Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 11 octobre 2022, point 25 de l'ordre du jour

Texte déposé

Apparu il y a 40 ans, le VIH continue à infecter de nouvelles personnes chaque année. Progressivement, le nombre de nouvelles infections baisse, sans toutefois connaître une inflexion suffisante laissant entrevoir une fin. Si la Suisse comptait plus de 1500 cas positifs par année dans les années 1990, le nombre est passé sous les 500 récemment. Par ailleurs, la pandémie de covid-19 a eu un impact certain sur la lutte contre le VIH, notamment en ralentissant les activités de dépistage et les découvertes de nouvelles infections.

 

Grâce aux importants progrès médicaux, de prévention et la mise sur pied de structures spécialisées (checkpoint Vaud, Profa, …), l’espérance de vie n’est que peu diminuée par une infection, mais au prix d’un traitement médicamenteux et d’impacts psychosociaux. Cela ne peut constituer un oreiller de paresse, tant l’opportunité d’une éradication de ce virus est à portée de main. En 2011 déjà l’ONUSIDA indiquait que l’ambition de parvenir à zéro infection était atteignable d’ici 2030, pour autant qu’une révolution des outils de prévention soit entreprise. En effet, la prévention ne peut se limiter à inciter à modifier les comportements à risques. A titre d’exemple, la ville de San Francisco a réussi à atteindre une baisse de 60% des nouvelles infections en 10 ans, grâce à un programme de santé publique alliant gratuité des moyens de prévention et des dépistages, un meilleur accès aux traitements et la lutte contre la stigmatisation des personnes infectées. En réduisant le nombre d’infections, on économise aussi les coûts très importants des traitements qui devront être pris toute la vie et des impacts possibles et onéreux en termes de santé mentale par la stigmatisation sociale de vivre avec le VIH.

 

Une stratégie efficace doit combiner information, prévention large et adaptée aux différents publics, un système performant permettant un diagnostic le plus précoce possible, une prise en charge efficace dès le diagnostic connu et la lutte contre la discrimination et la stigmatisation des personnes infectées. Le dispositif vaudois existe et contribue activement à lutter contre ce virus sur tous ces aspects. Il reste malgré tout des améliorations possibles.

 

1. Développer le système de diagnostic précoce pour éviter les infections secondaires

 

Une personne diagnostiquée est prise en charge par traitement antiviral. Si celui-ci est pris efficacement, cette personne devient indétectable, elle ne transmet plus le VIH. Il y a donc un intérêt prépondérant à identifier le plus vite possible les infections. La grande majorité des infections sont le résultat d’une contamination par une personne ne connaissant pas son statut sérologique. Il ne s’agit donc pas d’une question qui concerne seulement la personne concernée, mais bien un enjeu de santé publique. Le système de subventionnement des tests VIH et d’autres IST en vigueur dans le canton a été revu en 2018 en réponse à une motion de l’ancienne membre du Grand Conseil Brigitte Crottaz (16_MOT_087). Le Conseil d’État reconnaissait alors que la politique de dépistage menée était bien en deçà de celles pratiquées dans de nombreuses autres régions. Malheureusement, il apparaît que le système mis en place en 2018 doit être revu et la loi sur la santé publique modifiée afin de lever les obstacles à un diagnostic le plus précoce possible. Finalement, il convient de relever l’intérêt d’élargir l’accès au dépistage en sortant des sentiers battus (dépistage « hors les murs ») comme le démontre une étude publiée dans la Revue médicale suisse en 2020[1]. Deux axes pourraient être poursuivis : une prescription plus systématique et des gratuités ciblées, car il semble que les coûts soient rédhibitoire pour certaines personnes. Une comparaison avec les dispositifs en place dans certaines régions du monde qui connaissent des résultats probants devrait permettre d’adapter le modèle pratiqué dans notre canton.

 

2. La PrEP : un nouvel outil efficace évitant les primo infections

 

Ces dernières années, la PrEP, la prophylaxie pré-exposition au VIH, a démontré son efficacité comme outil complémentaire de réduction des risques de transmission du VIH. La PrEP s’adresse aux personnes séronégatives et consiste en un médicament à prendre tous les jours en continu ou par phase et qui évite les contaminations. Le principe de la prévention médicamenteuse n’est pas spécifique au VIH, mais existe aussi par exemple pour la malaria ou pour réduire le risque de maladies cardiovasculaires (statines). Dans les régions qui ont décrété la prise en charge des coûts de ce traitement (France, Luxembourg, Norvège, de nombreuses régions ou villes américaines,…), l’effet est confirmé. C’est pourquoi l’Organisation mondiale de la santé recommande ce traitement depuis septembre 2015, au moins pour les publics les plus à risque . Le coût de la PrEP, particulièrement élevé en Suisse, et sa non-prise en charge par l’assurance de base représentent une barrière à son accès pour une majorité de la population qui pourrait en bénéficier. Dans ce contexte, les résultats de l’étude SwissPrEPared, qui comptent actuellement plus de 4000 personnes sur l’ensemble de la Suisse, devront être suivis avec attention.

 

3. Mobiliser tout le système de santé

 

Une part importante du travail de prévention et de diagnostic est réalisée dans des centres dédiés. Ces derniers réalisent un travail remarquable et leur contribution est déterminante dans le combat contre cette pandémie. De leur côté, les médecins généralistes occupent une place centrale dans le dispositif de santé publique. Ils et elles disposent d’une position privilégiée au plus près de leur patient-e, en étant notamment les mieux placés pour établir un profil des risques grâce au lien de confiance établi. Leur rôle pourrait être renforcé, par exemple en promouvant activement certains outils de lutte contre la pandémie. Cela nécessite l’élaboration d’une stratégie permettant de fournir un cadre clair (dépistage plus systématique, identification des profils à risques, promotion de la PrEP aussi en cabinet,…) et un engagement des sociétés médicales et professionnelles auprès de leurs membres dans ce sens. Par ailleurs, dans les services d’urgence, une mobilisation sur cette question semble aussi possible. Une étude[2] menée en 2016 aux urgences du CHUV montrait alors que, malgré les directives visant à systématiser le dépistage pour les publics à risques, seulement 1% des consultations aboutissaient à un dépistage. La même étude indiquait que la moitié des patient-e-s en Suisse sont malheureusement diagnostiqués à un stade avancé de l’infection VIH alors qu’ils-elles avaient souvent consulté leurs médecins ou un service d’urgences dans les un à trois ans précédant leur diagnostic pour des tableaux cliniques signant soit une primo-infection ou une infection chronique. Cette réalité implique que ces personnes ont pu en infecter d’autres dans l’intervalle et que la prise en charge par traitement rétroviral peut se compliquer.

 

4. Lutter contre la stigmatisation des personnes séropositives 

 

Nous ne sommes pas toutes égales / tous égaux face au VIH. L’épidémie touche de façon disproportionnée certains groupes de la population, notamment les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes, les personnes trans ou encore celles nées dans un pays à forte prévalence. Les personnes infectées par le VIH souffrent encore malheureusement de discriminations et de stigmatisation. Beaucoup peine à comprendre qu’une personne infectée, diagnostiquée et prise en charge, ne constitue pas une menace pour la santé. En plus d’être moralement problématique, les discriminations et la stigmatisation sont aussi contre productives et constituent des obstacles à la lutte contre cette maladie. Les réactions de stigmatisation (mise à l’index, culpabilisation, mauvais traitement, refus d’emploi, d’assurance, de soins, …) entravent les efforts de prévention et de traitement, aggravant l’impact de l’épidémie. Par ailleurs, elles affaiblissent le soutien familial et communautaire pourtant indispensable dans une telle situation. Lutter contre la stigmatisation passe, notamment, par informer le public et les professionnel-le-s du fait qu’une personne séropositive au VIH sous traitement ne peut pas transmettre le VIH afin d’éviter les situations d’exclusion ou l’application de mesures d’hygiène ou de distanciation inutiles. Il s’agit aussi de s’assurer qu’aucun accès différencié à des prestations n’existe et que les éventuelles situations de discrimination en raison du statut sérologique soient sanctionnées. Plus globalement, une communication sur les vécus des personnes séropositives permettrait peut-être de thématiser ces enjeux et de lutter contre les représentations négatives.

 

Les signataires de cette motion demandent au Conseil d’État de proposer un changement de la loi sur la santé publique (LSP - notamment article 29 alinéa 4), qui définirait une stratégie cantonale visant à éradiquer le VIH d’ici 2030. Parmi les mesures à étudier, figurent les modalités d’un élargissement du système de dépistage du VIH et de son accessibilité, le lancement d’un programme cantonal de distribution de la PrEP ciblé sur les publics à risques et un plan de mobilisation de tout le système de santé et la lutte contre la stigmatisation des personnes séropositives.

 

 

[1] https://u.pcloud.link/publink/show?code=XZEow0XZTGEFlemrSoXfSnTu3zaobVJqz77X

[2] Médecine d’urgence et prévention : une antinomie ? Réflexion à partir du dépistage VIH, Olivier Hugli Luca Tagliabue Matthias Cavassini Katharine Darling, Médecine d'urgence n°256 (août 2016)

Conclusion

Renvoi à une commission avec au moins 20 signatures

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Alexandre DémétriadèsSOC
Muriel Cuendet SchmidtSOC
Sébastien CalaSOC
Circé Barbezat-FuchsV'L
Stéphane BaletSOC
Léonard Studer
Valérie InduniSOC
Yannick MauryVER
Jessica JaccoudSOC
Daniel TrollietSOC
Céline MisiegoEP
Claire RichardV'L
Muriel ThalmannSOC
Yves PaccaudSOC
Sylvie PodioVER
Sylvie Pittet BlanchetteSOC
Stéphane MontangeroSOC
Felix StürnerVER
Anne-Sophie BetschartSOC
Pierre WahlenVER
Salvatore GuarnaSOC
Blaise VionnetV'L
Florence Bettschart-NarbelPLR
Carine CarvalhoSOC
Vincent JaquesSOC
Jean TschoppSOC
Rebecca JolyVER
Nathalie JaccardVER
Eliane DesarzensSOC
Denis CorbozSOC
Anne Baehler Bech
Taraneh AminianEP
Philippe VuilleminPLR
Alice GenoudVER
Pierre DessemontetSOC
Cendrine CachemailleSOC
Isabelle FreymondSOC
Delphine ProbstSOC
Claire Attinger DoepperSOC
Hadrien BuclinEP
Jean-Louis RadiceV'L
Cédric EchenardSOC
David RaedlerVER
Jean-Claude GlardonSOC
Marc VuilleumierEP

Documents

Rapport de la commission - RC 21_MOT_33 - Sylvie Podio

21_MOT_33-Texte déposé

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
Mme Sylvie Podio (VER) — Rapporteur-trice

La commission s’est réunie le 13 mai 2022 pour traiter de cette motion et elle remercie le secrétaire pour la prise de notes et le Conseil d’Etat pour les informations fournies. Le but principal de la motion est de demander au Conseil d’Etat de travailler sur quatre axes afin de renforcer la prévention contre le VIH, améliorer le traitement des personnes atteintes du VIH et de diminuer la stigmatisation des personnes concernées. Le motionnaire précise que l’idée d’éradiquer à terme la maladie ne signifie évidemment pas qu’il convient d’éradiquer les malades qui existent et qui doivent être soutenus. Si la trithérapie est un traitement relativement lourd, elle permet que la maladie n’impacte que très faiblement l’espérance de vie.

Les éléments transmis par la cheffe de département mettent en avant la proactivité du canton en matière de prévention et de suivi médical des personnes atteintes du VIH. Il n’en demeure pas moins que des pistes d’amélioration sont possibles, souhaitables et souhaitées. Lors de la discussion générale, toutes les personnes se sont entendues sur la nécessité de mettre en œuvre les mesures proposées par le motionnaire, mais plusieurs commissaires estiment que l’objectif zéro primo-infection en 2030 est irréaliste et ne peuvent soutenir la motion en l’état. Après discussion et quelques propositions de modifications et au vu de la volonté de l’ensemble des commissaires de demander au Conseil d’Etat de travailler à l’élaboration d’une stratégie cantonale ambitieuse de lutte contre le VIH, le motionnaire accepte de transformer sa motion en postulat. Cette transformation doit être comprise comme un élan et non comme un frein. Par conséquent, la commission recommande au Grand Conseil, à l’unanimité, la prise en considération de la motion transformée en postulat.

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Julien Eggenberger (SOC) —

L’épidémie de VIH continue de sévir partout dans le monde depuis 40 ans. La motion transformée en postulat souhaite que le canton de Vaud définisse une stratégie cantonale visant à éviter autant que possible toute nouvelle infection par le VIH d’ici 2030, conformément à l’objectif d’ONU SIDA. Cet objet a suscité un vif intérêt auprès des membres de la commission thématique qui l’a largement soutenu. Je profite de l’occasion pour les en remercier.

Les objectifs et les divers axes du postulat ont été largement soutenus. Dès lors, je ne vais pas prolonger la discussion et je remercie d’avance le Grand Conseil pour son soutien et, le cas échéant, le Conseil d’Etat pour ses travaux.

M. Blaise Vionnet (V'L) —

Avec l’amélioration, grâce aux trithérapies, de la qualité et de l’espérance de vie des gens infectés par le VIH, le risque de banaliser ces infections et de baisser la garde dans le dépistage des nouveaux cas est grand. Le mérite de la motion, transformée en postulat, est de rappeler la nécessité d’améliorer le dépistage des nouveaux cas de VIH. En revanche, l’objectif demandé par la motion – parvenir à zéro cas de VIH en 2030 dans le canton – nous paraissait être une mission impossible. En effet, dans les années 2010, ONU SIDA avait proposé la stratégie des « 3 fois 90 » d’ici 2020, à savoir : 90 % de gens avec la maladie VIH sont diagnostiqués ; 90 % sont traités et 90 % ont une virémie indétectable. En 2017, ONU SIDA a même augmenté ses objectifs pour parler des « 3 fois 95 » – avec un pourcentage de 95% au lieu de 90 – d’ici 2030, mais elle n’a pas pu affirmer les 100%, ce qui montre bien que ce chiffre est très difficile, voire impossible, à atteindre. D’où l’aspect très contraignant de la motion, avec son objectif de zéro primo-infection d’ici 2030 qui a fait demander au motionnaire de transformer sa motion en postulat afin de laisse davantage de marge de manœuvre au Conseil d’Etat. Nous remercions le motionnaire d’avoir accepté cette transformation et nous soutiendrons pleinement ce postulat.

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

La discussion est close.

Le Grand Conseil prend le postulat en considération par 115 voix.

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