24_MOT_24 - Motion Loïc Bardet et consorts au nom Groupe PLR - Survie de la pêche professionnelle dans la région des Trois-Lacs.

Séance du Grand Conseil du mardi 1er avril 2025, point 23 de l'ordre du jour

Texte déposé

Les statistiques concernant la pêche le démontrent, le nombre de captures de poissons dans le Lac de Neuchâtel est en perte vertigineuse depuis 10 ans.  De 350 tonnes de poissons adultes en 2014, les pêcheurs professionnels en prélèvent actuellement une centaine de tonnes uniquement. Si l’équilibre du milieu aquatique est soumis à de multiples pressions, un facteur a toutefois radicalement changé ces dernières années : le développement quasi exponentiel de la population de cormorans. Au vu de cette croissance et de leur diminution dramatique de revenu, les pêcheurs professionnels tirent la sonnette d’alarme.

Le cormoran est considéré comme une espèce indigène. Il n’a toutefois été observé que de manière sporadique par le passé et la 1ère couvée a eu lieu en 2001. Le très fort développement des colonies qui a suivi reste incontrôlé à ce jour. Nous demandons donc qu’une régulation soit faite de manière durable, en particulier dans la région des Trois-Lacs vu que les autres lacs du Canton semblent pour le moment moins touchés. La région des Trois-Lacs est un important lieu de nidification des cormorans mais malheureusement aussi de prédation. D’après l’Association de la Grande Cariçaie, le nombre de couples de cormorans dépasse à ce jour 1300 couples sans compter les juvéniles qui s’additionnent à hauteur de 2 à 3 par couple.En revanche, les hivernants sont quant à eux un peu moins nombreux. Cependant,cela représente tout de même une moyenne annuelle d’environ 3’000 cormorans présents sur le lac de Neuchâtel. Avec une consommation de minimum 450g/jour, cela fait plus de 492 tonnes prélevées, toutes classes d’âge et espèces confondues.

Avec de tels chiffres, il devient raisonnable de prendre des mesures permettant d’assurer un avenir à la pêche professionnelle. Cette dernière, pratiquée de manière durable, doit être soutenue, car c’est une composante de l’économie locale et elle revêt une importance patrimoniale et culturelle de 1er ordre. Les espèces de poissons normalement communes, comme la bondelle, la palée, la truite, la perche doivent être protégées par des mesures appropriées. En outre, il reste à clarifier si les cormorans perturbent l’habitat d’autres espèces d’oiseaux, et si tel est le cas, de quelles manières.

Comme indiqué dans la réponse du Conseil d’Etat au postulat Christen, il est rappelé que les tirs de cormorans à partir de bateaux de pêche et donc à proximité des filets sur les lacs sont possibles toute l'année, sauf si le Canton en décide autrement. Toutefois, les concordats et règlements cantonaux ont été modifiés en 2017 sur le Léman et en 2020 sur les lacs de Neuchâtel et Morat avec l’ajout du cormoran à la liste des espèces chassables sur les lacs du 1er octobre au 31 janvier uniquement. Cette période limitée est inappropriée car c’est à ce moment-là que les cormorans sont les moins nombreux et que la plupart des poissons sont en eaux profondes. La pression exercée par les cormorans est maximale de la fin mars à la fin août et c’est à cette période que les filets sont tendu proche de la rive ou dans peu de profondeur d’eau. Il est donc nécessaire que le Canton utilise pleinement la marge de manœuvre accordée par le droit fédéral en autorisant les tirs durant toute l’année.

Il convient aussi de maintenir et approfondir la collaboration avec les cantons voisins. A ce titre, notons que le Grand conseil bernois a déjà adopté une motion analogue alors que les Parlements neuchâtelois et fribourgeois ont également été saisis. Par ailleurs, dans l’attente d’un retour à une situation normale, il est essentiel qu’en accord avec la nouvelle teneur de l’art. 35 du concordat sur la pêche dans le Lac de Neuchâtel, une aide financière à la pêche professionnelle soit maintenue.

En conclusion, il est demandé au Conseil d’Etat de présenter un projet de décret visant les éléments suivants :

  1. Maintien à un niveau supportable de la population de cormorans par le biais de mesures appropriées, afin de permettre la durabilité de la pêche professionnelle ;
  2. Protection des espèces de poissons menacées ainsi que de leurs zones de frai, comme des écosystèmes de ces zones lacustres ;
  3. Coordination de ces mesures ainsi que d’autres soutiens à la pêche professionnelle avec les cantons voisins.

Conclusion

Renvoi à une commission avec au moins 20 signatures

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Nicolas SuterPLR
Aurélien ClercPLR
Fabrice TannerUDC
Laurence BassinPLR
Josephine Byrne GarelliPLR
Guy GaudardPLR
Marc-Olivier BuffatPLR
Florence GrossPLR
Nicolas BolayUDC
Jean-Louis RadiceV'L
Florence Bettschart-NarbelPLR
Aliette Rey-MarionUDC
Carole DuboisPLR
Marc MorandiPLR
Jean-Daniel CarrardPLR
Alexandre BerthoudPLR
Jacques-André HauryV'L
Jean-Luc BezençonPLR
Sergei AschwandenPLR
Anne-Lise RimePLR
Georges ZündPLR
Monique HofstetterPLR
Chantal Weidmann YennyPLR
Nicola Di GiulioUDC
Jean-François CachinPLR
Marion WahlenPLR
Nicole RapinPLR
Mathieu BalsigerPLR
Bernard NicodPLR
Olivier AgassisUDC
Pierre-Alain FavrodUDC
Maurice NeyroudPLR
Laurence CretegnyPLR
Jean-Franco PaillardPLR
Aurélien DemaurexV'L
Jean-Rémy ChevalleyPLR
Jean-Marc UdriotPLR
Pierre-André RomanensPLR
Gérard MojonPLR
Thierry SchneiterPLR
Philippe GermainPLR
Blaise VionnetV'L
Stéphane JordanUDC

Documents

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Nicolas Suter (PLR) — Rapporteur-trice de majorité

Plusieurs députés de la Broye-Vully et du Nord vaudois ont été interpellés par des pêcheurs du lac de Neuchâtel qui, depuis des années, font face à une difficulté majeure. Une forte diminution des captures de corégones a été enregistrée ; de 300 tonnes en 2013, elles sont passées à 50 tonnes en 2023. Cela a un impact évident sur l'économie de la pêche professionnelle, raison pour laquelle des mesures doivent être prises. Le postulat Christen avait fait l'objet de discussions et, en juin 2024, se sont tenues les Assises cantonales de la pêche. Depuis plusieurs années, il existe aussi une aide financière, en accord avec les cantons de Fribourg et Neuchâtel. De manière coordonnée avec des députés des cantons de Neuchâtel et de Fribourg, notre collègue a choisi de suivre le canton de Berne où, en 2022, une motion inter-partis demandait des mesures sur le lac de Bienne pour assurer, à long terme, la survie de la pêche professionnelle. 

Ainsi, la présente motion reprend les points du texte bernois. Un texte similaire a donc été présenté dans les cantons limitrophes. Le débat en commission a porté principalement sur les variations des stocks de poissons et des raisons de leur variation dans le temps qu'il s'agisse de la qualité des lacs, de leur pollution et de la pêche, et effectivement de la population de cormorans. La discussion s'est ensuite concentrée sur le premier point de la motion qui cible les tirs de régulation. Certains jugent cette approche inadaptée et préfèrent une gestion plus globale des écosystèmes. D'autres commissaires estiment qu'il faut agir face aux pertes financières des pêcheurs. Le motionnaire souhaite maintenir les trois points de sa motion, tout en précisant que le niveau supportable de cormorans pourrait être défini après les études en cours. Un amendement est proposé en commission proposant la suppression du premier point de la motion. Mis au vote, cet amendement est refusé par 7 voix contre 6 et 2 abstentions. Au vote final, la commission recommande au Grand Conseil de prendre en considération la motion par 8 voix et 7 abstentions, et d’ainsi la renvoyer ainsi au Conseil d'Etat conformément à la requête de son auteur. Un rapport de minorité est annoncé. 

M. Alberto Mocchi (VER) — Rapporteur-trice de minorité

La minorité de la commission soutient à l'unanimité l'entrée en matière sur ce projet et plus généralement la pêche professionnelle, ainsi que les articles concernant des mesures de protection des espèces et écosystèmes des zones lacustres et une coordination intercantonale ainsi que des mesures de soutien financier pour assurer la survie économique des pêcheurs. Toutefois, le seul point de divergence avec la majorité concerne la demande de maintien à un niveau supportable de la population de cormorans. En effet, la minorité s'oppose à des mesures supplémentaires visant à réguler les populations de cormoran. Premièrement, ces dernières années, une baisse du nombre de couples de cormorans a été observée, démontrant les effets de l'effarouchement et des tirs par la police de la faune. Par conséquent, les mesures actuelles sont déjà opérantes. En revanche, des tirs trop nombreux produiraient un effet dévastateur sur la tranquillité de la faune et des oiseaux migrateurs qui font notamment escale dans la zone de la Grande Cariçaie. 

Ensuite, le cormoran est l'arbre qui cache la forêt. Le réchauffement climatique, les dérèglements des écosystèmes ou la pollution de l'eau fragilisent également la régénération des populations de manière très déterminante. Il s'agit donc de prendre des mesures de renaturation et de restauration des écosystèmes du lac pour qu'ils redeviennent productifs plutôt que de mettre un sparadrap sur la situation en tirant sur les cormorans. La minorité de la commission estime également que les chiffres publiés par l’association BirdLife ne permettent pas de conclure à un lien entre population de cormorans et conditions de pêche. Parmi les deux meilleures années en matière de pêche, 2002 et 2016, la population de cormorans était déjà importante. Or, durant des années catastrophiques, dans les années 70 ou 80, les cormorans étaient peu nombreux. 

De plus, en 2011, une décision du Tribunal administratif estimait que les dommages causés par les cormorans aux pêcheurs du lac de Neuchâtel se montaient à environ 2,5 % du revenu annuel brut, soit une part insuffisante pour justifier les mesures de régulation dans les zones de protection des oiseaux migrateurs. L'amendement proposant de supprimer le point 1 relatif à la régulation des cormorans ayant été refusé, la minorité de la commission s'est abstenue lors de la prise en considération de cette motion. 

M. Jean-François Thuillard (UDC) — Président-e

La discussion est ouverte. 

M. Loïc Bardet (PLR) —

Les principaux éléments ayant conduit au dépôt de cette motion ont déjà été exposés par le rapporteur de majorité. Je ne reviendrai donc pas sur la genèse de ce texte. Je me permets néanmoins de rappeler que les Grands Conseils de Fribourg et de Neuchâtel ont d’ores et déjà adopté ce texte dans son intégralité, en novembre 2024. Dans le canton de Fribourg, il a été approuvé par 72 voix contre 16, avec 11 abstentions. À Neuchâtel, le résultat était de 51 voix contre 28, et 18 abstentions.

On constate ainsi que, contrairement à ce que l’on pourrait croire lorsqu’il est question d’enjeux environnementaux – sujets souvent perçus comme polarisants entre la gauche et la droite – les majorités dégagées dans ces deux parlements montrent que ce texte dépasse les clivages. D’ailleurs, le texte bernois à l’origine de cette démarche avait été déposé, à l’époque, par un député vert.

Enfin, le rapport de minorité souligne que la diminution du nombre de poissons est une problématique multifactorielle. C’est tout à fait juste, mais c’est précisément pour cette raison qu’il est essentiel de prendre en compte l’ensemble des éléments, plutôt que d’écarter d’emblée l’idée d’une régulation des cormorans. Il faut rappeler que ces oiseaux consomment environ 400 grammes de poisson par jour. Avec plus de 3000 individus présents sur le lac de Neuchâtel, l’impact devient difficile à ignorer.

M. Pierre-André Romanens (PLR) —

J’aimerais simplement répéter ce qui a également été évoqué en commission, à propos de cette faune qui occupe aujourd’hui non seulement le lac de Neuchâtel et les Trois Lacs, mais aussi d’autres lacs sur notre territoire suisse. Il est fondamental et important de travailler à l’échelle de l’ensemble du territoire, voire avec les populations de cormorans présentes sur les lacs situés juste au-delà de nos frontières nationales. Car il est clair que les chasser d’un côté pour qu’ils se déplacent de l’autre n’est pas la solution à privilégier. On le voit bien avec la chasse : lorsqu’on interdit d’un côté et qu’on autorise de l’autre, cela engendre des mouvements de faune très désagréables et particulièrement difficiles à maîtriser.

Je tiens à souligner qu’il y a aujourd’hui deux problèmes reconnus liés aux cormorans. Le premier concerne, comme cela a été rappelé ici, la pêche et les poissons qui peuplent nos lacs. Le second touche aux végétaux. Ceux qui se promènent au bord de nos lacs peuvent le constater très clairement : de magnifiques arbres centenaires servent de perchoirs aux cormorans, et leurs fientes détruisent complètement ces végétaux. C’est un constat assez pénible. Pour ma part, je connais bien le périmètre des Crénées, à Mies, un parc d’importance nationale. On y trouve de grands arbres, certains vieux de plusieurs centaines d’années, qui sont aujourd’hui quasiment à l’agonie, voire déjà morts.

Il m’apparaît donc qu’il est essentiel d’amener une régulation en réfléchissant ensemble à la manière de le faire. 

M. Oscar Cherbuin (V'L) —

Je déclare mes intérêts comme vice-président de la Maison de la Rivière. L’année passée, j’ai participé à une table ronde sur la pêche, à laquelle M. Bardet était également invité. Nous avons pu passer une journée entière avec les pêcheurs ainsi qu’avec les représentants de l’administration en charge de cette problématique.

Il me semble que nous faisons souvent un faux procès aux cormorans. Certes, le cormoran fait partie du problème, mais il n’en est pas l’unique cause. La problématique est bien plus large. Les solutions évoquées lors de cette table ronde étaient d’ailleurs globales, et touchaient à d’autres aspects, comme l’a mentionné M. Mocchi. Il a notamment parlé de la mise en place de frayères naturelles, permettant une reproduction des poissons pour augmenter durablement leur présence dans nos lacs.

Aujourd’hui, on pratique souvent l’extraction de reproducteurs pour en prélever les semences, que l’on traite en aparté. Ce faisant, on perturbe profondément les écosystèmes, alors même que ces poissons pourraient, dans des conditions adéquates, dans une nature qui aurait repris ses droits, mieux se reproduire.

Je voudrais donc souligner ici que les solutions ne résident pas simplement dans le fait de tirer à vue sur l’ensemble des cormorans, mais bien dans une approche globale, impliquant l’ensemble des acteurs. C’est ce que cette table ronde avait permis de mettre en lumière, avec des mesures concrètes, dont certaines, je le crois, sont déjà en cours de mise en œuvre. J’aimerais que cet aspect soit également pris en compte dans vos considérations au moment du vote. 

M. Grégory Bovay (PLR) —

Je tiens à déclarer mes intérêts : je suis membre de la Commission de l’énergie et de l’environnement (CENEN) et je représente la position du groupe PLR, qui vous invite à prendre en considération cette motion. Comme l’a justement souligné mon collègue, M. Bardet, tout à l’heure, plusieurs cantons – une bonne partie – ont déjà adopté un texte similaire. Dès lors, il est important que le canton de Vaud suive ce mouvement afin que nous puissions avancer de concert sur cette question.

M. Cherbuin évoquait tout à l’heure l’importance d’écouter les différentes parties prenantes pour se forger un avis. Je me permets à ce titre de citer M. Eric Staub, naturaliste à la retraite, membre honoraire de la Fédération suisse des pêcheurs et ancien employé de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) qui, dans un article publié dans un journal spécialisé, écrivait ceci : « Une gestion plus stricte de la population de cormorans est nécessaire ». M. Staub s’inquiète également de la croissance effrénée de la population reproductrice de cormorans dans les diverses eaux suisses. Il a calculé que les quelque 9000 oiseaux ont capturé presque autant de biomasse de poisson, pendant la phase de reproduction, durant l’été 2023, que tous les pêcheurs professionnels réunis pendant toute l’année. Si l’on prend également en compte la consommation de poissons pendant les mois d’hiver par les cormorans hibernants et les migrants, alors les cormorans prélèvent désormais plus de biomasse de poissons que la pêche professionnelle. Afin de résoudre le conflit sur l’utilisation de la ressource naturelle qu’est le poisson comestible, il faudra, à long terme, réduire la population reproductrice de cormorans.

En fin de compte, réguler les cormorans, c’est préserver les populations de poissons de nos lacs, c’est garantir la pérennité de la profession de pêcheur, et c’est aussi assurer la disponibilité durable d’une ressource alimentaire issue de nos lacs.

Fort de ces considérations, je vous invite à suivre le rapport de majorité et à soutenir la motion Bardet.

Mme Aude Billard (SOC) —

Le parti socialiste s’inscrit dans la démarche portée par la représentation de la minorité. Nous soutenons pleinement l’approche professionnelle ainsi que l’ensemble des articles proposés concernant les mesures de protection des espèces, des écosystèmes dans les zones lacustres, ainsi que les mesures de soutien financier. Cependant, notre point d’achoppement reste la demande de réduction de la population de cormorans. À nos yeux, abattre une espèce dans le seul but de garantir un rendement économique nous semble disproportionné. Une telle approche ne tient pas suffisamment compte des effets qu’une régulation de cette ampleur pourrait avoir sur l’ensemble de l’écosystème.

Nous appelons par conséquent à des mesures plus pacifiques, en privilégiant notamment une meilleure compréhension des causes de la diminution des populations de poissons et de la baisse de l’activité de pêche. Comme mentionné en préambule, nous estimons qu’il serait plus judicieux de soutenir financièrement les pêcheurs si nécessaire.

Nous rappelons par ailleurs que la problématique climatique trouve aussi ses origines dans la pression humaine exercée sur les milieux naturels, que ce soit en tuant des espèces pour l’alimentation ou pour d’autres motifs. Il serait dès lors opportun de se demander s’il ne faudrait pas plutôt envisager une réduction de cette activité humaine, voire une diminution de la consommation de poisson, tout en assurant aux pêcheurs un revenu équivalent. Dans cette optique, on pourrait également envisager une revalorisation du poisson par une augmentation de son prix, ce qui lui conférerait une valeur accrue.

M. Théophile Schenker (VER) —

Je partage les propos exprimés tout à l’heure par M. Cherbuin. Le cormoran fait peut-être partie du problème, mais il est difficile de mesurer avec précision son impact réel. Il est évident qu’il ne s’agit pas du seul facteur influençant la baisse des captures de corégones. Pour ma part, le fait que d’autres cantons aient adopté un texte similaire ne constitue pas un argument pertinent dans ce débat. Ce qui importe réellement, c’est de comprendre quel est l’impact exact des cormorans et de mettre en place des mesures réellement efficaces. En effet, si l’on mobilise aujourd’hui d’importants moyens pour la régulation du cormoran et que, par la suite, on se rend compte que cette action n’a qu’un effet limité, ce serait un mauvais usage de l’argent public.

Je me souviens qu’en commission, il avait été question d’études – peut-être celles auxquelles faisait référence M. Bovay tout à l’heure – qui devaient paraître à la fin du mois de juin, soit quelques semaines après notre séance. Ces études étaient censées apporter des éléments sur l’impact du cormoran dans cette problématique.

Enfin, je serais intéressé à entendre M. le conseiller d’État – s’il m’écoute – nous fournir des informations concernant les résultats de ces études. Je vous invite à suivre la position de la minorité et à concentrer vos efforts sur les autres aspects du texte, qui faisaient, eux, l’unanimité en commission.

M. Thierry Schneiter (PLR) —

Je tiens à déclarer mes intérêts : j’habite à Cudrefin, sur la rive sud du lac de Neuchâtel. C’est un lac que je connais bien. J’ai également eu l’occasion d’échanger avec les professionnels qui l’utilisent au quotidien. Pour rappel, les cormorans pêchent environ 400 tonnes de poissons par an, contre 100 tonnes pour la pêche professionnelle. On parle d’une population active estimée à 3000 individus, mais cela ne tient pas compte des oisillons présents dans les nids, généralement au nombre de deux à trois. Cela nous amène à une population totale d’environ 6000 cormorans en pleine saison. En outre, il est aussi important de préciser que les cormorans se nourrissent sans distinction de toutes les espèces de poissons qu’ils peuvent atteindre, indépendamment de leur taille par exemple – contrairement aux pêcheurs professionnels. Un autre point problématique réside dans le fait que les cormorans ne s’attaquent pas aux espèces à croissance rapide, comme le silure ou le brochet, qui sont eux-mêmes des prédateurs pour d’autres poissons du lac. 

Par conséquent, je vous invite à prendre en considération cette motion comme vous y invite le rapport de majorité. 

M. José Durussel (UDC) —

Tout d'abord, j'ai une question à poser à M. le conseiller d’État concernant un sujet qui a été abordé à plusieurs reprises au sein de ce Parlement, mais qui, malgré les différentes interpellations, n’a guère évolué. Ma question est la suivante : quel bilan pouvez-vous faire aujourd’hui de l’efficacité des permis spéciaux qui ont été accordés par vos services aux pêcheurs pour leur permettre de tirer les cormorans depuis leur barque ? Oui, vous avez bien entendu : tirer depuis la barque, ce qui peut s’avérer particulièrement dangereux dans certaines circonstances. Il faut également souligner que le pêcheur est avant tout un pêcheur, pas un chasseur. Cela mérite d’être précisé. De plus, tirer depuis une barque, en fonction des conditions climatiques, comme ce matin, par exemple, avec une bise assez forte sur le lac de Neuchâtel, ce n’est pas une mince affaire.

Monsieur le conseiller d’État, j’ai une deuxième question à vous poser. Qu’en est-il de la proposition que j’avais formulée lors d’une commission ? Ce n’était pas une résolution mais une suggestion de ma part de réfléchir à la possibilité d’utiliser des drones pour diminuer les effectifs de cormorans, en pulvérisant de l’huile végétale sur les nids, ce qui a comme effet de faire avorter les œufs. Cela s’est révélé très efficace dans certains cas, pour d’autres problématiques.

Il y a quatre ou cinq ans, je me suis rendu sur le lac avec un pêcheur d’Yvonand pour vraiment appréhender la réalité du problème. Dès quatre heures du matin, vous êtes seul sur le lac, vous retirez vos filets, mais il n’y a pas grand-chose dedans. Puis, au fur et à mesure que la journée avance, les cormorans apparaissent, se posent autour des barques et se perchent près des pontons, prêts à plonger dans les filets. C’est une expérience qui m’a profondément marqué, car je n’avais jamais vraiment vécu ce type de situations. Cela m’a permis de comprendre concrètement la réalité du métier ; une expérience que je pourrais conseiller à M. Mocchi, pour qu’il prenne la mesure du terrain, de la réalité de cette profession qui, il faut le dire, est en voie de disparition. Il ne reste plus que quelques courageux et très motivés pêcheurs qui persistent encore, notamment sur les trois lacs, peut-être même sur le Léman.

J’attends maintenant de la part de M. Mocchi qui affirme soutenir la pêche professionnelle… mais il est trop facile de simplement l’annoncer, sans toutefois imposer de directives pour améliorer cette profession. Quant à vous, monsieur Cherbuin, vous nous dites que le véritable problème ne vient pas des cormorans. Mais qui est responsable, alors ? L’humain, peut-être, qui mange les poissons ?

En conclusion, sans vouloir m’étendre davantage pour le moment, le groupe UDC vous invite à prendre en considération cette motion.

M. Loïc Bardet (PLR) —

J'ai entendu plusieurs de mes préopinants qui parlaient d'éradiquer une espèce, de tirer à vue. Je me permets de rappeler le premier point des conclusions de la motion : « maintien à un niveau supportable de la population de cormorans par le biais de mesures appropriées. » Il ne s’agit pas de l'éradication complète des cormorans. Ensuite, quant aux chiffres donnés, notamment par le rapporteur de minorité, j’aimerais relever qu’ils datent de 2011. A cette époque, il y avait moitié moins de cormorans sur le lac de Neuchâtel qu’aujourd'hui. Il me semble que ces chiffres doivent être mis à jour. Et c'est ce qui a été fait par les études commandées, notamment par le canton de Vaud, qui nous ont été en partie présentées lors des Assises cantonales de la pêche, mentionnées par M. Cherbuin, qui nous montrent que l'impact est quand même très important. 

Enfin, pour répondre à M. Schenker, sur le caractère non prépondérant des décisions des autres cantons, je rappelle que le lac de Neuchâtel est partagé entre Vaud, Fribourg et Neuchâtel, qu’il existe un concordat pour la pêche sur le lac de Neuchâtel et qu’il s’agit de s’entendre avec nos voisins. 

M. Alberto Mocchi (VER) — Rapporteur-trice de minorité

D’une part, je souhaite préciser que je ne m’exprimais pas en mon nom propre, mais au nom de la minorité de la commission, composée de sept membres. Et, d’autre part, lorsque vous affirmez que nous ne voulons pas soutenir la pêche professionnelle, je pense qu’il est important de revenir au contenu même du texte. Celui-ci comporte trois conclusions principales. Premièrement : la protection des espèces de poissons menacées ainsi que de leurs zones de frai, tout comme celle des écosystèmes lacustres. Sur ce point, nous étions toutes et tous en accord. Ensuite, relativement à la coordination de ces mesures, ainsi que d’autres soutiens à la pêche professionnelle avec les cantons voisins, là aussi, l’unanimité a prévalu.

Monsieur Durussel, je pense que nous partageons toutes et tous la volonté de soutenir la pêche professionnelle, un secteur économique relativement important. Manger du poisson local est, de surcroît, une démarche bien plus durable que d’importer du poisson issu de la surpêche. Personnellement, je connais peu de gens opposés à la pêche locale. En revanche, le rapport de minorité souhaite mettre en évidence que faire du cormoran le bouc émissaire des difficultés que rencontre la pêche ne permettra pas de résoudre ses problèmes. Vous pourrez abattre ou réguler les cormorans autant que vous voudrez, il y a fort à parier que les problèmes de diminution de certaines espèces persisteront, car ils ne sont pas uniquement dus à leur présence. En effet, ces problèmes trouvent leur origine dans une multitude d’autres facteurs : l’arrivée d’espèces allogènes, le réchauffement des eaux, la pollution… Autant de causes qui n’ont rien à voir avec les cormorans. Les cibler exclusivement, c’est donc se tromper de combat. C’est tout ce que dit la minorité de la commission. Mais sur les autres mesures de soutien à la pêche, encore une fois, personne ne s’y oppose. Je vous suis reconnaissant de ne pas nous faire dire ce que nous n’avons pas dit.

M. Oscar Cherbuin (V'L) —

Pour répondre à M. Durussel, je me suis contenté de relayer les conclusions d'une table ronde à laquelle participaient notamment des pêcheurs professionnels. Je n’ai donc rien inventé en affirmant que les cormorans ne sont pas la seule cause de la diminution du nombre de poissons. Par ailleurs, la Maison de la Rivière défend avant tout les poissons, pas les cormorans. Jusqu’à preuve du contraire, je n’ai jamais nié la nécessité d’une régulation des cormorans. Mais il est essentiel de considérer cette problématique dans son ensemble. En outre, ce n’est pas une question de gauche ou de droite ni une opposition de principe. Il s’agit simplement de reconnaître une réalité : même si l’on régule les cormorans, cela ne suffira pas à résoudre le problème de la baisse du nombre de poissons dans nos lacs. C’est un phénomène qui doit être suivi lors de tables rondes en présence d’acteurs et de partenaires qui doivent trouver des solutions ensemble. 

Mme Josephine Byrne Garelli (PLR) —

Monsieur le Secrétaire général, je vous ai envoyé une image des arbres qui sont abîmés par les cormorans, parce que mon collègue Pierre-André Romanens en a parlé. Effectivement, cela ressemble vraiment à une invasion de sauterelles qui arrivent et qui ravagent tout sur leur chemin. Et si vous les regardez atterrir sur le lac quand il y a tout d'un coup un banc de poissons qui passe, c'est véritablement impressionnant !

* insérer image

M. Vassilis Venizelos (C-DJES) — Conseiller-ère d’Etat

Je constate dans ce débat que chacun a en partie raison, même si l’on perçoit deux bords, les arguments avancés de part et d’autre ne sont pas loin de la réalité. Permettez-moi tout de même de revenir sur quelques éléments. D’abord, il est vrai qu’on observe actuellement une stabilisation des effectifs de cormorans, notamment sur le lac de Neuchâtel et le lac Léman, même si leur présence continue de poser un réel problème pour l’activité de la pêche, et cela doit être reconnu. Des solutions doivent être trouvées.

Concernant leur régulation, il est important de rappeler que les tirs effectués par les pêcheurs ne visent pas à contrôler les populations, mais à protéger leur matériel ou à procéder à des tirs d’effarouchement lorsque les cormorans s’approchent du poisson pêché. Ce n’est pas leur rôle ni leur responsabilité d’assurer une régulation à proprement parler. À cet égard, je rejoins ce qui a été dit précédemment : demander aux pêcheurs de réguler les cormorans revient un peu à demander aux éleveurs de réguler le loup – ce n’est pas leur métier. Aujourd’hui, les tirs d’effarouchement par les pêcheurs professionnels sont encadrés et autorisés par les cantons. Il existe même une coordination entre les cantons concernant les mesures et normes appliquées, notamment sur le lac de Neuchâtel. À ce titre, la majorité des cantons, y compris le canton de Vaud, a soutenu la proposition de raccourcir la période de protection du cormoran. Cette proposition n’a cependant pas été retenue par le Conseil fédéral dans le cadre de l’ordonnance. En résumé, la question de la régulation du cormoran n’est pas taboue, c’est une question actuellement sur la table, activement discutée. Elle fait partie des mesures mises en œuvre pour répondre aux difficultés rencontrées par les pêcheurs professionnels, et nous l’appliquons, bien entendu, dans le strict respect du droit existant.

Pour rebondir sur certaines propositions évoquées, notamment celle de l’utilisation de drones pour répandre de l’huile bouillante sur les nids, cela m’évoque certaines périodes médiévales sombres… Mais au-delà de cette image, il faut rappeler que les cormorans nichent principalement dans des zones protégées, au cœur de réserves naturelles. Or, faire voler des drones dans ces zones est tout simplement interdit. Et verser de l’huile, quelle qu’elle soit, sur des nids est une méthode que je ne saurais, en aucun cas, soutenir.

Plus largement, chaque fois qu’une espèce interfère avec une activité humaine, la tentation facile ou simple est grande d’y répondre par la régulation, voire par l’éradication. On retrouve ce réflexe dans les débats autour des corneilles, du loup, ou d’autres espèces. Mais si l’on veut sérieusement enrayer l’érosion de la biodiversité, ce type de réponses systématiques ne peut pas être une solution. Elle n’améliorerait en rien l’état de la biodiversité. Cela ne signifie pas pour autant qu’il ne faut pas chercher de solutions pour soutenir les pêcheurs. Et comme M. Cherbuin l’a justement souligné, c’est un faisceau de mesures cohérentes qu’il s’agit de déployer pour faciliter la vie des pêcheurs professionnels qui doivent faire face au réchauffement climatique – et par conséquent celui des eaux – qui est sans doute la principale menace pour la pêche aujourd’hui et qui a un effet direct sur la présence de poissons et donc sur la viabilité même de cette activité. 

C’est précisément pour cette raison que mon département a organisé en juin 2024 les premières Assises de la pêche. Nous avons réuni les représentants des pêcheurs professionnels ; plusieurs députés étaient également présents. A cette occasion, plusieurs ateliers ont été organisés, donnant lieu à de nombreux échanges et propositions. Je sais que le rapport et le plan d’action sont très attendus par les milieux concernés. Je dois reconnaître que mon département a pris un certain retard dans cette publication, mais selon les dernières informations, ce plan devrait être disponible d’ici la fin de ce semestre. De nombreuses idées intéressantes ont été apportées. Cela peut sembler anodin, mais c’est en réalité la première fois que les pêcheurs professionnels ont été réunis autour d’une même table pour discuter en profondeur des difficultés qu’ils rencontrent et réfléchir collectivement à des solutions. L’une des propositions majeures qui en est ressortie consiste à mieux intégrer les acteurs de terrain dans les organes décisionnels, notamment au sein de la Commission de la pêche. Cela permettrait un meilleur pilotage des différentes mesures en fonction du terrain. Cette mesure figurera d’ailleurs dans le plan d’action.

D’autres mesures, d’ordre plus infrastructurel, ont également été évoquées, notamment relativement aux difficultés en matière d’aménagement du territoire qui ne facilitent pas toujours l’activité de la pêche. Enfin, les plans de repeuplement des cours d’eau et des lacs constituent un autre levier important. Ces discussions se tiennent au niveau intercantonal, et plusieurs pistes sont actuellement explorées pour renforcer l’activité de la pêche professionnelle. 

En conclusion, il n’existe pas une seule solution miracle qui nous permettra d’accompagner les pêcheurs professionnels au mieux, mais plusieurs mesures qui devront être déployées. La régulation ou l’effarouchement du cormoran ne doit pas être un tabou – cela peut faire partie de la boîte à outils dans certaines situations — mais il ne faut pas non plus en faire une baguette magique ou une recette miracle, capable à elle seule de résoudre l’ensemble des problèmes. S’agissant de la motion, je crois que le désaccord entre majorité et la minorité porte sur la formule « maintien à un niveau supportable de la population de cormorans ». Si nous parvenons à nous entendre sur ce que signifie « niveau supportable », alors nous aurons trouvé un chemin.

En tous les cas, le Conseil d’État prend très au sérieux la situation des pêcheurs professionnels et souhaite les accompagner par des mesures concrètes, dans leur activité qui est de plus en plus pénible. Nos discussions, tout comme l'intervention à l'origine de cette motion, contribueront au débat et appuieront les différentes mesures portées par le Conseil d'Etat.

M. José Durussel (UDC) —

Veuillez m’excuser d’intervenir après vous, monsieur le Conseiller d’État, mais je me permets quand même de rectifier un point, parce qu’il ne faut pas non plus déformer mes propos… je n’ai jamais parlé d’huile végétale bouillante à déverser sur les nids ! Il s’agit d’une huile végétale traditionnelle, utilisée à des températures logiques. Et puis, quant aux drones : aujourd’hui, chaque printemps – et ça va recommencer dans à peine trois semaines dans nos campagnes – des drones survolent des prairies écologiques, des prairies naturelles, pour repérer et sauver des faons, avec une précision vraiment impressionnante. Ce sont des technologies qui existent, qui fonctionnent, et qui sont déjà utilisées sur le terrain, avec succès. Les drones modernes, en plus, sont très silencieux, justement pour ne pas effrayer les jeunes faons ou perturber la faune locale. Et ce sont souvent des organisations volontaires qui s’en chargent. Nul besoin d’ETP. 

M. Vassilis Venizelos (C-DJES) — Conseiller-ère d’Etat

Les cormorans vont nicher dans les réserves d'oiseaux d'eau et migrateurs d'importance internationale et nationale. C'est une ordonnance fédérale qui fixe les règles de ce qui est possible de faire dans ces secteurs ou pas. A l'époque, une requête avait été portée auprès de l’OFEV pour envisager différentes activités dans ces réserves, notamment l'utilisation de drones, comme le propose le député Durussel. L’OFEV a très clairement écarté cette possibilité compte tenu du contenu de cette ordonnance fédérale. Ainsi, même s'il y avait une volonté politique cantonale d'aller dans cette direction, le droit fédéral nous l'interdirait. 

M. Sébastien Humbert (V'L) —

Monsieur le conseiller d'Etat, veuillez m’excuser de prendre la parole après vous. J'ai une question de clarification. S'il y a eu un rapport de minorité pour supprimer le point 1, ne faut-il pas formellement déposer un amendement pour supprimer le point 1 et qu'on le vote, puisque que c'était l'objet du rapport de minorité ? Je vous remercie par avance pour la clarification.

M. Jean-François Thuillard (UDC) — Président-e

La prise en considération totale, opposée à une prise en considération partielle, est choisie par 76 voix contre 59 et 1 abstention.

Le Grand Conseil prend la motion en considération par 84 voix contre 28 et 26 abstentions. 

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