Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 8 février 2022, point 21 de l'ordre du jour

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Rapport de minorite de la commission - 19_MOT_102 - Jean Tschopp

Rapport de majorité de la commission - 19_MOT_102 - Jean-Daniel Carrard

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Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

Décision du Grand Conseil après rapport de la commission - Motion transformée en postulat

M. Jean-Daniel Carrard (PLR) — Rapporteur-trice de majorité

Parler d’argent constitue toujours un sujet sensible qu’il s’agit de dépassionner. Comme le mentionne le rapport, la loi a été modifiée en 2008 pour tenir compte des mêmes interrogations déjà soulevées par le motionnaire. Ainsi, dès 2008, les rentes ont été réglées plus finement avec des taux progressifs en fonction des années de fonction, des taux dégressifs, si le mandat se terminait avant les 65 ans. Il est tenu compte de la durée du mandat, de l’âge et du fait de retrouver ou non un emploi.

Il est question de rente à vie des conseillères et conseillers d’Etat. Je me demande si le terme est bien choisi. Pour nous, il s’agit surtout de réinsertion professionnelle. Lorsque la retraite est proche, on peut imaginer qu’il s’agisse d’un pont ou d’une aide pour le conseiller d’Etat qui s’est dévoué et a sacrifié sa vie professionnelle – puisqu’il s’agit de mandats à 100 % – a subi des investissements considérables de sa vie privée. On mentionnera également sept veuves, pensionnées de l’Etat, des aides qui existent pour les conjoint-e-s qui auraient dû subir ces investissements considérables. Les éléments mis en place permettent aussi une rétrocession si le ou la conseiller-ère d’Etat retrouve un emploi. En outre les plafonds empêchent les conseillères et conseillers d’Etat de gagner plus qu’en fonction.

Par ailleurs, il faut également que ces mandats restent accessibles ; cela ne doit pas être une fonction « chasse gardée » pour une partie de la population possédant un patrimoine suffisant qui leur permettrait de prendre ce risque. Et, en cas de perte d’emploi, ils doivent pouvoir se réinsérer. Il s’agit d’investissements considérables et de réinsertion professionnelle et, si la retraite est lointaine, d’une aide, voire d’une reconnaissance. Au niveau suisse, celles et ceux qui s’investissent à 100 % dans un mandat politique ne deviennent pas particulièrement riches en comparaison des grands capitaines d’industrie qui gagnent des centaines, voire des millions de francs – une autre configuration.

Ainsi, la majorité de la commission considère que les éléments mis en place dès 2008 sont pertinents, suffisants, sans signifier pour autant que le Conseil d'Etat ne peut améliorer la situation, car des éléments pourraient peut-être mis en place, notamment des interdictions de postuler pour certains mandats, pendant un certain nombre d’années après son mandat politique.

En outre, l’indépendance financière et d’esprit est importante. On a pu voir des conseillères ou conseillers fédéraux prendre des mandats à des postes importants dans des administrations ou des secteurs parapublics, ce qui pose la question suivante : lorsqu’ils ont eu à juger ou à prendre des positions lorsque ces entreprises étaient postulantes dans des mandats d’Etat, parvenaient-ils à demeurer indépendants ? L’indépendance financière permet l’indépendance d’esprit. Pour toutes ces raisons, la majorité de la commission vous recommande de refuser cette proposition.

M. Jean Tschopp (SOC) — Rapporteur-trice de minorité

Les rentes à vie des conseillères et conseillers d’Etat ont quelque chose d’anachronique. Historiquement, le système des rentes à vie a été introduit il y a une centaine d’années, à une époque où une candidature au Conseil fédéral était envisagée en fin de carrière, comme une cerise sur le gâteau. Il fallait inciter des personnes compétentes à se porter candidates, et la prévoyance professionnelle n’existait pas.

La fonction de conseiller d’Etat donne droit à un revenu confortable ; aucun régime d’assurance sociale ne garantit le versement d’une rente à vie, dès la fin de son mandat – et non pas à l’âge de la retraite – pour un revenu pouvant s’élever jusqu’à 150'000 francs par an, 60 % du traitement de 250'000 francs, pour les conseillers d’Etat ayant exercé trois mandats, suite à la révision législative de 2008.

Si la rémunération des conseillers d’Etat devait être créée aujourd'hui, ex nihilo, on ne penserait pas à mettre en place un régime de rente à vie. D’ailleurs, aucun canton n’a introduit ce système récemment. Au contraire, les cantons ont supprimé les rentes à vie, comme le Valais, depuis déjà un certain temps, Fribourg ou encore Genève, plus récemment et encore plus proche de nous, au sein duquel il n’existe plus de rente à vie dès la huitième année, et un traitement de maximum 24 mois, une durée de versement des indemnités comparables à celle de l’assurance-chômage. Cette suppression des rentes à vie a été votée par la population genevoise au mois de novembre de l’année passée. A Neuchâtel, une motion qui date du mois de décembre 2021 est pendante, soutenue par des élus de différents partis, qui partent du constat que les élus au Conseil d'Etat sont beaucoup plus jeunes ; le système prévoit une indemnité de reconversion au titre de mesure d’accompagnement.

Les conseillères et conseillers d’Etat ont rajeuni. Ainsi, il n’est pas pareil de se retrouver en fin de carrière à 50, 55 ou 60 ans. Dans notre canton, depuis le début des années 2000, tous les conseillers d’Etat, au moment de leur première élection, avaient moins de 50 ans, voire moins de 40 ans. Quant aux candidatures à des postes de ministre, elles ne manquent pas, comme le montre l’exemple des élections prochaines du 20 mars. Dans notre canton, 25 candidats se sont déclarés pour le Conseil d'Etat, aucun n'invoquant la rente à vie comme l’une des raisons l’ayant incité à se lancer, car ce sont bien entendu d’autres motivations qui incitent une femme ou un homme à se porter candidat.

L’efficacité du régime actuel en termes de lutte contre les éventuels conflits d’intérêts n’est pas flagrante. Le rapporteur de majorité a indiqué l’argument qui tend à montrer les limites de ce système des rentes à vie, un système qui n’a, par exemple, pas empêché l’ancien conseiller fédéral Kaspar Villiger de se voir élu au Conseil d’administration de l’UBS peu de temps après son mandat, ni Moritz Leuenberger au Conseil d’administration d’Implenia, ni Doris Leuthard au Conseil d’administration de Stadler Rail.

Ainsi, il est essentiel de penser à d’autres mesures pour prévenir tout risque de corruption, et cela figure en bonne place dans le rapport de minorité. Des mesures d’accompagnement en cas de suppression des rentes à vie sont impératives, car le but de ces dernières auxquelles les rapporteurs de minorité sont sensibles consiste à éviter le risque de corruption. Ainsi, de quelles mesures d’accompagnement parlons-nous ? D’abord, pour siéger dans un conseil d’administration en lien avec son domaine d’activité, le délai de carence – une mesure plus forte que la rente à vie – ne pèse pas forcément lourd face à des rémunérations, dans le privé, souvent bien plus élevées que ce que permet un poste de ministre. Comme cela figure dans le texte de M. Vuilleumier, il est nécessaire que les conseillers d’Etat soient affiliés à un régime de caisse de pensions – un élément essentiel – et que soit mis en place un régime transitoire pour le respect des droits acquis, un traitement distinct pour la cessation d’activité pour cause de maladie ou d’accident, ainsi que des mesures spécifiques pour les conseillers d’Etat arrivant en fin d’exercice à plus de 60 ans.

En conclusion, au nom de la minorité de la commission, nous vous recommandons de soutenir la motion Vuilleumier, en travaillant à un système de rémunération plus adapté à la réalité actuelle tout comme sur des mesures d’accompagnement nécessaires pour éviter autant que possible tout conflit d’intérêts.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Stéphane Masson (PLR) —

Monsieur le motionnaire et cher collègue Vuilleumier, ce que vous considérez un privilège, j’estime un sacrifice et ce que vous considérez un emploi, j’estime un mandat. Un mandat politique, avec tout ce que cela revêt d’éphémère et de fragile, exige un don de soi pour notre canton, non pas à 100 %, mais plutôt à 150 %. Un sacrifice, car le temps consacré l’est souvent au détriment d’une vie privée et familiale, sacrifice dont l’ampleur et l’efficience sont soumises au couperet des électeurs tous les 5 ans, contrairement à un emploi privé ou public – ce qui, vous en conviendrez, est tout de même particulier. Ce qui précède justifie en bonne logique un traitement particulier, tel que prévu dans la loi sur les rémunérations et pensions du Conseil d'Etat. Un système juste et équitable plus complexe qu’une simple rente à vie. Peut-être conviendra-t-il de l’expliquer, comme le relevait le rapport de majorité. Par conséquent, classons cette motion qui veut faire fi d’une situation satisfaisante, n’en déplaise à ceux qui, comme moi, ne deviendront jamais conseiller d’Etat.

M. Marc Vuilleumier (EP) —

La suppression de ce qu’on appelle peut-être effectivement à tort des rentes à vie, puisqu’il s’agit de rentes qui sont versées entre la fin du mandat et l’âge AVS, est une idée qui fait son chemin. Depuis le dépôt de ma motion, il y a deux ans, d’autres cantons ont aboli le système de rente à vie : sous une certaine forme le Valais, le Jura, Fribourg, Genève, le Tessin et, à Neuchâtel, une motion est sur le Bureau du Grand Conseil signée par les représentants de tous les partis, et va probablement aboutir à la fin des rentes à vie pour les conseillers d’Etat.

Le maintien de ces rentes à vie relève de l’anachronisme. Elles furent mises en place il y a très longtemps, alors que la LPP n’existait pas ou lorsqu’elle n’avait pas déployé tous ses effets, mais aussi au moment où l’immense majorité des conseillers et conseillères d’Etat finissaient leur mandat juste avant la retraite. Aujourd'hui, ces rentes à vie n’ont plus leur raison d’être. Les supprimer, tout comme une autre de nos propositions qui tend à fiscaliser entièrement les indemnités des députés, est une manière de nous rapprocher de la population en renonçant à des avantages dont ne bénéficie pas l’immense majorité, voire l’entier de la population. Ainsi, il s’agit de mettre un terme à un certain « entre soi » du monde politique.

Même si la charge de conseiller d’Etat est effectivement lourde, il existe d’autres charges, fonctions et responsabilités qui ne donnent pas droit à une rente à vie. Notre motion prévoit d’ailleurs un certain nombre de cautèles pour maintenir des avantages ou un aspect incitatif, dont le maintien des droits acquis pour les conseillers et conseillères d’Etat en fonction, la possibilité de payer le traitement pendant 6 à 12 mois après une non-élection, mais aussi la possibilité de trouver une solution et de verser des transitoires à partir de l’âge de 60 ans. Il s’agit d’un moyen de nous rapprocher de la population, de vivre ce point à l’identique de la population et de renoncer à ces avantages comme beaucoup de cantons le font, et le feront encore, puisque cette idée va faire son chemin. Notre groupe souhaite que cette motion soit renvoyée au Conseil d'Etat pour fournir un rapport.

Quant à l’aspect sacrificiel, pour nous, à la gauche de cet hémicycle, gagner 80'000 ou 90'000 francs équivaut déjà à de bons salaires. Toutefois, on constate que la droite parle du fond et du rôle du Conseil d'Etat, des finances et des salaires de ce dernier, comme d’un grand sacrifice ; je peux l’entendre, mais ne partage pas cette opinion. Pour nous il ne s’agit pas de sacrifice, même si la tâche entraîne beaucoup de travail et de renoncement. Les candidats pour les élections du mois de mars sont au nombre de 25, je pense que tout le monde ne tend pas au sacrifice. Je vous demande de faire preuve d’un peu de bon sens et de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.

Mme Amélie Cherbuin (SOC) —

Le groupe socialiste est, dans sa majorité, quelque peu plus nuancé que le rapport de minorité. En effet, il nous semble que d’uniquement renoncer à la rente à vie des conseillers d’Etat au profit d’un assujettissement auprès d’une caisse de prévoyance de l’Etat n’est pas suffisant pour assurer un bon fonctionnement du Conseil d'Etat. Si cette proposition règle en partie la question de la retraite des conseillers d’Etat en leur assurant une sécurité pour l’avenir – sécurité dont d’ailleurs plus personne ne peut se targuer aujourd'hui – elle ne répond pas suffisamment aux autres garde-fous qui ont prévalu à la mise en place de cette rente à vie. Il faut notamment se rappeler qu’assurer une certaine sécurité financière pour notre Conseil d'Etat permet de limiter les tentatives de corruption. En effet, grande peut être la tentation d’accorder des libéralités en échange d’une place dans un Conseil d’administration, d’un poste de direction largement rémunéré à la sortie du mandat politique, surtout si aucune garantie de ressources n’est prévue en amont. La rente à vie, telle qu’elle a été pensée, assurait également une retraite à des personnes au sortir d’un mandat au Conseil d'Etat, à une époque où l’élection intervenait en fin de carrière. Ce n’est plus le cas aujourd'hui, puisque l’âge moyen des élus s’est notablement abaissé. Néanmoins, nos actuels et futurs jeunes fringants conseillers et conseillères d’Etat en sortir de mandat doivent pouvoir envisager leur reconversion avec sérénité.

Dès lors, cette motion qui propose dans sa conclusion de transmettre au Grand Conseil une étude comparative des solutions adoptées par quelques cantons suisses, et ce, afin de trouver la meilleure solution, ne nous paraît pas être l’outil parlementaire le plus adéquat. Non pas que cette étude ne soit pas utile, mais parce que cette demande correspond davantage à un postulat. En effet, ce dernier permettrait une réflexion plus large pour trouver un chemin entre équité de traitement avec la population et protection de l’indépendance de nos conseillères et conseillers d’Etat.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

Demandez-vous officiellement une transformation de la motion en postulat ?

Mme Amélie Cherbuin (SOC) —

Oui, madame la présidente.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est ouverte sur la transformation de la motion en postulat.

Mme Rebecca Joly (VER) —

Dans leur grande majorité, les Vertes et les Verts vont soutenir le rapport de minorité et vous encouragent à renvoyer cette motion au Conseil d'Etat, et ce, pour plusieurs raisons. L’historique de ces rentes à vie a été en partie évoqué, je ne vais donc pas y revenir. Toutefois, on observe que le but de ces dernières est peu atteint par cet outil, ou en tous les cas qu’il ne constitue pas le plus adéquat pour le remplir.

Quant à la lutte contre la corruption et le fait d’assurer la transition entre conseillers et conseillères d’Etat et un potentiel futur professionnel reste une question délicate. Aujourd'hui, il nous semble que l’outil de la rente à vie n’est pas approprié pour résoudre cette question. A fortiori, les exemples donnés par le rapporteur de majorité, soit ceux portant sur le Conseil fédéral, montrent bien que l’outil de la rente à vie n’est pas opportun, puisque le Conseil fédéral bénéficie aussi d’une rente à vie. Or, cela ne permet pas d’éviter les potentiels conflits d’intérêts ou en tous les cas l’image d’un potentiel conflit d’intérêts. Potentiellement, ces conseillers et conseillères fédéraux qui sont partis dans des conseils d’administration après leur mandat n’ont pas forcément accordé de libéralités pendant leur mandat – bien que ce soit l’impression donnée, une impression qui renforce auprès de la population une image négative des partis politiques, des politiciennes et des politiciens, dont nous avons un peu toutes et tous souffert de manière générale. En outre, on l’entend aussi parfois de la part de celles et ceux qui sont dans la rue pour leur campagne : l’idée que les politiciens et politiciennes profitent du système. Dans ce contexte, la rente à vie est une mauvaise image que nous renvoyons.

Aujourd'hui, il existe des outils plus modernes auxquels le canton de Vaud doit aussi réfléchir ; je pense notamment à la solution mise en place par la ville de Lausanne qui a aussi transformé ses rentes à vie en d’autres mécanismes. Pour ma part, l’absence de cotisations de prévoyance professionnelle est actuellement scandaleuse, tout comme le fait qu’il n’existe pas une assurance pour la retraite des conseillers et des conseillères d’Etat – comme c'est également le cas pour nous. Assurer concrètement la retraite d’un conseiller ou d’une conseillère d’Etat relève de l’évidence, tout comme assurer la transition vers un avenir professionnel. Pour nous, l’outil de rente à vie n’est plus apte à remplir ce but, et nous soutiendrons le rapport de minorité et le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat pour rechercher d’autres solutions à l’avenir. En conclusion, je vous invite au nom des Vertes et des Verts à en faire de même.

Mme Aliette Rey-Marion (UDC) —

Cette motion demande l’abolition des rentes à vie pour les conseillers et conseillères d’Etat vaudois. Comme cela a déjà été dit, certains cantons comme le Valais et Fribourg, pour exemple, s’y sont déjà employés. Les temps et les mentalités changent. Il n’est pas rare qu’un conseiller ou une conseillère d’Etat termine un mandat en étant encore jeune et en âge de travailler quelques années avant la retraite. Ainsi, plusieurs questions se posent par rapport à la rente à vie. Aux yeux de la population vaudoise, sur les avantages que s’octroie le monde politique, les rentes à vie des conseillers d’Etat sont souvent sujettes à discussion. En 2022, on peut se poser la question de la pertinence de cette façon de procéder.

En séance de commission, Mme la présidente du Conseil d'Etat Nuria Gorrite nous a exposé le fonctionnement actuel, depuis 2008, de la loi sur les rémunérations et les pensions des membres du Conseil d'Etat. Pour prendre un ou deux exemples : des indemnités pour un mandat jusqu’à deux ans, d’autres jusqu’à 5 ans, une pension pour un mandat entre 5 et 10 ans, etc., et même une rétrocession en cas de gain supplémentaire au salaire d’un conseiller d'Etat en fonction. Je vous avoue que le groupe UDC est partagé face à cette situation et le vote l’illustrera.

M. Pierre-André Romanens (PLR) —

De la part du législatif, il est toujours compliqué de fixer les conditions de retraite de l’exécutif, un peu comme si les employés fixaient les conditions de retraite de leur patron : une position assez délicate, avouons-le, surtout quand les patrons ont une situation qui leur convient et qu’on veut la changer.

Dans une large majorité, le groupe PLR va soutenir le rapport de majorité, car il estime que la loi actuelle, modifiée en 2008, est claire et précise. Le travail minutieux qui a défini les articles que le motionnaire désire modifier n’a pas lieu de l’être, car le travail accompli a permis de clarifier ces mêmes articles. Notre canton possède par conséquent les bons outils et ne connaît pas de problèmes majeurs, parce que nous avons justement une loi qui plaque à la réalité. Nous devons aussi avoir l’honnêteté de reconnaître que les salaires d’un ou d’une conseille-ère d’Etat vaudois-e n’est certainement pas l’élément le plus motivant. La rente à vie conditionnée, comme on la connaît dans le canton de Vaud, n’est pas une mauvaise proposition, et ce n’est pas parce que les autres cantons, les Genevois ou les Fribourgeois, ont changé les choses que Vaud doit suivre.

Les critères de la loi de 2008 qui régissent les retraites du Conseil d'Etat ont comme référence de base la durée du mandat, et ceci est parfaitement approprié, d’autant plus que, par autre critère, un conseiller d’Etat sortant va voir sa rente modifiée ou même stoppée, si elle ou il décide de reprendre une activité professionnelle rétribuée. Encore mieux, le conseiller d’Etat en question se verrait contraint de rembourser tout ou partie de la différence entre les gains cumulés – rente et revenu – et le salaire d’un conseiller d’Etat en fonction, au plafond maximum de sa rente. Les risques sont ainsi complètement limités par la loi actuelle, à fortiori, en favorisant une distanciation de l’attrait pour un ou une conseillère d’Etat sortante de rejoindre un conseil d’administration dès la fin de son mandat. On observe que l’on contraint la conseillère ou le conseiller d’Etat sortant à ne pas rejoindre tout de suite un conseil d’administration – un outil assez précis.

Enfin, notre système politique est basé sur les principes de la confiance et du respect. Notre démocratie doit se nourrir de ces vertus cardinales. Nous pouvons faire confiance à la loi que nous avons modifiée et approuvée en 2008. Dans une large majorité, le groupe PLR soutiendra le rapport de majorité.

Mme Dominique-Ella Christin (V'L) —

Les travaux de la commission se sont tenus il y a plus de deux ans. Depuis, des débats importants dans l’espace public ont eu lieu concernant les rentes à vie. Elles ont été abolies pour les conseillers d’Etat à Genève ou pour les municipaux à Lausanne. Le groupe des Vert’libéraux sera en principe favorable à un renvoi de cette motion au Conseil d'Etat. Il estime que ni les salariés ni les indépendants n’ont droit à une rente à vie et ne trouve pas de raisons suffisamment convaincantes pour justifier que les conseillers d’Etat continuent à bénéficier de ce privilège particulier. Bien sûr, le système des pensions garanties a été adopté en 2008 avec des ajustements qui tiennent compte de l’âge d’entrée en fonction d’un conseiller d’Etat, de la durée de son mandat ou de l’activité lucrative de celui-ci au terme de son mandat. Bien sûr, le fait que les conseillers d’Etat ne cotisent pas véritablement au deuxième pilier contribue à faire de ce mandat une fonction à part. Bien que le régime actuel ne garantisse pas l’indépendance avec laquelle un conseiller d’Etat exerce sa fonction, la perspective d’une sécurité financière à l’issue de son mandat la favorise certainement et permet de lutter contre les conflits d’intérêts. Bien que les postes à haute responsabilité représentent une charge particulièrement lourde aussi bien dans le privé que dans le public, exercer la fonction de conseiller d’Etat a ceci de différent que cela implique de maintenir une posture en permanence, y compris à l’issue du mandat. Toutefois, toutes ces raisons ne semblent pas assez convaincantes pour refuser de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat afin que ce dernier propose un projet équilibré permettant de faire évoluer ce régime en abolissant des rentes à vie. Le groupe des Vert’libéraux vous invite à soutenir le rapport de minorité.  

Mme Cloé Pointet (V'L) —

Ce n’est plus un secret pour personne, mais je préfère déclarer mes intérêts : je suis candidate au Conseil d'Etat. On m’a déjà plusieurs fois demandé ce que je ferais avec mes études en cas d’élection. Tant que les conseillers d’Etat bénéficieront de rentes à vie, je dois vous avouer que je ne m’inquiète pas trop. Car oui, même si je suis jeune et que le système prévoit des pénalités en cas de départ avant 55 ans, je me suis amusée à calculer ce que je gagnerai comme rente – les chiffres étant bien entendu approximatifs.

En ne restant que 5 ans, je gagnerais environ 20'000 francs par année. Après 10 ans, cela devient plus intéressant, car le montant s’élève à 82'500 francs par année, soit 6875 francs par mois. Je vous promets que je n’espère pas la moitié de ce montant comme salaire pour mon premier emploi – quand il viendra. Et si mon mandat dure 15 ans, alors il s’agirait de presque 9000 francs de rente par mois à vie. A 38 ans ? Plutôt sympa. Ce système est-il encore adapté ? Car oui, les chances que je sois élue à 23 ans sont faibles. Mais l’âge des élus baisse gentiment, et il est ainsi temps d’adapter ce système. Alors, plaçons les membres du Conseil d'Etat dans un système de rentes tel que le connaissent les employés de l’Etat et, s’il y a lieu de couvrir le risque de ne pas être réélu, un système de parachute fera l’affaire.

Mme Eliane Desarzens (SOC) —

J’ai fait partie de la commission chargée d’étudier la motion de M. Vuilleumier. A ce titre, je me permets d’intervenir pour revenir sur le refus de la commission de transformer cette motion en postulat, comme le permet l’article 123 de la Loi sur le Grand Conseil (LGC). Les explications issues des deux rapports et les arguments entendus de part et d’autre de l’hémicycle laissent la porte ouverte à d’autres questions existentielles, complexes à plus d’un titre. L’absence d’unanimité au sein de la commission – 6 voix favorables contre 7 et 2 abstentions, un rapport de majorité et de minorité – témoigne de la complexité du sujet. Tout, un peu, rien… La réponse ne va pas de soi. La problématique des rentes à vie ou non des conseillères et conseillers d’Etat mérite un examen plus poussé. Certes, le régime auquel elles et ils sont assujettis a été révisé en 2008. Or, nous sommes en 2022, la motion date de 2019, et les conditions dans lesquelles l’exécutif cantonal est appelé à travailler puis à vivre ont été relevées. Par égard pour l’importance de la fonction et ses incidences sur l’actuelle fonction des membres de notre gouvernement, nous nous devons de reprendre les différents éléments et d’en discuter en commission. Ainsi, le groupe socialiste appuie la transformation de la motion de M. Vuilleumier en postulat.

Mme Graziella Schaller (V'L) —

D’emblée, je déclare aussi mes intérêts, comme ma collègue Cloé Pointet que je remercie infiniment d’avoir pris le temps de calculer ces montants. J’aimerais aussi préciser que la rente à vie n’a pas été la motivation principale pour laquelle je suis candidate au Conseil d'Etat. A l’instar de mon groupe, je vous invite à soutenir cette motion. En effet, comme cela a été dit, depuis le temps des travaux de la commission, des changements ont eu lieu. Genève a modifié son système, Lausanne – et je tiens à le préciser, sous l’impulsion d’un conseiller communal de droite, M. Valentin Christe, UDC – a obtenu également de modifier ce règlement. Je vous invite à consulter ce qui a été mis en place. La droite du conseil a également plaidé pour ceci.

Il a beaucoup été question d’indépendance, de problèmes de réinsertion. J’aimerais tout de même vous rappeler qu’un conseiller d’Etat a une chance incroyable de se constituer un réseau dans les entreprises, de s’entretenir avec des gens qui peuvent les pistonner un petit peu. Je ne pense pas qu’il y ait le moindre souci à retrouver un autre emploi après ce genre de charge. Pour moi, un certain nombre de questions sont ouvertes auxquelles il a peut-être été répondu en commission. Néanmoins, que se passe-t-il avec le libre-passage de quelqu’un qui accède au Conseil d'Etat ? Est-il versé à la caisse de pensions ? Touché ? Il serait pour le moins intéressant qu’on en sache un peu davantage. Avec un salaire de ministre, comme on dit, un conseiller d’Etat aurait tout loisir de se constituer ce qu’on appelle un troisième pilier. Nous sommes certainement nombreux à en avoir constitué. Je n’ai par conséquent aucun souci pour l’avenir d’un retraité du Conseil d'Etat, s’il n’y avait pas de rente à vie. En conclusion, je vous invite à accepter cette motion telle quelle et à la renvoyer au Conseil d'Etat.

M. Alexandre Berthoud (PLR) —

J’ai une question un peu plus précise à adresser au motionnaire, comme il fut municipal à Lausanne. Comme on aime beaucoup la transparence dans ce plénum, y compris ou surtout votre parti, j’aimerais connaître votre situation. Êtes-vous au bénéfice d’une rente ? Si tel est le cas, quel est le montant de votre rente à vie ? Je pense qu’en termes de déclaration d’intérêts, c’est un élément important à connaître, au-delà du débat d’idées par rapport aux rentes à vie qui concernent le gouvernement vaudois. Monsieur Vuilleumier, je vous remercie d’y répondre.

M. Yannick Maury (VER) —

Le 28 novembre dernier, comme l’a rappelé Jean Tschopp en préambule, plus de trois quarts de la population genevoise acceptait l’initiative visant à abolir les rentes à vie des conseillers et conseillères d’Etat. Les citoyens et citoyennes de Genève ont renvoyé un signal fort : ils ne veulent plus de ce qui est aujourd'hui considéré par beaucoup, à tort ou à raison, comme un privilège. A peu près toutes les dernières votations nous ont montré que les citoyennes et les citoyens des cantons de Vaud et Genève votent presque systématiquement de la même manière. Par analogie, on peut supposer que si pareil scrutin avait eu lieu dans notre canton, le résultat serait peu ou prou identique. La position de la population semble claire à ce sujet.

Je me sens par conséquent assez mal à l’aise avec le rapport de majorité, qui ne tient à mon sens pas vraiment compte de la volonté populaire. Le rôle d’un Parlement consiste entre autres à légiférer lorsque le peuple nous envoie un message sans équivoque. Aller à contre-courant de ce message consiste en quelque sorte en un pied de nez à la population. Ainsi, nous savons pertinemment que la population est défavorable aux rentes à vie et que, si cet objet était soumis au verdict des urnes, les rentes seraient abolies. Il est donc assez paradoxal et absurde de ne pas tenir compte de cet état de fait et de vouloir à tout prix les maintenir.

Pour ces raisons, et comme la très grande majorité du groupe de Verts, je vous invite à soutenir le rapport de minorité et à renvoyer au Conseil d'Etat cette motion modérée et réfléchie qui prévoit des mesures transitoires appropriées par respect pour la volonté populaire clairement exprimée ces dernières années ou mois dans les différents cantons romands.  

M. José Durussel (UDC) —

Les conseillères et conseillers d’Etat sont toujours plus jeunes ; c’est tant mieux. Des adaptations ont été effectuées en 2008, comme cela a été relevé dans les rapports. Cela est très bien, même si cela remonte déjà à 14 ans. De nos jours, nos conseillers d’Etat ont souvent des activités professionnelles bien rémunérées avant leur élection – du moins je l’espère – qui devraient leur assurer une fin de carrière avant la retraite assez agréable. J’ai tout de même une question – sans savoir si j’obtiendrai la réponse – à nos syndics professionnels en fonction actuellement. Mesdames et messieurs, avez-vous aussi une rente à vie en cas de non-réélection ? Enfin, je soutiens la transformation de la motion en postulat. Notre groupe reste partagé sur cet objet.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

Je formule le vœu que toutes et tous ne vous répondent pas par voie directe, mais par mail ou message téléphonique.

M. Serge Melly (LIBRE) —

A première vue, mais à première vue seulement, les arguments de la majorité semblent pertinents. Mais en les examinant de plus près, on les découvre plutôt alambiqués, à la limite du spécieux. En effet, imaginer qu’un membre du Conseil d'Etat, parce que privé de rente à vie, passe la moitié de son temps à réfléchir à quel conseil d’administration il va pouvoir adhérer à la fin de son mandat revient à lui faire un procès d’intention avec effet rétroactif, si vous me permettez cet oxymore ! Ce risque est un cas d’école qui ne tient pas, face à la réalité de la situation. Rente à vie, cela sent déjà l’ancien régime, mais rente à vie pour les membres du gouvernement, cela sent les privilèges d’un autre âge ! Certes, ces rentes sont un fondement historique, comme d’ailleurs la défiscalisation des indemnités des députés, mais qui doivent s’effacer devant les changements de notre société, notamment dans la conception de l’égalité de traitement pour tous. Ce genre de dispositions ne passent plus auprès de la population, comme l’a rappelé mon préopinant Maury, et le résultat de la dernière votation genevoise sur le sujet est éloquent. Il n’est pas difficile d’imaginer le résultat d’une initiative vaudoise. La position de la majorité est donc un baroud d’honneur. Aujourd’hui, elle sauvera peut-être la rente à vie, mais cette dernière est d’ores et déjà condamnée à mort.

M. Marc-Olivier Buffat (PLR) —

En effet, tous les avis sont possibles, mais en écoutant les intervenants, j’ai surtout la conviction qu’on ne prend pas le problème par le bon bout ou qu’on veut prendre le problème seulement par le bout qui nous arrange ; cela m’indispose fortement dans le texte déposé. Discuter de la question des rentes à vie et en considérer le caractère obsolète, suranné, dépassé ne doit pas se dissocier d’une discussion sur la rémunération. Plusieurs formules ont été utilisées : bon salaire, salaire élevé, voire très élevé. J’ai le sentiment brut de décoffrage qu’un montant brut de 251'000 francs pour les fonctions exercées par nos conseillers et conseillères d’Etat n’est pas mirobolant. Je puis vous assurer que, lorsque vous travaillez dans le privé, la rémunération est tout autre. Il a même existé ou existent encore des hauts fonctionnaires qui sont mieux payés que les membres du Conseil d'Etat. Je vous passe toutes les institutions parapubliques – géant orange, notamment – pour lesquelles les rémunérations équivalent à trois ou quatre fois le salaire d’un conseiller d’Etat. Pour les fonctions et les risques opérés, cela ne me semble pas un salaire extrêmement élevé.

Nous pouvons bien, tous les dix ans, reprendre la discussion et tout réformer. Toutefois, prendre le problème par le seul bout qui consiste à dire : « ah ! quand même c’est scandaleux, suranné, plus personne ne comprend cela ! » ne me paraît pas opportun. Même si c’est un salaire élevé – j’en conviens aisément – 251'000 francs bruts par année pour la tâche qui incombe à ces conseillers et conseillères d’Etat, cela mériterait aussi discussion quant à une réévaluation. Ainsi, la question est mal posée, la solution sera forcément mauvaise.

Il est vrai qu’aujourd'hui l’âgisme étant d’actualité, on veut des conseillères et des conseillers d’Etat plus jeunes. En outre, la population admet une très grande mobilité, y compris chez les jeunes ; toutes les entreprises sont frappées par un gros taux de turn over. Tout change ! Les rémunérations, les habitudes des gens aussi. Si nous voulons supprimer les rentes à vie, alors il faut réformer la totalité du système, ou alors ce dernier sera bancal. Supprimons carrément le Conseil d'Etat, ainsi nous n’aurons plus de soucis, ni de rentes à vie, mais une espèce de conseil des sages, comme dans l’Antiquité : des gens qui n’ont plus besoin de gagner leur vie, et qui n’auront plus d’intérêts, plus de fils à la patte… A dire vrai, je n’ai pas le sentiment qu’aujourd'hui se présenter comme conseiller ou conseillère d’Etat sortant de charge soit une plus-value extraordinaire. Si vous me passez un raccourci, il y a 30, 40 ou 50 ans, il fallait avoir fait une carrière militaire ; aujourd'hui, cela est terminé. Lorsqu’on observe la méfiance que nourrissent les gens – à tort – vis-à-vis de nos institutions et de nos magistrats, je ne pense pas que leur futur sera extraordinaire. Ce débat me paraît quelque peu indécent, malodorant, pour ne rien vous cacher, et je pense que le problème est attaqué par un mauvais bout. Peut-être bien faudrait-il une rente LPP, revaloriser les salaires ou supprimer les rentes à vie… Mais cela nécessite une réforme complète. Jusque-là, je n’entre pas en matière sur ce genre de discussions.

M. Marc Vuilleumier (EP) —

Nous vivons un monde formidable ! Ce matin, nous avons discuté pendant une heure et demie du taux unique, débat pendant lequel on nous a dit que le sujet n’était pas abordé du bon bout, qu’il fallait réformer l’entier de la politique fiscale de ce canton et qu’ensuite on verrait ; et, aujourd'hui, il ne s’agit à nouveau pas de la bonne manière de travailler, puisqu’il faut réviser l’entier de la rémunération, notamment du Conseil d'Etat, et ne pas seulement adopter une solution sectorielle. Finalement, à voir les réactions, il me semble plutôt que cette motion tape juste.

Pour répondre à M. Berthoud, qui s’est fait le grand spécialiste de l’élévation des débats, je lui réponds très volontiers, même s’il connaît d’ailleurs la réponse. J’ai terminé mon mandat de municipal le 30 juin 2016 et j’ai eu 65 ans le 13 novembre 2016 – s’il veut me faire un petit cadeau, cela fait toujours plaisir – nous sommes donc loin des 25 ans d’éventuelles rentes à vie de Mme Pointet. (Rires)

M. Didier Lohri (VER) —

Je faisais partie de la commission qui a étudié cette motion et qui, au vote, a rencontré 5 abstentions sans faire l’objet d’explications. Si je faisais partie des abstentionnistes, j’étais convaincu, il y a deux ans, que le Conseil d'Etat aurait fait une proposition comme le rapporte le motionnaire en poursuivant sa réflexion. Que nenni ! – M. Christen se charge des signes pour les malentendants… ! (Rires) Il empoigne ce sujet sensible comme d’autres, notamment, la péréquation. Nous sommes tranquilles ! Alors, renvoyer ou non cette motion, cela ne changera rien, tant que le Conseil d'Etat ne présente pas son projet avec ses sensibilités et son adéquation avec la volonté du peuple. Si vous voulez tirer un parallèle avec les communes, il me semble que le sujet aurait dû être présenté en fin de législature, afin de prévoir un budget 2023 des prochains conseillers d’Etat. C’est ainsi que je poursuivrai bêtement dans ma position d’abstentionniste, déçu du manque d’anticipation du Conseil d'Etat, désabusé par le fait que la décision qui tombera en vote final risque de ne pas revenir devant ce plénum de sitôt. En un mot : votons l’abstention.

M. Jérôme Christen (LIBRE) —

Mme Schaller nous a expliqué qu’un conseiller d’Etat n’avait aucune difficulté à retrouver un emploi en raison du réseau qu’il va pouvoir se constituer… Madame Schaller, c’est bien là que réside le problème ! Si un élu se constitue un réseau par la force des choses, c’est tant mieux, mais si cela devient l’un de ses objectifs pour assurer son avenir, c’est malsain. Or, si l’on supprime toute rente, l’un de ses objectifs, même si ce n’est pas le principal, ce dont je ne doute pas, sera inévitablement à un moment donné de se constituer un réseau pour son futur. Je pourrais citer des exemples, mais je ne m’y emploierai pas par charité chrétienne. Il existe par conséquent un risque évident de compromission et de corruption que la rente permet d’éviter. Un conseiller d’Etat peut être tenté de rendre service, de constituer un réseau, avec des cadeaux, dans l’espoir de retours d’ascenseurs, lorsqu’il sera à la retraite. Le système actuel n’est certes pas idéal, mais la solution préconisée par M. Vuilleumier est un remède pire que le mal.

M. David Raedler (VER) —

En complément aux propos exprimés, il faut rappeler que cette rente peut avoir un but tel que mentionné par M. Christen, liée au conflit d’intérêts. A nouveau, cela nous montre que nous ne nourrissons pas un très fort respect de nos institutions, puisqu’on considère que tous les conseillers d’Etat peuvent faire l’objet de conflits d’intérêts très marqués, qu’ils viendraient accepter des pots-de-vin pour ensuite se prendre un petit siège confortable dans un conseil d’administration, ce qu’on espère n’être pas le cas, et ce qui potentiellement pourrait même être l’objet de poursuites pénales selon les situations, ce qui n’est naturellement pas dans leur intérêt.

Il faut aussi rappeler ce qu’a dit M. Tschopp au début du débat par rapport au fait que cette rente a bien été posée avant que le régime actuel, notamment de la LPP, existe. Si nous tirons un parallèle avec le droit privé, une disposition est souvent oubliée, car souvent pas appliquée, qui est l’article 339b du Code des obligations (CO) et qui s’applique au droit privé. Cette disposition prévoit une indemnité à raison des longs rapports de travail, pour les travailleurs et travailleuses qui ont plus de 50 ans. Une indemnité qui doit être payée par l’employeur justement lorsque l’on considère que les employés peuvent rencontrer une difficulté, par la suite, à trouver un travail. Une règle dont le but social est évident, qui devrait être appliquée, et, en fait, depuis l’adoption de la LPP, ce n’est plus le cas, car nous sommes partis de l’idée que la LPP remplaçait en quelque sorte le but social de cette règle, et qu’il n’était dès lors plus nécessaire d’avoir une indemnité pour les longs rapports de travail. Savoir ce qui peut être fait des travailleurs et des travailleuses qui ont plus de 50 ans constitue un débat en tant que tel, mais, dans le domaine privé, le constat montre que ce type de rente ou d’indemnité après une certaine période de travail n’existe pas ou plus, parce que des alternatives de retraite les remplacent. Pour ce motif, il faut se montrer exemplaire et partir du constat qu’une rente à vie est superflue après une position qui naturellement ouvre le réseau sans que cela n’entraîne de la corruption.

M. Alexandre Berthoud (PLR) —

Je remercie M. Vuilleumier de me considérer comme un spécialiste ou un grand spécialiste du sujet, car ce n’est pas du tout le cas. Je ne vous ai nullement demandé votre âge, mais plutôt posé deux questions. D’abord, touchez-vous une rente à vie ? Vous êtes l’auteur du texte. Et, si oui, de combien ? Il s’agit de deux réponses et de deux mots.  

Mme Nuria Gorrite (C-DCIRH) — Conseiller-ère d’Etat

D’abord, j’aimerais vous remercier pour la qualité de ce débat et sa tenue – globalement. (Rires). La position du Conseil d'Etat n’est pas exactement habituelle et simple – vous l’imaginez aisément – dans cette situation. Peu d’hommes et de femmes, en réalité, dans nos vies respectives se trouvent dans la situation d’évoquer leurs conditions financières. Je prends note de la position du motionnaire qui indique vouloir préserver les droits acquis, ce qui nous met parfaitement à l’aise pour nous exprimer aujourd'hui, dès lors qu’il ne s’agit pas de nos situations personnelles, et je prends note aussi de la déclaration du motionnaire sur une révision de la nomenclature, de la définition, puisque vous avez vous-même indiqué que c’est à titre abusif que vous avez parlé de rente à vie. Sans doute est-ce un thème qui, à juste titre, peut choquer la population.

Nous comprenons tous que l’entier des hommes et des femmes de ce pays est au bénéfice d’une rente à vie : la rente LPP. Or, ce n’est pas le cas des élus à l’exécutif cantonal, puisqu’en arrivant, lorsque nous sommes élus au Conseil d'Etat vaudois, la cotisation LPP cesse, et nous sommes placés au bénéfice de la loi que le Parlement a décidé de voter. Il ne s’agit pas de s’octroyer soi-même un quelconque privilège, mais seulement d’être assujetti à la loi. En effet, ce Parlement a décidé de soumettre à ces conditions particulières les retraites des hommes et des femmes élues pour exercer des fonctions – non des métiers – au sein du gouvernement : cela fait une grande différence. En effet, nous n’exerçons pas un métier, mais une fonction qui découle d’une élection. En outre, il n’existe pas de contrat de travail ni de rente LPP, de la même manière, lorsque nous rentrons à la maison, nous n’avons pas terminé notre travail, nous sommes toujours en fonction. Si nous sommes en vacances, nous sommes en fonction, quand nous sommes en famille ou en train de faire nos courses dans une grande surface, nous sommes en fonction. Raison pour laquelle – je sens une forme d’agitation au fond de la salle, mais je présume qu’elle n’a rien à voir avec ma déclaration – ce Parlement a considéré qu’il y avait lieu de ne pas priver d’une retraite quelqu’un qui exerçait une fonction au sein de la collectivité. A fortiori, lorsqu’on défend les conditions de travail et de retraite des hommes et des femmes de ce canton, parions qu’il n’y a pas lieu d’exclure d’emblée sept personnes, parce qu’elles ont exercé des fonctions au sein d’un gouvernement ; cela s’appelle tout simplement : la juste retraite.

Le Conseil d'Etat vaudois actuel convient de discuter de cette thématique : une question qui lui a toujours paru légitime, comme indiqué en commission et rappelé par Mme Aliette Rey Marion. Il s’agit de savoir quelles sont les conditions de retraite qui doivent s’appliquer aux magistrats qui ont consacré 2, 5, 10, 15, parfois 20 ans de leur interruption de carrière professionnelle au service de la collectivité publique, en exerçant des responsabilités.

Par ailleurs, le droit évolue, raison pour laquelle votre propre Parlement, en 2008, a modifié les conditions de retraite des conseillers et conseillères d’Etat, non seulement parce qu’il y avait lieu de les clarifier, notamment lorsqu’une personne est frappée par une maladie ou par une maladie de longue durée pour pouvoir bénéficier d’une rente. Il s’agissait également de tenir compte du fait que l’âge d’entrée en fonction au Conseil d'Etat, aujourd'hui, peut évoluer, s’abaisser. A cet égard, Madame Cloé Pointet, j’ignore quel sera votre destin personnel le 20 mars ou le 10 avril, mais je constate que les conditions d’entrée dans la fonction sont différentes de celles qui prévalaient vraisemblablement dans les années 80. En effet, l’entrée dans la fonction se fait plus jeune. J’observe également que les statuts et les profils socio-économiques diffèrent. Auparavant, il n’était pas rare d’appartenir à des classes sociales qui vous mettaient d’emblée à l’abri d’un quelconque besoin en matière de retraite. Aujourd'hui, ce sont des profils différents, en termes d’âge – il est vrai – mais également en termes socio-économiques et de réseaux, de posture politique également, et qui ne sont parfois pas proches des conseils d’administration très rémunérateurs.

Le Conseil d'Etat a pris acte que le droit et la situation évoluent, que les conditions de retraite des conseillers d’Etat ont déjà changé, pour tenir compte de ces différents facteurs. Toutefois, les questions que M. Christen a posées prévalent. Ce débat doit se conduire dans la sérénité pour savoir comment et à quel régime soumettre des hommes et des femmes à des conditions de retraite dignes, qui leur permettent de se prémunir de deux questions qui s’avèrent centrales ; la première est posée par M. Christen. Elle est relative à l’indépendance des conseillères et conseillers d’Etat en lien avec leur mandat, car vous n’êtes évidemment pas sans savoir que nous avons deux pouvoirs majeurs : celui de nommer des gens et celui de donner de l’argent ; deux pouvoirs centraux qui parfois peuvent susciter quelques ambitions ici ou là. Ainsi, la manière dont le magistrat exerce son indépendance dans sa fonction est évidemment liée – et vouloir en faire abstraction est preuve de naïveté – à sa condition personnelle, puisque les mandats ont un terme et qu’il faut imaginer la suite. La deuxième question est liée à l’après-mandat, c’est-à-dire à l’insertion professionnelle à l’issue du mandat du conseiller d’Etat, une question qui se posait moins à l’époque, non seulement à cause de l’âge, mais aussi des origines sociales des élus qui avaient vraisemblablement une autonomie financière préalable à leur mandat.

Aujourd'hui, la question de la réinsertion apparaît en filigrane tout comme celle du délai de carence entre la fin du mandat et le début du prochain engagement. C’est la question qui doit à mon sens être légiférée, car autour de cette préoccupation ce sont les règles dites du « pantouflage » qui doivent s’appliquer, l’indépendance des magistrats, l’affranchissement des liens d’intérêts avec les différents milieux avec lesquels nous interagissons en défense des intérêts de l’Etat, de la communauté et non pas des intérêts privés.

Aujourd'hui, les conseillers d’Etat ne cotisent pas à la LPP, mais voient un prélèvement de 10 % de leur salaire pour alimenter un compte à la Chancellerie qui, lui, vise à payer les rémunérations des anciens conseillers d’Etat et veuves de conseillers d’Etat. Cette question devra être tranchée en cas d’évolution des dispositions qui pourraient s’appliquer. En outre, je précise que dans les faits la réforme de 2008 n’est pas encore entrée en vigueur, puisque deux de nos collègues actuels sont encore au bénéfice de l’ancien régime. Les nouvelles dispositions ne commenceront à s’appliquer qu’ensuite. Nous avons certes dix ans du nouveau régime, mais sans qu’il soit appliqué, dès lors que nos collègues sont encore au bénéfice des droits acquis de l’ancien droit.

En conclusion, le Conseil d'Etat a commencé le travail demandé par la motion Vuilleumier, à savoir de collecter les informations dans les autres cantons. Le résultat est assez lisible, car très contrasté : 26 cantons pour 26 situations différentes, que cela soit en termes de niveaux de rémunération, de droit ou non à une rente à vie, en termes d’indemnités de départ, de modèles de cotisation, d’assujettissement ou non à la LPP, d’assurance couvrant les enfants, de protection des veufs ou veuves en cours de mandat. En d’autres termes, un nombre de questions infinies se pose. Le Conseil d'Etat constate que la motion demande d’élaborer un rapport faisant état d’une comparaison intercantonale et d’examiner quelles seraient les questions ou les pistes qui pourraient faire l’objet d’une réforme. Ainsi, il nous apparaît que cette forme s’apparente davantage à un postulat qu’à une motion, raison pour laquelle nous avons indiqué être favorables à un postulat. Dans ce sens, le Conseil d'Etat n’est pas opposé à documenter cette question à l’intention du Parlement.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est close.

Le Grand Conseil accepte la transformation en postulat par 105 voix contre 22 et 11 abstentions.

Le Grand Conseil prend le postulat en considération par 89 voix contre 44 et 6 abstentions.

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