Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 29 mars 2022, point 19 de l'ordre du jour

Texte déposé

La colline du Mormont est exploitée depuis 1953 pour son calcaire. La carrière alimente une des six cimenteries du pays et couvre environ 20% de la consommation annuelle nationale de ciment.

 

Cette activité lucrative entre en conflit avec les qualités naturelles et historiques du site qui est inscrit à l’inventaire fédéral des paysages, sites et monuments naturels d’importance nationale (IFP). L’IFP relève que « les forêts du Mormont garantissent une continuité des espaces forestiers entre les massifs du Jura et le Plateau et constituent de ce fait un passage stratégique important pour la grande faune » (p.3). Avec une végétation riche et variée la colline est un des hauts lieux botaniques du canton et fait le bonheur des randonneurs et des passionnés de la nature. Le Mormont abrite aussi un site archéologique exceptionnel classé en tant que bien culturel suisse d’importance nationale.

 

Depuis des décennies les autorités locales, cantonales et fédérales tentent de trouver un équilibre entre la nécessité d’approvisionner le pays en ciment et la volonté de préserver ce site d’importance paysagère, faunistique, naturelle et historique d’envergure nationale. En se baladant sur le site, ou en observant les flancs éventrés de la colline depuis le train qui relie Lausanne à Yverdon-les-Bains, on se rend vite compte que cet équilibre entre économie et protection de l’environnement a été rompu depuis bien longtemps.

 

En Suisse, quelque cinq millions de tonnes de ciment sont nécessaires chaque année pour nos projets d’infrastructure et de constructions. D’après un récent rapport de la Confédération sur l’approvisionnement de la Suisse en matières premières indigènes[1], 86% des besoins sont couverts aujourd’hui par les six cimenteries suisses. Différentes démarches sont en cours dans le canton de Vaud pour réduire notre dépendance au béton et favoriser l’utilisation de matériaux de construction alternatifs[2].

En 2022, l’exploitation de la carrière du Mormont arrivera à la limite du périmètre d’exploitation autorisé. Le plan directeur des carrières (PDCar) adopté en 2015 par le Grand Conseil, prévoit une extension de plusieurs hectares sur le plateau agricole de « la Birette ». Le projet prévoit l’extraction d’environ 2,8 millions de m3 de calcaire, qui offriront sept ans de réserves d’exploitation à la cimenterie. Cette extension est la septième autorisée par le canton depuis le début des activités d’extraction sur le site. Le projet de la Birette est inscrit dans un plan d’affectation cantonal (PAC) qui fait l’objet d’un recours porté par des organisations non gouvernementales et des particuliers depuis 2015.En cas de décision positive du Tribunal Fédéral sur l’acceptation du projet, les prochaines étapes seraient les suivantes : défrichement, fouilles archéologiques, décapage des sols puis exploitation de la roche. Une telle opération réduirait quasiment à néant le passage à faune identifié dans le réseau écologique cantonal. Avec cette extension, l’exploitant pourra par contre poursuivre son activité avec des matériaux locaux jusqu’en 2035.

Au-delà, de ce secteur, le PDCar identifie une réserve sur le site de « Fontaine ». Son exploitation nécessiterait une modification du PAC. Pour le reste, la zone sommitale est identifiée comme « secteur à exclure » dans le PDCar et les secteurs situés un peu plus à l’ouest sont compris dans le périmètre de l’IFP. L’inscription dans un inventaire fédéral représente toutefois une protection relative. Cela ne signifie pas qu’on ne puisse rien y faire à moyen terme. La Loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage offre en effet des possibilités d’exception pour des « intérêts équivalents ou supérieurs, d’importance nationale » (art 6 LPN). L’exploitation d'un gisement participant de manière importante à l'approvisionnement du pays pourrait ainsi être un argument suffisant pour convaincre les autorités qui nous succéderont de grignoter les derniers mètres cubes de calcaire du site, ce qui condamnerait définitivement cet anticlinal qui a pourtant résisté aux mouvements du glacier du Rhône au Quaternaire.

 

Après 70 ans d’exploitation, nous estimons qu’il est temps d’y mettre fin. S'il parait plus difficile aujourd'hui d'intervenir dans le dossier pendant par-devant le Tribunal fédéral (secteur la Birette), nous pouvons par contre, empêcher de nouvelles extensions en renforçant le statut de protection du Mormont par une décision cantonale. Ainsi, les signataires de cette motion demandent au Conseil d’Etat de lui soumettre un décret ou un projet de loi permettant de :

 

-       protéger durablement la colline du Mormont de toute nouvelle activité d’extraction ou de transformation des ressources naturelles ;

-       garantir un passage à faune fonctionnel et suffisamment généreux sur le site, quelle que soit la décision du Tribunal Fédéral sur l’extension de la Birette ;

-       planifier les actions à entreprendre pour rétablir un espace naturel de qualité (comblement et/ou reconstitution et/ou plan de renaturation des falaises et/ou toute autre mesure adéquate)

 

[1]Matières premières nécessaires à la fabrication du ciment – Besoins et état de l’approvisionnement en Suisse », swisstopo, OFEV, 2021

[2] - Motion Yves Ferrari et consorts - Sortons du bois pour valoriser nos ressources forestières (16_MOT_103) adoptée le 27 octobre 2017 par le Grand Conseil

- Pour une véritable promotion du bois comme unique matériau renouvelable (19_MOT_073), adoptée le 4 février 2020

- Motion Vassilis Venizelos – Laisse béton (21_MOT_3)

Conclusion

Renvoi à une commission avec au moins 20 signatures

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Valérie InduniSOC
Didier LohriVER
Sylvie Pittet BlanchetteSOC
Andreas WüthrichV'L
Anne Baehler Bech
Sabine Glauser KrugVER
Jean TschoppSOC
Maurice Mischler
Raphaël MahaimVER
Nathalie JaccardVER
Claude-Alain GebhardV'L
Séverine EvéquozVER
Sylvie PodioVER
Jean-Marc Nicolet
Yves FerrariVER
Anne-Laure Métraux-BotteronVER
Rebecca JolyVER
Alberto CherubiniSOC
Felix StürnerVER
David RaedlerVER
Léonard Studer
Hadrien BuclinEP
Graziella SchallerV'L
Muriel ThalmannSOC
Muriel Cuendet SchmidtSOC
Jean-Claude GlardonSOC

Documents

Rapport de majorité de la commission - RC 21_MOT_8 (maj.) - Philippe Vuillemin

Rapport de minorité de la commission - RC 21_MOT_8 (min.) - Patrick Simonin

21_MOT_8-Texte déposé

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Philippe Vuillemin (PLR) — Rapporteur-trice de majorité

Sans vous lire in extenso le rapport de majorité, mais demeurant nonobstant convaincu qu’un certain nombre de personnes nous écoutent, je vais tenter d’en tirer la substantifique moelle en laissant le soin à mes collègues de compléter mes propos.

Comme le déclare le motionnaire : tout est dans le titre ! Il dit que sa motion ne traite pas du secteur de la Birette, car il ne souhaite pas interférer dans une décision de justice. Il estime toutefois qu’avec la potentielle exploitation de la Birette, l’entreprise Holcim peut poursuivre son exploitation jusqu’en 2035, et qu’il est temps de programmer la fin de l’exploitation du site du Mormont afin de protéger durablement la colline du Mormont de toute nouvelle activité d’extraction ou de transformation des ressources naturelles.

Quant à elle, la position du Conseil d'Etat a été très étoffée. En effet, un recours au Tribunal fédéral (TF) est en cours concernant l’exploitation du secteur de la Birette. L’échange d’écritures s’est achevé à la fin du mois de mai 2021. La décision du TF devrait tomber ces prochains mois – peut-être qu’à ce sujet la conseillère d’Etat pourra nous informer. Si les recourants sont déboutés, l’exploitation de la Birette aura lieu, en vertu du principe de la protection des droits acquis.

Plusieurs instruments sont disponibles afin d’assurer la protection du reste du site du Mormont :

  • en dehors de la carrière actuelle, du secteur de la Birette et du secteur de la Fontaine, le massif du Mormont est inscrit à l’Inventaire fédéral des paysages, sites et monuments naturels d’importance nationale (IFP) ;
  • il est prévu que tout projet d’extension ne puisse être envisagé que s’il s’inscrit dans le Plan directeur des carrières (PDCar). Dans l’actuelle version du PDCar, adoptée le 16 juin 2015 par le Grand Conseil, la seule extension envisageable au-delà du secteur de la Birette est le secteur adjacent de la Fontaine.
  • Le Plan d’affectation cantonal (PAC) 308 ne permet plus une extension de la carrière au-delà du secteur de la Birette. Toute autre extension nécessiterait une mise à l’enquête puis une adoption préalable d’une modification du PAC par le département compétent.

Enfin, la protection du site du Mormont contre toute nouvelle extension de la carrière mérite, en parallèle, un examen du maintien de l’approvisionnement de la cimenterie d’Eclépens, dans le cadre d’une pesée globale des intérêts qui intègre l’impact de la production de ciment sur le climat – 6,4 % des émissions territoriales vaudoises sont le fait du site d’Eclépens –, l’impact environnemental, l’impact sur la biodiversité et l’évolution des besoins en matières premières.

La discussion générale fut fournie, compte tenu du caractère émotionnel du sujet. Il fut procédé à un tour de table et différents arguments émis : les qualités naturelles, paysagères, faunistiques et historiques du Mormont méritent d’être protégées. La motion offre la possibilité au Conseil d’Etat de réfléchir à une protection juridique effective et ses demandes se montrent raisonnables. La question de l’exploitation du secteur de la Birette est laissée à l’appréciation du TF.

Les arguments en défaveur de la motion se résument de la façon suivante :

  • Tout est déjà en place afin de protéger au maximum la colline du Mormont (IFP, PDCar, PAC).
  • Cas échéant, si une réflexion doit être menée, elle doit être globale. L’ensemble des acteurs impliqués – entreprises d’extraction, Etat, associations de sauvegarde de la nature, entreprise du domaine de la construction, etc. – doivent être entendus.
  • La production locale est source de durabilité et d’emplois. Les activités de la cimenterie représentent plus de 200 postes de travail qu’il convient de ne pas négliger.

En résumé, le motionnaire à qui la parole fut donnée avance les éléments suivants :

  • La motion ne permet pas de sauver le secteur de la Birette. L’exploitation par Holcim du site du Mormont devrait ainsi durer jusqu’en 2035.
  • La motion ne règle pas la question de l’utilisation dans la construction de matériaux de substitution au ciment/béton. Il s’agit d’un autre débat, qui a toute son importance.
  • La motion ne traite pas non plus de la reconversion d’une partie des activités intégrées de Holcim.
  • La motion n’enfonce pas des portes ouvertes. Des incertitudes subsistent sur le degré de protection offert par l’IFP.

En conclusion, la commission recommande au Grand Conseil par 9 voix contre 6 de prendre en considération cette motion.

La minorité de la commission présentera son rapport.

M. Patrick Simonin (PLR) — Rapporteur-trice de minorité

La minorité de la commission se prononce en défaveur de la motion. Comme indiqué par Mme la cheffe du département de l’environnement et de la sécurité, plusieurs instruments sont déjà disponibles afin d’assurer la protection durable du site du Mormont : son inscription à l’IFP, le PDCar ainsi que le PAC 308. Les exploitations en zones IFP sont aujourd’hui impossibles, dans les faits. Le Grand Conseil a voté, à l’époque, en faveur de la protection du sommet du Mormont par 88 voix contre 21. L’arrêt de l’extraction est annoncé. Des projets de préservation de la biodiversité sont en place, conduits par les autorités et les organisations de protection de la nature, y compris le maintien d’un passage à faune fonctionnel pendant les travaux. La motion n’apporte donc rien et il convient de ne pas désavouer l’action des autorités fédérales et cantonales.

En outre, la production locale est source de durabilité et d’emplois. Le chauffage à distance Cadcime utilisant les rejets de chaleur du four de l’usine d’Eclépens approvisionne les bâtiments de la zone industrielle attenante à l’usine, une piscine publique, un hôpital ainsi qu’un équivalent de 2000 ménages. Les activités de la cimenterie représentent plus de 200 postes de travail qu’il convient de ne pas négliger.

L’extraction de calcaire au Mormont pourrait s’arrêter à brève échéance ; la décision du TF sur l’exploitation du secteur de la Birette est pendante. La présente motion pourrait y contribuer, au risque d’une pénurie de matière première locale. A ce titre, il importe d’observer que la réalisation des mesures phares du Plan climat cantonal – 88,6 % du budget de la 1re génération –, en particulier la construction des infrastructures de transport public, le chemin de fer, le développement des métros M2 et M3, trams, etc. requiert fortement l’utilisation de ciment, dont l’usage peut également être attesté par les silos aux couleurs de l’entreprise incriminée sur le chantier actuel sur le site du CHUV.

Ainsi, la minorité de la commission s’interroge sur la pérennité des mesures du Plan climat cantonal en cas de fermeture à court terme du seul site d’extraction vaudois. Le recours à l’importation ne saurait en aucun cas être une réponse à ce cas de figure au vu de l’augmentation de pollution qu’engendreraient les transports liés à ces importations. Un arrêt à brève échéance des activités de Holcim au Mormont signifierait des centaines de milliers de tonnes de matériaux à placer en décharge, car non employés pour la production du ciment ou plus utilisés comme combustible pour le four de la cimenterie. Dans le détail :

  • Environ 80'000 tonnes par an de déchets sont valorisées à haute température à Eclépens. Les cimenteries offrent une filière locale de traitement unique en Suisse pour tous les matériaux qui peuvent être valorisés thermiquement. Il s’agit par exemple de résidus de tri broyés, de bois usé, des boues d’épuration séchées, des farines animales, de pneus ou encore de déchets liquides tels que solvants et huiles usées.
  • Environ 10'000 tonnes de cendres par an issues de nos combustibles alternatifs sont intégrées dans le ciment, car leur fraction minérale est valorisée en tant que matière première dans notre production de ciment.
  • Environ 100'000 tonnes de déchets minéraux par an sont valorisées actuellement sous forme de matières premières alternatives dans lsa production de ciment. En substituant le calcaire et la marne par des matières premières de substitution, nous évitons la mise en décharge de matériaux recyclables et contribuons à promouvoir l’économie circulaire dans la construction, au niveau régional. Grâce à ces différents projets d’économie circulaire, l’usine d’Eclépens a ainsi diminué ses émissions nettes de CO2 par tonne de ciment d’environ un tiers depuis 1990. A l’horizon 2030, elle vise une réduction supplémentaire d’environ 25 %.

Pour ces près de 200'000 tonnes de déchets, l’exportation qui est la solution de substitution la plus envisageable représenterait une solution particulièrement égoïste aux yeux de la minorité de la commission. Avant de conclure et en résumé, tout est déjà en place afin de protéger au maximum la colline du Mormont et, si une réflexion doit être menée, elle doit être globale. Au besoin, un nouveau PDCar peut être élaboré et soumis au Grand Conseil. En ce sens, la motion ne constitue pas le bon outil.

Par conséquent, la minorité de la commission recommande au Grand Conseil de ne pas prendre en considération cette motion.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Vassilis Venizelos —

Comme l’a rappelé le rapporteur de majorité, cette colline a été exploitée depuis 70 ans. Il s’agit d’un patrimoine naturel, paysager, historique et archéologique qui doit être protégé et qui disparaîtra totalement si nous poursuivons de façon indéfinie l’exploitation de cette colline.

Nous avons déposé cette motion pour planifier la fin de l’exploitation de la colline du Mormont et sauver ce qui peut encore l’être. M. Simonin parlait d’économie circulaire ; il faut sans doute rappeler que l’exploitation et la production du ciment sont responsables de 7 % des émissions de CO2 dans le canton de Vaud, et même si le pôle Holcim permet aussi de se débarrasser d’un certain nombre de déchets, l’exploitation elle-même représente un impact considérable sur les émissions de CO2.

Néanmoins, le ciment répond à un besoin comme rappelé par le rapport de majorité et par Holcim, dans les échanges menés avec eux. L’exploitation de la Birette doit faire l’objet d’une décision prochaine du TF. Avec le même rythme de production, il est possible de tenir jusqu’en 2035, un scénario sans intervention sur les modes de construction par des matériaux alternatifs qui devraient être valorisés et portés sur un certain nombre de chantiers, sans action sur les stratégies de réemploi qui pourraient être envisagées sur la construction. En effet, pourquoi doit-on systématiquement détruire des bâtiments pour en construire de nouveaux ? Ne pouvons-nous pas utiliser les bâtiments existants pour éviter de créer des déchets et de nouveaux besoins de ciment ? Une large majorité de ce Grand Conseil a accepté une autre motion allant dans ce sens, visant à favoriser les matériaux alternatifs et à développer des stratégies de ce type. En nous y employant, nous réduirons notre dépendance au ciment et pourrons réserver son utilisation aux ouvrages majeurs, puisqu’il est avéré et indéniable que certains, tels le M3 ou certains ponts ou ouvrages d’art, nécessitent l’utilisation de ciment.

L’exploitation pouvant se poursuivre jusqu’en 2035, cela nous laisse le temps de planifier la fin de cette activité. Quant au degré de protection du site, s’il est protégé par l’IFP, ce dernier délègue ses compétences au canton ; on peut par conséquent imaginer qu’à l’horizon 2030 ou 2035, l’exploitant souhaite poursuivre son exploitation de la colline. Ainsi, les degrés de protection méritent d’être renforcés par une décision de notre Parlement, par le biais d’une base légale ou de tout décret qui pourrait nous être soumis. Cette motion n’enfonce pas de portes ouvertes ; en effet, le degré de protection du site n’est pas assuré. Elle ne vise pas à mettre fin à l’exploitation de Holcim et du site du jour au lendemain, puisqu’elle est garantie jusqu’en 2035. Cela nous laisse le temps de nous projeter et d’élaborer différents scénarios, et à Holcim le temps d’envisager la fin de son activité. Les milieux économiques n’aimant pas l’incertitude, cette motion permet à Holcim de se projeter dans un avenir relativement proche et de trouver des solutions avec l’Etat pour envisager l’avenir du site et protéger ce qui peut encore l’être, car – et nous avons tendance à l’oublier – le Mormont fait partie de notre patrimoine naturel et paysager qui mérite d’être sauvé.

M. Jean-Luc Chollet (UDC) —

J’aimerais vous faire part de trois considérations. Tout d’abord, même si la population de ce canton n’augmentait pas ou plus, des besoins en béton subsisteraient, certes en moindre grande quantité, mais néanmoins réels, sachant que le bois, le fer, sans parler ni de la paille ni du pisé, ne sauraient se substituer totalement au béton. Les problèmes actuels d’approvisionnement en fer et en bois, sans parler de la hausse conséquente associée de leur coût, devraient nous inciter à la prudence en matière d’autoapprovisionnement de produits de base et, à l’évidence, le ciment en fait partie. Ensuite, je constate que, de la part d’une sensibilité politique priorisant la nature sous toutes ses formes, aucun projet affectant le paysage, tel que carrières, gravières ou décharges ne trouve plus grâce à leurs yeux. La conséquence en est l’exportation de nos déchets et l’importation de nos produits de base. Venant d’un pays situé au cœur de l’Europe, tout en n'en faisant pas partie, et dont la prospérité n’est plus à démontrer, tout cela n’est guère reluisant. En effet, dans une honnête pesée d’intérêts, chaque pays doit assumer sa part de l’effort et les conséquences qui en découlent, conduisant au maintien d’un niveau de vie élevé auquel vous et vos électeurs, tout comme nous, êtes légitimement attachés.

Enfin, en haut de la page 4 du rapport de majorité, figure le mot « égoïste ». Pour moi et pour le groupe UDC, c’est un mot lourd de sens qui représente la négation des valeurs qui ont porté notre parti, génération après génération, à prendre part à la construction de notre canton. Ainsi, pendre notre part de l’enlaidissement ponctuel de surfaces les plus modérées et raisonnables possible est simplement le fait d’autorités responsables qui n’ont à être ni critiquées ni encensées pour avoir fait tout simplement leur devoir. Enfin, en l’état actuel des couloirs à faune – insuffisants à vous entendre – les sangliers, les blaireaux, les cerfs, les castors et les loups se déplacent librement sur le plateau vaudois. Si vous en doutez, questionnez les agriculteurs, les forestiers, les maraîchers et les arboriculteurs. Leurs réponses seront à chaque fois les mêmes, mais encore faut-il que vous les croyiez ! En conclusion, au nom du groupe UDC, je vous invite à soutenir le rapport de minorité.

M. Jean Tschopp (SOC) —

Je déclare mes intérêts comme membre du comité d’initiative « Sauvons le Mormont », initiative populaire portée par les Verts avec notamment le soutien des socialistes. Nous y voilà ! Il est beaucoup question de transition écologique… mais n’y voyez aucun lien avec les échéances qui nous attendent ! La transition écologique consiste d’abord à penser comment nous pourrions faire autrement, différemment, comment reconsidérer nos façons et nos manières de consommer et de produire. Nous avons sous les yeux un texte très concret qui intervient au bon moment, en 2022. Le rapporteur de majorité, M. Vuillemin, l’a indiqué très clairement, Holcim a sous-estimé les potentiels d’exploitation du plateau de la Birette et considère en définitive que l’exploitation du site est possible jusqu’en 2035, en d’autres termes, nous avons devant nous 13 ans pour préparer la suite. Mais qu’est-ce que cela implique ?

D’abord, il s’agit de réfléchir à quels sont les matériaux pour construire – car il faut que nous construisions pour que tout un chacun puisse se loger convenablement – alternatifs au béton et qu’on peut allier à d’autres matériaux recyclés, ainsi qu’à des techniques qui permettent de modifier sa composition en remplaçant le ciment par des résidus industriels issus des biocarburants. Nous savons que notre pays, la Suisse, est l’un de ceux qui recourent le plus fortement au ciment. Nous savons également que si le ciment était un pays, il serait le troisième plus gros pollueur juste après les Etats-Unis et la Chine. Nous savons aussi que, dans ce canton, la cimenterie d’Eclépens génère à elle seule 10 % des émissions de CO2.

Aujourd'hui, nous voulons engager la transition pour produire différemment. Dans ce contexte, si j’ai bien lu les programmes politiques des uns et des autres, j’en appelle à un peu de conséquence. Par exemple, celui dit de l’alliance vaudoise UDC-PLR indiquait que le recours à la transition écologique figurait en bonne place dans les 5 mesures pour le second tour au Conseil d'Etat, en privilégiant les métiers y relatifs. Ainsi, si cette alliance est conséquente, elle doit utiliser les outils que nous avons à disposition et engager la transition pour favoriser la reconversion. En 13 ans, nous en avons la possibilité. Nous pouvons planifier, et penser – même si le recours au béton est parfois inévitable. Mais de toute évidence, dans la construction de logements, il est aussi possible de recourir à d’autres matériaux. C’est le signal que nous voulons donner aujourd'hui, l’engagement auquel nous voulons souscrire. Je vous remercie de vous montrer conséquents par rapport à vos engagements en soutenant la motion de notre collègue Vassilis Venizelos.

Mme Elodie Lopez (EP) —

Au nom du groupe Ensemble à Gauche et POP, je tiens à remercier notre collègue Venizelos pour sa motion et les enjeux qu’elle soulève. En effet, notre groupe partage les préoccupations qu’elle exprime. Il considère également qu’il est temps de mettre fin à l’exploitation de cette colline en raison des qualités naturelles et historiques que revêt le site, raison pour laquelle nous soutiendrons le renvoi de cette motion et vous encourageons vivement à en faire de même. Toute remise en question de cette nécessité nous semble contraire aux engagements que nous devons prendre pour notre environnement. Les alternatives existent aujourd'hui pour nous permettre d’envisager d’aller dans le sens de cette motion ; la seule barrière qui nous en empêche est politique, idéologique, et une question de priorité.

Nous avons parlé de nos besoins en béton ; questionnons ces derniers. Aujourd'hui, nous savons – grâce à un précédent débat – que les projets dans le canton qui seront les plus friands en béton, ces prochaines années, sont principalement liés à des infrastructures de mobilité individuelle motorisée – des autoroutes, par exemple – un domaine sur lequel nous devrons faire en sorte de diminuer nos besoins dans le futur, puisqu’il s’agit du troisième groupe le plus émetteur de CO2 en Suisse. Toutefois, diminuer ces besoins n’est possible que dans une vision politique de l’avenir compatible avec le respect de notre environnement, qui pose la question des alternatives ainsi que celle de l’aménagement d’un environnement nous permettant de mener des activités à l’impact environnemental minime.

Par ailleurs, notre groupe tient à quatre éléments essentiels abordés par la motion, mais qui sont peu pris en considération dans les demandes formulées. En effet, cette motion aurait pu être plus ambitieuse, répondre entièrement aux problématiques auxquelles la colline du Mormont nous a confrontés. Premièrement, la protection durable de l’ensemble de la colline du Mormont de toute nouvelle activité d’extraction et de transformation, en incluant la zone du secteur de la Birette, impliquerait de revenir sur la décision prise par ce Parlement concernant l’extension du périmètre d’exploitation, au nom de l’urgence climatique déclarée par le Parlement, en 2019, qui légitime du coup la possibilité même de cette décision. Deuxièmement, la question du laps de temps envisagé pour la cessation de l’activité d’exploitation. Le troisième point concerne l’absence de considération des aspects liés aux travailleurs et travailleuses de la cimenterie qui serait impactés par la cessation d’activité sur la colline. Enfin, quatrièmement, il y a les considérations concernant l’utilisation de matériaux de construction durables en remplacement du béton.

Notre groupe soutiendra néanmoins la prise en considération de cette motion en vous invitant à faire de même, tout en sachant que les enjeux et les problématiques soulevées par le dossier de la colline du Mormont ne sont pas entièrement réglés et que ce chapitre n’est donc pas clos.

M. Daniel Develey (PLR) —

Je rappelle mes intérêts en tant que syndic de la commune de la Sarraz, directement concernée par la présente motion et la pétition qui va suivre. Je déplore que les préoccupations des communes directement concernées par l’exploitation du Mormont et par les conséquences d’une fermeture à l’horizon 2035 ne soient pas abordées dans les arguments de la motion et des rapports de commission.

Le Conseil d'Etat doit impérativement se préoccuper et prendre ses responsabilités en matière d’approvisionnement en matériaux de construction locaux ainsi que de valorisation d’un volume conséquent de déchets spéciaux, sur le site. Une installation valorise chaque année – comme indiqué dans le rapport de minorité – environ 100'000 tonnes de déchets minéraux et préserve ainsi les ressources naturelles, avec un écobilan positif. Notre collègue député Claude-Alain Gebhard a déposé une intervention dernièrement ; voici ce que dit son texte : « Il est maintenant urgent que le Conseil d'Etat adopte une stratégie claire, pragmatique et efficace qui permette de garantir cette activité économique indispensable à l’accroissement prévu de la population sur notre territoire. » Je remercie son auteur pour l’objectivité et le bon sens de ses propos.

L’exploitation du Mormont dans la future planification des carrières après la décision attendue du Tribunal fédéral doit offrir des possibilités d’extraction pérennes et adaptées à la forte demande pour les 50 prochaines années. C’est le temps nécessaire qu’il faudra pour apporter des solutions objectives et réalistes et diminuer notre consommation de ciment, et pour trouver des solutions locales au chauffage à distance dépendant de la cimenterie. Aujourd'hui, l’ensemble des clients de Cadcime permet de réduire les émissions de CO2 d’environ 8100 tonnes par année. Je procède volontiers à une très brève présentation de cette société que vous avez tendance à oublier dans vos analyses.

L’activité de réseau de chaleur à distance est directement dépendante de la cimenterie qui fournit une énergie gratuite issue du processus de la fabrication du ciment. Une société anonyme a été fondée le 22 novembre 1993 sur l’impulsion de la société Holcim et des communes d’Eclépens et de la Sarraz. J’étais président de la commission du Conseil communal qui a rapporté sur l’opportunité de valoriser cette énergie, je m’exprime donc en connaissance de cause. Holcim détient le 40,5 % du capital-actions, et les communes 37,5 %. En mars 2014, Romande Energie a pris une participation dans Cadcime SA à hauteur de 22 %, marquant le début d’une collaboration porteuse de synergies dans le domaine de la valorisation thermique, concrétisée en 2020 avec la mise en service d’une turbine à cycle organique de Rankine aussi appelé ORC. Il s’agit d’une machine thermodynamique produisant de l’électricité à partir de la chaleur industrielle produite par la cimenterie et couvrant le 10 % des besoins de l’entreprise. La turbine est alimentée par une production d’eau surchauffée à 220 degrés. Avec cet investissement de 5 millions, l’énergie résiduelle de la cimenterie est valorisée à plus de 90 %.

Au même titre que la sécurité d’approvisionnement, l’avenir du chauffage à distance du canton est à prendre en considération et à placer dans la balance. L’initiative populaire « Sauver la colline du Mormont » titre dans la presse : « La gauche vaudoise veut mettre fin à l’exploitation de la colline du Mormont par le cimentier Holcim ». Face à ces nombreuses incertitudes, les enjeux sont grands pour les communes de la Sarraz, Eclépens, Pompaples, ainsi que pour la zone industrielle de Daillens. Il faudra nous laisser le temps de trouver et financer des alternatives à cette source d’énergie, sur le long terme. Aujourd'hui, nous nous trouvons dans une phase d’extension du réseau ; pas plus tard que jeudi, nous présenterons au Conseil communal de la Sarraz un préavis allant dans ce sens.

Ainsi, ce n’est pas en plaçant sur le banc des accusés une entreprise qui produit localement pour une consommation du même ordre que nous pourrons de manière sereine et dépassionnée relever les défis du développement durable à l’échelle de notre canton. Nous aurons besoin de toutes les compétences et de la collaboration de tous les acteurs concernés, de la recherche en matière d’innovation, de la construction dans l’utilisation des matériaux, ainsi que de la compréhension des milieux de la protection de l’environnement. Le calcaire et le gravier, au même titre que les salines de Bex, sont les seules ressources naturelles de notre canton. Voulons-nous assumer nos responsabilités de consommateurs ou préférons-nous exporter les nuisances de cette production ? Contrairement à toutes les surfaces bétonnées qui ne reviendront jamais en terrains agricoles, la carrière du Mormont aura une deuxième vie. Les nombreux exemples d’anciennes carrières abandonnées à la nature, qui a horreur du vide, le prouvent. En attendant que la nouvelle composition du Conseil d'Etat prenne ses responsabilités, je vous recommande de suivre les conclusions du rapport de minorité.

Mme Graziella Schaller (V'L) —

Je souhaite que soient projetées deux images, puisque l’on dit qu’elles valent « mille mots ».

*fichiers des images projetées dans la séance à insérer

On parle beaucoup du Mormont. On voit sur cette image l’actuelle colline du Mormont, la carrière et la partie déjà excavée. Dans le fond, vers le haut, en prolongement vous voyez le secteur de la Birette. A droite, il s’agit de la zone de la Fontaine – dont on parle régulièrement – ainsi que la zone sommitale, cette petite colline sur la droite. Sur la seconde image, on voit ce qui est excavé, et la Birette en rouge, zone du fond, avec ce qui est encore demandé pour les 50 prochaines années et l’excavation totale de la zone sommitale, cette fameuse zone de la Fontaine. Ainsi, vous pouvez mieux réaliser ce dont il est question.

Avec mes collègues, nous avons eu la chance d’aller visiter Holcim. J’aimerais vous raconter une anecdote. Un matin, dans la carrière, un ingénieur de Holcim a trouvé un faon et sa mère dont il a pris soin, c’était très touchant et les employés étaient très émus. J’ai personnellement trouvé cette histoire pathétique et triste ; en effet, ne devrions-nous pas plutôt être atterrés d’entendre que les animaux sont obligés d’aller mettre bas dans les méandres d’une carrière, sur le calcaire, au lieu de leur milieu naturel ? Est-ce ce que nous voulons ? Ce n’est pas le cas, pour ma part, et c’est l’une des raisons pour lesquelles je m’engage pour cet endroit, pour que la nature y reprenne ses droits. Toute carrière doit avoir une fin. Après 70 ans d’exploitation, nous estimons qu’il est temps d’y mettre fin, de fixer une échéance et de trouver des solutions complémentaires et innovantes pour sortir du tout au béton et chercher à utiliser d’autres matériaux. En mon nom et en une partie de celui des Vert’libéraux, je vous invite à prendre en considération cette motion.

M. Yvan Pahud (UDC) —

J’aimerais d’abord déclarer mes intérêts comme membre du comité du groupe « gravier et déchets » et du groupe « bois » du Grand Conseil. Le débat qui nous occupe entretient un lien direct avec le débat précédent sur la résolution qui traitait de l’autonomie alimentaire, car tout ce qui peut être produit ici n’a pas besoin d’être importé. En effet, produire ici équivaut à maintenir notre autonomie, à garantir notre approvisionnement en ciment sur le terrain national, mais surtout à éviter des émissions de CO2. La production de ciment indigène à Eclépens évite à elle seule 60'000 passages de camions par année. Croire que nous pourrons nous passer du béton du jour au lendemain est complètement erroné. Avec l’augmentation de la population, voulue par exemple par les Verts, nous aurons besoin ces prochaines années de construire des infrastructures en béton : le métro, les STEP, les hôpitaux, les écoles, les voies de chemin de fer et même les pistes cyclables, tout comme les fameux éco quartiers, comme ceux de la Plaine du Loup que vous voyez en arrivant depuis le haut de Lausanne, qui sont quasiment complètement en béton… On se demande d’ailleurs ce qu’est un éco quartier pour la ville de Lausanne ! Nous n’en avons sans doute pas la même notion.

Croire que nous allons pouvoir remplacer les infrastructures en béton par du bois est illusoire et mensonger. Le bois et le béton sont complémentaires. Avec les promoteurs du bois, notre combat est sur ce point identique et, finalement, opposé aux Verts qui veulent tout fermer et qui se verront obligés de forcément tout importer. Il s’agit d’une forme d’égoïsme, raison pour laquelle je vous demande classer cette motion.

M. Pierre-André Romanens (PLR) —

Je déclare mes intérêts d’entrepreneur dans le domaine de la construction de bâtiments. Nous devons certes parler de l’exploitation de la colline du Mormont. Comme formulé par M. Tschopp : « Nous y voilà ! ». Mais, pourquoi aujourd'hui, alors que l’exploitation, selon certains propos, se terminera en 2035, c’est-à-dire dans 13 ans ? Nous voulons anticiper les discussions sans connaître la situation en pleine évolution et qui changera l’opinion d’un grand nombre de personnes. L’image projetée tout à l’heure à la demande de Mme la députée Schaller montre une pomme croquée, et cela donne l’impression que nous allons tout manger en quelques années, ce qui est absolument faux, et c’est pourquoi cette discussion doit être menée dans la tranquillité. Nous avons le temps : pourquoi précipiter les choses ? Il est nécessaire de bien comprendre ce qui nous arrive, quelles solutions nous pourrons trouver comme palliatif au ciment, dont nous avons besoin aujourd'hui, le fait est indéniable. Le ciment est a fortiori indispensable, car il permet l’emprisonnement d’une grande quantité de CO2. En effet, s’il émet des gaz – 7 et non 10 % –, il en emprisonne aussi une grande quantité, ce qui représente aussi un gain.

Construire sans ciment est possible, en particulier pour des constructions publiques, pour le métro dont nous avons voté des crédits, par exemple. Nous pouvons revenir au 20e, même au 19e avec des pierres appareillées, tailler des pierres en carrière, faire de grands trous dans la montagne et sortir les pierres – la Meillerie convient par exemple très bien – et construire des voûtes au lieu d’utiliser du béton ; la carrière, alors, ne se trouvera plus au Mormont, mais un peu plus loin. Ces possibilités existent, mais les prix seront multipliés par dix. On dit également qu’il s’agit de construire avec des matériaux différents qu’on peut recycler, utilisables sans nuisances, comme la terre cuite, mais elle occasionne un grand trou dans la terre et doit être cuite à peu près à la même température que le ciment. Pour se montrer cohérent et conséquent, parallèlement au ciment il faut aussi bannir la terre cuite. En outre, n’oublions pas que si nous construisons en bois, cela inclut le béton. On ne peut construire qu’en bois ; je m’exprime en tant que professionnel de la construction. Par exemple, la célèbre tour de Vancouver admet plus de 30 % de béton. Par conséquent, et en me ralliant au rapport de minorité, il faut prendre le temps de discuter sereinement, et de s'enrichir de connaissances scientifiques et techniques avant de prendre des décisions anticipées et inutiles, à ce jour.  

M. Marc-Olivier Buffat (PLR) —

Comme indiqué par notre collègue Romanens, il ne faut pas forcément se lancer dans des discussions à caractère émotionnel, même si les images sont frappantes. La tranche qui figure sur la droite de l’image ne fait l’objet, en l’état, d’aucune procédure d’autorisation. J’ai le sentiment que nous faisons le procès de l’activité humaine, de la paysannerie qui dégage du méthane et du CO2, des avions qui polluent, des voitures et maintenant, il s’agit également de la construction des immeubles. A regarder des images intéressantes et choquantes, je vous engage à pianoter sur vos tablettes et ordinateurs et à regarder à quoi ressemble une mine de bauxite. Certes, elles se trouvent au Brésil, en Angola ou en Guinée ! Ce n’est pas chez nous, mais cela reste épouvantable ! Que faisons-nous avec la bauxite ? De l’aluminium, dont nous faisons des trains. Ainsi, dire « il faut encourager la mobilité douce, les trains, etc. » devient extrêmement gênant, quand – et cela tombe bien – nous ne possédons pas de bauxite chez nous. Par conséquent, allons polluer chez les autres et ramenons ce matériau. J’estime qu’il faut faire preuve d’un peu de cohérence et de sérieux ! Nous possédons une carrière qui permet d’exploiter des matériaux pour produire du béton et du ciment. Alors, que voulons-nous ? Imiter ce que nous faisons avec la bauxite ? Importer de l’étranger ? Car il le faudra bien ; comme il faut importer de l’énergie électrique par le biais du nucléaire français, tout comme importer de l’électricité produite avec du charbon – et ce n’est pas fini, comme vous le savez toutes et tous – en provenance d’Allemagne. Nous pouvons bien continuer à jouer les autruches et à estimer que nous sommes le pays le plus vertueux du monde, parce que nous avons fermé une cimenterie dans le canton de Vaud. Ce n’est pas la vraie vie, mais plutôt une hypocrisie totale et, de surcroît, une forme d’exploitation de ces pays – « pas ça chez nous, mais chez les autres » – voire du Tiers-Monde, que je trouve personnellement assez révoltante et totalement égoïste.

Quant à l’idée portant sur la nécessité de réfléchir à construire autrement, vous connaissez mes intérêts dans le domaine de la construction, et en particulier dans celui de l’immobilier. Nous n’avons pas attendu cette initiative pour réfléchir et construire différemment ! Je peux vous le certifier. Comme la discussion récente sur la paysannerie, en entendant certains propos, on a le sentiment de rêver éveillé. Quel est le problème principal que personne ne veut ni voir ni énoncer ? Le coût. On peut construire avec du bois, avec des matériaux plus nobles, ou comme le disait M. Romanens, avec des pierres de taille. Mais cela reviendra à deux fois le prix du Logement d’utilité publique (LUP), soit 240 francs au mètre carré (m2) habitable. Je peux déjà vous le dire ! Qui va payer ? Pour une partie de la gauche, la réponse est évidemment « les riches », qui paieront sans doute plus d’impôts. Mais qui habitera dans des logements à 350, voire 400 francs le m2 ? En effet, lorsque vous construisez des immeubles ou quand vous les rénovez, survient un moment où vous vous posez la question de savoir à quel coût vous allez construire et, surtout, contrairement à ce que tout le monde croit, quelle est la part supportable par les locataires en termes d’augmentation de loyer. Aujourd'hui, nous pouvons construire à peu près tout et n’importe quoi avec des matériaux parfaitement nobles, renouvelables et durables. Toutefois, la question est récurrente : à quel coût ? Nous ne pourrons pas subventionner de façon massive d’autres méthodes de construction.

En outre, nous nous trouvons face à un problème massif : l’approvisionnement. Aujourd'hui, l’approvisionnement en bois est extrêmement critique. L’été dernier, on ne trouvait plus de bois pour la construction, ce qui a entraîné des hausses massives de coût – 30 % – tout comme pour le cuivre ou les matériaux d’isolation – 30 % également. Cette réalité s’impose à nous, aux constructeurs et aux locataires, quels qu’ils soient, car il y aura forcément des gens qui devront aller habiter dans ces immeubles. Par conséquent, il faut parvenir à un coût de construction qui soit un tant soit peu raisonnable. A l’écoute de certains propos dans cette salle, on imagine à quel point les coûts de construction vont exploser. Par ailleurs, nous avons voté et soutenu des projets d’infrastructures, notamment le M3, qui seront construits avec du ciment. Encore une fois, nous pouvons faire preuve d’hypocrisie et manifester notre envie d’être « plus propres que les propres » et importer le ciment. Et, tant pis, si cela pollue ailleurs, s’il faut transporter des matériaux par bateau avec du fioul qui pollue encore beaucoup plus que l’aviation, etc. ! Il faut savoir se montrer un peu cohérent avant de lancer des initiatives pour interdire l’exploitation intensive en matière d’agriculture – car là aussi le coût de la production est en cause.

Aujourd'hui, tout le monde réfléchit, des propriétaires aux locataires, et tout le monde fait attention au lieu dans lequel il veut habiter. Cet effort se fait déjà, mais il ne se produira pas en un claquement de doigts. Décréter la sortie du ciment de la même manière que nous avons réussi à manquer la sortie du nucléaire ne constitue sans doute pas la bonne voie…

M. Jean-François Chapuisat (V'L) —

Sans revenir sur tout ce qui a été exprimé, nous aurons de toute évidence encore besoin de ciment. J’ai eu la chance de visiter cette cimenterie. Il s’agit d’un gros site industriel, sans doute l’un des derniers de cette taille dans le canton. On parle aujourd'hui beaucoup d’économie circulaire et ce site s’y est mis. Si l’on peut à l’évidence toujours aller plus loin, ce site n’en demeure pas moins assez exemplaire, compte tenu des exemples donnés : chaleur, chauffage à distance, valorisation des déchets dont nous ne savons que faire, notamment. Je n’ai pas eu la chance de visiter d’autres cimenteries et j’ignore par conséquent si elles sont toutes à ce stade, mais je ne le pense pas. Il est intéressant de la conserver sur le territoire vaudois pour toutes les raisons énoncées. En effet, externaliser notre production de CO2 ne change pas le bilan total. En conclusion, je voterai en faveur du rapport de minorité.

Mme Carole Schelker (PLR) —

Beaucoup d’éléments sur lesquels je ne reviendrai pas ont été évoqués. J’aimerais néanmoins m’exprimer sur la transition écologique. Finalement, M. Tschopp nous fait la leçon sur ce qu’est cette dernière. Toutefois, je vous rappelle que nous acceptons aujourd'hui que 30 % de notre gravier provienne de l’étranger, car justement nous refusons d’ouvrir de nouveaux gisements de matériaux, sous prétexte d’une orchidée protégée ou d’une alouette. Cette motion s’inscrit totalement dans la volonté de refuser toute atteinte, même temporaire, pour l’extraction de matériaux.

Que signifient ces extractions, au niveau environnemental ? Comme cela fut cité tout à l’heure, 90'000 passages de camions par année qui viennent de France et traversent la frontière à Vallorbe. Par conséquent, quand les gisements sont exploités ici, ce sont autant de camions qui ne traversent pas la frontière. Les calculs sont vite faits : une gravière moyenne d’une quinzaine d’années exploitée ici plutôt qu’en France équivaut à 3 millions de litres de diesel économisés. Voilà la transition écologique comme l’envisage le Centre droit. Pour ce qui concerne les matériaux recyclés, les milieux économiques n’ont pas attendu les recommandations de la gauche. Les matériaux de démolition sont recyclés depuis des décennies : plus de 80 % de matériaux minéraux sont recyclés aujourd'hui. Cette quantité est plafonnée. Ainsi, si vous souhaitez que cette quantité augmente, ce seront bientôt, madame Lopez, monsieur Tschopp, vos habitations en parfait état qu’il faudra démonter pour alimenter le système.

En conclusion, je vous invite à accepter le rapport de minorité et à refuser cette motion. J’ai oublié de déclarer mes intérêts, je m’en excuse. Je suis à la tête d’un bureau d’ingénieurs qui accompagne des projets d’exploitation de gisements locaux, et présidente du groupe thématique « gravier et déchets minéraux » au Grand Conseil.

M. Vassilis Venizelos —

A mon tour de déclarer mes intérêts comme faisant partie du comité d’initiative « Sauvons le Mormont », même si je n’y suis plus actif.

D’abord, on essaie de présenter ce débat comme relevant de l’opposition « gauche droite ». Néanmoins, on oublie qu’un soutien par les élus de droite existe aussi, notamment cité par le rapport de majorité. Par conséquent, il ne s’agit clairement pas d’un conflit de cet ordre, mais plutôt d’un débat sur des enjeux de société importants. A l’évidence, exporter les impacts de notre consommation énergétique de nos modes de consommation en général n’est pas l’objectif. A ce propos, l’initiative en faveur de multinationales responsables a fait l’objet d’une votation, malheureusement rejetée par la double majorité des cantons, mais soutenue par une majorité de la population. Elle visait précisément à nous assurer que les activités des multinationales suisses, à l’extérieur du territoire, respectent certains principes environnementaux et de dignité humaine. L’idée de cette motion et du débat engagé sur nos modes de consommation et de production ne vise pas à exporter notre pollution et nos déchets, mais au contraire à mener une réflexion de fond sur nos modes de consommation.

Aussi, nous sommes convaincus qu’il ne peut y avoir de modèle de société basé sur une consommation infinie des ressources, alors que ces dernières sont finies. Le débat relatif au Mormont est porteur de cet enjeu. Si l’enjeu du patrimoine paysager à protéger existe, la question prévaut aussi de nos rapports à ces différentes ressources. Cette motion ainsi que celle renvoyée pour travailler sur les alternatives visent à revoir nos modes de production. Construire autrement est possible – on s’y emploie déjà – mais différents freins existent et qui ne sont pas tous corrélés à des questions d’argent ou de coûts. Au contraire, en Suisse, de gros investisseurs ont intérêt à investir dans la pierre. Il est beaucoup plus intéressant pour eux de détruire un bâtiment et d’en construire un nouveau que de réemployer les matériaux sur site. Probablement qu’une stratégie doit être envisagée au niveau du canton pour favoriser le réemploi du matériau plutôt que la destruction et la reconstruction systématiques.

Il existe aussi un problème culturel lié aux normes utilisées. Les maîtres d’ouvrages – parfois publics – vont privilégier des matériaux neufs, propres, alors que dans certains cas, des matériaux recyclés – comme le béton recyclé qui est produit aussi localement à Vufflens-la-Ville – sont possibles. Je vous invite à aller consulter le site de l’entreprise H2M qui accomplit un travail remarquable dans la valorisation de ce type de matériaux. Tant que nous ne planifierons pas ce changement dans nos modes de production et de consommation, nous serons à l’évidence dépendants de ce calcaire qui, pour l’instant, est produit localement, mais pour lequel nous devrions trouver des alternatives. C’est aussi le but de la démarche et de la réflexion que nous portons. Ce n’est pas demain la veille que nous allons nous passer de béton et de ciment. Holcim lui-même affiche qu’à travers l’activité et le déblocage du secteur de la Birette, son activité pourra se poursuivre jusqu’en 2035, c’est-à-dire que 2,8 millions de m3 de calcaire seront à disposition pour produire du ciment, et par conséquent 13 années pour planifier des alternatives et de nouvelles solutions qui permettront de réduire notre dépendance au béton. En conclusion, je vous invite à renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.

Mme Béatrice Métraux — Conseiller-ère d’Etat

De ce débat, je retiens qu’il relève de la société et non d’une opposition gauche-droite. Vous avez posé les questions suivantes : comment voulons-nous construire ? Avec quels matériaux ? De quelle provenance ? Quels coûts financiers ou environnementaux ? Pour alimenter votre réflexion, j’aimerais amener quelques éléments supplémentaires pour vous permettre de voter.

Après avoir été déboutés par la Cour de droit administratif et public (CDAP), en 2020, les recourants ont contesté la décision devant le Tribunal fédéral, dont nous attendons la décision sur la Birette et qui définira le futur de la carrière du Mormont. Les derniers échanges d’écriture ont eu lieu fin 2021. En 2015, une task force avait été constituée pour évaluer toutes les options possibles afin d’assurer la pérennité de l’exploitation. Cette task force est présidée par la Direction générale de l’environnement – Direction des ressources et du patrimoine naturel (DGE-DIRNA) et composée de membres de la DGE, de la Direction générale du territoire et du logement (DGTL) et de l’entreprise Holcim. Elle a suspendu ses travaux pendant ceux liés au permis d’exploitation de la Birette. J’ai relancé la Task force et, en 2021, nous avons précisé ses missions. Pour nous, il s’agit d’accompagner et d’inciter l’entreprise dans la recherche de nouveaux ciments nécessitant moins de ressources calcaires. Nous voulons définir la nature du projet de comblement qui pourrait être mis en place, celui de renaturation, et nous voulons préparer les modifications de planification nécessaires à tout ceci : des tâches clairement définies.

De plus, la dernière levée des géomètres, effectuée début 2022, a montré que l’exploitation actuelle du Mormont présentait des réserves et des volumes supplémentaires dus à la baisse de consommation calcaire de ces dernières années. Ainsi, en l’état actuel des autorisations d’extraction, Holcim disposerait d’un volume de calcaire sur le site du Mormont – avec le secteur de la Birette, si le Tribunal fédéral donne raison à l’Etat – pour une exploitation qui se prolongerait au-delà de 2035 ; un élément important à vous communiquer. Bien entendu, toutes les réflexions de la task force se font en tenant compte des obligations et du cadre légal qui pourrait évoluer suivant l’issue de nombreux débats politiques qui tournent autour de la colline du Mormont, de façon identique à ce qui s’est passé en 2015, lorsque des débats sur le PDCar avaient amené le Grand Conseil à formuler un vœu visant à protéger le sommet de la colline, qui est maintenant préservé et exclu de toute exploitation. On constate que les réflexions évoluent en fonction du cadre légal et parlementaire. Il s’agit d’un problème sociétal ; vous avez soulevé des questions importantes, qui vont bien au-delà du m3, de camions ou de tonnes, au-delà des chiffres que les uns et les autres ont produits. Et nous devons nous les poser : quels matériaux ? Quelle provenance ? Quels coûts ? Quel coût environnemental ?

Par ailleurs, le Conseil d'Etat travaille à réduire la dépendance au béton et à favoriser les constructions au bas carbone, bien qu’à l’évidence, on ne puisse pas construire qu’en bois. Prenons l’exemple de la Maison de l’environnement qui admet de la terre crue, du bois et du béton ; elle n’en reste pas moins une construction remarquable. Cela veut dire que nous pouvons construire autrement lorsqu’on réfléchit. Des groupes de travail ont été constitués, y compris avec le département de M. Broulis. Nous travaillons à l’étude de techniques alternatives de construction.

Quant à la filière bois, monsieur Buffat, comme je vous l’avais déjà dit, nous avons assez de bois dans ce canton. C’est une spécialiste du bois qui vous le dit. Nous avons du bois. Il est aussi vrai que nous ne pouvons pas tout faire en bois. Au sujet de cette filière, rappelons les 4 millions de francs pour en soutenir l’utilisation en cascade ; des mesures d’incitation financière et de soutien à des projets vont bientôt voir le jour. J’aimerais aussi vous rappeler que votre Grand Conseil a lui-même voulu qu’une variante bois soit imposée lors de constructions subventionnées. C’est vous qui l’avez voulu. Les nouvelles dispositions légales demandent aux communes, lesquelles sont des maîtres d’ouvrage très importants, d’encourager l’utilisation du bois vaudois dans leur construction. Les constructions publiques peuvent jouer un rôle pilote et contribuer à instaurer de nouvelles pratiques sur le marché. Nous observons que cette réflexion est indispensable et nécessaire, au-delà des clivages gauche-droite.

Dans le cadre de la révision à venir du Plan de gestion des déchets, nous intégrerons des éléments d’économie circulaire pour une meilleure valorisation des matériaux de chantier. Cela figurera dans une réponse du Conseil d'Etat au postulat de la députée Pointet. En d’autres termes, nous attendons la décision du Tribunal fédéral, nous avons des réserves au-delà de 2035, et nous menons des réflexions avec l’ensemble des départements concernés sur une autre manière de construire : des éléments dont vous me paraissez avoir besoin pour voter en toute connaissance de cause.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est close.

Le Grand Conseil refuse la prise en considération de la motion par 69 voix contre 59.

M. Alexandre Démétriadès (SOC) —

Je demande le vote nominal.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

Cette demande est appuyée par au moins 20 membres.

Celles et ceux qui soutiennent la prise en considération de la motion votent oui ; celles et ceux qui la refusent votent non. Les abstentions sont possibles.

Au vote nominal, le Grand Conseil refuse la prise en considération de la motion par 70 voix contre 59.

*insérer vote nominal

Retour à l'ordre du jour

Partager la page

Partager sur :