Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 13 septembre 2022, point 12 de l'ordre du jour

Document

Texte adopté par CE - R-CE INT Wahlen 22_INT_65 - publié

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Pierre Wahlen (VER) —

Je remercie le Conseil d’Etat pour sa réponse, qui apporte elle-même deux commentaires et deux questions complémentaires. Le premier commentaire tient à la forme et au respect dû au travail d’investigation des journalistes, car c’est bien ce travail d’investigation qui a permis de jeter une lumière crue sur l’interprétation des critères permettant d’accorder des exonérations fiscales. Cette interprétation, dans le cadre de l’entreprise ADM, s’est révélée pour le moins discutable, et toute la presse en a d’ailleurs fait un large écho. A ce titre, l’appréciation faite par le Conseil d’Etat en introduction de sa réponse est aussi dénigrante que choquante.

Je fais un deuxième commentaire sur le fond : contrairement à ce qu’affirme le Conseil d’Etat, les exonérations fiscales semblent faire l’objet, si ce n’est de négociations, à tout le moins d’arbitrages avec les entreprises bénéficiaires. C’est dans ce cadre que le groupe des Verts va déposer une nouvelle interpellation pour tenter d’obtenir un état des lieux des exonérations pratiquées dans le canton, en particulier depuis l’entrée en vigueur de la troisième réforme sur l’imposition des entreprises (RIE III), ainsi que du rôle joué par les communes concernées.

J’en arrive maintenant aux deux questions. Dans la mesure où la réponse a été rédigée avant le changement de législature, je me permets de poser au Conseil d’Etat les questions complémentaires suivantes :

  1. le Conseil d’Etat, dans sa nouvelle composition, partage-t-il l’appréciation négative et dénigrante qui est faite du travail journalistique d’investigation ?
  2. Est-ce qu’aujourd’hui, compte tenu de la fragilité de son dossier, le Conseil d’Etat renouvellerait l’exonération accordée à ADM ?

Je remercie d’avance le Conseil d’Etat pour ses réponses.

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

La discussion est ouverte

M. Pierre Zwahlen (VER) —

Je suis certain que Mme la ministre des finances et de l’agriculture ne se reconnaît que peu dans le ton napoléonien de cette réponse gouvernementale, qui témoigne d’une période heureusement révolue. Encore que… Les leçons comminatoires données par l’ancien trésorier de l’Etat ne marquent guère de respect ni pour les médias ni pour le Grand Conseil, pourtant premier pouvoir désigné par notre Constitution. Voilà quant à la forme.

Sur le fond, le Conseil d’Etat décrit une pratique d’exonération controversée jusque dans son sein. Même si l’on suivait la logique fiscale prônée dans la réponse gouvernementale, des questions demeurent. Comment le Conseil d’Etat s’est-il dit prêt à faire preuve de souplesse – c’est son expression – à l’égard du géant ADM, champion du négoce agro-industriel, quand cette entreprise n’a pas rempli les engagements qu’elle avait pris pour être exonérée les dix ans précédents ? ADM n’a pas investi à la hauteur annoncée et selon les observations de Public Eye, elle s’est au contraire débarrassée de sa division cacao. De plus, elle n’a pas non plus créé le nombre d’emplois promis. On le sait, des entreprises criminelles comme Vale ou Monsanto ont joui de longues exonérations fiscales dans le paradis vaudois. Le Conseil d’Etat entend-il poursuivre de telles exonérations, en ne s’intéressant qu’aux business plans dans le canton et en fermant les yeux sur tout le reste ?

M. Hadrien Buclin (EP) —

Je souscris entièrement aux propos de notre collègue Zwahlen. J’ai aussi été assez interloqué par les révélations autour du traitement fiscal réservé à cette multinationale. Ces révélations montrent que les autorités vaudoises font preuve de beaucoup de complaisance et de laxisme dans l’application de la loi. Il faut rappeler que cette entreprise a bénéficié d’une exonération totale de l’impôt sur les bénéfices et sur le capital, pendant dix ans ! Après cette exonération, elle est encore revenue à la charge, sans avoir froid aux yeux, en demandant une réduction de 75 % de son impôt. Et le Conseil d’Etat est entré en matière en octroyant 50 % d’allégement fiscal à ADM, alors même – et c’est là où l’affaire devient selon moi assez choquante – que les conditions fixées pour accorder de nouvelles exonérations n’étaient pas réunies, du point de vue de la création d’emplois dans le canton ou des investissements sur place.

Dans cette affaire, ce qui me choque, c’est la différence de traitement avec un contribuable ordinaire, qui ne bénéficie jamais d’une telle souplesse ni d’une lecture aussi adaptative de la loi. Il faut que cela cesse, parce qu’on se retrouve dans une situation où non seulement le taux d’imposition sur le bénéfice est très faible, non seulement il y a diverses exemptions fiscales et des exonérations pour les entreprises qui arrivent, mais qu’il y a encore, ensuite, de la complaisance dans l’application de la législation elle-même. Pour moi, la barque est surchargée en faveur de ces multinationales et cela aux dépens de l’ensemble des contribuables qui se voient imposer un traitement fiscal beaucoup plus rigoureux. Selon moi, il y a là un déséquilibre peu compatible avec l’esprit démocratique, qui voudrait que chaque contribuable soit traité sur un pied d’égalité, avec la même application de la loi pour toutes et tous.

J’espère que le Conseil d’Etat reverra ses pratiques et qu’il fera preuve d’un peu plus de rigueur lorsqu’il s’agira d’appliquer la loi fiscale pour les grandes entreprises.

M. Marc-Olivier Buffat (PLR) —

M. Buclin a déjà déposé d’innombrables textes s’agissant du statut spécial des multinationales. Je crois que, à chaque fois, M. Broulis et la Commission des finances lui ont donné toutes les explications nécessaires. Cela tourne en boucle, mais quand on ne veut pas entendre, on n’entend pas. On mélange personnes physiques et personnes morales, on ne sait même pas s’il s’agit de sociétés anonymes, mais on s’étonne qu’elles ne soient pas toutes traitées de la même manière… Enfin bref.

Ce qui me choque le plus – et je le dis clairement après un certain nombre d’années passées dans ce Parlement – c’est que l’on parle de complaisance de la part du Conseil d’Etat. Je pense que Mme la conseillère d’Etat ici présente y répondra, et qu’elle veillera à ce qu’il n’y ait pas de complaisance et à ce que la loi soit appliquée de façon égale pour tous, mais en fonction du statut de ces sociétés, encore une fois.

Cher collègue Zwahlen, vous qualifiez ces entreprises des criminelles… Nous ne sommes pas dans une manifestation, en train d’accuser le grand capital de tous les maux, tout en se réjouissant ensuite de retourner à son bureau et d’être employé par ces mêmes multinationales. Certes, on peut admettre une certaine liberté de ton, mais je pense qu’il faudrait éviter d’utiliser les termes d’ « activités criminelles » pour qualifier ces entreprises. Ce qualificatif ne repose que sur des aspects purement subjectifs, mais pas sur des qualifications relevant de la loi pénale, au sens où on l’entend dans ce pays et ce canton. Madame la présidente, je pense qu’on devrait éviter d’utiliser ce type de qualificatif dans cet hémicycle et je vous remercie d’y veiller à l’avenir.

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

Monsieur le député, je prends note de votre remarque.

Mme Muriel Thalmann (SOC) —

Cette question n’est pas anodine. Je crois qu’elle montre qu’il y a peut-être des lacunes de suivi. C’est bien beau d’accorder des allégements fiscaux sur la base d’un business plan ou de promesses, mais il faut effectuer un suivi et il faut avoir des statistiques. Lors d’une discussion en commission, j’avais posé la question relativement à ces statistiques de suivi et on m’avait répondu qu’elles n’étaient pas accessibles. Je le regrette et je pense qu’un effort de transparence sur cette question est nécessaire. D’où ma demande insistante de tenir tout au moins ces statistiques à la disposition de la Commission de gestion, pour savoir si les promesses faites ont été tenues, et si le nombre d’emplois annoncé a été réalisé.

Mme Valérie Dittli (C-DFA) — Conseiller-ère d’Etat

Tout d’abord, une remarque préliminaire : je voudrais souligner que le Conseil d’Etat condamne les actes de hacking et qu’il souhaite si possible éviter toutes les remarques et les conclusions hâtives que le public et les médias – le quatrième pouvoir, avec les responsabilités qui l’accompagnent – peuvent tirer de l’exploitation de tels documents, pratiquement distribués aux fins d’obtenir une rançon.

Dans le respect du secret fiscal, je ne peux pas faire de commentaire sur un contribuable en particulier. Néanmoins, je peux apporter les réponses suivantes sur le sujet qui concerne les allégements temporaires des entreprises. Je voudrais que l’on fasse bien la distinction entre les allégements et les exonérations : ce n’est pas la même chose ! Comme les personnes physiques et les personnes morales ne sont pas la même chose. Notre système de droit connaît deux différents types de personnes. Dans ce sens, il n’existe pas de forfaits fiscaux ! Selon les articles 17 et 91 de la Loi sur les impôts directs cantonaux (LI), le Conseil d’Etat peut accorder des allégements – et j’insiste sur ce terme – d’impôts temporaires aux entreprises nouvellement créées qui servent les intérêts économiques du canton, cela pour l’année de fondation de l’entreprise et pour les neuf années suivantes. Les critères sont donc très stricts pour les personnes morales, si on parle des allégements fiscaux.

En cette matière, la décision relève de la seule prérogative du Conseil d’Etat. Il ne négocie rien et rend sa décision en fonction des plans d’affaires détaillés que doivent fournir les entreprises qui demandent cet allégement. Le Conseil d’Etat dispose d’un préavis de l’Administration cantonale des impôts (ACI) et du Service de la promotion, de l’économie et de l’innovation, ainsi que des communes concernées. Sur cette base, il fonde sa décision. Un allégement complémentaire ne peut s’appliquer qu’à des activités nouvelles, impliquant de nouveaux emplois et de nouveaux investissements. Le Conseil d’Etat s’assure du respect des conditions posées lors de l’octroi d’un allégement. L’entreprise qui ne respecte pas ces conditions – cela peut arriver et je suis sûre que la Commission de gestion y veille – s’expose au retrait de tout ou partie de l’allégement, ce qui implique évidemment la perception des impôts non allégés.

Encore une fois, je souligne qu’il faut distinguer entre personnes physiques et personnes morales. Dans le cadre des personnes morales, il faut aussi distinguer les allégements fiscaux et les exonérations. En ce qui concerne les exonérations, le Conseil d’Etat n’a pas de compétence.

M. Pierre Zwahlen (VER) —

Madame la ministre des finances, je voudrais vous poser une question : vous venez de dire que la Commission de gestion pouvait veiller à cela. Dans quelle mesure peut-elle investiguer sur la situation d’une entreprise contribuable au-delà du secret fiscal ?

Mme Valérie Dittli (C-DFA) — Conseiller-ère d’Etat

Effectivement, la Commission de gestion, comme tout le monde, doit respecter le secret fiscal. Néanmoins, sauf erreur de ma part, elle a le devoir d’examiner ces dossiers.

M. Arnaud Bouverat (SOC) —

Je prends la parole, parce que la Commission de gestion a été interpellée sur cette question. Notre rapport d’il y a trois ans sur le Département des finances et des relations extérieures nous avait permis d’expliquer les processus en vigueur pour l’examen des exonérations. Il ne nous a pas été permis d’accéder à des données et à la vérification de la bonne application, l’ACI refusant tout examen exhaustif ou régulier. Nous avons pu constater des exemples sans faire de suivi ; l’idée était de constater que des dispositifs étaient mis en place. En aucun cas, nous ne pouvions attester de la régularité de l’examen des dispositions légales. Nous avons simplement pris connaissance des processus en vigueur et de leur existence. Un résumé de ces processus est disponible dans le rapport de gestion, d’il y a deux ou trois ans – j’ai un doute sur la date exacte.

L’ouverture de la conseillère d’Etat sur le travail de la Commission de gestion est à saluer. J’espère que nous aurons effectivement accès à davantage de données, pour pouvoir donner les garanties nécessaires au Grand Conseil. Si ce n’est pas le cas, j’espère que le Contrôle cantonal des finances (CCF) nous livrera un rapport sur les examens qu’il peut faire sur des données auxquelles il ne nous serait pas possible d’accéder. Lors de la dernière séance de la dernière législature, M. Broulis s’était vivement opposé à cette possibilité. La nouvelle ouverture du Conseil d’Etat est donc à saluer.

M. David Raedler (VER) —

Après cette note positive sur l’ouverture liée au travail de la Commission de gestion, voici une note un peu plus tempérée sur la remarque de Mme la conseillère d’Etat sur le quatrième pouvoir et le respect lié à la liberté des médias. Je me permets de vous rendre attentifs au fait que la Suisse a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans l’affaire Jecker contre la Suisse, en octobre 2020, par rapport à la question de l’utilisation de sources et de données en partie volées par des journalistes. La cour a bien relevé que c’était complètement protégé par l’article 10 de la CEDH. C’est d’une importance fondamentale à laquelle on ne peut porter atteinte. J’imagine que ce n’était évidemment pas la volonté du Conseil d’Etat, mais je me permets de le rappeler.

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

La discussion est close.

Ce point de l’ordre du jour est traité.

Retour à l'ordre du jour

Partager la page

Partager sur :