Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 6 septembre 2022, point 31 de l'ordre du jour

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Texte adopté par CE - 21_REP_225 - publié

Transcriptions

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M. Jean-Daniel Carrard (PLR) —

A nouveau, les appréciations peuvent être différentes lorsqu’on parle du climat et des manifestations qui y sont liées. En 2019, lors d’une manifestation qui est désormais devenue classique, soit une manifestation pour alerter sur le dérèglement climatique, des individus avaient pénétré dans des locaux des Retraites Populaires et avaient dû être évacués. Deux ans plus tard, un procès a eu lieu durant lequel six personnalités scientifiques, dont deux de l’université, étaient intervenues dans le 24heures pour indiquer au juge que la gravité de la situation climatique justifiait ce type de manifestation. Or, quand un tribunal écoute les scientifiques, il y a acquittement. De plus, une association nommée arCHipels a transmis son numéro IBAN pour pouvoir soutenir cette manifestation. Il s’agissait d’une manifestation particulière et il était dérangeant de constater que des professeurs l’appuyaient. J’ai dès lors demandé pourquoi ces scientifiques ne respectaient pas un devoir de réserve.

Le Conseil d’Etat procède à une sorte de gymnastique pour mettre en avant la liberté académique. Puis, il remarque qu’il est inhabituel d’assister à l’expression de cette liberté tant académique que privée. Dans le fond, on parle beaucoup de liberté et d’associations qui permettent aux uns et aux autres de s’exprimer librement à travers les médias. Il faut être conscient que des personnes avec une telle renommée ont un certain pouvoir et bénéficient d’une écoute, raison pour laquelle elles sont « utilisées ». Le Conseil d’Etat indique également n’être pas compétent et renvoie la responsabilité à la Direction de l’Université de Lausanne (Unil) qui devrait être sensibilisée à cette problématique.

Il est bien joli de vouloir parler de liberté d’expression, mais le devoir de réserve et de fidélité lié à la fonction d’employé étatique et des hautes écoles devrait être respecté afin qu’un équilibre soit garanti, au contraire de ce qui a eu lieu lors de ces manifestations. C’est un grand écart qui nous est proposé par le Conseil d’Etat dans sa réponse et il nécessite un équilibre qui a été largement rompu dans les cas qui nous concernent. Or, lorsque l’équilibre est rompu, on arrive à des « réponses à se casser la figure » et c’est ce qui ressort de la réponse du Conseil d’Etat. Monsieur le conseiller d’Etat, je ne partage absolument pas l’avis du Conseil d’Etat, mais je devrais malheureusement vivre avec.  

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

La discussion est ouverte.

Mme Oriane Sarrasin (SOC) —

Je me permets d’intervenir à la suite des propos de M. Carrard. Comme il est fait mention dans la réponse du Conseil d’Etat à son interpellation, j’avais moi-même déposé un objet sur cette thématique, avec toutefois un point de vue différent de celui de M. Carrard sur la question de la liberté d’expression des chercheurs. Je constate avec satisfaction que cette réponse se réfère à celle de mon interpellation et que l’on s’en tient à certains principes. Je tiens à rappeler que la liberté d’expression ainsi que la liberté académique des chercheurs sont inscrites dans la loi sur l’Université de Lausanne. Il s’agit d’un des piliers fondamentaux de la liberté de la recherche et de la liberté des chercheuses et chercheurs. Vouloir ébranler cette liberté constitue un pas dangereux et équivaut à mettre un pied dans la porte qui ouvrirait vers des dérives potentiellement importantes.

La liberté du milieu académique et universitaire, son indépendance et son autonomie sont des piliers extrêmement importants et forts pour un Etat de droit et une démocratie. Il est important aujourd’hui de rappeler ces principes. Les chercheuses et chercheurs sont aussi des citoyennes et citoyens de ce canton et pays. A ce titre, ils ont même l’obligation de nous alerter sur l’état de leurs recherches, sur ce qu’elles impliquent d’un point de vue social et sociétal et sur les mesures que nous devrions prendre. Le fait de les écouter ou non – c’est très frustrant pour un chercheur de ne pas être écouté – relève de ce Parlement. Par contre, le droit ou non de s’exprimer est fondamental vis-à-vis de nos lois et des principes de la démocratie. Pour que l’Etat fonctionne, il est important de garantir une recherche indépendante, autonome et qui peut s’exprimer. Le musèlement de la recherche constitue, selon moi, un des premiers pas vers un état totalitaire. Il s’agit donc d’un pas dangereux, raison pour laquelle l’autonomie de l’université ainsi que des chercheuses et chercheurs est un pilier important et fondamental et je suis ravie que le Conseil d’Etat continue de l’affirmer.

Mme Sonya Butera (SOC) —

Nous avons parlé de l’autonomie des chercheurs, mais nous pouvons aussi évoquer le statut de l’Unil en ce qui concerne sa relation avec le Grand Conseil. L’Unil est un établissement jouissant d’une très grande autonomie dans le cadre de ses relations avec l’Etat, avec un subventionnement certes étatique. Pour votre information monsieur Carrard, je vous invite à vous rendre sur le site de l’Unil pour vous rendre compte qu’une réflexion a été menée à la demande du Rectorat, sous l’égide du professeur Augustin Fragnière, qui a donné lieu à un document publié au printemps de cette année et qui s’intitule « Engagement public des universitaires : entre liberté académique et déontologie professionnelle ». Il s’agit d’un pavé d’une centaine de pages, mais vous y trouverez certainement toutes les questions que vous vous posez sur l’articulation entre la vie citoyenne d’un chercheur universitaire, son activité professionnelle et son droit à la parole dans le cadre universitaire et privé.

M. Marc-Olivier Buffat (PLR) —

Pour répondre à Mme Valérie Induni qui s’étonnait que je sois toujours là : c’est Papy Mougeot. Elle fait peut-être allusion à cette règle du droit romain qui postulait qu’à partir de 60 ans, on n’était plus éligible. Je plaisante, car on peut aussi parfois faire un peu d’humour dans ce Grand Conseil. Pour en revenir au sujet qui nous occupe, j’ai entendu beaucoup de choses intéressantes qui enfoncent des portes ouvertes sur la liberté d’expression. Or, ce n’est ni la liberté d’expression ni la liberté académique qui sont en cause dans ce débat. En réalité, il s’agit de savoir si, dans le cadre des fonctions que l’on assume – en l’occurrence, la question posée fait référence aux fonctions de deux personnes travaillant au sein d’Unisanté, qui avaient, je le rappelle, une position extrêmement importante dans le cadre de la pandémie COVID-19 – on peut en appeler à la désobéissance. Il ne s’agit pas de savoir ce que l’on pense du climat ou de la liberté d’expression. C’est un appel à la désobéissance et une mise en cause d’autres institutions qui méritent également d’être protégées, comme l’indépendance de la justice. Il s’agit d’un mélange relativement détonnant et étonnant entre, d’une part, une fonction que l’on utilise pour effectuer un appel de fonds qui n’aurait pas de sens dans le cas contraire et, d’autre part, un appel à la désobéissance. Tout cela légitime un certain nombre de questions et M. Carrard a eu raison de rappeler que le Conseil d’Etat effectue une sorte de grand écart, voire botte en touche ou dévie en corner.

Encore une fois, je suis prêt à tout entendre et à avoir des débats aussi vastes que possible sur la question climatique et surtout sur les solutions que l’on peut y apporter. On ne peut toutefois pas réduire la question qui a été posée au Conseil d’Etat à un problème de liberté d’expression. Un professeur ou un chercheur peut avoir une très grande liberté d’expression quand il s’agit de parler de ses compétences ou encore d’éléments qui lui sont propres. En revanche, lorsqu’on agit ès fonction, c’est un peu différent et il y a des limites à la liberté d’expression. Parmi celles-ci, on peut citer celles ayant trait au pénal ; au respect des institutions, telles le Conseil d’Etat auquel on est affilié en tant que haut fonctionnaire de l’Etat de Vaud ; et il y a enfin l’indépendance de la justice. C’est un point qui devrait être un peu plus important, car on ne peut pas dire et faire n’importe quoi en se fondant sur ses fonctions ou compétences.

Dans de telles situations, on est hors des compétences propres des personnes qui se sont exprimées. Indépendamment des questions juridiques qui se posent, je regrette ce genre de prises de position qui n’élèvent pas la clarté du débat et qui entrainent une confusion des genres regrettable et préjudiciable au débat lui-même.

M. Frédéric Borloz (CE22-27) — Conseiller-ère d’Etat

Me Buffat a finalement assez bien défini le rapport entre autorité d’engagement et l’employé qui doit conserver au minimum des relations respectueuses vis-à-vis de celle-ci. Il est certain que tout cela ne doit pas avoir un impact sur la liberté académique ou sur la liberté d’expression. D’ailleurs, je souhaite relever les propos liés à l’autonomie de l’université, car j’espère que vous aurez toujours la même envie de la préserver dans les débats qui nous occuperont par la suite. Cette autonomie est très importante tant pour les chercheurs que pour les enseignants et le rayonnement de l’université, et il faut veiller à ne pas l’entacher de quelque manière que ce soit. Je souhaitais préciser les notions d’autorité d’engagement, mais aussi de réserve vis-à-vis de l’employeur, ce qui me semble normal. Dans tous les cas, il ne s’agit en aucun cas de limiter la liberté d’expression et la liberté académique.

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

La discussion est close.

Ce point de l’ordre du jour est traité.

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