Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 29 juin 2021, point 30 de l'ordre du jour

Texte déposé

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Documents

Rapport de minorite de la commission - 19_INI_013 - Julien Cuérel

Rapport de majorite de la commission - 19_INI_013 - Jean Tschopp

Objet

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Jean Tschopp (SOC) — Rapporteur-trice de majorité

C’est un sujet ancien qui nous occupe, puisque la commission s’est réunie le 21 juin 2019 pour se prononcer sur cet objet. L’initiant propose l’introduction d’une motion populaire qui permet, moyennant 750 signatures de citoyens, de pouvoir enclencher une nouvelle procédure et d’introduire un nouveau droit populaire qui se situe à mi-chemin entre la pétition et les initiatives ou référendums. Les initiatives et référendums, avec les votations populaires qu’elles provoquent, lient les autorités et la pétition est un outil populaire beaucoup plus souple et moins contraignant pour les autorités.

La commission a débattu de la proposition de notre collègue Dolivo. Une majorité de la commission ne voit pas de valeur ajoutée à l’introduction d’une motion populaire. Un regard sur les cantons qui pratiquant cet outil montre que la plupart d’entre eux ont provoqué un classement de la plupart des motions populaires — si on prend l’exemple du canton de Fribourg, sur les 23 motions populaires qui ont été déposées en l’espace de cinq ans, 15 ont été refusées, deux ont été jugées irrecevables et six ont été prises en considération ; sur ces six, seulement quatre ont été suivies d’effets.

Du point de vue de la majorité de la commission, cet outil pose problème, puisqu’en réalité on confond un droit populaire avec une procédure parlementaire. La population peut être à l’initiative de cet outil, mais ensuite le Parlement reste seul maître de la procédure, du suivi et du traitement qu’il souhaite faire de cette demande.

En conclusion, ce nouvel outil n’offre pas de réelles plus-values du point de vue des droits populaires. A contrario, il risque d’affaiblir les vrais outils qu’il faut absolument valoriser : le droit à l’initiative, les droits de référendum qui garantissent, en cas de votation populaire, de lier les autorités et qui obligent ces dernières à appliquer ce que demande la population. De notre point de vue, il faut valoriser cela avant tout, plutôt que créer de nouveaux outils — on le voit avec les chiffres du canton de Fribourg — à l’issue incertaine et pouvant détourner la population de ses droits les plus efficaces et les plus éprouvés pour changer les choses. La majorité de la commission, par 8 voix contre 4 voix et 3 abstentions, vous recommande de ne pas prendre en considération cette initiative.

M. Julien Cuérel (UDC) — Rapporteur-trice de minorité 1

Je remercie M. Tschopp pour son rapport, mais la minorité de la commission voit une valeur ajoutée à l’introduction de la motion populaire. Nos institutions et notre démocratie directe jouent un rôle central dans notre fonctionnement, notre démocratie, nos institutions, notre canton et nos communes. Mais la minorité pense que tout renforcement des droits populaires améliorerait ce fonctionnement. Toutefois, la complexité et la lourdeur des possibilités actuelles réduisent à quasi-néant les propositions de groupes de citoyens ou citoyennes. En effet, il y a la possibilité d’utiliser une pétition, mais cette dernière est rarement suivie d’effets ; sa portée est très faible et elle ne peut pas demander impérativement au Conseil d’État de prendre une mesure. En revanche, l’initiative populaire ou le droit de référendum sont des moyens importants en matière de récolte de signatures par exemple, ainsi que pour mener une campagne, puisque cela aboutit à un vote populaire. Dès lors, la minorité de la commission estime que la motion populaire constitue un excellent outil permettant à certains groupes de citoyens et citoyennes de porter un objet devant notre Parlement sans devoir passer par les élus. Certes, nous sommes des élus et représentons le peuple, mais passer par nous oblige forcément à donner une couleur politique à l’objet que l’on souhaite soumettre au Parlement. Nous pensons que ce n’est pas forcément la volonté de l’ensemble des citoyens, qui auraient dès lors la possibilité de s’exprimer par ce biais. Je vous encourage donc à accepter cette motion populaire qui permettra de renforcer les droits des citoyennes et des citoyens.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est ouverte.

Mme Elodie Lopez (EP) —

La motion déposée par notre ancien collègue Jean-Michel Dolivo vise à introduire un nouvel outil démocratique : la motion populaire. Cet instrument permet d’élargir la participation démocratique et, par là même, de l’encourager, ce qui est fondamentalement une très bonne chose, d’autant plus à l’heure actuelle où des défis de taille se jouent, défis qui nécessitent une implication de tous les acteurs et actrices de notre société et un fort engagement de la population. Certes, nous sommes des élues et élus et représentons la population, mais les résultats des dernières votations montrent que, même en conduisant des dossiers sur lesquels on manque d’engagement au sein de la population, on n’arrive pas à faire avancer les choses. C’est donc une bonne chose à l’heure actuelle où les appels à davantage de démocratie participative sont toujours plus nombreux notamment au sein de la population, mais en particulier au sein des mouvements sociaux. Une motion a été déposée par notre collègue Pierre Zwahlen, qui vise à répondre à cette préoccupation. En ce sens, cet objet répond — partiellement certes — à la volonté actuelle d’introduire davantage de participations citoyennes sur le plan des décisions politiques. Si elle était introduite, la motion populaire compléterait les outils démocratiques existants en comblant des écarts entre l’initiative populaire et la pétition.

J’aimerais encore rappeler que la motion populaire existe dans d’autres cantons — Schaffhouse depuis une quinzaine d’années, Fribourg, Neuchâtel, Soleure. Si elle a parfois conduit à des classements, elle a aussi donné des débats intéressants au Parlement et une forme politique à des revendications portées par les mouvements sociaux. Par exemple, à Neuchâtel et à Fribourg, elle a permis aux jeunes engagés pour le climat de faire usage de cet outil et elle a conduit à des motions populaires en lien avec les questions climatiques. Dans le contexte actuel, une telle participation de la société civile aux problématiques environnementales est très bien vue. Cette considération s’applique évidemment à d’autres questions politiques. Pour toutes ces raisons, le groupe Ensemble à Gauche et POP vous invite à soutenir cette motion en suivant la minorité de la commission.

M. Alexandre Rydlo (SOC) —

Le groupe socialiste vous invite à refuser cette initiative. Notre Constitution offre un panel efficace de droits populaires. La personne ou le groupement de personnes qui souhaitent proposer des changements disposent de tous les outils nécessaires, bien plus efficaces que le dispositif proposé par l’initiant.

Au contraire, l’outil proposé par l’initiant, plus qu’efficace pour faire bouger les choses, sera plutôt efficace pour gripper le système. Les droits actuels sont bien plus efficaces d’un point de vue processuel. En revanche, en effet, les droits actuels nécessitent de récolter, sur le terrain, quelques milliers de signatures et convaincre les gens ; bref, il faut se bouger ! Cela prend du temps et de l’énergie. Lorsque l’on voit comment l’outil proposé est peu utilisé et efficace dans les autres cantons, mieux vaut miser sur les outils actuels, utilisés, connus et efficaces.

M. Pierre Zwahlen (VER) —

La motion populaire est utilisée dans les cantons de Schaffhouse, de Soleure et dans deux cantons romands : Neuchâtel et Fribourg. Elle permet l’expression d’une demande sur laquelle le Grand Conseil reste parfaitement maître ; il décide ou non de la prendre en considération. Il a été donné l’exemple de Fribourg où six de ces motions populaires ont été prises en considération ; c’est une décision souveraine du Parlement. Comme l’a expliqué le rapporteur de minorité, l’outil est un peu plus valide et percutant qu’une pétition. Il permet d’être traité par notre Grand Conseil comme une motion ou un postulat. Une fois transmis au Gouvernement, comme pour une motion, le Gouvernement a la liberté de présenter un contre-projet. Mais cela donne un droit démocratique supplémentaire, dont notre communauté de citoyennes et de citoyens a besoin. Vaud a été pionner dans bien d’autres questions. Notre canton est fier d’avoir été le premier à accorder le droit de vote aux femmes en 1959. Il l’a aussi été dans la manière dont il a introduit le droit de référendum et d’initiative, y compris d’initiative législative, en 1845 déjà. C’était très novateur à l’époque, avant le milieu du XIXe siècle. Avec la motion populaire, Vaud a la chance de rester pionnier dans ce domaine. Nous avons une alliance assez diverse, mais dans laquelle se retrouvent toutes celles et tous ceux qui veulent donner au peuple des possibilités de participation démocratique. Je vous invite à soutenir cette initiative constitutionnelle, sur laquelle le peuple vaudois sera de toute façon appelé à se prononcer.

M. Philippe Vuillemin (PLR) —

On n’est pas très respectueux, dans les mots, de la pétition. La pétition était un instrument fortement utilisé au XIXe siècle, surtout au début de l’existence de ce canton ; c’était un moment fort ! Mais il peut parfaitement le rester. C’est parce qu’on a pris l’habitude un peu cavalière de systématiquement penser, à gauche comme à droite, que la pétition était tout à fait secondaire de quelques citoyens furieux et ne méritait pas forcément d’être prise en considération. On doit renforcer l’image du droit de pétition, qui est largement suffisant pour remplir les objectifs qu’on veut donner à la motion populaire. La motion populaire trouvera un écho pendant quelques années, puis les gens verront qu’envoyer une demande peut-être intéressante dans les méandres des procédures parlementaires, avec une réponse du Conseil d’État après deux ans, donne l’impression de s’être fait gruger. Ce n’est pas une bonne chose. Je ne pense donc pas que cette motion populaire apporte énormément. Quand on nous cite, toujours triomphalement, quelques cantons suisses qui la pratiquent, ce ne sont quasiment jamais de grands cantons. Si c’était vraiment un droit politique absolument essentiel et ressenti comme tel par une grande majorité de citoyens, une grande majorité de cantons l’auraient introduit. Finalement, ce sera utilisé par des groupes minoritaires pour amener des objets essentiels, pour eux, dans des débats interminables qui se termineront probablement rarement par une prise en considération intéressante et intéressés des textes proposés. Ce ce droit populaire peut donc être avantageusement remplacé par un droit de pétition renouvelé dans la considération qu’on lui porte.

M. Hadrien Buclin (EP) —

Je m’étonne de la position du parti socialiste dans ce débat, puisqu’on a ici une proposition de renforcer les droits populaires. Je pensais qu’on allait recevoir un meilleur accueil à gauche. Faire remonter des propositions émanant de la société, de différents secteurs collectifs, associations, groupes militants participerait à une meilleure vitalité démocratique et améliorerait la circulation d’idées et de propositions entre les parlements et les mouvements sociaux. Je peine à comprendre ce que vous reprochez à cette proposition. Il faut rappeler une certaine lourdeur des initiatives populaires, puisque des années s’écoulent entre le lancement de l’initiative et le vote. La récolte de signatures est un exercice difficile et chronophage. Bien sûr, une association comme les initiateurs de l’initiative « SOS Communes » paie des gens, car elle dispose d’argent pour récolter des signatures. En revanche, pour un groupe militant, c’est extrêmement chronophage et on peut difficilement en lancer plus d’une tous les cinq ou dix ans quand on a peu de ressources professionnelles. C’est aujourd’hui une difficulté à laquelle se heurtent les groupes engagés pour la défense du climat : ce découplage entre l’urgence climatique et les lenteurs d’une démarche telle que l’initiative populaire. La motion populaire, qui ne doit en rien être opposée à l’initiative, apporte un complément intéressant et permettrait des interventions plus rapides, un autre tempo, notamment dans la question de l’urgence écologique, sans pour autant opposer les différents moyens d’interventions — initiative, motion populaire ou pétition. J’ai l’impression que certains au sein de la gauche gouvernementale adoptent une position de notables méfiants face à l’activité des collectifs militants ou associatifs et veulent privilégier une sorte d’entre-soi entre élus : on ne veut pas être trop dérangé dans notre ronronnement institutionnel par des propositions qui viendraient trop fréquemment de la base, on est d’accord pour une initiative tous les cinq ans, mais pas beaucoup plus. Je trouve cela assez peu compréhensible. J’invite donc certains qui se réclament de partis progressistes à revoir leur position.

M. Marc-Olivier Buffat (PLR) —

J’entends des propos assez peu respectueux — le mot est peut-être fort — ou du moins avec peu de considérations sur le travail de l’ensemble des députés de ce Grand Conseil. Peut-être convient-il de rappeler que notre système démocratique contient déjà, par rapport à nombre de régimes parlementaires non seulement en Europe, mais dans le monde entier, une forte proportion d’instruments à disposition du citoyen et de la population. De plus, nous avons un système fortement empreint de proportionnalité où à peu près tous les mouvements, y compris « rébellion climat » peuvent se faire entendre ou trouvent des échos. Il ne faut pas mélanger les genres ; les parlementaires disposent d’un certain nombre d’instruments et le peuple dispose d’autres instruments. Ou alors il faut réinventer l’agora des Grecs, la démocratie qui dure un jour, où l’on se réunit régulièrement, tous ensemble, pour prendre des décisions. Je ne suis pas certain que ce soit un meilleur gage d’efficacité.

Enfin, on parlait de la pétition… c’est surprenant, car on dit qu’il y a peu de considérations pour les pétitions et que la motion populaire permettrait au Grand Conseil de la reprendre, etc. Mais on peut faire exactement la même chose avec une pétition : vous pouvez la classer, l’accepter ou, si vous estimez que le ou les pétitionnaires ont été mal interprétés ou mal compris du Grand Conseil, redéposer une motion en tant que parlementaire en disant que vous soutenez les pétitionnaires et déposez une motion, un postulat ou une initiative parlementaire. À ma connaissance, depuis que je siège au Grand Conseil, je n’ai pas vu ce type d’interventions où l’on relaie une pétition qui, par hypothèse, aurait été classée abusivement ou légèrement, par notre Grand Conseil. Il faut arriver à la conclusion qui s’impose : si les pétitions sont classées, c’est que ce n’est pas une si bonne idée, et s’il n’existe pas de motion populaire, c’est bien la preuve que ce n’est pas forcément indispensable. Je vous invite dès lors à classer cette proposition. 

M. Didier Lohri (VER) —

Je me permets de soutenir cette initiative, avec la vision suivante : les parlementaires sont des personnes assez décriées par la population et nous ne sommes peut-être pas le reflet exact de nos concitoyens. En appuyant cette intervention parlementaire, on redonne pendant quelque temps au citoyen la possibilité de s’exprimer non pas en faisant une pétition, mais en étant dans une initiative. L’esprit est complètement différent. Est-ce que, par hasard, le Conseil d’État entendra plus les initiatives du peuple que nos initiatives parlementaires ? Aujourd’hui, il est important d’offrir cette possibilité aux citoyens de telle manière qu’on ait un relai et qu’il y ait le sentiment que nous sommes à l’écoute de la population. On peut étudier cette initiative et je vous encourage à la soutenir pour que nous en tirions des conclusions dans quelques années sans nous référer à l’époque grecque, mais en offrant un outil de plus à la population.

M. Stéphane Masson (PLR) —

Je ne me réfère pas à la Grèce antique, mais plutôt à la définition du système dans lequel on vit ou dans lequel on évolue politiquement, soit un système démocratique représentatif et semi-direct. Représentatif dans le sens où nous, députés, une fois élus par les différences forces politiques qui nous amènent à cette fonction, pouvons, par le biais des instruments à disposition, déposer moult interventions, que ce soit par le biais d’une motion, d’un postulat ou d’une initiative. Dans ce sens, la démocratie représentative nous permet déjà de représenter ceux qui nous ont élus et de faire en sorte qu’ils soient entendus. Mais si cela ne suffit pas, le système de démocratie semi-directe donne au peuple, aux citoyens de ce canton, le pouvoir de s’exprimer par le biais d’une initiative, d’un référendum ou d’une pétition. Nous avons là suffisamment d’instruments pour ne pas franchir le pas vers une démocratie qui ne serait plus semi-directe, mais à trois-quarts directe, et qui donnerait finalement trop de droits ou trop de pouvoir à des citoyens, que nous respectons, car nous sommes ici grâce à eux, et qui viendrait biaiser ce système d’équilibres démocratiques, semi-directs et représentatifs. Pour ces raisons, je vous invite à classer cette initiative.

M. Alexandre Rydlo (SOC) —

Il faut bien comprendre la position du parti socialiste. Nous ne sommes pas opposés aux droits du peuple, bien au contraire. Nous nous sommes toujours battus pour ces droits. Mais nous souhaitons un outil efficace. Or, en l’état, cet outil, d’un point de vue processuel et du but souhaité, n’est pas efficace. On donnera de l’illusion aux gens qui seraient éventuellement intéressés à militer pour une cause ou l’autre — on ne parle pas de milliers de gens qui déposeraient un texte, mais de quelques centaines de personnes. On va leur donner de l’esbroufe, l’illusion que le Grand Conseil pourra se saisir positivement de leur texte. Or, on le constate dans d’autres cantons, le résultat n’est pas efficace. Alors, mieux vaut une initiative ou un référendum, qui ne sont pas des outils de riches — le parti socialiste ou d’autres groupements ne paient pas les gens pour récolter des signatures dans la rue, bien que certains le fassent. De facto, cela donne la possibilité au peuple de discuter concrètement d’un sujet. L’on a beau être dans une démocratie, le parti majoritaire est celui des abstentionnistes — 60 %. Or, ce n’est pas en offrant un outil illusionniste que l’on diminuera l’abstentionnisme. Le parti socialiste milite pour de véritables droits, pour que le peuple puisse s’exprimer correctement : ce sont les outils du référendum et du droit d’initiative proposés dans notre Constitution cantonale ou fédérale. Je vous invite donc à refuser cette initiative.

M. Philippe Vuillemin (PLR) —

Le plus grand porteur de la motion populaire s’appelle Macron. Il s’est dit : cette droite et cette gauche française ne valent pas pipette, avec une série de personnes qui, comme M. Lohri, disaient : ces parlementaires ne font rien et sont inefficaces. Il s’est donc dit : « Le jour où je serai au pouvoir, vous allez voir ce que vous allez voir ». C’est une sorte de motion populaire, sortie de nulle part. Or, on voit le résultat au bout de quatre ans : ce n’est pas terrible, la motion populaire ! Ceux qui disaient que, le jour où il serait au pouvoir, on allait voir ce qu’on allait voir… finalement, on n’a rien vu ! Car l’exercice du pouvoir n’est pas ce que les gens s’imaginent. C’est un apprentissage qui prend du temps, qui est parfois frustrant, mais qui permet de faire avancer les choses, qu’on soit de gauche ou de droite. Cette motion populaire est une illusion ! On nous parle de certains groupes de citoyens qui voudraient faire passer leurs propres idées… c’est très bien… moi, j’ai une motion qui voudrait que, dans ce canton, même si c’est avec 10 francs par an, chacun participe à l’effort de l’impôt ; cela pourrait être une motion populaire sympathique et je suis sûr d’avoir 750 personnes derrière moi… Mais dans le fond, ce n’est pas ma tâche ; il faut rester dans le cadre du processus légal, mis à l’épreuve constamment depuis des dizaines d’années et fonctionnant correctement. Bien entendu, dans la commune de Lausanne, certains milieux aimeraient organiser des assemblées participatives où il y aurait toujours les mêmes personnes qui aimeraient nous faire croire qu’elles représentent l’entier de la population lausannoise. Alors on en arrive à ce que M. Rydlo a dit : une abstention de plus en plus grande, car ce que l’on a imaginé ne fonctionne tout de même pas. Finalement, on peut donc garder ce qui existe, mieux l’exploiter et les gens seront quand même entendus. Quant à ceux qui pensent que les politiciens de divers bords sont de parfaits incapables, pour ne pas dire des cornichons, je les invite vivement à se mettre sur les listes en 2022 et nous prouver dans cet hémicycle l’étendue de leur savoir, de leurs compétences au profit de la population vaudoise.

M. Jean Tschopp (SOC) — Rapporteur-trice de majorité

J’ai un peu de mal avec cet argument — c’était aussi le cas de la majorité de la commission — qui consiste à dévaloriser le droit d’initiative populaire et à le présenter comme l’outil des riches ou comme un droit populaire qui nécessiterait impérativement de payer ceux qui récoltent des signatures. J’appartiens à une formation politique qui ne paie jamais les personnes pour aller dans la rue, qu’il neige, qu’il vente, qu’il pleuve, pour aller récolter des signatures. Le droit d’initiative populaire fait la fierté de notre pays, c’est un droit efficace. C’est un droit qui lie les autorités. Avec une mobilisation populaire autour d’un sujet, si l’on gagne le vote, ce sera appliqué. À l’inverse, j’ai un peu du mal à m’engager dans un nouvel outil qui, par un exercice de prestidigitateur, donnerait des illusions. Il faut prendre les chiffres pour eux-mêmes : à Fribourg, 23 initiatives populaires en 5 ans, dont 4 ont été suivies d’effets, à savoir 15 %. Cela signifie que seulement dans 15 % des cas, la motion populaire a été suivie d’effets. Est-ce que je suis prêt à m’engager auprès d’un groupe d’intérêts, auprès de gens qui se réunissent et qui sont convaincus par une cause, avec 15 % de chance que ce soit suivi d’effets ? Non, notre parole nous engage, en tant qu’élus. On ne doit pas verser dans la démagogie. Quand on fait des propositions, on doit mettre les meilleures chances de notre côté pour qu’elles soient suivies d’effets.

De plus, j’ai la faiblesse de croire que nous sommes ici 150 députés et, chacun à notre manière, des relais d’opinion. C’est quelque chose que l’on peut valoriser. Nous sommes en lien avec la population pour légitimer les demandes que nous formulons. Nous ne représentons pas que nous-mêmes. Nous représentons des personnes qui croient en nous, sur des engagements qui ont été tenus. On peut faire un bout en expliquant aux gens que les élections ont leur importance, que c’est ainsi que fonctionnent nos institutions et que l’on fait progresser les causes, dans ce canton ou ailleurs. Ce sont les raisons principales qui ont convaincu une majorité de la commission à refuser cette proposition.

M. Julien Cuérel (UDC) — Rapporteur-trice de minorité 1

Je vous invite à accepter cette motion populaire. C’est un outil supplémentaire que l’on met à disposition des citoyens et donc un renforcement de leurs droits. Oui, les élus sont un relai d’opinions, mais il se peut qu’un groupe de citoyens n’ait pas envie que son idée soit amenée avec une couleur politique. Ils n’ont donc pas la possibilité de l’amener, si ce n’est par un député et donc une couleur politique. Vous parlez de 15 % qui aboutissent, mais c’est mieux que 0, car sans la motion populaire, cela fait 0 %. C’est un pas qui amène des droits supplémentaires pour les citoyens.

Vous dites que le peuple dispose déjà de nombreux outils et qu’il n’y a pas besoin de leur donner plus de droits, car il y a un système représentatif, mais alors que penser de la pétition ? Tout le monde peut lancer une pétition, c’est une proposition, une requête ou une critique. La pétition a une portée faible qui ne peut pas demander de manière impérative, au Conseil d’État ou au Grand Conseil, de prendre une mesure. L’autre outil à disposition est l’initiative ou le référendum. Je n’ai pas dit que c’étaient des outils de riches, mais les initiatives ou les référendums sont complexes à mener pour un groupe de citoyens et sont lourds à porter. Cela réduit donc leur utilisation à presque néant, car elles vont déboucher sur la récolte de signatures, puis sur un débat, et enfin une votation auprès de la population. Cela veut dire qu’il y a une campagne à mener. Si un groupe de 500 personnes a envie d’amener une idée, je pense que la motion populaire est un outil supplémentaire que l’on peut leur offrir. À titre d’exemple, je m’étonne de certaines réactions, car on parle uniquement des chiffres des autres cantons, mais on peut parler des groupes qui y ont utilisé cette motion populaire : il y a le SSP, qui est bien connu de la gauche et du parti socialiste, Cerebral Vaud ou Insieme qui ont utilisé cet outil. Cela veut dire que c’est un outil utile. Nous pouvons renforcer les droits populaires de nos citoyens et leur offrir cet outil supplémentaire.

Mme Christelle Luisier Brodard (C-DITS) — Conseiller-ère d'État

Ce débat, qui touche à notre démocratie, est très intéressant. M. Dolivo proposait l’introduction de la motion populaire dans la Constitution. Historiquement, cet outil a déjà été rejeté deux fois, d’une part par la Constituante, d’autre part par le Grand Conseil en 2008. Du côté des arguments favorables à la motion populaire, elle est perçue comme un moyen d’impliquer davantage la population dans le débat public — on voit ce besoin d’impliquer davantage la population ; tout le monde est d’accord pour dire que la démocratie doit rester vivante, qu’elle ne s’use que si on ne l’utilise pas et qu’elle n’est jamais figée. Le questionnement par rapport à la démocratie est un questionnement juste. Toutefois, au-delà des principes, des slogans ou de la volonté affichée d’avoir un meilleur fonctionnement démocratique, la question est de savoir si l’outil proposé est réellement efficace et répond aux besoins actuels par rapport au fonctionnement démocratique et aux questionnements actuels sur la démocratie.

S’agissant le l’efficacité, je me permets d’être dubitative, pour les raisons largement évoquées dans le débat. Il vous appartient, en tant que députés représentants du peuple, de porter les préoccupations de la population dans l’arène parlementaire. Puisque vous êtes membres d’une autorité de milice, vous conservez un étroit rapport de proximité avec la population. On peine, dans ce cadre, à voir quel sujet porté à l’attention du Grand Conseil et du Conseil d’État par le biais de la motion populaire ne pourrait pas l’être via le dépôt de la motion, du postulat ou de l’interpellation d’un député. Les préoccupations citées — inégalités sociales, changement climatique notamment — sont au cœur des thématiques des partis représentés au Grand Conseil. De plus, vous, députés, n’êtes pas inaccessibles ; un groupe de citoyens peut sans difficulté contacter un député pour lui faire part de ses préoccupations et le convaincre de déposer une intervention parlementaire. Certes, un député fait partie d’un parti, toutefois un député ne se résume pas à son appartenance politique. Vous êtes toutes et tous des représentants de vos régions, de différents milieux professionnels, voire de milieux associatifs.

De plus, l’introduction de la motion populaire perturberait un équilibre institutionnel et une répartition des rôles qui a fait ses preuves. Comme la Suisse, le canton de Vaud est une démocratie semi-directe où le peuple dispose de droits populaires forts — l’initiative et le référendum — qui lui permettent de faire contrepoids au Grand Conseil ou d’infléchir sa politique en imposant des thèmes qu’il ne souhaiterait pas prendre en compte. Enfin, la multiplication des droits populaires ne signifie pas nécessairement le renforcement du pouvoir du peuple. Face aux deux instruments forts que sont l’initiative et le référendum, la motion populaire apparaît comme un instrument particulièrement faible qui n’aurait qu’un impact très relatif sur les orientations du Grand Conseil, ce dernier étant seul à décider du sort de la motion populaire.

Ces questions de démocratie sont très importantes, et je ne crois pas qu’il s’agisse ici d’être progressiste ou non. Tout le monde s’interroge sur notre vie démocratique et la manière de la faire évoluer. Dans ce cadre, je vous renvoie, par exemple, à une étude parue dernièrement dans le canton, sous l’égide de Statistique Vaud, qui reprend ces éléments de démocratie participative et fait un état de situation des enjeux et défis auxquels nous sommes toutes et tous confrontés sur le plan démocratique, des enjeux de société à venir, ainsi que des axes d’action qui sont aussi mentionnés par rapport aux défis qui nous attendent, notamment en termes d’i-démocratie, de formation ou de communication. Je cite quelques enjeux : la numérisation des outils démocratiques, le e-voting, les plateformes de concertation — des plateformes consultatives qui peuvent être utilisées dans le cadre de la population — la communication, avec la manière dont les autorités informent et consultent au long d’un processus démocratique en lien avec le développement d’outils interactifs favorisant les échanges avec la population. On peut aussi parler des réseaux sociaux. Je vous renvoie à cette étude qui brosse un portrait très complet des défis auxquels nous sommes soumis en matère de démocratie participative, avec des pistes de solution liées à des questionnements en la matière, que nous aurons aura sans doute l’occasion de reprendre, notamment concernant l’aménagement du territoire. Par exemple, pour la réforme complète d’un plan directeur cantonal, on a un véritable enjeu de société qui est de faire participer la population au projet. Je vous invite donc à ne pas soutenir l’idée d’une motion populaire, tout en reconnaissant la nécessité de questionner notre démocratie et les outils à notre disposition.

M. Philippe Vuillemin (PLR) —

Le débat est aussi intéressant que les relations canton-communes. J’aimerais rappeler que l’on s’est débattu en son temps pour qu’un seul citoyen ou citoyenne puisse saisir la Cour des comptes. Je ne sais pas si cela a souvent été fait — personnellement, je l’ai fait — mais cela avait été un débat très fort, parce que l’on pensait que ce n’était probablement pas judicieux. On n’a jamais eu de retour sur ce droit que le Grand Conseil a octroyé. Cela montre qu’il n’a probablement pas été utilisé souvent et que, dès lors, il est difficile malgré tout d’introduire un nouveau droit qui peut amener quelque chose et pas seulement de l’agitprop.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est close.

Le Grand Conseil refuse la prise en considération de l’initiative par 81 voix contre 38 et 7 abstentions.

Mme Elodie Lopez (EP) —

Je demande un vote nominal.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

Cette demande est appuyée par au moins 20 députés.

Celles et ceux qui suivent la majorité de la commission votent oui ; celles et ceux qui suivent la minorité de la commission votent non. Les abstentions sont possibles.

Au vote nominal, le Grand Conseil refuse la prise en considération de l’initiative par 77 voix contre 42 et 9 abstentions.

* Insérer vote nominal

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