24_REP_211 - Réponse du Conseil d'Etat au Grand Conseil à l'interpellation Yannick Maury et consorts - Une gravière au Pied du Jura, des interrogations pour les communes et la population de la région (24_INT_119).

Séance du Grand Conseil du mardi 25 mars 2025, point 16 de l'ordre du jour

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M. Yannick Maury (VER) —

Tout d’abord, je tiens à remercier le Conseil d’Etat pour sa réponse complète, qui témoigne d’un réel souci d’exhaustivité et de précision, ce qui mérite d’être salué. Je souhaiterais toutefois relever deux points.

Premièrement, s’agissant des carrières dans leur ensemble, je note et soutiens la diminution du nombre de sites exploités, qui marque un changement de paradigme. Cette évolution est une source de soulagement pour de nombreux habitants des zones qui ne seront finalement pas exploitées et qui voient ainsi leur havre de paix dénaturé. Toutefois, j’aimerais savoir quelles mesures concrètes sont prévues pour réduire la dépendance au béton. En effet, le Programme de gestion des carrières (PGCar), en page 21, reconnaît la nécessité de réduire la dépendance au secteur de la construction, tout en mentionnant, paradoxalement, la poursuite de certains projets et l’octroi systématique de dérogations pour le défrichement, comme indiqué aux pages 21 et 22 du document.

Deuxièmement, l’accent mis sur le site de Ballens ne saurait rassurer les habitants de la région, qui ont déjà exprimé de vives réserves quant à l’aménagement de cette gravière. Ce projet risque non seulement d’engendrer un va-et-vient incessant de camions, mais aussi de détruire une forêt particulièrement précieuse aux yeux de la population locale. La région du Pied-du-Jura contribue déjà largement, avec des gravières à Apples, Montricher et Bière. Par effet rebond, les communes situées plus au centre du district de Morges risquent également d’être fortement impactées. Je pense notamment aux habitants du bourg d’Aubonne, où la saturation du centre par les poids lourds a conduit à la création d’une association qui a pour nom zerocamion. Ayant moi-même vécu longtemps dans cette commune dont je suis originaire, il faut savoir que seulement 40 % du gravier sera transporté par rail, les 60 % restants le seront nécessairement par camion. La commune d’Aubonne pourrait payer un lourd tribut et augmenter la grogne populaire. 

Dans ce contexte, il serait intéressant de savoir comment le Conseil d’Etat entend rassurer la population face à ces préoccupations légitimes. En outre, dispose-t-il déjà d’une date précise pour la mise à l’enquête du projet ? Enfin, dans un souci de transparence, serait-il envisageable que le rapport d’impact sur l’environnement soit consultable en amont de cette mise à l’enquête, et non simultanément ?

Enfin, je remercie par avance le Conseil d’Etat pour ses réponses, dans la mesure où ces éléments sont d’ores et déjà connus et peuvent être communiqués. J’insiste sur le fait qu’il s’agit là d’un enjeu majeur, non seulement pour la région du Pied-du-Jura, mais aussi pour les communes du bas, qui subiront inévitablement les effets de cette exploitation du sol et de la forêt.

M. Jean-François Thuillard (UDC) — Président-e

La discussion est ouverte. 

M. José Durussel (UDC) —

Je me suis intéressé à cette interpellation, et notamment à ses réponses qui, comme l’a dit l’interpellateur, sont très complètes. J’aimerais tout de même amener quelques commentaires, par exemple relativement à la demande de garantie de la qualité de l’environnement sonore. Il faut relever qu’il s’agit d’un des rares sites qui permet un transfert vers le rail. Selon l’interpellateur, il ne s’agit que de 40 %. Or, cela me paraît déjà être un sacré pas, cher collègue Maury. 

J’attends aussi de la part du groupe des Verts que vous déposiez de temps en temps une interpellation ou un postulat qui questionne l’Etat sur le coût des déplacements depuis la France, notamment en CO2. Du côté de Sainte-Croix et de Vallorbe, nous nous rendons bien compte que des camions se déplacent tous les jours depuis la France voisine – avec passablement de gravats – alors que les gravières derrière le Jura sont très proches. Personne ne s’inquiète d’ailleurs des nuisances engendrées de l’autre côté du Jura ; les habitants subissent ces déplacements autant que nous, même davantage. 

La réponse à la sixième question indique « un projet compatible avec l’économie circulaire pour les matières premières ». Je crois que vous le saviez déjà, mais la réponse est un immense oui ! Aujourd’hui, 30 % des granulats utilisés dans notre canton proviennent de France voisine. Et puis, songeons aussi aux projets : le M3, les réseaux routiers et ferroviaires. Vaud consomme 2,3 millions de mde granulats par an, mais nous n’en produisons que 800’000 m3 en déconstruction. 

Mme Laure Jaton (SOC) —

Je déclare mes intérêts pour la deuxième fois : je suis toujours municipale de l’urbanisme, des constructions et de l’espace public, à Morges, une commune qui tente de réduire sa consommation de béton dans ses projets de constructions publiques par des méthodes novatrices et la promotion du réemploi. C’est peut-être une goutte d’eau, mais il faut bien débuter d’une manière ou d’une autre. 

Dans la réponse du Conseil d’Etat, je lis qu’une révision du programme de gestion des carrières et des gravières est en cours et que son but sera d’éviter une « sur-offre » des sites planifiés tout en garantissant l’approvisionnement du canton. A cet égard, je souhaiterais savoir de quel approvisionnement il est exactement question et comment ce dernier est défini. En effet, si le canton souhaite réellement inciter à une utilisation mesurée des ressources dans le domaine de la construction, il faut non pas éviter une « sur-offre », mais peut-être réduire l’offre en deçà des besoins projetés – des besoins en ressources qui ont été calculés souvent sans aucune réflexion sur une utilisation mesurée des ressources. Tant qu’il y aura des ressources à disposition dans notre canton, sans aucune difficulté d’approvisionnement, seules les constructions qui affichent une volonté de réemploi ou de réduction des besoins dès les prémices du projet seront effectivement économes. Alors, réinterroger ces besoins d’approvisionnement pour le projet de gravière des Bois de Ballens permettrait déjà – j’en suis persuadée – de réduire son emprise sur un site naturel d’exception. Je me réjouis d’ailleurs des prochaines réponses aux divers postulats déposés sur le sujet du réemploi. 

M. Alberto Mocchi (VER) —

En effet, c’est là que réside tout l’enjeu : essayer de réduire notre consommation. Il faut tendre vers cela. Récemment, nous avons voté un contre-projet à l’initiative « Sauvons le Mormont ». C’était exactement le même cas de figure. Il serait hypocrite de dire « Nous ne voulons pas de gravière chez nous, nous ne voulons pas creuser nos montagnes, alors importons tout de l’étranger ! » L’objectif consiste à réduire la consommation, pour autant que cela soit possible, car cela ne l’est en effet pas toujours : les ponts ou les tunnels ne peuvent pas être construits en paille. Pour un certain nombre de cas de figure, on opte par trop souvent pour la solution de facilité. Pour être cohérent, il faut s’interroger. Monsieur Durussel, c’est bien à cela que nous nous employons. Nous nous questionnons sur cette consommation, justement pour éviter le not in my backyard et aller piller les ressources naturelles de l’autre côté du Jura pour maintenir de jolies forêts au Pied du Jura. 

M. John Desmeules (PLR) —

Je n’avais pas prévu d’intervenir, mais pour donner suite aux propos de notre collègue Jaton, relativement aux sites d’exception, j’aimerais lui rappeler que l’endroit où Morges vient puiser son eau, qui se situe sur la commune de Montricher, était une gravière il y a quelques décennies, chère députée morgienne. 

M. Vassilis Venizelos (C-DJES) — Conseiller-ère d’Etat

Merci pour ce débat. Concernant la question de la finitude des ressources, le Conseil d’Etat a pleinement intégré ce principe dans son Programme de législature. Il est parfaitement conscient, madame la députée Jaton, que les ressources sont limitées. C’est pourquoi il ambitionne de faire du canton un pionnier en matière d’économie circulaire des matériaux dans la construction. Concrètement, que signifie cet engagement ? Comme l’a rappelé M. Mocchi, le contre-projet à l’initiative « Sauvons le Mormont » prévoit d’inscrire le principe de l’économie circulaire dans la Constitution et devrait, en principe, être soumis au vote populaire en septembre. Cette inscription donnera une impulsion décisive à notre action. Cependant, notre engagement ne se limite pas à cet aspect constitutionnel. Dans le cadre de la révision du Plan de gestion des carrières, nous avons considérablement réduit le nombre de sites prioritaires identifiés pour l’exploitation. Plusieurs d’entre eux se situent d’ailleurs dans la région du Pied du Jura. Cette réflexion vise à éviter une concentration excessive des sites dans une seule région et à répartir l’effort sur l’ensemble du territoire. Le volume du site de Ballens représente environ 8 millions de m3 sur 30 ans ; il ne sera par conséquent pas exploité en une seule année : son exploitation s’étalera sur trois décennies. Or, pour la région Lausanne-Morges, la demande annuelle avoisine le million de m3.

A cet égard, je rejoins également les propos du député Durussel : il est essentiel de trouver un juste équilibre entre l’importation de granulats et leur exploitation sur différents sites. L’intérêt du site de Ballens réside dans sa proximité avec le rail, offrant ainsi un mode de transport plus efficace que de nombreux autres sites qui ont été dépriorisés. Cependant, je rejoins Mme la députée Jaton sur un point essentiel : nous devons agir en amont des différents processus. Si nous voulons mettre en place une politique ambitieuse en matière d’économie circulaire des matériaux, il est impératif d’intervenir au niveau réglementaire et des prescriptions. Votre Grand Conseil débat actuellement en commission d’une révision de la Loi sur l’énergie (LEne), qui prévoit l’introduction de normes dans la construction pour intégrer l’énergie grise. Cette évolution favorisera les techniques de réemploi, encouragera l’utilisation de matériaux alternatifs et nous aidera à nous affranchir de ces besoins, en particulier du béton, encore trop largement utilisé dans le secteur de la construction.

Par ailleurs, une révision de la Loi sur l’aménagement du territoire et des constructions (LATC) est en préparation, sous la responsabilité de ma collègue Luisier Brodard. Cette révision devra répondre à plusieurs interventions parlementaires visant notamment à promouvoir l’utilisation de matériaux alternatifs. Nous travaillons également sur une mise à jour de la Loi sur la gestion des déchets dans laquelle la question de la finitude des ressources occupera une place centrale.

Enfin, il convient de rappeler que vous avez voté, il y a quelques mois, un crédit d’investissement de plus d’un million de francs pour encourager les techniques de réemploi. Les premiers résultats sont déjà encourageants, avec des collaborations en cours entre différents acteurs pour renforcer ces pratiques dans le canton. Ainsi, l’ensemble de ces mesures contribuera à bâtir une véritable stratégie d’économie circulaire des matériaux à l’échelle cantonale. Il est indéniable qu’aujourd’hui, notre système reste fortement dépendant de ces ressources. Toutefois, le Conseil d’Etat est pleinement conscient de leur caractère limité. C’est pourquoi nous devons dès à présent prendre des décisions fortes afin de rendre nos activités et nos modes de production et de consommation plus sobres, en optimisant l’utilisation de ces ressources.

S’agissant du site visé par cette interpellation, le Conseil d’Etat a mené une pesée d’intérêts dans le cadre de sa planification. Il estime que ce site présente un potentiel important, notamment grâce à sa connexion au rail. Bien entendu, plusieurs procédures devront encore être menées. Monsieur Maury, l’enquête publique devrait avoir lieu au mieux d’ici la fin de l’année. Toutefois, plusieurs études restent à fournir par les porteurs de projets, notamment sur les aspects de mobilité que vous soulevez, ainsi que sur les enjeux liés à la biodiversité. C’est lors de l’enquête publique que le rapport d’impact environnemental sera mis à disposition du public. Ce document constitue une pièce essentielle. Le Conseil d’Etat tient à assumer pleinement ses responsabilités et à garantir que l’ensemble de ces démarches se déroule en toute transparence. A ce titre, je m’engage devant vous à multiplier les séances d’information afin que les citoyens et les acteurs locaux puissent se forger une opinion. Bien entendu, dans le cadre de l’enquête publique, chacun aura la possibilité de s’exprimer et, si nécessaire, de recourir aux voies judiciaires appropriées. Néanmoins, la volonté du Conseil d’Etat est d’assurer une transparence totale sur ces dossiers et de permettre un débat serein et informé sur la nécessité d’adapter nos modes de production et de consommation, encore trop dépendants des ressources naturelles limitées. C’est précisément pour cette raison que le Conseil d’Etat compte intensifier ses efforts afin que nous soyons en mesure de réduire notre dépendance et de promouvoir des alternatives durables.

M. Yannick Maury (VER) —

Monsieur le conseiller d’Etat, avant de conclure, je tiens à vous remercier pour votre intervention. La transparence est un élément essentiel dans ce dossier, comme dans bien d’autres. En l’occurrence, elle revêt une importance particulière, car ce projet a suscité de nombreuses réactions. Le besoin d’informations est fort parmi les habitants de la région. La preuve en est qu’un nombre conséquent d’habitantes et d’habitants ont adhéré au Conseil général de la commune de Ballens, précisément dans le but d’être en première ligne et de mieux comprendre les enjeux. C’est pourquoi j’encourage le Conseil d’Etat à poursuivre ses efforts en matière de transparence, en multipliant la diffusion d’informations et les séances publiques. C’est ainsi que nous pourrons parvenir à un climat plus apaisé autour de ce projet.

Par ailleurs, monsieur Durussel, je partage votre constat : 40 % de transport par le rail, ce n’est pas négligeable, et j’espère même que ce chiffre pourra augmenter. D’ailleurs, le volet mobilité du Plan Climat, récemment publié, vise justement à encourager davantage le transport ferroviaire. Toutefois, selon une enquête de Heidi News publiée il y a quelques années, on estime que ce projet entraînerait environ 23’000 allers-retours de camions par an ; cela représenterait encore quelque 13’000 camions dans la région. Or, dans une commune comme Aubonne, dont le centre est déjà saturé, cette charge supplémentaire pose un réel problème. C’est pourquoi je pense que nous devons aller encore plus loin – à titre personnel, je ne me contente pas des 40 %. 

M. Jean-François Thuillard (UDC) — Président-e

La discussion est close.

Ce point de l’ordre du jour est traité. 

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