Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 4 mai 2021, point 10 de l'ordre du jour

Texte déposé

Depuis maintenant quelques années, nous assistons à d'incessantes attaques de la langue française provenant de milieux politisés qui essaient par tous les moyens de déconstruire le langage à des fins idéologiques.

 

La langue française a toujours permis d'utiliser des termes inclusifs. Les bricolages orthographiques tels que le point médian, le tiret ou la barre oblique n'ont rien d'inclusif et sont exclusifs par rapport aux personnes ayant une acuité visuelle réduite ou des difficultés d'apprentissage.

 

L'Académie française, seule et unique institution et autorité morale, intellectuelle et référentielle garante de la langue française a fait, en date du 26 octobre 2017, à l'unanimité de ses membres, la déclaration suivante :

 

« Prenant acte de la diffusion d'une « écriture inclusive » qui prétend s'imposer comme norme, l'Académie française élève à l'unanimité une solennelle mise en garde. La multiplication des marques orthographiques et syntaxiques qu'elle induit aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l'illisibilité. On voit mal quel est l'objectif poursuivi et comment il pourrait surmonter les obstacles pratiques d'écriture, de lecture – visuelle ou à voix haute – et de prononciation.  Cela alourdirait la tâche des pédagogues.  Cela compliquerait plus encore celle des lecteurs.  Plus que toute autre institution, l'Académie française est sensible aux évolutions et aux innovations de la langue, puisqu'elle a pour mission de les codifier. En cette occasion, c'est moins en gardienne de la norme qu’en garante de l’avenir qu’elle lance un cri d’alarme :  devant cette aberration « inclusive », la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd'hui comptable devant les générations futures. Il est déjà difficile d'acquérir une langue, qu'en sera-t-il si l'usage y ajoute des formes secondes et altérées ? Comment les générations à venir pourront-elles grandir en intimité avec notre patrimoine écrit ? Quant aux promesses de la francophonie, elles seront anéanties si la langue française s'empêche elle-même par ce redoublement de complexité, au bénéfice d'autres langues qui en tireront profit pour prévaloir sur la planète. »

 

Alors que l'apprentissage des langues est déjà compliqué pour beaucoup, rajouter de la complexité avec l'écriture inclusive dans nos écoles ne peut que péjorer l’apprentissage du français par les élèves vaudois. Il est impératif d’instruire correctement les élèves afin qu’ils soient capables d’écrire selon les règles du français académique. Par ailleurs, l’écriture inclusive peut représenter des difficultés pour les personnes dyslexiques ou pour les programmes d’aide à la lecture (screen reader) outil informatique pour les personnes mal voyantes et non voyantes.

 

Le canton de Vaud, fort de son appartenance à la francophonie à laquelle il tient, n'a pas à maltraiter le français en ne considérant pas comme, de référence, les prérogatives de l'institution qu'est l'Académie française. Défendre la langue française académique, c'est défendre l’héritage de notre langue qu’il est de notre devoir de préserver.

Les modifications arbitraires de la langue engendrent des victimes collatérales, par exemple celles et ceux qui ont de la peine lors de l'apprentissage du français, ou les personnes avec un handicap visuel. Ces personnes, généralement parmi les plus faibles, souffrent en silence et ne sont pas écoutés.

 

A l'heure actuelle, il n'est pas prouvé qu'une majorité de la population soutien ces changements de pratiques. Dès lors, il est temps de mettre un terme à ces bricolages et de faciliter l'accès à la langue à toutes et tous. Il est ainsi demandé au Conseil d'Etat :

 

Que tous les services de l'Etat appliquent les règles et directives de la bonne utilisation de la langue française

 

Que toutes les écoles et gymnases vaudoises instruisent aux élèves le français académique, qu’ils en soient les garants et les promeuvent en toutes circonstances, dans toutes leurs productions, et qu'ils n'en dérogent pas à des fins idéologiques ou pour tout autre dessein

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Jean-François ThuillardUDC
Pierre-Alain FavrodUDC
Cédric WeissertUDC
Philippe DucommunUDC
Philippe LinigerUDC
Serge MellyLIBRE
Sylvain FreymondUDC
Dylan KarlenUDC
Nicolas GlauserUDC
José DurusselUDC
Jean-Bernard ChevalleyUDC
Philippe JobinUDC
François CardinauxPLR
Yvan PahudUDC
Jean-Marc SordetUDC
Claude MatterPLR
Nicolas BolayUDC

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Yann Glayre (UDC) —

Le texte que nous traitons touche un sujet sensible, notre langue. Nous avons déjà, par le passé, traité plusieurs textes qui concernent le thème de la communication, par exemple sur la langue des signes. Notre Parlement a donc déjà signifié son attachement à ce que la communication entre les personnes soit renforcée. Aujourd’hui, je défends ce texte pour plusieurs raisons : nous ne pouvons pas nous permettre d’édicter nos propres règles sans prendre en compte la diversité de la langue française. Avant de regarder du côté de la francophonie et des nombreux pays francophones, regardons simplement la Suisse romande. Nous sommes plus de 2 millions d’habitants à parler le français, en Romandie, soit 25 % de la population du pays. Il est de notre responsabilité de rester unis derrière le français académique, afin que tout le monde puisse avoir les mêmes chances, quel que soit son lieu d’origine. Nous ne pouvons pas nous permettre d’ajouter des couches de complexité et ainsi de créer des inégalités, qui concernent encore et toujours celles et ceux qui rencontrent le plus de difficultés.

J’en parlais, il y a quelques semaines, lors de l’Heure des questions (21_HQU_48) : les personnes malvoyantes et non-voyantes rencontrent des difficultés d’accès à l’information lorsque des caractères non gérés sont interprétés par leur lecteur d’écran. Réduire l’accès à l’information pour des personnes handicapées est tout simplement inadmissible de la part d’un Etat. J’en profite pour dénoncer la réaction passive, et donc inacceptable, du Conseil d’Etat à ce sujet. Il est également de notoriété publique que les personnes dyslexiques rencontrent des difficultés. Je vous invite à vous rendre sur le site de la Fédération française des dyslexiques afin d’écouter le fichier audio « lecture inclusive » qui démontre la problématique que je dénonce. Toujours selon la Fédération, je cite : « Le décodage explicite de chaque syllabe demande un effort considérable d’attention. La perturbation des repères orthographiques avec l’insertion de ponctuation va représenter une difficulté supplémentaire. » En prenant un peu de recul, est-ce vraiment être inclusif ?

Je suis convaincu que le respect du français académique n’est pas incompatible avec un langage inclusif et je serais tout à fait disposé à accepter des changements dans notre langue, du moment que l’on ne pénalise personne et que l’on garantit l’égalité des chances. Oui à un français académique inclusif, non au bricolage orthographique.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est ouverte.

Mme Muriel Thalmann (SOC) —

Le motionnaire demande un retour au français de l’Académie française, « seule et unique institution et autorité morale, intellectuelle et référentielle garante de la langue française ». Et pourtant, ce sont ces Messieurs de l’Académie française qui ont décidé, un jour, que le masculin était plus noble que le féminin et qui ont enclenché le processus de masculinisation de la langue française qui s’est déroulé durant plusieurs siècles, entre le XVIIe et le XIXe siècle. Ces messieurs ont décidé de retirer de la langue française certaines professions qui existaient au féminin : ainsi autrice, mairesse, médecine ou compositrice étaient d’usage courant avant que ces messieurs ne décident de les retirer, car il y avait de plus en plus de femmes qui commençaient à exercer ces professions et qu’il fallait y mettre un frein. Il s’agissait de réserver ces métiers aux hommes et l’Académie a donc enclenché un processus de masculinisation. Elle reste une institution très conservatrice qui, par ailleurs, ne comprend pas de linguiste.

On le voit donc, une langue évolue et la preuve, c’est que l’on a décidé un jour de bannir des professions féminines de la langue française, car on ne voulait pas que les femmes exercent ces métiers. Nous parlons donc de reféminisation — et non de féminisation — et il s’avère que nous avons simplement remis en usage des professions qui existaient.

Un autre élément scientifique est à observer : l’emploi du masculin générique a des effets concrets sur le fait qu’une personne se sente incluse ou non. Les recherches en neurologie ont montré que le cerveau n’est pas capable de générer le masculin générique ; ainsi le cerveau va simplifier et imaginer que l’on ne parle que des hommes. Des expériences neurologiques ont prouvé que les femmes ne peuvent pas se sentir incluses quand on utilise le masculin générique.

La motion montre encore que son auteur fait preuve d’une certaine incompréhension en ce qui concerne l’écriture inclusive, qui ne se résume pas au point médian, loin de là. Son usage n’alourdit pas forcément un texte, mais permet parfois même de le simplifier, ce qui va donc dans le sens de la demande du motionnaire. Le point médian doit être utilisé en dernier recours et il l’est de moins en moins.

Je suis heureuse de voir le motionnaire se préoccuper des difficultés d’accès à l’information rencontrées par les personnes en situation de handicap visuel et/ou cognitif et celles présentant des troubles du langage. Mais alors, ce n’est pas le français inclusif qu’il faut remettre en question, mais plutôt l’orthographe. Je ne pense pas que le fait de dire, par exemple, « des femmes et des hommes » au lieu de « des hommes et des femmes » ou « la femme et le mari » au lieu de « le mari et la femme », va perturber ces personnes. A ce moment, il faut plutôt réviser l’orthographe, élément que le motionnaire ne remet pas en question, alors que l’orthographe pose bien plus de problèmes. Pourquoi ne pas remettre en question les deux manières d’orthographier le mot clé, par exemple ? Mesdames et Messieurs, je vous invite donc à classer cette motion

M. Maurice Mischler —

Notre collègue Yann Glayre nous propose de respecter le français académique, ayant bien sûr le langage épicène ou inclusif dans le collimateur. Eh bien, j’estime qu’il vaut la peine qu’on s’attarde un petit moment sur ce français académique, qu’on appelle d’ailleurs la langue de Molière. Mais saviez-vous que, dans sa première édition, la fameuse pièce de Molière s’écrivait le « Misantrope », sans « h » ?

La langue française compte des milliards de difficultés et d’illogismes, parfois amusants, parfois incompréhensibles, parfois cocasses. Par exemple, pouvez-vous m’expliquer pourquoi on écrit « chariot » avec un « r » et charrette avec deux « r » ? Pouvez-vous m’expliquer pourquoi on écrit dix et dixième avec un « x », mais dizaine avec un « z » ? Pouvez-vous m’expliquer pourquoi le son « s » s’écrit de douze manières différentes, je vous les liste : s, ss, c, ç, sc (dans sciences), t (dans patio), x (dix) , z (quartz), th (dans forsythia) — que celle ou celui qui sait l’écrire sans faute du premier coup lève la main — sth (isthme), cc dans (succion) et sç (acquiesça) ? Alors que la lettre « s » se prononce de trois manières : « sss »un peu brutal comme dans social ou Pascal Broulis ou Cesla, « zzz » comme dans « Luisier » et muet — mais je n’ai pas trouvé de membre du Conseil d’Etat avec un « s » muet !

En réalité, M. Glayre s’en prend plutôt, comme je l’ai dit, au langage épicène c’est-à-dire au genre des mots. Mais pouvez-vous m’expliquer pourquoi diable on dit une « sphère » mais un « hémisphère », est-ce parce que le genre masculin vaut la moitié du genre féminin ? Peut-être… D’ailleurs, on dit une mousse, mais la pratique dit un pamplemousse, alors que l’Académie française nous oblige de dire une pamplemousse… par logique, paraît-il. Tout dernièrement, l’Académie française — qui a été créée par Richelieu pour assoir son pouvoir — nous a ordonné de dire la COVID — parce que c’est une maladie, mais on dit quand même un rhume — et comme conséquence, un dixième des gens disent la COVID et le 90% des autres disent le COVID. Le summum et le pompon de cette problématique vient avec les mots « amour », « délice » et « orgue » qui sont masculin au singulier et féminin au pluriel. Du coup on peut dire de manière tout à fait orthodoxe : « cet orgue est un des plus belles que j’ai jamais vues ». J’en ai parlé avec un collègue prof de français, qui m’a dit que c’était faux ! Quand je lui ai demandé comment on dit, il m’a répondu : « on ne le dit pas ! » (Rires.) Vous pouvez voir, sur un site de vidéo appelé « la faute de l’orthographe », un petit sketch sur ce thème dont j’ai repris quelques éléments. Ils ont inventé le mot « crefission » et ont répertorié 240 manières de l’écrire.

Les accents ne se mettent traditionnellement pas sur les lettres majuscules, savez-vous pourquoi ? C’est que les typographes logeaient leurs fontes de caractères dans des rails et n’avaient pas la place d’insérer des accents sur les majuscules. L’Académie française préconise maintenant de mettre des accents sur les majuscules, par exemple Echallens, Ecublens, Epesses ou Epalinges, mais les typographes romands ne l’entendent pas de cette oreille et préconisent plutôt de ne mettre les accents que lorsque l’entier du mot s’écrit avec des majuscules. Et je ne vous parle pas des règles de grammaire, concernant par exemple le verbe avoir qui se conjugue bizarrement à cause des moines du Moyen-Age, car on y passerait toute la matinée.

Tout cela pourrait juste être très amusant et d’ailleurs, on dit aussi qu’une orthographe compliquée favorise l’intelligence. En Chine, par exemple, on sélectionnait les hauts fonctionnaires sur le nombre de mots qu’ils savaient écrire. Nous perdons un temps fou à rajouter ou enlever nos « s » dans nos textes, à mettre « er » à la place de « é » ou vice versa et à apprendre à nos enfants les subtilités de la langue française, mais en fait, tout cela est très élitaire. Toute personne qui reçoit une lettre de motivation avec des fautes d’orthographe, trouvera suspect la ou le candidat-e qui l’a écrite, indépendamment de sa valeur.

Plus grave : tous les scientifiques et toutes les études s’accordent à dire qu’il y a une proportion plus grande de dyslexiques et de dysorthographiques chez les gens qui parlent le français ou l’anglais, chez les Italiens, les Espagnols ou les Allemands. Donc tout cela nous coûte très cher, en argent et en souffrances. Mais cela ne vient pas du langage inclusif !

Plutôt que d’accepter cette motion, j’émets le vœu que le Conseil d’Etat écrive à l’Académie française pour réaliser une vraie réforme de l’orthographe et que la langue française soit réellement simplifiée pour toutes et tous ; introduire un vrai genre neutre dans notre langue règlerait pas mal de soucis. C’est peut-être utopique, mais je pense que c’est la seule solution.

En creusant, on découvre qu’une réforme majeure a failli avoir lieu, dans les années 1990, mais une seule personne est la cause de l’échec de cette réforme : M. Bernard Pivot y était favorable au début, mais il s’est rétracté, car un spécialiste en communication l’a convaincu qu’il perdrait sa crédibilité en cas de changement. Enfin, la Suisse romande a procédé à sa petite simplification de l’orthographe, dont une des actions phares est la simplification de l’accord des mots composés, dont seul le dernier mot devrait maintenant s’accorder. Il faudrait donc écrire « un sèche-cheveu » sans « x » à la fin et « des sèche-cheveux » avec « x » à la fin, de même un « cache-sexe », mais des « cache-sexes ». Par contre, il y a des exceptions : on dit un « trompe-l’œil » mais pas des « trompe-les yeux » et on ne met pas de « x » à des « prie-Dieu » — il ne faudrait tout de même pas dire des bêtises.

Je le répète donc : simplifions la langue française et comme principale langue étrangère, remplaçons l’anglais par l’esperanto. Avant cela, refusons cette motion !

Mme Céline Misiego (EP) —

Le motionnaire parle d’exclusion. Or, la langue française a, depuis trop longtemps, exclu une partie de la population. Vous ne pouvez pas le savoir, car vous ne l’avez pas vécu, mais essayez de vous imaginer arriver à l’école et vous entendre dire que le masculin l’emporte sur le féminin, même si vous êtes 99 filles pour un garçon. Vous qui trouvez déjà si injuste qu’on parle de discrimination envers les hommes dès que les femmes — ou tout autre groupe minoritaire — demandent une égalité de traitement, je suis sûre que, comme moi, vous auriez pris une claque.

Passons à une introduction à la linguistique : le langage façonne le réel dans la mesure où il crée le cadre qui nous permet de penser le monde. Nommer permet d’exister ; c’est aussi simple que ça. Ne pas nommer les femmes et les personnes non binaires, dans la langue, c’est ne pas les faire exister dans la société. La langue n’a jamais été neutre et ne le sera jamais, parce qu’elle entretient une relation étroite avec le monde qu’elle décrit. Réclamer et pratiquer l’écriture inclusive est tout aussi politique que de rester campé sur des positions réactionnaires héritées du XVIIe ou du XVIIIe siècle. Vous valorisez l’écriture académique comme seule vérité, sans prendre en compte que ce français-là est décidé par une seule et même partie de la population : quelques hommes blancs universitaires et une partie minime de femmes. Notons encore, même si cela a déjà été dit : aucune de ces personnes n’est linguiste. On peut donc s’interroger sur la légitimité de ces personnes à décider de toutes les règles de la langue française, parlée dans plusieurs pays. Pour une représentation paritaire, il faudra aussi repasser ; mais nous voyons bien, à la lecture de votre texte, que cela ne fait absolument pas partie de votre engagement politique. L’écriture inclusive s’appelle ainsi, parce qu’elle est inclusive, justement à l’inverse de l’écriture académique qui n’inclut et ne visibilise que les hommes. Comme d’habitude, quand les minorités demandent l’égalité, vous la refusez sans honte. Le groupe Ensemble à Gauche et POP va refuser ce texte, car nous voulons exactement son contraire : l’égalité et l’inclusivité.

Mme Carine Carvalho (SOC) —

Ce débat est passionnant et c’est en passionnée que je vous parle. Je déclare mes intérêts : je suis déléguée à l’égalité à l’Université de Lausanne et, depuis plusieurs années, je défends l’utilisation du langage épicène et inclusif en tant que mesure importante pour atteindre l’égalité entre femmes et hommes.

L’objet présenté me paraît disproportionné et inadéquat. Le texte est très réducteur en assimilant le langage inclusif uniquement à l’utilisation des tirets et des points médians. Le langage inclusif consiste surtout à se débarrasser d’habitudes langagières et de règles archaïques qui témoignent d’une inégalité entre femmes et hommes. Il s’agit essentiellement de pouvoir dire une juge, une conseillère d’Etat, une apprentie, une agricultrice, une chirurgienne, une avocate. Nommer veut dire que l’on existe et que l’on est légitime dans toutes les professions et dans tous les rôles. Combattre le langage inclusif, c’est défendre une réalité où les femmes ne peuvent pas exister dans la diversité de leurs aspirations ; c’est ne voir le monde qu’à moitié. Les grammairiens de l’Académie française l’avaient bien compris et plusieurs interventions l’ont montré. Tous les pays qui ont opté pour l’égalité sur le plan juridique ont aussi vu se développer une réflexion sur le langage et sur son rôle, pour réaliser cette égalité. Le langage est le miroir de notre société ; il influence notre réflexion et nos représentations.

Les détracteurs du langage inclusif s’offusquent souvent des formes contractées — les points médians et les tirets — mais il faut savoir que ces formes ne sont pas imposées et que leur utilisation peut être facilement contournée. Les recommandations de l’Etat insistent plutôt sur l’utilisation de la double forme, par exemple dire : « les infirmières et les infirmiers nous soignent » ou d’utiliser les formes épicènes : « le personnel infirmier nous soigne ».

Le texte de la motion parle aussi d’un changement de pratiques, ou d’un « effet de mode » comme on l’entend parfois dans les médias. Or, ces recommandations datent déjà de 2004. Si péril mortel il y a, comme le dit le texte de la motion, aucune mort n’est heureusement à déplorer depuis vingt ans. C’est mieux que le COVID !

Enfin, sur un plan différent, je m’étonne qu’un membre de l’UDC — parti qui défend la souveraineté nationale — propose de manière aussi formelle d’abandonner l’indépendance langagière des Vaudoises et des Vaudois aux états d’âme de l’institution internationale peu démocratique et très élitiste qu’est l’Académie française. Celle-ci ne compte d’ailleurs aucune Suissesse ni aucun Suisse parmi ses membres ; les femmes y sont d’ailleurs largement minoritaires. J’invite également les membres de l’UDC qui ont combattu la supposée influence des juges étrangers — au masculin dans le texte — à ne pas succomber à celle des académiciennes et académiciens étrangers. Franchement, qu’est-ce que le français académique ? Qui le définit ? Qui est exclu de ce processus ? Je vous réponds : c’est nous, les habitantes et habitants des régions périphériques de la francophonie. Devons-nous alors adopter le parisien comme langue nationale, ou cantonale ? Devons-nous arrêter de dire septante, huitante, nonante dans nos écoles ? Devons-nous arrêter de demander un « cornet » dans les supermarchés ou commencer à élire des maires à la place de nos syndiques et syndics ? S’il s’agit de trouver une référence internationale, je vous invite à porter votre préférence sur les recommandations d’institutions telles que l’ONU ou le Conseil de l’Europe, dont la Suisse est membre et a d’ailleurs signé plusieurs conventions traitant de l’égalité entre les femmes et les hommes ou l’élimination du sexisme dans le langage.

Si je comprends la volonté de faciliter la lecture pour les personnes malvoyantes ou pour qui l’apprentissage de la langue est un défi — et j’espère que nous avons toutes et tous ce souci en tête quand nous écrivons — je trouve que ce texte est mal réfléchi et qu’il rate l’objectif déclaré. En effet, l’idée que le langage inclusif rendrait la langue plus complexe n’est pas confirmée par la recherche académique. Au contraire, dans beaucoup de cas, la précision que le langage inclusif apporte facilite la compréhension du sens.

Je vous invite donc à refuser ce texte, en faisant remarquer que j’ai écrit cette longue intervention en respectant les recommandations du Bureau de l’égalité du canton de Vaud, cela sans avoir utilisé une seule fois un tiret ou un point médian.

M. Pierre Zwahlen (VER) —

Les dix-huit messieurs qui portent et supportent cette motion n’entendent rien à l’écriture inclusive, mais préfèrent s’arc-bouter aux règles et déclarations de l’une des institutions les plus élitaires et conservatrices de la francophonie. Depuis Richelieu, en effet, l’Académie a compliqué grammaire et orthographe pour en distinguer l’usage aristocratique de celui du bon peuple. Merci à nos collègues Muriel Thalmann, Maurice Mischler et quelques autres d’avoir su l’illustrer.

Aujourd’hui encore, on voudrait laisser croire que la domination masculine des mots engloberait de façon générique les filles et les dames. Un temps, certains ont voulu ajouter le « e » féminin entre parenthèses, manière de placer l’égalité entre parenthèses, elle aussi. Désormais, l’écriture inclusive nous relie, par les petits points qui entourent et relèvent la forme féminine ; elle donne aux deux genres leur noblesse et leur modernité. Les personnes malvoyantes y trouvent aussi l’éclat d’une langue française réconciliée avec l’autre moitié du ciel. Le rapport du Conseil d’Etat 2020 sur les affaires extérieures est d’ailleurs rédigé avec cette délicatesse inclusive. J’aime un français qui bouge, qui s’adapte, qui s’encanaille, qui s’approprie les innovations, qui intègre distinctement chacune et chacun. Il est mieux d’enfouir cette motion au charme désuet en commission.

Mme Sonya Butera (SOC) —

Monsieur le député, dois-je comprendre que vous demandez un renvoi en commission ? Ce n’est pas le cas.

M. Serge Melly (LIBRE) —

Mes préopinantes et préopinants — et c’est déjà faux, puisque le terme « préopinant » indique qu’on partage la même opinion alors que je ne partage pas la leur — viennent, comme M. Mischler, de démontrer qu’une langue n’est pas fixée. Une langue doit évoluer et c’est cette évolution qui a transformé le latin en français ou en dizaines d’autres dialectes et langues latines. Mais cette évolution s’est faite naturellement, du bas en haut, du bas latin au vieux français, sans oublier le latin d’église ni même le latin de cuisine. Or, que constate-t-on aujourd’hui avec l’écriture inclusive ? C’est une intervention artificielle sur la langue française, décidée quasiment d’un jour à l’autre par des groupuscules soucieux d’adapter la langue aux nouvelles pratiques en matière d’égalité entre hommes et femmes. J’ai bien dit « artificiellement » et c’est là que le bât blesse : comment les Vaudois et les Romands peuvent-ils tout d’un coup inventer de nouveaux procédés d’écriture et les imposer au reste de la francophonie ? Comme membre de la délégation vaudoise à l’Assemblée parlementaire francophone (APF), je me réjouis de voir comment les représentants du Québec, de Madagascar ou de Tahiti vont avaler ces couleuvres.

Il faut bien dire que, chez les Vaudois, le ver est déjà depuis longtemps dans le fruit. Quand elle est élue première femme conseillère d’Etat, Mme Jacqueline Maurer comprend bien qu’elle ne peut plus se faire appeler « M. le chef du département ». Alors qu’elle aurait pu s’appeler Mme la chef, on a inventé pour elle cet horrible néologisme de cheffe. Si on avait vraiment voulu féminiser ce substantif, il aurait fallu dire chève, comme bref et brève et serf et serve, mais le jeu de mots injurieux aurait été trop facile. Le français a la chance d’avoir des articles : on peut dire la chef comme on dit la ministre. On ne dit pas la ministrelle. Si cela continue, on va nous ajouter un « e » final à sœur, parce qu’en principe il s’agit d’une fille…

Cette écriture est pénible à lire comme à ouïr. J’ai reçu, la semaine dernière, la dernière initiative de M. Venizelos — je la soutiens, par ailleurs, et elle est également soutenue par un groupe de défense des minorités sexuelles — dans laquelle on lit « Si vous êtes intéressé-e-x-s ». Cela devient imprononçable. Et pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Les jeunes sont un peu un groupe à part, eux qui ont beaucoup souffert du confinement et qui ont besoin d’être entendus. Il faut donc écrire : « Si vous êtes intéressé-e-x-s-j ». Et les vieux, tant éprouvés ? Je propose de ne pas les oublier : « Si vous êtes intéressé-e-x-s-j-v ». Et ainsi de suite… Mme la présidente m’aurait interrompu avant que j’aie pu citer toutes les catégories de notre population. Et que dire de ce charabia à l’oral ? L’autre jour, à la radio, un représentant des Verts s’est écrié : « les Vertes-Verts », j’ai vraiment compris « les Berbères » en me demandant ce que ces peuplades de l’Atlas venaient faire sur le Mormont.

Finalement, je laisse au philosophe Raphaël Enthoven le soin de conclure (dans le dernier numéro de Philosophie magazine) : « Démasculiniser nos modes de pensée en rompant d’un coup avec des siècles de prévalence grammaticale du masculin, l’erreur n’est pas dans l’ambition noble qu’elle se donne, mais dans les moyens autoritaires qu’elle réclame pour y parvenir. Ce n’est pas d’en haut ni d’un trait de plume qu’une langue est modifiée, mais par l’incorporation des usages qui dépassent les modes pour devenir des habitudes. Ce n’est pas en modifiant la grammaire que l’on modifie les consciences à la façon de Big Brother. C’est en modifiant les consciences qu’on en vient in fine à dicter au langage de nouvelles altérations. La langue ne s’est pas construite en un jour : chaque mot, chaque règle, est le fruit d’une longue histoire, d’une tradition et d’usages patiemment adoptés. Abolir arbitrairement de tels usages est aussi violent que d’abattre à la hache un arbre séculaire ou de réduire le langage à marche forcée. L’écriture dite inclusive est la preuve s’il en est que les tempéraments les plus autoritaires se cachent sous les intentions les plus généreuses. » Je vous engage à transmettre cette motion directement au Conseil d’Etat, car il y a urgence à stopper cette maltraitance de la langue, ou alors d’adhérer au mouvement Les LIBRES qui vous propose une magnifique solution d’apparence inclusive. (Rires.)

Mme Rebecca Joly (VER) —

Selon moi, le problème de cette motion, c’est qu’elle nous renvoie au français académique. Beaucoup de choses ont déjà été dites et je ne les répéterai pas. Néanmoins, je tiens à souligner qu’on nous renvoie ici à l’autorité d’une institution dont l’autorité même est assez peu claire ; ce n’est pas une autorité étatique française, mais une autorité royaliste, qui a perduré grâce à Napoléon Bonaparte qui l’a rétablie afin d’avoir une mainmise sur le français et la langue française. Cette institution s’autoproclame gardienne du français et voudrait nous imposer, par le haut, ses usages et son bon français. Or, cela a déjà été dit : cette même institution s’est opposée, dans les années 90, à une vaste réforme de l’orthographe qui voulait simplifier certaines bizarreries du français, afin de le rendre plus facile et plus accessible à toutes et à tous. Si notre priorité doit être l’inclusion des personnes les plus fragiles de notre société, cette réforme était justement un outil adéquat et intéressant pour le faire. Or, elle a été poubellisée par notre chère Académie française. Alors, l’appeler aujourd’hui en renfort de la défense des minorités, cela me fait doucement sourire, ou plutôt rire jaune.

Le problème de la motion, c’est la référence à une autorité qui nous empêcherait, nous locuteurs et locutrices du français, de l’utiliser et de continuer à le faire vivre. Au fond, c’est cela l’écriture inclusive : c’est un mot qui regroupe beaucoup de réalités et de pratiques. Plusieurs ont été mentionnées ce matin : il s’agit d’utiliser des formulations neutres ou d’utiliser et la forme féminine et la forme masculine afin d’inclure le plus possible les êtres humains auxquels on s’adresse. C’est aussi une manière de parler qui veut mettre en adéquation la réalité et ce que l’on dit. A l’Assemblée nationale française, on parle de « Mme le ministre », de « Mme le président », ce qui est un cauchemar pour nos oreilles romandes. A qui le français appartient-il le plus, à l’Académie française ou à nous, les locuteurs et locutrices ? En tant qu’utilisateurs et utilisatrices courantes du français, ne sommes-nous pas tout aussi légitimes que ces quelques-uns qui se réunissent les jeudis pour écrire un dictionnaire sur lequel ils se penchent depuis 50 ans, alors qu’ils n’ont aucune compétence linguistique ? Je vous le demande honnêtement, pourquoi nous enlever la capacité d’innovation que la langue a toujours eue ? Finalement, c’est là que réside le premier problème de cette motion. Le deuxième problème, c’est qu’il s’agit d’une motion, c’est-à-dire d’un texte censé modifier une loi ou imposer un décret. Or, je ne vois pas très bien quelle loi nous devrions modifier ou quel décret il faudrait apporter.

Un autre problème finit par m’agacer : il est déjà midi moins le quart et, ce matin, nous avons traité deux résolutions et maintenant une motion avec demande de prise en considération immédiate ! Alors que nous avons 300 objets en attente de traitement, nous passons une matinée à discuter d’objets qui devraient être renvoyés en commission. Je suis navrée, mais le renvoi direct au Conseil d’Etat est un outil qui ne devrait être utilisé que quand il y a une large unanimité, ou quand il y a urgence. Dans cette motion, où est l’urgence ? Il n’y en a pas. Le monde ne va pas changer si cette motion passe en commission. Je trouve pénible cette nouvelle façon de travailler dans ce Grand Conseil ; cela nous fait perdre passablement de temps, alors que nous devrions tenir un tel débat en commission pour revenir en plénum avec quelque chose d’aplani. Ces nombreuses demandes de prise en considération immédiate finissent par me déranger, parce qu’elles ne répondent pas aux critères que nous nous étions donnés tacitement. J’estime qu’il n’est plus possible de travailler dans ces conditions. En résumé, je vous propose de refuser la motion et je propose à notre collègue de revenir avec un texte un peu plus acceptable, s’il l’estime vraiment nécessaire.

M. Yvan Pahud (UDC) —

Mme Joly se transforme en donneuse de leçons, alors qu’elle devrait balayer déjà devant sa porte. Le règlement du Grand Conseil prévoit une possibilité de renvoi direct au Conseil d’Etat et nous nous devons de l’appliquer.

Sur le fond, contrairement à ce qu’a dit M. Mischler qui nous a exposé la complexité de la langue française, l’écriture inclusive va encore complexifier la langue, puisque l’on y introduit des points dans un mot. J’en veux pour preuve un article paru hier dans le Figaro dans lequel le ministre français de l’éducation nationale, M. Jean-Michel Blanquer, s’est opposé à l’écriture épicène, parce qu’elle peut troubler l’apprentissage des élèves dyslexiques. Je cite : « Il nous apparaît aujourd’hui que l’écriture inclusive est discriminante pour les enfants qui souffrent d’un handicap cognitif, auditif ou visuel. De fait, elle exclut plus qu’elle n’inclut. » A moins que vous ne vouliez encore complexifier la langue française, par idéologie politique, je vous demande de soutenir le renvoi direct de la motion au Conseil d’Etat.

M. Philippe Vuillemin (PLR) —

Les séances du conseil communal d’Epalinges doivent être passionnantes, mais elles doivent tirer en longueur... (Rires.) Je comprends évidemment que le peuple palinzard se pose quelques questions, d’ici le 16 mai.

Je déclare mes intérêts : j’ai vécu plusieurs années en France et j’ai fait mes études au lycée Malherbe, à Caen, lycée prestigieux par son nom et par les gens qu’il a abrités ; il ne s’agit pas forcément de votre serviteur, mais du verrier qui a découvert Uranus et du préfet Poubelle qui a rendu bien des services tout au long des siècles. J’ai appris un certain nombre de choses : Richelieu a créé l’Académie française, non pas pour asseoir son pouvoir, mais parce qu’il en avait marre du français tel qu’il était écrit. Votre serviteur, qui possède quelques ouvrages écrits avant la création de l’Académie française, doit bien reconnaître que chacun écrivait le français à sa façon. Cela perturbait évidemment la communication et pouvait gêner l’exercice du pouvoir.

Je constate aussi que l’allemand a voulu simplifier un certain nombre de choses. Cela continue à mal passer outre Sarine, mais j’imagine que mon collègue Mischler sera tout à fait d’accord d’orthographier son nom « Michler », ce qui, pour des Romands, pourrait être une bonne simplification. S’il ne le fait pas — et je le comprendrais très bien — je lui signale que mon prénom s’écrit avec « ph » et que cela me va très bien.

Je constate également que, lorsqu’on touche à la langue française, les plus faibles et les plus démunis ne sont peut-être pas ceux que l’on croit. Actuellement, avec l’augmentation notable des maladies démentielles, mieux vaut garder le français comme il est pour cette tranche d’âge. Néanmoins, cela ne me dérange pas du tout que les générations plus jeunes voient le français autrement. Possédant quelques dictionnaires de l’Académie française qui s’étalent entre 1696 et ce jour, je constate que ces gens — avec une certaine lenteur je le concède — ont quand même toujours su modifier leur langue.

Par ailleurs, il faut aussi être pragmatique, comme les Vaudois le sont. Le célèbre médecin Tissot parlait d’une femme qui exerçait la médecine en son temps en l’appelant la « docteuse ». Cela me plaît assez, plutôt que de dire « doctoresse ». Les mots français qui se terminent par « esse » ne sont jamais très beaux. Je constate encore que le Vaudois est très pragmatique : la moitié de mes patients me parle d’une testicule, pendant que les autres me parlent d’un testicule, tous genres confondus. (Rires.) Dès lors, je me dis qu’au-delà de toute querelle, ce qui compte surtout c’est que l’on défende la langue française. Nous devrions nous en soucier beaucoup plus que de savoir comment nous allons l’écrire et la pratiquer. C’est pour cela que je demande formellement que cette motion aille en commission. En effet, il ne s’agit pas seulement de faire de grandes déclarations, mais de se poser la question du français, tout court, en plus de celle du français académique qui me laisse relativement indifférent. Formellement, je demande que la motion soit transmise à une commission, car aucune urgence ne justifie qu’elle soit traitée directement par le Conseil d’Etat.

Mme Sabine Glauser Krug (VER) —

Lorsque l’on est la seule députée dans une commission, si l’on applique l’orthographe usuelle, cela implique que le secret des prises de parole est difficile à respecter et, en ce sens, j’ai bien accueilli l’écriture inclusive, démarche égalitaire du point de vue des genres. Pourtant, l’objet dont nous débattons maintenant m’a amenée à prendre conscience des difficultés qu’elle crée, par ailleurs. Je me suis rendu compte que mon attention se focalisait sur les signes, ce qui freinait la compréhension du texte dans sa globalité. Aujourd’hui, j’ai envie de dire que l’écriture inclusive était une bonne idée et que nous avons eu raison de l’expérimenter, mais que, face aux difficultés qu’elle crée pour une partie de la population, nous serions bien avisés de la remettre en question et de lui chercher des alternatives allant dans le sens d’une simplification de l’écriture, plutôt que d’une complexification.

Le maintien de l’écriture telle que prévue par l’Académie française me pose problème, outre le ton utilisé dans le texte. Si l’on admet que l’orthographe est un outil de transcription d’une langue fondamentalement orale, au risque de se faire taper en sortant de cette salle, force est de relever que l’orthographe française telle qu’élaborée par les académiciens est un très mauvais outil. Avoir un esprit logique devient un réel handicap, sans même développer la question du coût financier et social de la subtilité française ; on lutterait plus aisément contre l’analphabétisme en simplifiant l’écriture et l’orthographe française qu’en donnant des cours interminables. C’est pourquoi je ne pourrais pas soutenir cette motion sous sa forme actuelle, mais souhaiterais vivement qu’elle bénéficie d’un passage en commission, pour une discussion constructive et l’élaboration d’un texte pertinent, rassembleur, et respectueux des différents aspects de cette problématique délicate. La question de l’orthographe française mérite d’être débattue et je suis certaine que l’intelligence collective peut mener à des idées novatrices pour améliorer notre langage écrit sans discrimination ni de genre ni dysorthographique. Pourquoi ne pas créer une Académie suisse romande ? (Rires.)

Mme Muriel Cuendet Schmidt (SOC) —

J’annonce mes intérêts : je travaille chez Pro Infirmis Vaud en tant que cheffe de service ayant en charge une prestation d’insertion professionnelle pour des personnes en situation de handicap. Je m’autorise une simple suggestion au motionnaire : monsieur Glayre, en tant qu’informaticien, il serait peut-être plus profitable de mobiliser vos compétences pour développer des logiciels de lecture performants pour les personnes ayant une déficience visuelle ou un trouble « dys », plutôt que de s’attaquer au langage épicène sous couvert d’inclusion. Cette action serait beaucoup plus utile pour les personnes en situation de handicap et favoriserait réellement l’inclusion. Pour ce motif, je ne soutiendrai pas votre motion.

M. Jérôme Christen (LIBRE) —

Je ne sais pas si nous allons arriver à nous comprendre, parce que nous n’avons pas les mêmes références historiques — pour autant que les réformistes se soient vraiment plongés dans l’histoire de notre langue. J’aimerais évoquer des extraits d’un texte du philosophe et écrivain français, feu Jean-François Revel, intitulé « Le sexe des mots », qui date de plusieurs années, mais qui est toujours d’actualité.

« La querelle actuelle découle de ce fait très simple qu’il n’existe pas en français de genre neutre comme en possèdent le grec, le latin et l’allemand. D’où ce résultat que, chez nous, quantité de noms, de fonctions, métiers et titres, sémantiquement neutres, sont grammaticalement féminins ou masculins. Leur genre n’a rien à voir avec le sexe de la personne qu’ils concernent, laquelle peut être un homme. Homme, d’ailleurs, s’emploie tantôt en valeur neutre, quand il signifie l’espèce humaine, tantôt en valeur masculine quand il désigne le mâle. Confondre les deux relève d’une incompétence qui condamne à l’embrouillamini sur la féminisation du vocabulaire. Un humain de sexe masculin peut fort bien être une recrue, une vedette, une canaille, une fripouille ou une andouille. De sexe féminin, il lui arrive d’être un mannequin, un tyran ou un génie. Le respect de la personne humaine est-il réservé aux femmes, et celui des droits de l’homme aux hommes ? Absurde ! Ces féminins et masculins sont purement grammaticaux, nullement sexuels. Certains mots sont précédés d’articles féminins ou masculins sans que ces genres impliquent que les qualités, charges ou talents correspondants appartiennent à un sexe plutôt qu’à l’autre. On dit : « Madame de Sévigné est un grand écrivain » et « Rémy de Goumont est une plume brillante ». On dit le garde des Sceaux, même quand c’est une femme, et la sentinelle, qui est presque toujours un homme. (…)

Une langue bouge de par le mariage de la logique et du tâtonnement, qu’accompagne en sourdine une mélodie originale. Le tout est fruit de la lenteur des siècles, non de l’opportunisme des politiques. L’Etat n’a aucune légitimité pour décider du vocabulaire et de la grammaire. Il tombe en outre dans l’abus de pouvoir quand il utilise l’école publique pour imposer ses oukases langagiers à toute une jeunesse. (…) Faut-il faire avancer le féminin faute d’avoir fait avancer les femmes ? »

Le français n’appartient peut-être pas aux académiciens, mais il n’appartient pas non plus aux élus politiques ni aux technocrates. Ce que veut notre collègue Glayre, c’est redonner la langue aux usagers. Vous comprendrez que, comme mes collègues LIBRES, je soutiendrai cette motion pour que nous rendions le français au peuple, qui réunit bien sûr les femmes et les hommes. Pour nous, le renvoi en commission est bien sûr inutile, puisque nous en sommes privés. (Rires.)

M. Julien Eggenberger (SOC) —

Cela m’a fait sourire d’entendre mon collègue Yvan Pahud commencer son intervention par « Madame la présidente », sachant que les directives de l’Académie française demandent de dire « Madame le président », ce que même l’Assemblée nationale française n’applique pas ; cela a fait l’objet d’une procédure et d’amendes infligées à certaines députées et certains députés.

Trêve de plaisanteries. Si nous appliquions ici les directives de l’Académie française — ce qui n’est pas la pratique des cantons romands qui se sont dotés d’une délégation à la langue française, dont le siège est à Neuchâtel et qui traite justement de ces questions — nous devrions aussi renoncer à certains régionalismes. Cela appauvrirait certainement les débats de ce Grand Conseil !

En tant que diplômé de l’Université de Lausanne en langue et littérature française, ce qui devrait a priori devrait me donner quelques compétences en français académique, mais pas celles d’appliquer les directives de l’Académie française, et en tant qu’enseignant dans le canton de Vaud, je me permets de mentionner qu’il n’existe aucun document scolaire appliquant le point médian, qui n’est d’ailleurs qu’un tout petit aspect de l’écriture inclusive. Par ailleurs, les manuels scolaires romands auraient à faire des efforts, ne serait-ce que pour donner un peu plus de place aux femmes. On ne trouve aussi que très peu de points médians dans les documents de l’Etat de Vaud, mais je n’ai pas mené de chasse exhaustive à cet élément.

Vous avez cité une intervention de M. Blanquer, qui devrait parfois éviter de s’exprimer sur des sujets qu’il ne maîtrise pas, malgré son statut de ministre de l’éducation nationale. A ma connaissance, aujourd’hui, aucune étude sérieuse ne fait de lien entre l’écriture inclusive, c’est-à-dire le fait de mentionner « toutes et tous » ou « Madame, Monsieur », et une augmentation des difficultés scolaires et des troubles « dys ». Par contre, il existe de nombreuses études sur les troubles « dys » qui les mettent par exemple en lien avec certaines théories d’enseignement de la lecture, d’il y a quelques décennies, liées à la phonétique. Il existe de nombreuses controverses scientifiques, mais elles ne portent pas sur cet aspect ; si ce n’est par M. Blanquer, dans le Figaro.

On comprend bien qu’il y a de vrais enjeux, autour du point médian, par exemple, qui peut poser quelques difficultés. Mais, entre questionner le point médian dans des documents où il n’existe pas et appliquer des règles d’un cénacle qui ne fait pas preuve d’un suivi de l’évolution de la langue extraordinaire, il y a tout un monde ! C’est la raison pour laquelle je pense que cette motion doit être refusée ou, à tout le moins, discutée en commission.

M. David Raedler (VER) —

Ce qui est très intéressant, dans tout ce discours qui nous occupe depuis maintenant une heure, c’est le regard vers la France ; toujours regarder la France… Il ne s’agit pas de la France voisine ou de la Province, mais de Paris ! Sous couvert de protéger certaines personnes faibles, on cherche en réalité à briller auprès de Paris et de cette langue française que l’on considère historique et référentielle. Napoléon a unifié et réduit à néant notre patois local, comme il le fit dans cette province si méprisée par le Paris « de la haute » : cette petite Suisse. Cette Suisse méprisée par ces vieilles barbes — et j’utilise les termes « vieilles barbes » à dessein, car c’est encore une institution majoritairement masculine. Pourquoi toujours regarder vers Paris ? Depuis ici, nous regardons la Ville lumière avec des lumières plein les yeux et cette petite honte d’avoir un accent ou des références au patois local. C’est se sentir toujours comme la personne brute, paysanne, un peu sale et bourrue, la personne qui cherche toujours à plaire aux personnes si raffinées de Paris, aux personnes qui brillent de la lumière de la ville qui les teinte. Consacrer tout ce temps, dans nos débats, à la langue française telle qu’elle doit nous être imposée par la Ville lumière, en droite ligne de l’Empereur Napoléon, est un non-sens.

Le député Vuillemin l’a dit, on écrit la langue française comme on le souhaite et la langue évolue. A ce sujet, je vous renvoie à l’ouvrage magnifique de Jean-Pierre Coindet Parlons vaudois que vous connaissez certainement. Il est utile parce que, en patois vaudois, tous les termes sont masculins et féminins et peuvent s’utiliser au masculin ou au féminin dès le moment où il s’adressent à une personne : bedoume, bobet ou bobette, boffiaud ou boffiaude, bouébe, bracaillon, chenoille, grappiat, tous ces termes sont masculins et féminins. Parfois même avec des effets un peu inattendus : le papet et la papette, qui désigne de la boue ou un mélange vaguement liquide. Arrêtons de regarder constamment vers Paris, avec des lumières plein les yeux, mais parlons comme nous le souhaitons. Parlons pour inclure le plus de personnes possible, naturellement. Laissons cette liberté à chacune et chacun et prenons potentiellement l’idée évoquée par la députée Glauser Krug de créer une Académie vaudoise : nous serions enfin sur nos terres, sans regarder tristement vers Paris, la tête basse.

M. Serge Melly (LIBRE) —

M. Raedler et Mme Glauser Krug ne veulent pas regarder vers Paris ; je pense qu’ils préfèrent regarder vers Londres ou vers Washington. (Réactions.)

Mme Nuria Gorrite (C-DCIRH) — Conseiller-ère d'État

Je constate qu’à la faveur d’un débat qui se politise, on importe dans notre Parlement des débats qui se tiennent en ce moment du côté de la France franco-française, là où une déclaration de l’Académie française — alors qu’on a connu plus moderniste, comme institution — a mis le feu aux poudres, s’agissant de l’utilisation de ce qui se pratique depuis une vingtaine d’années, dans notre canton, sans que cela n’ait posé le moindre problème jusqu’à maintenant : à savoir que l’on considère que chacune et chacun a droit, dans l’expression populaire et dans les textes officiels, à une forme de reconnaissance et de non-assignation au genre.

Lorsque j’ai commencé la politique, il y a fort longtemps de cela, j’étais conservatrice de musée, de profession. Lorsque j’organisais une exposition avec mon homologue française, elle était « Mme le conservateur » et cela me choquait déjà dans les années nonante. Ensuite, je suis devenu syndique de Morges et on m’appelait « Mme le syndic ». Aujourd’hui, plus personne n’imaginerait ce type de situation. Aujourd’hui, on écrit et on dit « Mme la syndique », « Mme la conseillère d’Etat », sans que cela ne soit discriminant vis-à-vis du bon usage de la langue française, contrairement à ce que l’Académie française recommande. Depuis une vingtaine d’années, le canton de Vaud a une approche somme toute assez vaudoise et donc pragmatique. A ce titre, j’ai beaucoup aimé l’intervention de M. Vuillemin. Nous avons considéré que l’on pouvait inclure chacune et chacun dans l’exercice de ses fonctions, sans discriminer et sans approche sexiste et inégalitaire.

Cela dit, ainsi que j’ai d’ailleurs déjà eu l’occasion de le dire, à cette tribune, au même député Glayre qui m’interrogeait, par une question orale, sur l’usage du langage épicène à l’Etat de Vaud : l’administration cantonale s’engage sur de nombreux fronts rédactionnels pour que nos contenus puissent à la fois être lus et compris par toute personne en relation avec la fonction publique, mais aussi pour qu’ils soient non discriminants, l’un n’empêchant évidemment pas l’autre, dans une approche pragmatique. Comme cela a été dit, le principe du langage épicène a été adopté par le Conseil d’Etat, par voie de directive, en 2005 déjà, en visant un langage non sexiste. Par l’usage d’une langue claire et précise, le but est d’assurer le caractère compréhensible des écrits de l’Etat, en évitant notamment certains modes d’expression internes à l’administration ainsi que les acronymes, en évitant de s’adresser à un petit cercle de personnes ayant accès à la question, mais en cherchant à pouvoir être compris le plus largement possible. Par une construction spécifique des sites de l’Etat de Vaud ainsi que du contenu rédactionnel en ligne, il vise à en permettre l’accès aussi aux personnes en situation de handicap. Aujourd’hui, opposer la question du handicap à la question de l’inclusion est donc faire un procès inacceptable, puisque par le biais de la directive du Bureau de l’égalité entre femmes et hommes, l’Etat de Vaud a suivi scrupuleusement les normes édictées au plan international qui visent à développer des standards, notamment en termes d’accessibilité pour les personnes frappées d’un handicap.

Il peut cependant arriver que différentes approches ne soient pas systématiquement compatibles. En effet, pour un contenu en ligne, le langage épicène — et notamment certains ajouts typographiques en fin de mot — peut se révéler un obstacle aux outils d’assistance de lecture. Ainsi, nous gardons en permanence un œil sur ces questions, afin que, tout en développant un langage non sexiste et non discriminant, il soit aussi question de ne pas développer des outils qui pourraient déroger aux standards de lecture pour les personnes frappées d’un handicap. Ces questions sont intégrées depuis 2005 dans l’administration cantonale vaudoise. Sans déroger aux principes communément admis du langage égalitaire, la pratique se veut adaptative, comme le rappelle d’ailleurs le Guide du langage épicène rédigé par le Bureau de l’égalité.

En conclusion, l’administration cantonale, le CHUV, les écoles — gymnases compris — continuent de s’engager à pratiquer un langage écrit permettant des relations simples, efficaces et non discriminantes, entre l’Etat et la population. Il est évident que des améliorations peuvent être effectuées, dans certains documents en ligne, pour assurer une lecture plus fluide, mais accessible via les outils d’assistance. Ces éléments sont connus et rappelés à l’ensemble des contributeurs et des contributifs des pages Internet de l’administration. L’objectif est cependant double et doit respecter un certain équilibre. Adopter avec intelligence et pragmatisme les règles d’une rédaction claire et épicène, c’est non seulement libérer le langage du sexisme hérité des siècles passés pour que chacune et chacun soit également considéré, mais également permettre à toutes et tous, femmes et hommes, en situation de handicap ou non, d’avoir accès à l’information sans obstacle.

Compte tenu de ce que je viens de dire, il me paraît inutile de préciser la position du Conseil d’Etat, mais je vous la livre néanmoins : nous pensons que la motion développée aujourd’hui a déjà trouvé une réponse avec l’application des principes qui guident l’action de l’Etat. Si vous désirez que l’on en débatte davantage, je ne peux que vous inviter à la transmettre à une commission.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est close.

La présidente rappelle que l’auteur ayant demandé le renvoi direct au Conseil d’Etat et certains députés le renvoi en commission, le plénum doit décider du cheminement de la motion.

Le renvoi à une commission, opposé au renvoi au Conseil d’Etat, est choisi par 116 voix contre 13 et 5 abstentions.

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