Point séance

Séance du Grand Conseil du mercredi 15 décembre 2021, point 6 de l'ordre du jour

Texte déposé

Un homme homosexuel menacé de mort pour qu'il épouse une femme et ait des enfants. Une femme lesbienne à qui on fait subir des séances d'hypnose comportant des messages à caractère sexuel visant à habituer son corps à la pénétration masculine. Un traitement psychique pour « guérir » la transidentité. Des exorcismes visant à « chasser le démon de l’homosexualité », des sévices sexuels, des viols, des traitements hormonaux, des électrochocs, l’excision de femmes lesbiennes…  ou encore, plus couramment aujourd’hui, des « thérapies » visant à restaurer une identité conforme à la norme hétérosexuelle et cisgenre, ou à défaut à fournir un accompagnement vers une « vie chaste et normative». Parmi elles, la thérapie par aversion qui consiste à soumettre une personne à des sensations négatives, douloureuses ou angoissantes alors qu'elle est exposée à un certain stimulus lié à son orientation affective et sexuelle et/ou à son identité de genre. Autant de pratiques prétendant changer l'orientation affective et sexuelle et/ou l'identité de genre d'une personne. Elles n’atteignent jamais l’effet escompté et détruisent la vie psychique et sexuelle des personnes qui en sont la cible. Par simplification, l'usage nomme ces pratiques "thérapies de conversion", bien qu'elles n'y ressemblent que rarement.

 

Trois approches extrêmes fondent les thérapies de conversion : psychothérapeutiques (la diversité sexuelle ou de genre découle d'une éducation ou d'une expérience anormale), médicales (orientation affective et sexuelle et l'identité de genre sont la conséquence d'un dysfonctionnement biologique) et confessionnelles (les orientations affectives et sexuelles et les identités de genre différentes ont quelque chose de fondamentalement mauvais et « contre nature »).

 

Un rapport du Conseil des droits de l’homme de l’ONU[1] assimile les « thérapies de conversion » à des actes de torture et appelle à leur interdiction. Ces pratiques sont « intrinsèquement discriminatoires, cruelles, inhumaines et dégradantes et selon la sévérité de ces pratiques, de la souffrance, de la douleur physique ou mentale qu'elles infligent à la victime, elles peuvent être assimilées à des actes de torture. » Elles partent du principe que les personnes d'orientation affectives et sexuelle diverse ou d'identité de genre variante seraient déviantes et inférieures, sur le plan moral, spirituel ou physique, et devraient donc changer leur orientation ou leur identité pour y remédier.

 

Parmi les conséquences délétères de ces thérapies, on peut relever[2] un dégoût de soi et de son orientation sexuelle et affective, de l’anxiété, une dépression avec des idées suicidaires, des troubles sévères de la sexualité, un échec scolaire pour les adolescents, des situations conjugales extrêmement douloureuses lorsque la personne est encouragée à former un couple hétérosexuel et/ou contrainte à se marier. Ces pratiques sont d’une extrême violence et ne sauraient entrer dans le cadre de la liberté d’expression ou dans celle de la liberté de conscience et de religion tant qu’elles induisent de la souffrance. Elles enfreignent les droits de l’enfant lorsqu’elles sont imposées par les parents et dépossèdent la personne, alors vue comme une patiente, de son libre arbitre et de son consentement.

 

La situation est d’autant plus grave pour les mineurs qui sont en droit d’attendre de la protection et une attitude bienveillante de la part des adultes garant de leur développement et non pas une remise en cause de leur identité.

 

En Europe, depuis le début des années 2000, apparaissent, sous l’impulsion d’associations chrétiennes intégristes, des programmes de conversion. Suite aux mesures prises en Allemagne (interdiction des thérapies de conversion pour les mineurs), les principales organisations les pratiquant ont quitté ce pays pour s’établir en Suisse. Ainsi, et par exemple, la Bruderschaft des Weges (« Confrérie du Chemin ») et l’Institut für dialogische und identitätsstiftende Seelsorge und Beratung (« Institut de pastorale et de conseil pour la restauration identitaire par le dialogue ») ont annoncé leur enregistrement en tant qu’association suisse au premier semestre 2020[3].

La Suisse est donc particulièrement concernée. D’une part, les programmes à vocation religieuse[4], y compris dans le canton de Vaud (par exemple, l’Église évangélique Lazare de Bussigny qui proposait des cours de « restauration de l’identité »[5]). D’autre part, des personnes agissant dans le domaine thérapeutique ou médical : c’est, par exemple, le cas avec l’information communiquée début juillet 2020 d’un psychiatre du canton de Schwyz qui a fait reconnaître des thérapies de conversion comme psychothérapie médicale et donc payées par l’assurance maladie. On se rappelle aussi la révélation, en 2018, d’un médecin et homéopathe pratiquant dans les cantons de Genève et de Vaud et qui proposait de « guérir de l’homosexualité ».[6] Dans la situation juridique actuelle, il semble qu’il n’y a pas de sanctions possibles à l'encontre de ces médecins, que ce soit une amende ou même une interdiction professionnelle, bien qu'ils aient violé l'éthique professionnelle. Ces cas ne sont pas isolés, puisqu’on estime que 14 000 personnes en Suisse sont concernées par les thérapies de conversion[7]. Ces chiffres sont très probablement sous-évalués aux vues des moyens financiers importants et du réseau international de ces structures comme : Courage Internationnal, Desert stream living water, Torrent de vie, Exodus Internationnal

 

L’Allemagne, l’Autriche, Malte, le Brésil, l’Argentine, plusieurs états américains et provinces canadiennes ont déjà interdit ces thérapies, et d’autres pays (la Grande-Bretagne notamment) y songent.[8]

 

Cet exposé sommaire de la situation montre la nécessité d’en finir avec les pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle et affective ou l'identité de genre d'une personne et cela passe par leur interdiction.

 

Les membres du Grand Conseil soussignés demandent par voie de motion à ce que le Conseil d’État propose une modification législative afin d'interdire les pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle et affective ou l'identité de genre d'une personne.

 

[1] https://www.ohchr.org/fr/NewsEvents/Pages/ConversionTherapy_and_HR.aspx

[2] https://ilga.org/downloads/ILGA_World_Curbing_Deception_world_survey_legal_restrictions_conversion_therapy.pdf

[3] https://360.ch/suisse/55830-la-suisse-refuge-pour-les-adeptes-des-therapies-de-conversion/

[4]https://www.swissinfo.ch/fre/homosexualité_des-groupes-religieux-encouragent-les--thérapies-de-conversion-/44750602

[5] https://360.ch/suisse/19106-les-ex-gays-ont-aussi-leur-reseau-en-suisse/

[6] https://360.ch/suisse/44814-lhomosexualite-un-symptome-a-traiter-selon-un-homeopathe-lausannois/

[7]Émission « Mise au point », RTS, 15 septembre 2019, https://www.rts.ch/play/tv/mise-au-point/video/therapies-de-conversion?urn=urn:rts:video:10710481

[8] Genre: vers une interdiction des thérapies de conversion dévastatrices et trompeuses, Laure Dasinières, Heidi.news, 17 août 2020

Conclusion

Renvoi à une commission avec au moins 20 signatures

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Alexandre DémétriadèsSOC
Isabelle FreymondSOC
Amélie CherbuinSOC
Anne-Sophie BetschartSOC
Delphine ProbstSOC
Hadrien BuclinEP
David RaedlerVER
Denis CorbozSOC
Felix StürnerVER
Yves PaccaudSOC
Sylvie PodioVER
Muriel Cuendet SchmidtSOC
Eliane DesarzensSOC
Valérie InduniSOC
Stéphane BaletSOC
Sébastien CalaSOC
Cendrine CachemailleSOC
Sylvie Pittet BlanchetteSOC
Marc VuilleumierEP
Florence Bettschart-NarbelPLR
Nathalie JaccardVER
Vincent KellerEP
Monique RyfSOC
Pierre DessemontetSOC
Graziella SchallerV'L
Nicolas Croci TortiPLR
Olivier GfellerSOC
Julien CuérelUDC
Carine CarvalhoSOC
Jean TschoppSOC
Taraneh AminianEP
Léonard Studer
Stéphane MontangeroSOC
Claire RichardV'L
Cédric EchenardSOC
Rebecca JolyVER
Muriel ThalmannSOC
Pierre FonjallazVER
Anne-Laure Métraux-BotteronVER
Daniel TrollietSOC
Jean-Louis RadiceV'L
Anne Baehler Bech

Documents

21_MOT_6-Texte déposé

RC - 21_MOT_6

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
Mme Catherine Labouchère (PLR) — Rapporteur-trice

La commission s’est réunie le vendredi 18 juin 2021, à la Buvette du Parlement. En ouverture de la séance, le motionnaire a précisé que l’expression « thérapie de conversion » employée dans le titre de sa motion n’est pas la plus adéquate, même s’il s’agit du terme communément employé. Le but est de demander une interdiction de certaines pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou affective, ou encore l’identité de genre d’une personne. Cela concerne les domaines des professionnels de la santé, ainsi que des organismes ou des églises qui s’approchent de ces pratiques, alors que les relations entre un religieux et une personne échappent, en bonne pratique, à toute régulation dans ce domaine. Le motionnaire est conscient que cette dernière catégorie sera difficile à réguler.

Afin de mieux connaître le sujet, la commission a auditionné des représentants d’organismes qui se sont penchés sur ces questions. Pour respecter le principe d’égalité, les trois organismes auditionnés ont eu le même temps de parole ainsi que de questions-réponses. En premier lieu, la commission a entendu l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud (EERV). Celle-ci se dit consciente de la nécessité de poser des garde-fous dans ce domaine. Pour ce faire, elle a déjà pris des mesures – une charte et des directives – pour clarifier et cadrer les pratiques religieuses qui sortiraient des limites imposées. Elle propose des lieux dédiés à l’accompagnement spirituel mené par des personnes au bénéfice d’une double formation théologique et psychologique. Mais elle explique aussi qu’elle ne peut exclure que des pratiques qui sont le fait de fondamentalistes se produisent, cela d’autant plus qu’à côté des professionnels, elle est accompagnée par des milliers de bénévoles. Elle se dit favorable à une loi telle que le souhaite la motion, et tout en étant consciente des résistances possibles, elle manifeste son intérêt à participer à l’élaboration de la loi, si la motion est acceptée.

La deuxième audition était celle de l’Association Pôle, Agression, Violence (PAV), accompagnée d’une personne représentant la faîtière Pink Cross qui s’occupe des personnes LGBTIQ+. Elles décrivent les situations très complexes et difficiles auxquelles sont confrontées des personnes soumises à des pratiques qui visent à modifier les orientations sexuelles ainsi que les identités de genre. Les séquelles sont très souvent présentes à long terme, dont notamment des conflits violents entre ces personnes et leur famille. La PAV et la faîtière Pink Cross sont favorables à la motion qui aurait un effet préventif et également répressif en cas de condamnation. Il ne faut pas négliger l’effet symbolique d’une législation et elles évoquent le cas de l’adoption de la norme pénale contre les discriminations qui a eu pour effet d’augmenter le nombre de dénonciations. Une législation aurait aussi pour effet de dissuader des mouvements pratiquant ce genre de thérapie de s’installer en Suisse.

La dernière audition était celle de la Fédération romande des églises évangéliques (FREE). Celle-ci rappelle, en préambule, n’avoir pas reçu de plainte pour de telles pratiques. Elle souligne que l’amour du prochain est au cœur de son éthique ainsi que le respect des libertés fondamentales et des personnes qui peuvent avoir un autre avis sur des questions d’éthique sexuelle. La fédération explique que ces pratiques sont déjà interdites pour les professionnels de santé. Elle pense toutefois que, pour l’aspect confessionnel, il est nécessaire d’apporter des nuances. Elle se montre favorable à une étude préliminaire à l’adoption d’une loi et à l’accélération d’efforts sur la prévention. Elle souhaite une définition précise de la notion de thérapie pour laquelle elle n’empêche pas un accompagnement pastoral. Comme toutes les autres associations, elle souhaite être consultée en cas d’élaboration d’une loi. A la question de savoir ce que signifie l’éthique sexuelle biblique, la fédération répond que, selon son éthique classique, la sexualité se vit dans le mariage hétérosexuel.

Le motionnaire exprime sa satisfaction suite aux auditions et explique les démarches entreprises pour une régulation, tant à Bâle qu’à Genève. Il relève en outre l’exemple de la Grande-Bretagne qui a récemment légiféré sur cette question. Il souhaite que les personnes auditionnées soient une source d’inspiration pour une future loi, si la motion est acceptée, et explique que cette dernière n’a aucune prétention de régler dans le détail la relation entre pasteur, prêtre et fidèles.

Le Conseil d’Etat donne sa position, citant des exemples qui sont remontés jusqu’à lui, notamment sur les pratiques d’associations et de mouvements divers qui agissent souvent dans un contexte caché. Quant aux professionnels de santé, deux cas qui ont défrayé la chronique et il a connaissance de quelques cas, via le centre LAVI ou PROFA. La Confédération ayant délégué le traitement de ces questions aux cantons, force est de constater que les pratiques visant à modifier l’identité sexuelle et affective ainsi que l’identité de genre existent. Elles s’adressent à des personnes croyantes qui vivent leur orientation sexuelle ou leur identité de genre comme étant incompatibles avec leur foi et le maintien des liens familiaux et communautaires. Le département est donc favorable à une base légale, accompagnée de mesures d’information auprès de la population et des églises, pour un accueil respectueux des personnes LGBTIQ+ en situation de détresse spirituelle.

La discussion générale fait ressortir la nécessité de définir la notion de thérapie de conversion avec une différenciation des accompagnements pastoraux ou spirituels. La liberté fondamentale des personnes de vivre comme elles l’entendent est également relevée. Une loi permettrait ainsi de mieux réguler la zone grise qui touche les professionnels de santé. Elle ouvrirait aussi un processus de reconnaissance et de réparation pour les victimes, en cas de condamnation. Les aspects de protection, de prévention et de promotion de la santé seraient aussi mis en évidence. Au final, la commission recommande au Grand Conseil de prendre cette motion en considération et de la renvoyer au Conseil d’Etat, par 8 voix favorables et 1 abstention.  

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Julien Eggenberger (SOC) —

Les thérapies de conversion, c’est-à-dire les pratiques qui visent à modifier l’orientation affective ou sexuelle ou l’identité de genre, reposent sur le principe erroné que les personnes LGBTIQ+ sont malades et nécessiteraient des soins, ou qu’elles sont dans l’erreur. Or, ces pratiques profondément nuisibles sont à l’origine de graves souffrances, ainsi que les travaux de la commission l’ont montré. Au-delà de l’atteinte à la personnalité et de la vision problématique qu’elles promeuvent quant à l’orientation ou l’identité d’une personne, elles provoquent des traumatismes psychologiques et physiques qui laissent de graves séquelles et violent les droits humains. Parmi les ravages que produisent ces pseudos traitements figure une perte considérable de l’estime de soi, entraînant de l’anxiété, un état dépressif, un isolement social, des problèmes relationnels, une haine de soi, de la honte et de la culpabilité, un dysfonctionnement sexuel, des idées suicidaires, des tentatives de suicide et des symptômes de troubles post-traumatiques.  

Plusieurs pays ont récemment interdit ces pratiques et des démarches identiques sont en cours dans une dizaine de cantons, à des stades divers. Dans notre canton malheureusement, les informations données par le département – je l’en remercie – le démontrent : la question constitue un enjeu et il est donc nécessaire d’en tenir compte. Nous avons aujourd’hui l’occasion d’avancer pour régler rapidement et simplement cette question, car, en attendant, ce sont surtout des jeunes vulnérables, en période de questionnement ou de coming out, qui restent exposés à ces programmes. Avant de conclure, je profite de cette intervention pour remercier de manière appuyée les membres de la commission ainsi que sa présidente pour le soin apporté à ce sujet, ainsi que la cheffe de département et ses services pour leur travail préparatoire très utile. Je vous remercie d’avance du soutien que vous manifesterez à cette motion.

Mme Céline Misiego (EP) —

Il s’agit véritablement d’un problème de santé publique. En effet, les thérapies de conversion font vivre des expériences extrêmement traumatiques. Des individus sont attaqués sur des points aussi fondamentaux que l’attirance romantique ou sexuelle envers une autre personne. Avec qui tu te maries, avec qui tu vis ta vie, avec qui tu couches, ce sont des points centraux dans la vie d’une personne et vous en conviendrez, j’en suis certaine. Vouloir influencer des personnes par des thérapies de conversion ne se fait pas sans provoquer des traumas, et peut être assimilé à de la torture mentale. Tous les symptômes qui en découlent et que mon collègue a listés débouchent sur des besoins de vraies thérapies, soit des psychothérapies, pour réparer tout le mal qui a été fait, et cela coûte à toute la collectivité publique. Il nous faut donc protéger les personnes souvent très jeunes lorsqu’elles subissent ces exactions, raison pour laquelle cette base légale est vraiment nécessaire. Imaginez si, toute votre vie, on avait voulu vous faire devenir homosexuel alors que vous aviez indiqué ne pas vous sentir normal ; pensez-vous que vous auriez pu profondément changer pour devenir homosexuel, ou rester malheureux et mal dans votre peau, avec les conséquences que l’on connaît ? Tout le monde connaît la réponse et je vous encourage donc à voter en faveur de cette motion.

M. Blaise Vionnet (V'L) —

Je souhaite intervenir à titre personnel dans ce débat, en y apportant mon témoignage. Je rappelle mes intérêts figurant dans mon dossier de parlementaire : je suis engagé au sein des églises évangéliques et, après avoir été membre pendant de nombreuses années de l’EERV, puis envoyé pendant six ans en tant que médecin au Cameroun, je me suis engagé depuis 1992 dans les églises évangéliques ; puis, pendant trois ans, à l’Eglise Lazare, à Bussigny et dont il est fait mention dans le texte de la motion.

Je souhaiterais émettre deux commentaires autour du terme « thérapie de conversion ». Premièrement, il est important de préciser la notion de conversion et le rapport de commission y fait également référence. Dans les milieux évangéliques, la conversion se rapporte à un moment précis, soit lorsqu’un nouveau chrétien se découvre ou plutôt rencontre le Christ. Cette rencontre occasionne un virage à 180°, d’où le terme de conversion. Ce moment clé dans la vie du chrétien, et que l’on appelle conversion, n’a donc rien à voir avec la conversion relative à l’identité de genre dont il est fait mention dans la motion. Deuxièmement, dans l’expression « thérapie de conversion », il ne faut pas oublier la notion de thérapie. J’ai pris contact avec les anciens responsables de Torrents de Vie à Lazare qui m’ont certifié qu’il n’a jamais été question de thérapie de conversion dans les groupes qu’ils ont animés. Dans les milieux évangéliques, nous n’avons pas de compétence pour parler de thérapie, de traitement, ou encore de psychothérapie. Les thérapies concernent les professionnels de la santé ou de la psychologie, mais pas les pasteurs ou les mouvements d’église.

Certains agissements ont peut-être eu lieu dans d’autres pays ou cantons, mais, dans le canton de Vaud, les églises évangéliques ont été très prudentes par rapport à ces aspects. Ce n’est un secret pour personne : les troubles dépressifs et anxieux ainsi que les suicides sont élevés dans la communauté LGBTIQ+ et cela témoigne d’une souffrance dont il faut tenir compte. Les milieux religieux ont mis en place des groupes spécifiques pour être à l’écoute de la souffrance spirituelle – j’insiste sur ce terme – et non psychique de cette communauté et pour leur proposer un accompagnement spirituel, mais en aucun cas une thérapie. Cet accompagnement peut se faire à l’aide de groupes de parole sur un modèle similaire à celui des Alcooliques anonymes. C’est un des modèles qui a été proposé dans le cadre des ateliers Torrents de vie, dans les milieux évangéliques vaudois, qui ont été interrompus depuis plusieurs années.

Après ces précisions, je conclus en soulignant le fait que les églises évangéliques ne voient pas de problème à l’élaboration d’une loi qui interdirait les thérapies de conversion. Dans ce cas, il serait souhaitable de modifier le terme de « thérapie de conversion » pour les raisons mentionnées dans mon intervention.

Mme Céline Baux (UDC) —

En réponse à la précédente prise de parole, j’avoue être quelque peu choquée que l’on compare la lutte contre l’alcoolisme à des séances d’accompagnement destinées à des jeunes en recherche d’identité sexuelle. Cela dit, je ne pense pas qu’il s’agisse du débat qui nous occupe, l’important étant que ces « thérapies de conversion » – soit des jeunes mis devant le fait qu’ils ne sont pas acceptés par une communauté – s’adressent principalement à des personnes croyantes qui vivent leur orientation sexuelle ou leur identité de genre comme étant incompatible avec leur foi. Ces thérapies sont dangereuses, car il ne s’agit pas d’un simple accompagnement spirituel, mais bien d’une doctrine religieuse qui porte un jugement moral négatif sur l’homosexualité et sur les transitions de genre.

Lors de notre séance, nous avons entendu les représentants de l’EERV qui préconisent une église inclusive et ne s’opposent pas à ce que l’interdiction de ces pratiques figure dans la loi. Une base légale permettra d’intégrer plusieurs acteurs dans la discussion avec, pour objectif, la protection des jeunes, ceci tout en incluant des mesures de prévention et de promotion de leur santé. Ces jeunes se retrouvent souvent dans des situations inextricables, déchirés entre leur identité sexuelle et leur famille, mais aussi leur religion et leur communauté. Ils doivent remettre en cause les fondements de leur éducation et ils ont besoin d’être soutenus dans ce cheminement et non d’être jugés et traités comme s’ils souffraient d’une maladie. Nous ne devrions même pas avoir à voter sur cette motion, car ces « thérapies » ne devraient pas exister, que ce soient des thérapies, ou même des rencontres, voire du soutien pour les faire changer. Afin d’aller dans ce sens, le groupe UDC, dans sa majorité, acceptera de renvoyer cette motion au Conseil d’Etat. (Applaudissements).

M. Vassilis Venizelos —

Thérapies de conversion, pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne, finalement peu importe l’étiquette que l’on appose sur ces pratiques : elles sont intolérables et dignes d’un autre temps, on a parfois l’impression de nager en plein Moyen Age, alors même que nous sommes en 2021. Cela a été rappelé, ces pratiques ont été la plupart du temps portées par de petites communautés religieuses conservatrices. On promet de « guérir » l’homosexualité, en 2021 ! Certaines églises prennent heureusement leurs responsabilités et l’EERV que nous avons auditionnée en commission a rappelé qu’elle mettait en place une charte et des directives pour promouvoir une église inclusive, ce que je tiens à saluer. D’autres églises devraient en prendre de la graine et s’inspirer de cette démarche pour construire une société inclusive.

Ces thérapies entretiennent l’idée que l’homosexualité est une déviance, un choix de vie qui devrait être condamné. Nous nageons clairement en plein délire et ces pratiques constituent de la manipulation psychologique et du charlatanisme qui doivent être absolument proscrits dans notre canton. Je remercie d’ailleurs notre collègue Eggenberger de venir avec cette motion, c’est la preuve qu’il reste encore beaucoup à faire pour construire une société inclusive et qui reconnaisse la richesse de la diversité. Le Conseil d’Etat a fait beaucoup ces derniers temps pour thématiser cette question au sein de l’école et nous avons pu constater des réactions relativement surprenantes dans les différents médias et dans les commentaires sur les réseaux sociaux. Je tiens à saluer les différentes démarches mises en œuvre par le Conseil d’Etat pour faire en sorte de thématiser cette problématique, à l’école, afin que nous nous dirigions vers une société inclusive. L’ensemble du groupe des Verts vous invite à renvoyer ce texte au Conseil d’Etat afin que ce dernier puisse se saisir de cette thématique.   

M. Nicolas Croci Torti (PLR) —

Tout a été dit au travers de l’excellent rapport de commission de notre collègue Labouchère. Le groupe PLR unanime soutiendra le renvoi de cette motion au Conseil d’Etat.

M. Philippe Vuillemin (PLR) —

Je crains bien plus que les familles que les églises. Pendant les 35 ans d’exploitation de mon cabinet médical, mon vrai bonheur est d’avoir réussi à convaincre un de mes patients d’accepter son homosexualité, de l’avoir soutenu par rapport à toutes les personnes qui voulaient le changer et de le savoir désormais heureux, quelque part dans ce pays. Il s’agit d’un souvenir très important pour moi et si le Conseil d’Etat se fend d’une loi, il ne faut pas oublier que l’on protège ceux qui aident les autres à accepter ce qu’ils sont. Dans une société qui se judiciarise de plus en plus, il ne serait pas étonnant que des familles portent plainte contre des médecins, parce qu’ils auraient permis à leur enfant d’enfin vivre ce qu’ils souhaitaient être.

M. Jean-Luc Chollet (UDC) —

De part et d’autre des provenances politiques, il y a une grande pudeur ainsi que de la compréhension et je m’en félicite. Je déclare mes intérêts : tout comme mon collègue Blaise Vionnet, je vis depuis ma plus tendre enfance ma spiritualité collective dans les milieux évangéliques, ceci pour mon plus grand bien, et cela sans oublier de varier le menu en fréquentant avec grand plaisir mon église réformée locale. Je remercie Mme la conseillère d’Etat Amarelle qui, lors de son interview au Téléjournal d’il y a quelques soirs, avait souligné que « reconnaissance ne signifie pas encouragement ». Je la remercie d’avoir mis les points sur les i et d’avoir précisé qu’à l’origine, il y a de la douleur et il ne faut jamais l’oublier. Je reconnais également que les milieux ecclésiastiques que je connais sont relativement discrets s’agissant de la gestion de leur temps, argent, loisirs et profession. Il est vrai que nous n’avons pas toujours brillé par notre courage et générosité s’agissant de la vie sexuelle des gens pour lesquels seul l’arbitre des consciences et le rapport de la personne avec le divin devraient primer sur les autres membres de la communauté, voire de la famille. A titre personnel et imitant mon groupe politique, je suis ouvert à la transmission de cette motion au Conseil d’Etat et je m’en félicite.  

Mme Rebecca Ruiz (C-DSAS) — Conseiller-ère d’Etat

Ces thérapies de conversion, telles qu’elles existent et apparaissent dans notre pays, s’adressent principalement à des personnes croyantes qui vivent leur orientation sexuelle – que l’on parle de désir, de comportement, de mode de vie – voire même d’identité de genre, comme étant incompatibles avec leur foi ou le maintien de liens familiaux et communautaires. Selon les différents témoignages recueillis, les personnes concernées, en particulier les jeunes, font l’objet de pressions et peut-être même de contraintes de la part de leur famille, ou même des membres de leur communauté religieuse. Ces jeunes sont aussi souvent menacés par la famille d’être renvoyés à l’étranger pour les amener à changer. Pour l’heure, il n’y a pas de monitoring de ce type de situations qui, par définition, se limitent à un cadre privé et confidentiel.

La persistance de pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle tient en partie à des doctrines religieuses qui vont porter un jugement moral négatif sur l’homosexualité ainsi que sur les transitions de genre et les mouvances les plus fondamentalistes sont aussi les plus enclines à favoriser ou à donner une place à ce type de thérapie de conversion. Les victimes de ces agissements se retrouvent face à un dilemme existentiel ou à un conflit de loyauté avec leur entourage. On voit ainsi souvent les personnes concernées s’engager plus ou moins volontairement, suivant leur âge et leur degré d’autonomie, vers ce type de thérapie et s’exposant – et c’est bien là le problème au niveau de la santé publique – à des risques non négligeables pour leur santé mentale. Dès lors qu’elles voient le principe d’autodétermination réduit à néant et induisent chez autrui à la haine ou du dégoût de soi, ces thérapies de conversion devraient être assimilées à de mauvais traitements constitutifs à des atteintes à l’intégrité personnelle.

La question ayant été débattue au niveau fédéral et quand bien même le cadre légal semble suffisant aux yeux du Conseil fédéral, il faut signaler que l’offre existe toujours et qu’elle tend à se dissimuler sous des appellations euphémisantes. Par ailleurs, des actions en justice de la part des victimes sont peu probables, parce qu’elles placeraient ces personnes dans un conflit de loyauté encore plus fort avec l’entourage et la famille avec laquelle on ne souhaite pas se brouiller pour des raisons tout à fait évidentes, voire avec la communauté religieuse à laquelle on appartient et qui fait partie intégrante de notre éducation.

Dans ce contexte, une interdiction ciblée sur les prestataires de ce genre de pratiques donnerait un signal clair quant aux limites à ne pas dépasser dans les activités d’aide et de soutien qui ne sont pas régies par les dispositions légales et les codes de déontologie des professions soignantes. Selon l’appréciation que l’on en fait au sein du Département de la santé et de l’action publique, cette interdiction devrait également s’accompagner de mesures d’information à l’attention de la population et d’engagements, en particulier des églises reconnues d’intérêt public, du moins sur la base des éléments apportés par les auditions ayant eu lieu lors du traitement de la motion en commission. En conclusion, si le Grand Conseil devait autoriser le Conseil d’Etat à donner suite à cette motion, le Département de la santé et de l’action sociale s’y attèlerait avec la conviction qu’il y a un besoin de légiférer sur cette question.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est close.

Le Grand Conseil prend la motion en considération avec quelques abstentions.

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