Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 5 septembre 2023, point 19 de l'ordre du jour

Document

Texte adopté par CE - R-CE INT Di Giulio 22_INT_158 - publié

Transcriptions

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M. Nicola Di Giulio (UDC) —

En premier lieu, je tiens à remercier le Conseil d’Etat pour ses réponses à cette interpellation. Néanmoins, ces dernières, tout comme le comportement d’une professeure de l’université, me laissent quand même un peu songeur. Sans polémiquer, je tiens à orienter le projecteur d’une manière quelque peu différente. Je ne vais pas prendre de la hauteur – vous m’excuserez – mais je vais tenter d’analyser cette affaire de manière pragmatique en regard de la Loi sur l’Université de Lausanne (LUL), ainsi que de la Loi sur le personnel de l’Etat de Vaud (LPERS).

Dans sa réponse, le Conseil d’Etat mentionne : « (…) dans le cas de l’UNIL, qui est une institution autonome de droit public, c’est sa direction qui est seule compétente pour prendre position, si nécessaire, sur les actions militantes de ses collaboratrices et de ses collaborateurs. » Le personnel de l’Unil est soumis à la Loi du 12 novembre 2001 sur le personnel de l’Etat de Vaud, sous réserve des dispositions particulières de la présente loi, à l’exception du personnel rétribué par des fonds extérieurs à l’Etat, qui est soumis, lui, au Code des obligations. Cela signifie que la personne concernée – si elle touche en totalité ou en partie un salaire versé par l’Etat de Vaud – sera soumise à la LPERS. Le règlement d’application de la LUL, à son article 3 « Surveillance de l’Etat », précise : « Afin de permettre le contrôle des missions de l’Université, la Direction adresse chaque année au département en charge des affaires universitaires un rapport de gestion portant sur l’exercice écoulé. » L’affirmation citée « sa direction est seule compétente pour prendre position » me semble donc erronée. Du fait que le Conseil d’Etat a le devoir de surveiller ce qui se passe à UNIL, le rectorat n’est pas libre de faire tout ce qu’il veut. Encore une fois, on constate que l’autorité du recteur est soumise au contrôle de l’Etat de Vaud par l’article 20 « Statut du recteur et des autres membres de la Direction » du règlement d’application (RLUL) : « Sauf disposition particulière du présent règlement ou du contrat d’engagement entre le Conseil d’Etat et le recteur, la législation sur le personnel de l’Etat de Vaud s’applique à leur rapport. Il en va de même des rapports entre les autres membres de la Direction de l’Université. ». Pour en finir avec la liaison au Conseil d’Etat, il est à relever qu’il est dit, à l’article 115 du RLUL : « Le Département de la formation, de la jeunesse et de la culture est chargé de l’exécution du présent règlement qui entre en vigueur le 1er janvier 2014 ». S’il est encore besoin de le démontrer, le rectorat n’est pas libre de faire ce qu’il veut, contrairement à ce qu’indique la réponse du Conseil d’Etat.

On pourrait imaginer que les responsables du département en charge des affaires universitaires n’ont pas voué – disons-le ainsi – toute l’attention voulue à ce qui s’est passé à l’UNIL. Cela rappelle un peu un certain scandale récent qui a eu lieu dans la Cathédrale de Lausanne, lors de la Fête de la Cité. Bref, on remarquera qu’au niveau des sanctions invoquées dans la section 4 du RLUL, sous le titre « Exclusion, renvoi », seuls les étudiants sont concernés. Conséquemment, on n’a pas imaginé qu’un professeur pourrait adopter une attitude propre à discréditer l’UNIL, ce qui revient à dire que la LPERS de l’Etat de Vaud est applicable aux professeurs concernés.

Pour en terminer avec la professeure incriminée, on peut lire à l’article 3 « Principes scientifiques et éthiques fondamentaux » de la LUL : « L’Université accomplit ses missions dans le respect des principes scientifiques et éthiques fondamentaux. » Mesdames et Messieurs, jusqu’à preuve du contraire, il n’est ni éthique ni légal de se coller les mains sur la chaussée, de participer à des manifestations interdites et de créer des problèmes aux citoyens qui, quelque part, assument le salaire de cette professeure. Peut-on croire à l’objectivité scientifique d’une professeure qui milite dans des groupements qui cherchent à imposer leurs idées en prenant bien souvent des citoyens innocents – et pas ou peu concernés – en otage, en les empêchant de vaquer librement à leurs occupations ? Bref, nous pourrions soupçonner que ce que dit la personne concernée du point de vue scientifique est plus motivé par ses idées politiques que par la science. Je vous pose la question : quel crédit pourrait-on accorder à une personne qui milite activement dans des nébuleuses telles qu’Extinction Rebellion, Renovate Switzerland dont certains membres transgressent régulièrement la loi ? Une telle personne peut-elle avoir une quelconque objectivité par rapport au courant de pensée ?

Il est contraire au droit humain d’empêcher les personnes de se déplacer à leur guise, sauf dans les cas où le déplacement pourrait représenter un danger pour ces personnes – ou en cas d’extrême urgence. Vous le savez, des dispositions nationales et internationales interdisent de bloquer la circulation des véhicules. En outre, l’UNIL a pour rôle de faire prendre conscience de la responsabilité des chercheurs, des enseignants et des étudiants envers la société. J’ai lu à plusieurs reprises les commentaires émanant du rectorat de l’UNIL et on peut y voir – c’est du moins mon ressenti – une volonté de protéger cette professeure coûte que coûte. Corollaire, nous pourrions supposer que la direction de L’UNIL adhère aux idées de cette dame et fait tout pour qu’elle puisse continuer à les propager, parfois même par des moyens illégaux. Bref, vous l’aurez compris, je conclus en disant que l’UDC restera bien évidemment attentive à ce que ce type de situations ne se reproduise plus.

M. Laurent Miéville (V'L) — Président-e

La discussion est ouverte.

Mme Oriane Sarrasin (SOC) —

Tout d’abord, j’annonce mes intérêts : je travaille pour l’UNIL, mais cette interpellation ne me concerne pas. Et si nous observions ce que pointe le doigt et non le doigt lui-même ? Le député Di Giulio se montre manifestement très inquiet pour la sécurité de la population, ce qui est, bien sûr, totalement louable et attendu de nous autres députés. Mais que dire de la sécurité en Suisse et dans le monde cet été ? Vagues de chaleur, pluies torrentielles, éboulements et tornades – dont même une en Suisse – ont provoqué des milliers de morts dans le monde et des dommages matériels pour des sommes affolantes. Dans certains pays, les assurances commencent à rechigner à couvrir les dommages climatiques, car elles savent qu’ils sont appelés à se multiplier à vitesse grand V. En tant que députée, je n’encourage bien sûr pas à désobéir aux lois – je ne le fais pas – mais je partage la consternation et le désespoir de mes collègues scientifiques qui, depuis des décennies, documentent un dérèglement climatique bien trop rapide et sans équivalent et dont l’humain est, en toute certitude, la cause. Ici comme ailleurs, on nous dit « oui, oui, on s’en occupe », mais nous l’avons vu dernièrement lors de la discussion sur la réponse à l’interpellation de notre collègue Marendaz, les objectifs visés pour le climat dans le canton de Vaud sont très loin d’être atteints.

Mme Mathilde Marendaz (EP) —

La réponse du Conseil d’Etat est assez claire sur le fait que la désobéissance civile des chercheuses est protégée par la liberté académique. En complément, j’aimerais rappeler à M. Di Giulio que le droit de manifester sans l’annoncer est protégé par les droits humains qu’il a lui-même mentionnés. Par ailleurs, les règlements communaux dans ce canton violent la plupart du temps les droits fondamentaux en obligeant d’annoncer les manifestations.

Je voulais en outre vous rappeler la publication d’un rapport officiel de l’UNIL, paru en mai 2022, à propos de cette thématique. En effet, un groupe de travail a questionné les droits et la déontologie scientifique et a rendu ce rapport qui s’intitule « Recherche et engagement citoyen des chercheurs-chercheuses ». Entre 2020 et 2022, des chercheuses de toutes les facultés ont travaillé au sein d’un groupe du Centre interdisciplinaire de recherche en éthique (CIRE) et du Centre de compétences en durabilité (CCD) – un sujet au cœur de la thématique. Je vous lis un extrait du rapport : « La désobéissance civile semble à première vue constituer un cas particulier à cet égard puisqu’elle implique par définition de commettre une infraction. Celle-ci est toutefois largement reconnue dans la littérature en philosophie et sciences politiques comme un moyen d’expression démocratique légitime, y compris dans un système de démocratie semi-directe comme celui de la Suisse. D’autre part, la jurisprudence suisse ne permet pas à ce stade d’arbitrer de manière tranchée les conflits dont elle fait l’objet entre devoir de réserve et libertés fondamentales, d’opinion et d’expression. L’université ne pouvant se substituer au pouvoir judiciaire en la matière, elle ne devrait prendre aucune mesure préventive pour limiter la participation (ou les expressions de soutien) de ses employé·e·s à des actions de désobéissance civile ni condamner a priori ce mode d’engagement. » Je poursuis la citation : « (la direction) recommande ce rapport comme outil de réflexion et relève la nécessité de tels débats pour renforcer la confiance en la science et répondre avec force à la désinformation. » Je me permets de rajouter : à la désinformation climatique dont a parlé ma collègue. Ce rapport me paraît vraiment complémentaire à la réponse du Conseil d’Etat.

En conclusion, monsieur Di Giulio, laissez, s’il vous plaît, les lanceurs d’alerte tranquilles et travaillons plutôt à répondre aux problèmes de survie, d’intégrité et de sécurité qu’ils signalent.

M. David Raedler (VER) —

Je vais tout d’abord déclarer mes intérêts : comme notre collègue Sarrasin, je travaille à L’UNIL, mais je ne suis pas directement concerné par ce texte. Cela étant, il est absolument essentiel de conserver au centre du débat deux valeurs qui, dans l’interprétation de M. Di Giulio, ne sont pas forcément bien mises en avant. Premièrement, la liberté d’expression est véritablement garantie. Ce n’est ni une nouveauté ni une surprise : la liberté d’expression est protégée dans toutes ses formes, dans une proportion qui doit bien sûr être respectée. Ainsi, lors des dégâts matériels ou physiques, elle n’est pas protégée. En revanche, lors de sit-in – y compris sur la voie publique – elle est protégée. Elle est non seulement protégée par la Cour européenne des droits de l’homme – on l’a répété à plusieurs reprises – mais également par le Tribunal fédéral qui a lui-même indiqué, dans un arrêt du 30 mars dernier, que les sit-in sur la voie publique – évidemment, d’une durée limitée – étaient protégés lorsqu’ils répondaient à des idéaux climatiques et visaient à attirer l’attention de la population sur les questions climatiques. Le Tribunal fédéral l’a relevé à raison et a souligné l’importance de la thématique climatique.

Le deuxième élément un peu oublié dans l’interprétation de M. Di Giulio est l’indépendance académique, et surtout l’importance de s’assurer que le politique ne s’ingère pas dans la liberté académique. C’est un élément que l’on répète souvent : il est absolument central que nous, politiciens et politiciennes, ne nous ingérions pas de manière agressive ou de manière disproportionnée dans une liberté académique et dans les recherches et les activités des chercheurs, chercheuses, professeurs et professeures.

Ce qui n’est pas dit, dans l’interpellation de M. Di Giulio, c’est que la professeure en question est une scientifique extrêmement reconnue des questions climatiques. C’est une des auteurs du rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) et elle est mondialement reconnue dans ce domaine. Ce n’est donc pas n’importe qui ; c’est quelqu’un qui, par son action, a voulu mettre temporairement en lumière l’urgence climatique et la nécessité d’agir. Son action est donc protégée à la fois par la liberté d’expression et par sa liberté académique. A ce titre, ni l’UNIL, ni son rectorat, ni a fortiori le Conseil d’Etat ne peuvent et ne doivent s’ingérer dans cette affaire.

Pour finir, il convient de rappeler que la liberté d’expression peut parfois nous heurter, notamment quand l’expression donnée ne plaît pas à tout le monde. A ce titre, nous pouvons comprendre que ces actions ne plaisent pas à tout le monde. Elles peuvent énerver ceux qui sont sur la route, mais elles sont protégées comme d’autres actions ou d’autres discours – qui peuvent plaire ou déplaire. Ce n’est pas géométrie variable. A ce titre, il faut faire attention avec ce type d’interpellation. La réponse du Conseil d’Etat indique bien que cela relève d’une liberté de l’UNIL et, finalement, d’un volet de la liberté d’expression.

M. Frédéric Borloz (C-DEF) — Conseiller-ère d’Etat

Je crois que j’ai été assez clair la semaine passée – mais il me semble important de le rappeler – à titre personnel et en tant que représentant du département, je défends l’autonomie de l’UNIL. Dans la LUL – je ne l’ai pas prise avec moi cette fois-ci – on précise quatre éléments pour lesquels l’UNIL est autonome, notamment la gestion de son personnel. L’interpellateur établit un lien avec la LPERS, je ne dis pas qu’il n’y en a pas, mais je ne dis pas non plus que ce lien est évident à faire. La chose est quand même un peu plus complexe que cela.

Ainsi, je crois qu’il est important de retenir trois choses. D’abord, j’aimerais préciser qu’à aucun moment notre rapport ne précise que la liberté académique justifierait de violer la loi. Il faut que cela soit clair, ce n’est pas du tout notre intention. Dans son rapport, le Conseil d’Etat tient aussi à rappeler son attachement à l’Etat de droit, au respect des lois et des institutions de notre pays. La Suisse et le canton de Vaud disposent d’outils démocratiques étendus – élections aux différents échelons institutionnels, possibilités d’initiatives ou de référendums – qui doivent toujours être privilégiés pour défendre ces idées et ces valeurs. Aucune cause ne justifie de s’écarter de l’Etat de droit. Aucune cause ne peut appeler à violer délibérément la loi ou à mettre des personnes en danger dans leurs activités quotidiennes. D’aucune manière, le Conseil d’Etat ne soutient la désobéissance civile. Sa position est extrêmement claire.

Dès lors, je ne fais pas non plus la même lecture de l’arrêt du Tribunal fédéral communiqué le 3 mai dernier. En tant qu’autorité de surveillance de l’institution au sens de l’article 11 de la LUL, le Conseil d’Etat la rendra toutefois attentive aux conclusions du récent arrêt du Tribunal fédéral qui, tout en reconnaissant un caractère idéaliste et altruiste aux actions politiques menées par les militants du climat, estime que « ce caractère respectable est à exclure dans tous les cas où des actions entraînent, par leur violence, des dommages matériels ou un danger pour l'intégrité physique de tiers », de sorte qu’en pareils cas la circonstance atténuante du « mobile honorable » ne peut être retenue. Le Tribunal fédéral ajoute par ailleurs que « dans un Etat de droit tel que la Suisse, qui offre de larges garanties en termes de droits politiques et de liberté d'expression notamment, des actes de telle nature ne sauraient en effet être rendus excusables par la volonté de promouvoir quelque idéal politique, aussi respectable soit-il ». Je tenais simplement à préciser cela pour éviter de mauvaises interprétations. La position du Conseil d’Etat est claire : il respecte l’autonomie de l’UNIL, mais ne cautionne pas la désobéissance civile.

M. Laurent Miéville (V'L) — Président-e

La discussion est close.

Ce point de l’ordre du jour est traité.

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