Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 24 août 2021, point 12 de l'ordre du jour

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Texte adopté par CE - EMPD

RC 170 minorité

RC 170 majorité

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Alexandre Démétriadès (SOC) — Rapporteur-trice de majorité

Deux points de l’ordre du jour sont liés à l’accord de libre-échange entre l’Association européenne de libre-échange (AELE) et le Mercosur. Le point suivant est demandé par notre collègue Mahaim et porte sur une initiative à envoyer aux Chambres fédérales pour qu’un référendum facultatif soit possible avec cet accord. L’autre – également sous la forme d’une initiative auprès des Chambres fédérales – est relatif à un retrait des produits agricoles et d’élevage de l’accord du libre-échange entre l’AELE et le Mercosur. Pour rappel, le texte de notre collègue Pahud a été accepté par le plénum en mai 2018 à une large majorité du Grand Conseil. Il a ensuite été transmis au Conseil d'Etat. Nous votons aujourd'hui sur le projet de décret proposé par le Conseil d'Etat pour appliquer cette décision du Grand Conseil. 

J’aimerais vous rappeler que le but du retrait des produits agricoles de cet accord vise à contrer les menaces qu’il fait peser tant sur l’agriculture que sur les consommateurs suisses. En commission, des débats ont d’abord eu lieu sur la forme. Le contenu de l’accord n’est à l’heure actuelle pas encore connu. Ainsi, retirer les produits agricoles de l’accord veut dire enterrer l’accord. Il ne faut pas se leurrer, pour le Mercosur l’intérêt vise à exporter des matières premières vers les pays de l’AELE et, pour la Suisse et ses alliés de l’AELE, d’exporter particulièrement des produits industriels, pharmaceutiques et des services. Des raisons existent qui pourraient nous conduire à ne pas tout de suite renvoyer ce texte à l’Assemblée fédérale. Le but du texte consiste à ce que le Grand Conseil maintienne la pression sur Berne en fixant des lignes rouges à ne pas dépasser comme l’a fait la coalition rassemblant de nombreux acteurs tout à fait différents : des organisations non gouvernementales (ONG), mais aussi l’Union suisse des paysans, Public Eye, la Fédération romande des consommateurs ou la Protection suisse des animaux. Ces différents acteurs se sont réunis pour demander des cautèles à l’accord avec le Mercosur, parce qu’ils sont inquiets des conséquences de cet accord.

Ainsi, concernant le fond des débats de la commission, l’unanimité de cette dernière se rejoint pour indiquer qu’un accord de libre-échange, particulièrement avec les pays du Mercosur, peut potentiellement représenter des risques pour la Suisse et pour ceux du Mercosur. En commission, deux postures ont pu être identifiées : l’une plutôt attentiste tendant à ne pas se prononcer tant que le contenu de l’accord n’est pas connu, et l’autre, plutôt proactive, afin de maintenir la pression – l’opinion d’une majorité de la commission. En outre, le texte de notre collègue Pahud se concentrait sur les conséquences néfastes que l’accord de libre-échange avec les pays du Mercosur aurait sur l’agriculture et les consommateurs en Suisse. Or, la commission a relevé beaucoup d’autres problèmes, notamment spécifiques au Mercosur.

En effet, dans ces pays, ce type d’accord a tendance à renforcer l’agro-business, en particulier en donnant des concessions aux industries exportatrices européennes. Ce type de concessions engendre que les pays du Mercosur, qui ont beaucoup d’oppositions à ce type d’accords, ne parviennent pas à développer une politique industrielle ni des services privés ou publics suffisamment forts. En effet, le renforcement des géants de l’agro-businesspose un grand nombre de problèmes en matière de droits humains et sociaux, notamment des déplacements de communautés et des occupations illégales de terres autochtones, des conditions de travail inadmissibles, le non-respect du droit du travail et syndical. En matière de protection de l’environnement – qui n’est pas seulement un enjeu pour les pays du Mercosur, mais qui nous intéresse toutes et tous – on assiste à des déforestations massives, à une destruction de la biodiversité, à l’érosion des sols due aux monocultures intensives, à l’assèchement des réserves d’eau et à une forte utilisation des engrais chimiques et des pesticides, alors qu’en matière de traitement des animaux, on constate des transports très longs et dans de mauvaises conditions, différents types de détention permanente, la castration sans anesthésie et l’élevage industriel. En matière d’agriculture durable et de sécurité alimentaire, on assiste à une disparition massive des exploitations agricoles familiales et à l’orientation de la production agricole vers l’élevage, au détriment de l’agriculture vivrière et de la sécurité alimentaire. A fortiori, cette liste n’est même pas exhaustive. Ce sont des problèmes spécifiques aux pays du Mercosur, mais d’autres concernent aussi l’agriculture et les consommateurs suisses. Sans doute que notre collègue Pahud prendra la parole pour mettre l’accent sur ces questions ; nous pouvons néanmoins dire que l’importation de produits obéissant à des normes sanitaires et phytosanitaires plus basses, à bas coûts ou de mauvaise qualité, peuvent apporter une concurrence déloyale aux acteurs suisses.

Sur ce point, le rapport de minorité se borne à nous montrer tous les bienfaits qu’aurait un accord de libre-échange entre l’AELE et les pays du Mercosur pour l’agriculture suisse, autant dire une sorte de mascarade. Si, au moins, le rapport de minorité indiquait que cet accord est fondamental pour notre pharma, pour nos services financiers, pour nos exportations industrielles, cela aurait au moins l’honnêteté de dire que, souvent dans les accords de libre-échange, l’agriculture est une variable d’ajustement, une monnaie d’échange ! Ce sont ces éléments qu’une majorité de la commission voulait fortement contester.

En bref, j’aimerais vous rappeler les lignes rouges fixées par la coalition Mercosur. Elle demande – avec une menace de référendum si cette ligne était dépassée – un chapitre contraignant consacré au développement durable avec des objectifs et des moyens de contrôle, une interdiction d’importation de soja à l’organisme génétiquement modifié (OGM), ainsi que de renoncer, pour les pays de l’AELE, à demander des protections végétales dans les pays du Mercosur, un contingentement de produits qui sont qualifiés de sensibles, et que la protection des consommateurs soit garantie. Tant que ces éléments ne sont pas garantis, le texte de M. Pahud, comme d’autres déposés dans divers cantons, gardent toute leur pertinence.

Depuis le temps qu’il est question de cet accord avec le Mercosur, le Conseil fédéral avait tout loisir de publier le contenu de l’accord, puisqu’il est négocié quasi définitivement entre les acteurs ; il doit donc être publié et ratifié par le Parlement. Le Conseil fédéral a sans doute dû beaucoup aimer que l’accord de libre-échange avec l’Indonésie passe à seulement 51 % auprès de la population suisse et, pour l’anecdote, soit refusé à 65 % par le canton de Vaud, alors que des acteurs de la société civile le soutenaient. Il risque d’adorer les conséquences d’un accord sur le Mercosur qui ne remplit aucune des garanties demandées. Par conséquent, pour qu’il puisse parvenir à un accord, il est dans l’intérêt même du Conseil fédéral de prendre en compte tout ce que la société civile, mais aussi l’Union suisse des paysans, réclame pour potentiellement accepter de le signer. Veuillez me pardonner la longueur de mon intervention, mais le sujet est important.

Enfin, la commission recommande par 10 voix contre 7 d’accepter le projet de décret. Par ailleurs, elle formule le vœu qu’à la connaissance de l’accord une réunion soit organisée entre le représentant du Conseil d'Etat et les membres du Grand Conseil pour en discuter.

M. Daniel Develey (PLR) — Rapporteur-trice de minorité

Les éléments du rapport de minorité datant de janvier 2020 mettent en évidence la dépendance de la Suisse aux marchés mondiaux et les mesures effectives et contraignantes déjà en œuvre pour un développement durable. Dans ce contexte d’instabilité et de dépendance, les produits agricoles doivent impérativement faire partie intégrante des négociations. La Suisse importe 50 % des aliments qu’elle consomme, dont la moitié en franchise de droit de douane, le reste étant frappé d’un droit de douane de 6 % en moyenne. Si tous les consommateurs suisses voulaient manger local, ils ne mangeraient qu’un jour sur deux. La forte dépendance aux importations se révèle problématique dans l’optique de la sécurité alimentaire. Il est indispensable de réguler en quantité et en qualité les importations, afin de maintenir la part actuelle de la production suisse. Pour rester très factuel, je développerai brièvement un exemple d’une production sensible qui est au cœur des préoccupations à l’échelle planétaire, la consommation d’une protéine végétale de haute importance : le soja.

En effet, l’Europe entière est dépendante du soja principalement importé du Brésil. Tous les pays d’Europe doivent impérativement réorienter leur politique agricole pour faire face à cette dépendance. La Suisse est avant-gardiste dans ce domaine et mise sur un soja durable et une production responsable. Cette approche exemplaire dans le secteur de la production de viande suisse démontre les mesures qui ont été mises en place et qui intègrent des critères environnementaux impliquant les producteurs, la transformation et les distributeurs. Cet exemple devrait dissiper les craintes de la population et de ce Grand Conseil, et ce, indépendamment des négociations et accords avec le Mercosur.

Pour rappel, la Suisse a importé 94'000 tonnes de viande en 2020, dont 23'000 tonnes de viande de bœuf, principalement des morceaux nobles et de bonne qualité. A l’échelle mondiale, le soja est aujourd'hui devenu une culture incontournable qui fournit les matières brutes nécessaires à l’industrie agroalimentaire pour la fabrication du tofu. Il est utilisé pour la production d’huile alimentaire en cosmétique, dans le plastique, les agrocarburants et, pour finir, l’alimentation animale. La surface cultivée a doublé depuis le début des années 1980 avec 106 millions d’hectares dans le monde, tandis que la production a presque triplé avec 253 millions de tonnes. La demande au niveau mondial n’est pas près de diminuer ces prochaines années.

Dans le contexte global, la Suisse est un producteur et un utilisateur minime de soja, sa part dans la consommation mondiale étant de 0,1 %. Malgré tout, elle fait figure de pionnière en matière de production de soja plus durable. Des acteurs comme la Coop et le WWF ont été les premiers à reconnaître la problématique de l’essor mondial du soja et à prendre des mesures. Ensemble, ils ont élaboré en 2004, déjà, les critères de base pour une culture de soja responsable. Ce concept comprend les critères suivants : l’écologie, l’absence de coupe de bois, l’application des méthodes de production intégrées, la protection du sol et de l’eau, des critères sociaux et le respect des droits du travail, des critères fonciers, l’absence d’OGM ainsi que des contrôles à tous les échelons de la production et de la logistique. Des organisations de producteurs, tels que l’Union suisse des paysans (USP), Bio Suisse, ainsi que les détaillants comme Migros et Coop ont créé en 2011 le Réseau suisse pour le soja. Son but est d’encourager la production et la commercialisation de soja issu de cultures responsables. Aujourd’hui, la Suisse et la Norvège sont les seuls pays à n’importer que du soja certifié. Dans ce contexte, la Suisse doit jouer un rôle prépondérant au niveau mondial afin de renforcer les incitations à améliorer la durabilité. La coopération internationale est un passage obligé pour toute personne et organisation qui souhaite contribuer à la résolution des problèmes mondiaux en matière de production agricole.

En conclusion, nous vous invitons à refuser les conclusions de la majorité et à refuser le projet de décret portant sur le dépôt d’une initiative auprès de l’Assemblée fédérale l’invitant à sortir les produits agricoles de l’accord avec le Mercosur.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion sur l’entrée en matière est ouverte.

M. Yvan Pahud (UDC) —

Comme entrepreneur, je suis un partisan de la concurrence, un moteur pour toute économie, agriculture comprise. Pourtant, dans cet accord, l’agriculture suisse est clairement sacrifiée sur l’autel du libre-échange. En effet, les règles du jeu ne sont de loin pas les mêmes entre une agriculture raisonnée, contrôlée, respectueuse des animaux et de l’environnement et une agriculture industrielle et intensive. Rappelez-vous les images que j’avais projetées lors du développement de cette initiative et de son renvoi au Conseil d'Etat. On y voyait d’un côté une ferme suisse avec de verts pâturages dans un pays avec des normes de détention des animaux les plus strictes au monde avec des fermes à taille humaine et une agriculture respectueuse de l’environnement où l’utilisation de traitements est rigoureusement réglementée. Et, d’un autre côté, on voyait une ferme brésilienne avec plus de 200'000 têtes de bétail entassées dans des enclos, pataugeant dans leurs excréments, qui ne verront jamais la couleur de l’herbe, puisqu’ils sont principalement nourris au maïs et au soja.

En ouvrant nos frontières à ce type de produits du Mercosur, nous cautionnons ce genre d’élevages et de productions qui utilisent des méthodes des plus contestées en matière de respect des animaux et de traitement phytosanitaire, de respect de l’environnement, notamment la déforestation. En effet, il n’est nul besoin de rappeler que l’élevage intensif brésilien utilise des hormones de croissance – la ractopamine – ainsi que divers antibiotiques à traitement préventif.

Dans ce contexte, ce n’est pas sans raison que le Brésil, premier pays fournisseur mondial de bœuf et de poulet, s’est vu récemment sous le coup d’une interdiction d’exporter ses produits carnés. Il nous est dit que si l’accord est signé, des contrôles auront lieu, que nous arriverons à imposer nos règles et nos exigences. Or, il est déjà difficile pour le Brésil d’exercer un autocontrôle… et nous voudrions effectuer des contrôles à distance… ? Aujourd'hui, ce n’est déjà pas le cas, preuve en est un article très intéressant de la Fédération romande des consommateurs qui révèle que, lors de contrôles réguliers, des traces de ractopamine ont été découvertes dans l’importation de viande venant du Brésil.

Concernant l’importation de céréales ou de sucre, là aussi, la concurrence est déloyale. En effet, le peuple suisse vient de se prononcer sur deux initiatives auxquelles je me suis fortement opposé visant à limiter l’utilisation de phytosanitaires. Si ces deux initiatives ont été rejetées, il n’en reste pas moins que le mouvement est en marche pour limiter au maximum l’utilisation de ces produits. L’engagement de l’agriculture à réduire l’utilisation des phytosanitaires constituait d’ailleurs un argument de campagne ; et, c’est aller dans le – bon – sens du consommateur. Or, une fois encore, les règles ne sont clairement pas les mêmes entre la Suisse et le Mercosur. En Suisse, le traitement au glyphosate est interdit sur toute culture en épis, et ce, pour éviter de retrouver des traces de pesticides dans les graines. Or, dans le Mercosur, cette pratique n’est pas interdite, et le traitement sur épis est couramment utilisé dans le but de gagner en productivité, et ce, au détriment de la santé des consommateurs. Le sucre suisse via la culture de la betterave est également menacé par cet accord, puisque le Brésil, membre du Mercosur, est le principal exportateur de sucre mondial. Actuellement, des droits de douane ainsi que des quotas d’importation protègent la filière du sucre suisse de la disparition. Cet accord de libre-échange pourrait donc en être le coup de grâce, car, et cela est inévitable, la conclusion d’accords de libre-échange avec des pays autorisant ce genre de méthodes de production provoquera inexorablement l’augmentation des quantités importées. En effet, le principe même d’un accord de libre-échange repose sur le principe d’ouverture complète des frontières, soit la suppression de tout quota d’importation et, surtout, de droit de douane.

Aujourd'hui, entre 3 et 4 exploitations agricoles suisses disparaissent chaque jour, et le revenu paysan se situe autour des 45'000 francs par année ; pourtant, ils réussissent à survivre et à lutter contre l’importation de ces produits bon marché grâce aux protections douanières et aux paiements directs qui garantissent un minimum vital aux agriculteurs suisses. C’est pourquoi je vous invite à suivre, comme lors du vote du renvoi de cette initiative au Conseil d'Etat, la majorité de la commission et le groupe UDC, afin de donner un signal clair au Parlement fédéral et au Conseil fédéral afin qu’ils mettent tout en œuvre pour garantir que la santé des consommateurs et l’agriculture suisse ne soient pas sacrifiées sur l’autel du libre-échange.

M. Hadrien Buclin (EP) —

Sans surprise, le groupe Ensemble à Gauche et POP vous invite à soutenir le rapport de majorité et à renvoyer les deux décrets qui viennent aux Chambres fédérales – ceux de MM. Pahud et Mahaim. Comme l’a expliqué le rapporteur de majorité, il est nécessaire de maintenir une pression politique face à ces projets d’extension du libre-échange, et nous possédons une manière tout à fait adéquate de nous y employer, sur le plan institutionnel, pour relayer les inquiétudes du monde agricole et des consommatrices et consommateurs face à ces accords, dont il faut rappeler – et cela s’avère assez hallucinant dans un état démocratique – que le contenu demeure inconnu à ce jour. Cela renforce les préoccupations et assoit un secret autour du contenu de cet accord et mérite le renvoi de ce décret aux Chambres fédérales.

Les motifs de ces inquiétudes sont très concrets, ne serait-ce que par le caractère délétère de l’accord sur le plan écologique, un argument qui, je l’espère, fera mouche au sortir de l’été calamiteux que nous avons vécu en lien avec le dérèglement climatique. Selon une publication de l’ONG GRAIN, l’accord AELE-Mercosur augmenterait de 15 % les émissions de gaz à effets de serre liées aux échanges commerciaux entre les États concernés, notamment en raison de l’exportation de davantage de viande sud-américaine vers la Suisse et les autres pays de l’AELE et de la production intensive de soja et de denrées visant à nourrir les animaux d’élevage dans les pays comme le Brésil, ce qui contribue à la déforestation tout en réduisant les possibilités de capter les gaz à effets de serre : un effet doublement négatif sur le plan écologique.

De plus, il s’agit d’un accord qui creusera les inégalités, notamment dans les pays d’Amérique du Sud, en aggravant la concentration de la production agricole aux mains de grands groupes agro-industriels aux dépens de l’agriculture paysanne et des milliers de ménages qui vivent d’une petite production en circuit court, dans un pays comme le Brésil qui a déjà connu d’importants mouvements sociaux de petits paysans mis en difficulté par de grands groupes de l’agro-business. Par conséquent, nous pouvons nous attendre à des déséquilibres sociaux supplémentaires.

En Suisse, les producteurs de denrées agricoles, comme M. Pahud l’a très bien expliqué, seraient soumis à une concurrence déloyale, alors qu’ils doivent se conformer à des normes plus élevées en termes de qualité et, bien sûr, à un coût de la main-d’œuvre elle aussi plus élevée. Quant aux consommatrices et consommateurs suisses, elles et ils seraient exposé-e-s à des produits de moins bonne qualité avec une traçabilité souvent douteuse dont M. Pahud a donné des exemples précis. J’espère que ces derniers sauront convaincre son collègue de parti, M. Parmelin, président de la Confédération, qui soutient résolument cet accord et qui montre dans ce dossier qu’il n’est pas forcément l’ami des agricultrices et agriculteurs, ce qui indique en tous les cas des contradictions au sein du parti de M. Pahud. Notre opposition à ces accords est conséquente et n’est pas à géométrie variable en fonction des responsabilités occupées au sein d’exécutifs. J’espère qu’elle contribuera à mettre en échec ce mauvais projet.            

M. Raphaël Mahaim (VER) —

Au nom du groupe des Verts unanime, je vous invite chaleureusement à soutenir le rapport de majorité. J’aimerais insister sur quelques aspects choisis. D’abord, en introduction, les débats sur la question du libre-échange me font repenser aux cours d’économie politique pendant lesquels on nous entretenait de la théorie des avantages comparatifs du beurre et des canons. Les économistes du XIXe siècle, dont Adam Smith, avançaient que si un pays était bon pour faire du beurre, alors il fallait qu’il en produise ; et, si son voisin excellait dans les canons, alors il devait s’y cantonner. Chacun devait se spécialiser dans le domaine où il était le meilleur. Ainsi, tout le monde serait content. La théorie des avantages comparatifs affirmait que la richesse nationale de chacun des deux Etats en était augmentée.

Cela me navre de l’exprimer ainsi, mais je nourris le sentiment que nous sommes restés bloqués à cette période, bien qu’entretemps – un détail de l’Histoire – nous ayons compris que les flux incessants de matière posaient un problème insoluble pour la planète. Nous nous retrouvons dans une situation dans laquelle nous ne pouvons plus faire venir le beurre du fin fond de l’Amérique du Sud et envoyer les canons helvétiques au Brésil, même si nous sommes très forts dans leur élaboration. Nous ne pouvons plus procéder de la sorte car, d’une part, cela engendre des coûts environnementaux colossaux et, d’autre part, parce que nous avons fort heureusement compris depuis cette période que les conditions de production, notamment sociales, sont fondamentalement différentes. Il est parfaitement indigne de mettre l’agriculteur suisse en concurrence avec le brésilien, car ce dernier vit dans un pays dans lequel les standards et le coût de la vie sont différents, tout comme les prétentions salariales des employés agricoles. Ainsi, nous finissons par comparer des pommes et des poires, à mettre en concurrence des gens qui ne peuvent pas l’être. Le raisonnement de l’époque ne peut plus être tenu.

Ensuite, j’aimerais insister sur un aspect qui n’a pas encore été beaucoup évoqué jusque-là, celui de la souveraineté alimentaire. Notre Constitution compte un très joli article sur la souveraineté alimentaire qui rencontrait une belle unanimité à l’époque. Tout le monde s’accordait à ce sujet : la gauche, la droite ou les milieux agricoles ou d’exportation. Or, en réalité, lorsqu’il s’agit de le concrétiser, il n’y a plus personne ! Tout le monde applaudit au joli principe, mais lorsqu’il s’agit de se poser la question de ce que nous voulons y mettre, il n’y a plus personne… en tout cas du côté du Conseil fédéral, en particulier parmi les représentants des milieux agricoles. Contrairement à ce que l’on pense, la souveraineté alimentaire n’implique pas de fermer le réduit ou les frontières et de ne plus accepter des produits importés. Au contraire, elle consiste en l’idée qu’on définisse soi-même sa propre politique agricole dans l’idée de ne pas causer de tort à d’autres économies ou à d’autres Etats tout en protégeant notre propre agriculture, notamment en plaçant des standards sociaux et environnementaux en Suisse, parce que nous voulons une agriculture paysanne forte, des produits liés à des conditions écologiques viables, entre autres. Or, si nous acceptons ce genre d’accords de libre-échange, en réalité nous renonçons à notre souveraineté alimentaire, parce que nous signons un traité qui dit grosso modo « vous avez le droit, moyennant un certain nombre de conditions plus ou moins frappées du sceau du green washing, de librement déverser vos produits sur le marché suisse. » Si nous souhaitons la souveraineté alimentaire, nous ne pouvons accepter ce genre d’accords.

En conclusion, le groupe des Verts vous invite à suivre le rapport de majorité. Nous avons besoin de changer d’« ère » en matière de libre-échange, de penser les défis du XXIe siècle par un autre prisme que les théories des économistes classiques d’il y a deux cents ans. Quant à la question des contrôles et des standards, notamment sur le soja, que notre collègue Develey a exposée de façon très intéressante, le président de la commission a parlé de mascarade ; je serais tenté de dire qu’il s’agit plutôt de poudre aux yeux. Si nous sommes en train de mettre en place un système qui implique plus de green washing et de bureaucratie, alors à quoi bon. Dans l’idée de changer de logique, de relocaliser les activités productrices, je vous invite à suivre le rapport de majorité en gardant à l’esprit que le débat se mènera au niveau national incluant certainement un référendum, une campagne de votation au niveau national. J’ose espérer que la population suisse sera aussi déterminée à changer d’ère qu’elle l’a été pour l’Indonésie, car lorsqu’on voit ce résultat exceptionnel, on se plaît à croire, comme l’a rappelé Alexandre Démétriadès tout à l’heure, que pour le Mercosur la population suisse ne sera certainement pas dupe.

Mme Claire Richard (V'L) —

Le groupe vert’libéral est évidemment quelque peu dubitatif quant au sort qui sera réservé à cette initiative aux Chambres fédérales. Il estime néanmoins que la proposition visant à sortir les produits agricoles et d’élevage du futur accord du Mercosur est juste et susceptible de préserver globalement notre agriculture suisse et l’environnement en Amérique du Sud. Notre groupe est bien conscient que ce retrait affaiblirait certainement les fondements de l’accord du Mercosur, même si en réalité nous n’en connaissons pas les termes exacts. Nous estimons qu’il est grand temps de nous positionner en faveur de l’agriculture suisse et de l’environnement outre-mer, ce que nous offre cet objet. En tablant sur le long terme, il s’agit d’un message positif.

Par conséquent, la majorité de notre groupe acceptera le projet de décret en réponse à l’initiative de notre collègue Yvan Pahud. Nous vous encourageons à en faire de même, comme avant nous la majorité de la commission.

M. Jérôme Christen (LIBRE) —

Nous pouvons nous demander s’il existe une pertinence à se prononcer aujourd'hui sur cet objet, alors que nous ne connaissons pas le contenu détaillé de cet accord, même si nous ne nourrissons guère d’illusions  à son égard ! Qu’il n’ait pas encore été publié ne constitue sans doute pas un hasard ! Cette temporisation semble démontrer qu’il est clairement défavorable au bien commun, même si nous devons reconnaître qu’il est favorable à certains intérêts économiques, mais qu’il s’agit de qualifier de sectoriels. Tout porte à croire que la pesée d’intérêts à laquelle il s’agit de procéder en de pareilles circonstances aboutit à une réponse claire. Comme indiqué par le rapporteur de majorité, il s’agit aujourd'hui de maintenir la pression, parce que nous n’y croyons plus. Nous partageons l’avis de la majorité de la commission quant au fait que le Conseil fédéral doive fixer des critères contraignants de durabilité, exiger des conditions de production des produits importés qui ne soient pas déloyales pour nos agriculteurs et dangereuses pour nos consommateurs. Or, pour le moment, il s’agit d’une illusion totale.

L’approche politique du chef d’Etat à la tête actuellement du pays le plus peuplé du Mercosur, le Brésil, n’est pas là pour nous inspirer confiance, bien au contraire, et nul besoin de vous expliquer pourquoi. Le rapporteur de majorité a évoqué une liste de raisons pour lesquelles nous n’avons aucun motif de croire aux arguments évoqués par la minorité de la commission, qui constituent un leurre. Notre collègue Alexandre Démétriadès a raison : tous les bienfaits évoqués dans ce rapport ne résistent pas à un examen sérieux ; une mascarade ! Nous ne pouvons brader l’urgence climatique sur l’autel de quelque intérêt économique sectoriel, car cela serait absurde, un marché de dupes. Aujourd'hui, la survie de notre agriculture et les efforts que nous sommes toutes et tous en train de faire pour agir en faveur de l’environnement et du climat sont en jeu. Le groupe des Libres se reconnait également dans la définition de souveraineté alimentaire évoquée par notre collègue Mahaim et soutiendra l’initiative de notre collègue Pahud.

M. Marc-Olivier Buffat (PLR) —

Voilà une rentrée qui démarre fort, puisque nous voici en train de nous préoccuper de politique étrangère et internationale, chacun donnant son avis sur la politique sociale et économique de production du Brésil et des pays du Mercosur qu’évidemment tous les membres de la commission sont allés visiter pour pouvoir nous rendre compte de l’état des lieux tout à fait catastrophique !

De quoi s’agit-il ? D’un accord que nous ne connaissons pas, deuxième « pompon » de cette histoire, puisque non seulement le Grand Conseil passe du temps à discuter de politique étrangère, mais qui plus est, d’un accord inconnu. Vous avouerez que si nous observons cela avec un peu de recul et d’humour, il y a matière à s’étonner ! Entendons-nous : un accord mystérieux peut laisser supputer toutes sortes de choses qui relèvent de la théorie du complot ou du secret. En effet, puisque son contenu est tu, des choses sont forcément dissimulées… ! On ne peut imaginer qu’il s’agisse de choses positives.

J’assiste en spectateur à cette réconciliation subite des adversaires d’hier en un attelage baroque entre ceux qui critiquaient jusqu’au 13 juin au soir la façon dont l’agriculture suisse négligeait les cours d’eau, mettant en péril l’approvisionnement de ce pays et les autres. Or, d’un coup de baguette magique, voici les mêmes gens, réunis en une sainte union, pour dire tout le mal qu’ils pensent du Mercosur. Jusque-là, je n’avais pas saisi que MM. Pahud et Démétriadès partageaient la même vision de l’écologie et de la pratique de l’agriculture. Comme quoi, en politique, les choses peuvent changer extrêmement rapidement !

Puisque c’en est la tribune, on s’adonne également au procès de la mondialisation, des grands groupes multinationaux – mais si, monsieur Démétriadès, vous l’avez répété au moins cinq fois ! – pour dénoncer à quel point tout cela est épouvantable et conduit à l’exploitation des sols et des individus. Ce n’est pas la première fois que nous nous mêlons d’affaires qui ne nous regardent pas – sans trop savoir d’ailleurs de quoi il s’agit. Nous avons mené le même débat sur l’Indonésie et dit des choses horribles sur l’huile de palme ! Finalement, cet accord est venu à chef, et je n’ai pas eu l’impression que cela a conduit à des catastrophes ou à des cataclysmes absolus. Quant aux théories datant du siècle passé ou d’il y a deux siècles et à la mondialisation que vous vous plaisez à caricaturer et à critiquer, qui est forcément épouvantable – et même si nous gagnons un franc sur deux à l’étranger et que nous avons besoin d’importer 40 à 50 % à peu près de denrées alimentaires, dont au passage nul ne nous dit d’où, ou comment, et à quel prix elles vont venir jusqu’au consommateur suisse, peut-être d’ailleurs tomber du ciel – j’aimerais citer un chiffre qui est largement connu et acquis relatif aux rapports commerciaux avec l’Asie du Sud-Est : c’est 1,5 milliard d’individus qui sont sortis de la misère ces trente dernières années. On peut donc toujours critiquer les échanges commerciaux et dire à quel point ils sont affreux, que cela n’a profité qu’à des multinationales dans lesquelles, au passage, n'oublions pas qu’un certain nombre de contribuables vaudois travaillent et ramènent des impôts… Mais nous aurons l’occasion d’en discuter abondamment d’ici au budget.

Le texte du référendum est devenu sans objet – cette question est donc réglée. Quant au texte qui n’a simplement aucun sens… Je voterai tout ce que vous voulez pour défendre l’agriculture suisse et les moyens de nos agriculteurs, pour qu’ils puissent produire dans des conditions respectueuses de l’environnement et du consommateur, comme je l’ai fait en incitant à voter deux fois « non » aux initiatives sur les phytosanitaires, mais n’allez pas me faire regretter aujourd'hui ce vote en brandissant des menaces fantaisistes et fantasmagoriques face à un accord que vous ne connaissez pas. Je rappelle que les milieux économiques se sont fortement engagés dans cette campagne du double « non ». Ainsi, je m’étonne que nous ayons aussi rapidement oublié cet engagement qui a eu lieu pour permettre la victoire le 13 juin dernier. Vous l’aurez compris, je vous invite à suivre le rapport de minorité.

M. Jean-Luc Bezençon (PLR) —

Je ne voudrais pas inutilement prolonger ce débat, mais je me dois tout de même de réagir aux propos de la gauche, des Verts en particulier. Je déclare mes intérêts comme agriculteur à la retraite, mais toujours très actif pour le domaine que dirige maintenant mon fils. Nous avons beaucoup parlé de souveraineté alimentaire, principe auquel je tiens beaucoup. Je suis vraiment très surpris d’entendre certains discours qui ont amené l’agriculture à se transformer depuis la fin des années huitante, puisqu’en 1989, j’ai dû fermer – comme tous les agriculteurs de ce pays – 10 % de mes terres : j’insiste sur ce chiffre. J’ignore si vous imaginez les hectares que cela représente ! Ce sont des terres qui pourraient produire des matières indispensables à la vie humaine. Nous avons dû, pour la biodiversité, fermer ces terres et en rendre 10 % incultes. Alors, on m’avait dit qu’avec l’évolution démographique, ces terres seraient à nouveau ouvertes. Mais que s’est-il passé ? On en ferme encore plus, on fait de l’agroforesterie, on nous demande de mettre des tas de cailloux dans les champs, en d’autres termes, toute une série de mesures prônées par les Verts en faveur de la biodiversité et qui forcément diminuent notre pouvoir de production et ainsi notre souveraineté alimentaire.

Je ne peux m’empêcher de vous dire de faire preuve d’un peu plus de logique dans votre approche. Bien entendu, je défends fermement notre agriculture, mais je me rends bien compte qu’il est impossible, puisque nous ne parvenons à produire que 50 % – un chiffre qui va diminuer de plus en plus, puisqu’on nous demande encore plus d’agriculture biologique respectueuse de l’environnement qui nous amène à diminuer nos rendements – d’empêcher des importations. A l’avenir, il s’agira de se montrer un peu plus logique et de prendre des dispositions qui soutiennent un peu plus notre agriculture.

M. Eric Sonnay (PLR) —

Comme mon prédécesseur, je déclare mes intérêts comme agriculteur. Lorsque j’entends certains dire que nous allons vers une agriculture forte…  Je voudrais répondre qu’en Suisse c’est exactement le contraire qui se passe actuellement ! Aujourd'hui, nous couvrons à peine 50 % de la consommation. Lorsque j’ai commencé mon apprentissage dans les années 75, 76 ou 77, on me disait : « Sonnay, produis ! On va s’occuper de tes produits ! » Nous nourrissions alors la population à 70 %.

Il nous est encore et toujours demandé de faire des efforts par rapport aux traitements, même si nous sommes tous conscients que nous sommes allés un peu trop loin par le passé. Mais, aujourd'hui, c’est trop loin dans le sens inverse. Par rapport aux produits importés du Mercosur, pour une fois, nous aurions des accords signés et contrôlés. En Amérique du Sud, où je me suis rendu plusieurs fois, les élevages de 2000 ou 3000 vaches n’existent pas. Je ne comprends pas aujourd'hui comment certains agriculteurs peuvent s’opposer à cet accord, car nous pourrons contrôler d’où viennent les produits et comment ils sont cultivés. En outre, je ne suis pas persuadé que ce que nous achetons aujourd'hui en Europe du Nord, dans certains pays qui souffrent de la faim, comme la Roumanie ou la Bulgarie, soit mieux que d’aller chercher cela en Amérique du Sud. Au nom du PLR, je vous demande de soutenir le rapport de minorité.

M. Philippe Leuba — Conseiller-ère d’Etat

Comme indiqué dans les textes fournis par le Conseil d'Etat, ce dernier a renoncé à exprimer un avis sur cette initiative. Vous me pardonnerez, je l’espère – ma fin de carrière approchant – une faiblesse qui est mienne : celle d’écouter avec beaucoup d’intérêt les propos prononcés. Je me vois par conséquent contraint de corriger un certain nombre d’allégations. D’abord, et en effet, le texte n’est pas connu à ce jour, car il doit faire l’objet d’accords finals entre les différentes parties. Ensuite, l’initiative Mahaim est devenue sans objet, le Conseil d'Etat ayant indiqué qu’il y aurait un référendum ouvert sur ce texte et qu’il ne s’agissait pas de modifier les règles constitutionnelles ou légales régissant le recours au souverain, fort de l’engagement formel du Conseil fédéral devant les Chambres fédérales. La première initiative a déjà été déposée dans les mêmes termes par le canton du Jura et fut rejetée par le Conseil national et le Conseil des Etats. Par conséquent, le texte que vous allez voter – à la virgule près – pour le renvoyer aux Chambres fédérales a d’ores et déjà été rejeté il y a au moins deux ans par les deux Chambres fédérales. Il s’agit d’un fait incontestable.

Sur le fond, M. Mahaim a malheureusement raison. Quant à la souveraineté alimentaire, monsieur Mahaim, où étiez-vous avant le 13 juin, lorsqu’il s’agissait de se prononcer sur deux initiatives qui allaient réduire drastiquement la production indigène ? Vous étiez du côté des partisans. Tout le monde parle de souveraineté alimentaire, mais personne n’est plus là au moment des faits. Ensuite, M. Démétriadès a raison lorsqu’il rappelle les exigences formulées par l’USP et les milieux des ONG, Pain pour le prochain, pour n’en citer qu’une. Aucune de ces associations, environnementales ou tiers-mondistes ne formule des demandes identiques à celles du texte de M. Pahud. En effet, l’USP et les milieux tiers-mondistes demandent que soient fixés des critères liés à la production alimentaire et à l’élevage, au Mercosur. Toutefois, pour fixer ces critères portant sur la production des biens d’alimentation et d’élevage, il est nécessaire de discuter de l’agriculture. Or, votre initiative propose qu’on exclue l’agriculture des discussions. Ainsi, de deux choses l’une : soit vous écoutez l’USP et les milieux environnementaux et souhaitez que la Suisse discute des conditions de production agricole au sens large – et dans ce cas, il ne faut pas exclure l’agriculture de l’accord – soit vous estimez qu’il faut aller au-delà de l’USP et des milieux tiers-mondistes et exclure d’emblée l’agriculture des discussions avec le Mercosur, ce qu’aucun milieu ni paysan, ni suisse, ni tiers-mondiste, environnemental ou ONG ne demande. D’ailleurs, Pain pour le prochain ne demande pas qu’on retire l’agriculture de l’accord du Mercosur. Que disent-ils ? Qu’ils soutiendront l’accord à un certain nombre de conditions. Ces dernières portent précisément, d’une part, sur les critères qualitatifs d’élevage des animaux et, d’autre part, sur la production alimentaire. Comment voulez-vous fixer ces critères si d’emblée l’agriculture est exclue ? Avouez, monsieur Démétriadès, qu’il y a un petit problème de méthode. J’ignore comment vous mener une négociation, mais quel qu’en soit l’objet, si vous l’excluez de la discussion, vous me concèderez qu’il existe une certaine contradiction, une forme d’incompatibilité dans les objectifs que vous-mêmes essayez de fixer. C’est le moins qu’on puisse dire.

En outre, le Conseil fédéral indique – on peut ou non le croire, chacun étant libre de déterminer le degré de confiance qu’il a dans la parole de l’autorité fédérale – que les critères qualitatifs de production seront fixés dans l’accord et que la Suisse ne bradera pas les exigences qualitatives en termes d’importation. Nous le verrons au moment où le texte sera soumis à la lumière de chacun – et il le sera, puisqu’une votation populaire aura forcément lieu. Ainsi, chacun sera muni du texte de l’accord en question et libre de se prononcer favorablement ou défavorablement. Les promesses du Conseil fédéral et les exigences formulées par l’USP ou les milieux tiers-mondistes seront-elles respectées ? Chacun se déterminera en toute connaissance de cause.

Enfin, l’accord du Mercosur ne porte pas uniquement sur les questions agricoles, mais sur des relations commerciales et économiques impliquant un marché extrêmement important – on peut évidemment mépriser l’accès aux marchés extérieurs – pour une Suisse qui ne comprend qu’un peu plus de 8 millions d’habitants, qui exporte un franc sur deux, que ce gain permet de payer un salaire sur deux. Lorsque vous quitterez cet hémicycle pour rentrer chez vous, une personne sur deux que vous croiserez dans la rue ou dans le bus doit sa rémunération à notre capacité à exporter. En outre, sur ce franc sur deux gagné à l’export, la moitié l’est en Europe, et l’autre moitié dans le reste du monde. Par conséquent, le reste du monde représente 25 % de la richesse de notre pays, c’est-à-dire qu’un Suisse sur quatre doit sa rémunération pour payer sa vie quotidienne et l’avenir de ses enfants à notre capacité à conquérir des marchés extra-européens. C’est une réalité crue. Vous souhaitez peut-être la renverser ; c’est parfaitement envisageable. Il n’empêche qu’aujourd'hui un Suisse sur quatre doit sa capacité à subvenir à ses besoins à la possibilité que connaît la Suisse de conquérir des marchés extra-européens, notamment l’Amérique du Sud. Ce sont des dizaines et des dizaines d’emplois qui sont en jeu.

L’élément déterminant dans cette affaire n’est pas tellement de savoir si la Suisse va signer un contrat seule avec le Mercosur, mais plutôt ce que nos concurrents feront. Si l’Union européenne signe un accord de libre-échange avec le Mercosur – et il est aujourd'hui sur sa table – si nos principaux concurrents parviennent à signer un accord qui fait baisser les droits de douane, alors il devient évident que notre industrie, que l’ensemble de la place industrielle que vous, députées et députés, souhaitez préserver à juste titre dans notre pays, sera lourdement pénalisée. Vous me répondrez : nous en discuterons ultérieurement. Ce n’est pas la position du Conseil fédéral qui souhaite préserver notre capacité à gagner des parts de marché à l’exportation et donc conserver des emplois dans l’industrie. Souvenez-vous du dossier Novartis qui a rencontré l’unanimité du Grand Conseil pour soutenir la préservation des emplois. Novartis exporte également au Brésil et en Argentine. Par conséquent, un double discours qui dirait qu’un mardi voit ceci préservé, mais qu’on se fiche du reste, puis que le mardi suivant connaîtrait des hurlements pour demander ce qui a été entrepris pour la place industrielle serait absurde. Ainsi, le Conseil d'Etat vous appelle à faire preuve de raison et de prudence, car les intérêts ne sont pas uniquement sectoriels ou agricoles, quand bien même – et vous le savez – le sort de l’agriculture me tient particulièrement à cœur. Je considère qu’il faut faire preuve de raison, envisager les intérêts généraux et légitimes de la Suisse et attendre de connaître le texte de cet accord pour se déterminer, pour identifier si tout ou partie de ce dernier doit être rejeté. Il ne s’agit pas de doctrine politique ; il faut simplement que la raison l’emporte. Vous êtes appelés à vous prononcer sur des textes connus plutôt que sur des propos tenus par les uns ou les autres ou éventuellement sur des supputations qui ne reposent sur par grand-chose.

En conclusion, le Conseil d'Etat ne se détermine pas sur le fond de cette initiative ; vous en ferez ce que bon vous semble, en ayant devant les yeux, j’en suis convaincu, la sagesse de vous prononcer en toute connaissance de cause.  

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est close.

L’entrée en matière est admise par 89 voix contre 41 et 6 abstentions.

Il est passé à la discussion du projet de décret, article par article, en premier débat.

Art. 1 à 3.-

M. Alexandre Démétriadès (SOC) — Rapporteur-trice de majorité

La majorité de la commission vous encourage à accepter les trois articles par 10 voix contre 7.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

Les articles 1, 2 et 3 sont acceptés par 80 voix contre 43 et 6 abstentions.

Le projet de décret est adopté en premier débat.

M. Alexandre Démétriadès (SOC) — Rapporteur-trice de majorité

Je demande le deuxième débat immédiat, compte tenu du délai déjà suffisamment long de traitement de l’initiative de notre collègue Yvan Pahud, puisque le texte a été accepté en 2018 par le plénum.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

Le deuxième débat immédiat est refusé, la majorité des trois quarts n’ayant pas été atteinte (81 voix contre 46 et 6 abstentions).

Le deuxième débat interviendra ultérieurement.

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