilisation sont menées auprès des collaborateurs de l’Etat de Vaud, qu’une limite de 5GB de stockage est appliquées pour les boîtes mails et que le Green Data Center de l’Etat de Vaud présente une consommation énergétique inférieure à la moyenne.

 

Ces différentes mesures sont toutes judicieuses et souhaitables, mais force est de constater qu’il manque encore une action forte à la hauteur des enjeux, en témoigne notamment le fait que les bonnes pratiques peinent à se généraliser au-delà des personnes convaincues et très bien informées. Parallèlement, l’Etat peut jouer son rôle d’exemplarité en conduisant une action à portée symbolique forte permettant de mettre ce thème à l’agenda politique, de manière à entraîner dans son sillon les entreprises et particuliers qui, de façon générale, sont encore à la peine en la matière. La pandémie de covid-19 n’a pas amélioré la situation, bien au contraire, vu le recours accru aux technologies numériques, en particulier pour la communication.

 

Par le présent postulat, les député.e.s soussigné.e.s demandent ainsi au Conseil d’Etat de mettre en place des journées sans e-mails (par exemple quatre par année) au sein de l’administration cantonale, services d’urgence ou services minimaux à la population exceptés. Ces journées pourront par exemple être mise à profit pour organiser des campagnes de sensibilisation à large échelle auprès des collaborateurs de l’Etat de Vaud, par exemple sous la forme de cours complets de gestion des e-mails et de bonnes pratiques en matière de sobriété numérique; ces journées pourraient également être mises à profit pour favoriser d’autres modes de communication et d’interactions (séminaires hors les murs, formation continue, séances d’équipes sans “interférences numériques”, sans écrans, etc.); ces journées seront aussi l’occasion de mener des campagnes de sensibilisation sur ces thèmes incitant toute la population vaudoise, entreprises et particuliers, à systématiser les bonnes pratiques en matière de sobriété numérique et à de déconnection; plus généralement, le Conseil d'Etat est invité à réduire le volume de stockage de courriels dans l'administration cantonale.

 

[1] Armelle Bohineust, “Internet, un ogre énergétique à l’appétit insatiable en électricité”, in: Le Figaro du 20/11/2019 et les références citées.

[2]Ce sont les chiffres du Carbon Litteracy Project, cf. https://carbonliteracy.com/the-carbon-cost-of-an-email/

[3]Etude du McKinsey Global Institute, cf. https://www.mckinsey.com.

Conclusion

Renvoi à une commission avec au moins 20 signatures

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Anne-Laure Métraux-BotteronVER
Marc-Olivier BuffatPLR
Jean-Christophe BirchlerV'L
Rebecca JolyVER
Blaise VionnetV'L
Didier LohriVER
Maurice Mischler
Olivier Epars
Alice GenoudVER
Sabine Glauser KrugVER
Andreas WüthrichV'L
Felix StürnerVER
Cédric EchenardSOC
Yves PaccaudSOC
Nathalie JaccardVER
Valérie InduniSOC
Anne Baehler Bech
Graziella SchallerV'L
Claude-Alain GebhardV'L
Séverine EvéquozVER
Cloé PointetV'L
David RaedlerVER
Sylvie PodioVER
Jean-Louis RadiceV'L
Sébastien PedroliSOC
Hadrien BuclinEP

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Raphaël Mahaim (VER) —

Vous connaissez la phrase que l’on retrouve parfois dans les signatures électroniques au bas des courriels : « Pensez à l’environnement et n’imprimez pas ce mail si ce n’est pas nécessaire. » Je fais partie de ceux qui pensent que cette phrase est maintenant désuète et qu’elle devrait être remplacée par la suivante : « Pensez à l’environnement et si ce n’est pas nécessaire, n’envoyez pas ce mail. » En effet, la communication électronique est devenue un enjeu environnemental, en matière de CO2, au même titre que le chauffage, les transports et d’autres.

Le développement du postulat présente une série de chiffres édifiants. On estime qu’aujourd’hui 300 milliards de courriels sont envoyés chaque jour sur la planète et on estime qu’avec quelques pièces jointes, un mail peut aller jusqu’à émettre l’équivalent de 50 grammes de CO2 si l’on tient compte de toute la chaîne nécessaire à son envoi, avec les datacenters, les serveurs, les ordinateurs, etc. Le but n’est pas de bannir l’instrument en tant que tel — je suis moi-même un utilisateur parfois frénétique des moyens de communication modernes ; il faut avoir l’humilité de l’annoncer et de le reconnaître. L’idée est d’ouvrir le débat sur ce vrai phénomène de société, dans une société qui veut l’immédiateté, le « tout tout de suite », cela parfois sans avoir véritablement appris à utiliser correctement ces moyens de communication. Un autre problème se pose d’ailleurs aussi, un sujet thématisé à l’époque par notre collègue Jean Tschopp : le droit à la déconnexion. Quand on est employé, que l’on travaille dans une structure, on n’arrive plus à poser une frontière entre la vie professionnelle et la vie privée, parce que l’on est tout le temps connecté et soumis aux demandes des collègues et de la hiérarchie, ce qui pose de réels problèmes de qualité de vie et de possibilité de vivre sans ces sollicitations. C’est là l’autre enjeu de la thématique, en termes sociaux et sociétaux.

Pour poursuivre dans la réflexion amorcée par Jean Tschopp, par Marc-Olivier Buffat lors d’une interpellation, par Nathalie Jaccard sur la question des courriels, je propose par la voie de ce postulat, de réfléchir à une idée symbolique, mais qui a le mérite de cadrer le débat et de donner un espace pour le mener. A l’image de ce qui s’est fait dans les années huitante avec les chocs pétroliers et les dimanches sans voiture, l’idée est de proposer des journées sans courriels. Il ne s’agit pas d’arrêter de travailler, car c’est là le grand paradoxe : on se dit que si l’on n’envoie plus de courriels, on ne travaille plus. Cela me permet de citer un autre chiffre invraisemblable : on estime aujourd’hui qu’un salarié passe près d’un tiers de son temps professionnel à gérer ses courriels. Nous devons garder cette donnée en tête, car elle pose une série de gros problèmes qui devront aussi être abordés. Nous proposons donc quatre jours sans courriels, afin de retrouver d’autres modes de collaboration, par exemple en profiter pour faire de la formation continue, pour faire des séances en présentiel ou des séances d’équipe, pour se couper de l’hyperconnectivité permanente pendant quelques jours par année.

Je dois aussi dire que l’idée de ce postulat m’a notamment été inspirée par le fait que, dans une vie précédente, j’avais travaillé comme juriste pour l’Etat de Genève et j’y avais suivi un cours de gestion des courriels. J’avais abordé ce cours en imaginant qu’il serait totalement inutile, qu’on allait m’apprendre des choses stupides que je connaissais déjà ; j’en suis sorti assez bouleversé par la série des petites choses que l’on peut faire pour réduire le nombre de courriels et les sollicitations qu’ils provoquent, ce qui est un réel enjeu. A l’école, on apprend à lire et à écrire, mais bizarrement on n’apprend pas à gérer ses courriels, sa communication électronique et ses écrans, alors que c’est un enjeu fondamental de l’éducation numérique. Merci aux cosignataires de ce texte, issus de plusieurs bords politiques, je tiens à le souligner. Je me réjouis déjà des débats que nous aurons en commission.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

Le postulat, cosigné par au moins 20 députés, est renvoyé à l’examen d'une commission.

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