Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 1er novembre 2022, point 14 de l'ordre du jour

Documents

RC n°2_EMPD 248 Gérard Mojon avec annexe

RC_EMPD_248

EMPL-D et préavis_ texte adopté par CE_248_VF

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

Dans la situation d’une initiative riche d’un contre-projet du Conseil d'Etat, l’article 132, alinéa 4 de la Loi sur le Grand Conseil s’applique. Par conséquent, nous devons d’abord voter sur le principe de l’innovation envisagée.

M. Gérard Mojon (PLR) — Rapporteur-trice

Si les plus anciens d’entre vous ont l’impression que nous avons déjà parlé de l’objet dont il est question aujourd'hui, ils ne rêvent pas, car tel est bien le cas ! En effet, le 30 juin 2021, le Grand Conseil a déjà débattu de cet objet, mais une motion d’ordre a demandé son renvoi en commission, avant le vote d’entrée en matière, car les données chiffrées relatives à la consommation des chauffages électriques manquaient de clarté.

La commission s’est donc à nouveau réunie et a accompli son travail ; elle a repris l’ensemble des éléments, en commençant par demander au département en charge du dossier de s’informer auprès des gestionnaires de réseaux afin de connaître les consommations effectives. Je vous rassure : ce point a été élucidé. Vous pouvez consulter l’état des travaux du département à ce sujet à la deuxième page de mon rapport. Ces éléments permettent de clairement réconcilier les chiffres présentés, d’une part, par l’association Choc Electrique , et de l’autre, par la Direction de l’énergie (DIREN). En effet, les chiffres avancés par Choc Electrique ne portent – et n’ont jamais porté – que sur les consommations des particuliers, alors que ceux de la DIREN incluent les entreprises. Compte tenu de cette précision, les données avancées par les deux parties – même si elles ne satisfont pas chacun à 100 % – deviennent du moins cohérentes et ont satisfait la commission.

La commission a jugé utile de procéder à deux auditions. D’abord, celle de M. Jean-Pierre Mérot, Président de l’association Choc Electrique qui regroupe environ 2200 – le chiffre indiqué dans le rapport est une erreur – propriétaires de logements avec chauffages électriques. M. Mérot nous a expliqué que le Modèle de prescription énergétique des cantons (MoPEC) de 2018, en vigueur au moment où la révision de la Loi sur l’énergie (LVLEne) a été préparée, énonce qu’il est interdit de remplacer un chauffage électrique fixe à résistance alimentant un système de distribution ou un réseau de chaleur d’eau, c’est-à-dire les systèmes dits centralisés. Ce qui pose problème aux yeux du président de Choc Electrique et à ceux de ses membres réside dans le fait que l’administration a étendu cela – sans raisons selon eux – à l’ensemble des chauffages et chauffe-eau et donc aux chauffages décentralisés. Pour M. Mérot, la solution se trouve dans la diversification. Un chauffage électrique de base pouvant par exemple être très bien complété par un chauffage à pellets ou à bois. De plus, il mentionne que les modèles récents de chauffages électriques permettent de substantielles économies. Je vous laisse découvrir le reste des argumentations dans mon rapport.

La deuxième personne que la commission a décidé d’auditionner est le professeur Daniel Favrat, ancien professeur et directeur de laboratoire d’énergie industrielle à l’EPFL. Pour M. Favrat – il nous l’a répété à de multiples reprises – parmi tous les usages, le chauffage électrique est la plus grande source d’inefficacité ou d’une mauvaise utilisation de l’électricité directe. A la question de savoir si l’économie réalisée en supprimant les chauffages électriques permettrait de compenser le manque d’électricité en hiver, le professeur Favrat a clairement répondu que le remplacement de ces chauffages directs par des Pompes à chaleur (PAC) , par exemple, ne va pas résoudre tous les problèmes hivernaux, mais y contribuera. En outre, on cherche à supprimer un maximum d’inefficacité ; or le chauffage électrique constitue le système le plus inefficace.

Au moment où la discussion générale s’est engagée, la conseillère d’Etat alors en charge du département nous a rappelé que, quelques jours avant la séance, soit le 15 juin 2022, le Conseil national avait approuvé le contre-projet indirect à l’initiative dite « des glaciers ». Par conséquent, il a accepté la modification de la LVLEne en prévoyant que la Confédération lançait un programme extraordinaire, d’une durée de dix ans, destiné à remplacer les installations de chauffage à combustibles fossiles, les chauffages électriques à résistance et les installations de préparation d’eau chaude. Ce serait accompagné d’un arrêté fédéral fixant la contribution de la Confédération à ce programme extraordinaire à 200 millions de francs par an sur 10 ans, de 2023 à 2033. Mme la conseillère d’Etat a encouragé la commission à tenir compte de ce vote du Conseil national, mais s’en est tenue au contre-projet que le Conseil d'Etat nous avait soumis.

Au niveau de l’ensemble des votes et décisions, la commission a d’abord décidé d’entrer en matière sur le principe d’innovation. Ensuite – et elle le recommande – elle entre en matière sur le projet de loi. Au vote final, en revanche, elle accepte le projet de loi tel qu’il est proposé par le Conseil d'Etat, mais recommande de refuser le projet de loi issu de l’initiative au profit du contre-projet. Si vous suivez sa recommandation, la commission vous propose d’entrer en matière sur le projet de décret qui découle de la modification de la Loi sur l’énergie (LVLEne). Je n’entre pas dans le détail des articles du décret parce que de nombreuses demandes d’amendements ont été déposées et beaucoup de votes ont eu lieu. Nous les commenterons au fur et à mesure du déroulement des travaux, pour autant que Mme la présidente soit d’accord avec cette manière de procéder. En résumé, la commission vous propose d’accepter le principe d’innovation et d’entrer en matière sur le contre-projet, c’est-à-dire de refuser la loi issue de l’initiative que le Conseil d'Etat a dû vous présenter, l’initiative l’y obligeant.

M. Hadrien Buclin (EP) —

Je ne suis pas certain de comprendre la manière de procéder. Faut-il intervenir au niveau général, à ce stade, ou attendre ?

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

Nous pouvons mener le débat d’entrée en matière à ce stade.

M. Hadrien Buclin (EP) —

Enfin, après des années de tergiversations, le Grand Conseil est saisi d’un projet visant à assainir les chauffages électriques qui constituent, comme l’a rappelé le professeur Favrat auditionné par la commission, la technique de chauffage la plus inefficace et la plus énergivore. Par conséquent, il y a urgence à sortir de cette technique de chauffage dans un délai raisonnable. Cela d’une part pour protéger le climat, car une partie de l’énergie consommée n’est pas de l’énergie renouvelable – rappelons qu’en Suisse, environ un quart de l’énergie consommée est d’origine fossile ou nucléaire. D’autre part, nous en avons largement parlé cet après-midi, la croissance de la demande d’électricité notamment liée à l’électrification du parc de véhicules menace d’entraîner des pénuries d’électricité.

Ainsi, pour diminuer les risques de pénurie, s’attaquer au mode de consommation très énergivore que sont les chauffages électriques est prioritaire. En outre, il existe un potentiel de réduction de la consommation énergétique cantonale d’au moins 10 % – une marge significative – d’autant que les chauffages électriques pèsent sur la consommation durant l’hiver, lorsqu’il y a des tensions sur l’approvisionnement électrique. Tout retard dans ce dossier serait d’autant plus incompréhensible que nous avons désormais toutes les cartes en main pour nous passer des chauffages électriques, ou au moins pour nous assurer que ceux-ci soient directement branchés sur une source d’énergie renouvelable. En effet, nous possédons des technologies matures dont les premières sont les pompes à chaleur, bien qu’il en existe d’autres, dont des techniques qui permettent un certain confort l’été en période de canicule avec la possibilité de refroidir de quelques degrés les bâtiments et les logements. En outre, il existe des subventions très importantes pour les propriétaires. L’argument financier pèse par conséquent de moins en moins lourd. Pour ces raisons, nous appuierons en particulier le décret qui vise à fixer un délai contraignant et reviendrons pour en suggérer un plus rapide que celui proposé par le Conseil d'Etat d’abord puis par la commission.

M. Guy Gaudard (PLR) —

Je tiens à remercier mon collègue Mojon pour son rapport exhaustif. Je ne partage évidemment pas l’avis de mon collègue Buclin. Je déclare mes intérêts comme titulaire d’une maîtrise fédérale en installations électriques, je connais ainsi plutôt bien le domaine. En outre, mon examen fédéral sur la connaissance des matériaux portait sur ce sujet. Je suis également membre du comité de l’association Choc électrique.

Ce sujet très sensible vient s’ajouter à ceux concernant le climat et l’énergie qui nous impactent fortement actuellement. Il est donc indispensable de ne pas le traiter à la légère et d’éviter de culpabiliser les propriétaires de logements qui disposent de ce type de chauffages fortement commercialisés par les différents services industriels de l’époque. En effet, cela allait de l’introduction électrique du bâtiment gratuite à un prix du kilowattheure défiant toute concurrence ainsi que divers avantages que n’avaient pas les autres utilisateurs d’énergies fossiles.

Lors de nos travaux de commission, plusieurs collègues ne maîtrisant pas très bien le dossier ont proposé d’avancer la date d’éradication de ce système de chauffage, pensant que grâce à cette mesure la planète irait mieux, mais en oubliant que de nombreux foyers occupés souvent par des citoyens retraités ne pourraient pas remplacer ce système par un autre. Ils ont également omis de souligner qu’il s’agit du seul chauffage qui ne dégage pas de CO2 et peut être délesté en tout temps, ce qui signifie qu’en tout temps les services industriels peuvent couper l’alimentation des chauffages électriques.

Certains collègues semblent penser que nous résoudrons nos problèmes énergétiques en les supprimant. Toutefois, aucun d’eux n’a parlé des chauffe-eau électriques qui équipent de nombreux locatifs dans notre canton et dont la majorité fonctionne à l’électricité. Comment va-t-on procéder pour les remplacer ? D’autres confondent le chauffage centralisé et décentralisé. Je rappelle que le chauffage centralisé équipe des pièces de logement au moyen de prises électriques, alors que le chauffage décentralisé est fourni par une chaudière hydraulique, électrique qui se trouve en principe dans la chaufferie. Ils se sont aventurés à amender certains articles d’assainissement comme si ce changement de chauffage s’opérait en deux temps, trois mouvements. Mme la conseillère d’Etat Métraux avait proposé de les supprimer d’ici 2036 ; certains collègues déjà pour 2028 ou 2033.

En cas d’entrée en matière, le PLR déposera plusieurs amendements visant à préserver les intérêts des personnes se chauffant à l’électricité. Avec tous les objectifs climatiques et énergétiques auxquels nous devons faire face tels que l’installation de panneaux solaires, d’éoliennes, d’isolation périphérique, etc., les délais fixés seront trop courts. La génération baby-boom part à la retraite ; il faudra des bras et des ressources. Peut-être que la solution viendra de la migration utile ? De nombreux collègues pensent que l’éradication du chauffage électrique permettra d’installer une multitude de bornes de recharge pour véhicules électriques, un principe de mobilité gourmand qui a été choisi un peu précipitamment. Cessons de penser que la voiture électrique constituera le remède à la pollution et au réchauffement climatique ! L’équipement d’un logement chauffé électriquement qui doit être remplacé nécessite de gros travaux de tuyauterie et coûte cher. Nos retraités ne pourront pas payer, malgré les subventions de tous bords que cite mon collègue Buclin. Attendons qu’ils vendent leur bien pour assainir leurs installations.

En outre, il est important de savoir que la technique de chauffage électrique a fortement évolué et que son efficience s’est améliorée. Je procède à une petite démonstration (il expose un modèle de chauffage électrique). Voici un chauffage électrique dit intelligent, c’est-à-dire un chauffage qui va automatiquement abaisser sa température si une fenêtre est ouverte ou si quelqu’un sort de la pièce. Ce convecteur est relié numériquement par un bus et donne des ordres aux radiateurs, raccordés en parallèle. La nouvelle génération de convecteurs n’a plus rien à voir avec les anciens « grille-pain » que chacun connaît, ces radiateurs rectangulaires, beiges, composés d’une tôle très mince, qui consommaient beaucoup d’énergie et étaient réglés au moyen d’un thermostat. Au contraire, ce nouveau modèle intelligent qui peut être commandé par I phone possède un temporisateur, un thermostat incorporé ; il est avantageux au prix d’achat et il a toutes les qualités pour remplacer le chauffage électrique actuel. En outre, personne n’est en mesure de nous donner la part exacte de consommation du chauffage électrique au niveau cantonal. Actuellement, il semble que cela concerne 5,3 %, c’est-à-dire relativement peu. Préfère-t-on intensifier la consommation due aux bornes de recharge électrique et laisser nos aînés manquer de confort ? Souvenez-vous que des villages entiers sont chauffés par ce système.

Le Conseil fédéral a proposé d’allouer 200 millions pendant 10 ans pour remplacer tous les types de chauffages. Je vous rends attentif au fait que si nous divisons par 26 cantons, cela fait environ 10 millions, certains cantons étant plus grands que d’autres. Nous avons souvent pensé que l’électricité était un dû, une matière première trop longtemps méprisée par la politique et sous-évaluée. Ne croyez-vous pas que, face au mazout et au gaz, le chauffage électrique serait plutôt la solution que le problème ? Pensez également aux cuisinières et autres consommateurs électriques. Heureusement que l’installation de cellules photovoltaïques se développe rapidement et pallie de ce fait une partie de l’énergie prélevée sur le réseau. Comment fonctionneraient les fours industriels électriques si ce moyen de chauffage venait à être supprimé ? Raisons pour lesquelles je vous invite à procéder à une pesée d’intérêts : supprimer le chauffage électrique n’est pas la solution. En effet, d’autres mesures doivent être prises pour respecter l’énergie. Je vous recommande de refuser l’entrée en matière.

Mme Claire Attinger Doepper (SOC) —

Diminuer notre consommation d’énergie est devenu en quelques mois une question capitale, incontournable, indispensable, non seulement pour des questions écologiques et de protection de l’environnement, mais également pour des aspects politiques et économiques confirmés par des tarifs qui aujourd'hui prennent l’ascenseur. S’agissant des objets sur lesquels nous allons nous prononcer, le remplacement des chauffages électriques ne garantit de loin pas la nécessaire économie d’énergie que nous devons entreprendre rapidement pour cet hiver. Cette contribution va participer à supprimer l’inefficacité crasse qu’ils créent. La plupart des spécialistes – n’en déplaise à mon collègue qui vient de s’exprimer – sont d’accord : il est urgent de changer les systèmes de chauffage électrique directs, consommateurs d’énergie parmi les plus inefficaces qui soient. Ainsi, le parti socialiste va soutenir le principe de l’innovation, tel qu’adopté en commission, et nous reviendrons sur le décret relativement aux délais d’assainissement au moment où nous aborderons les articles concernés.

M. Felix Stürner (VER) —

Je me fais en partie le porte-parole de notre collègue Jean-Yves Pidoux à la base de l’initiative : il s’était lui-même déclaré très satisfait du contre-projet. C’est dans ce sens que les Verts vous proposent d’entrer en matière sur le contre-projet. La discussion qui vient de se tenir sur les deux objets précédents démontre l’urgence d’agir, d’entrer dans une forme de sobriété énergétique. Le chauffage électrique ne me paraît pas s’inscrire dans cette perspective et à ce titre, nous nous prononcerons en faveur du contre-projet. Pour le décret, le deuxième volet de la commission – et je remercie le rapporteur pour son deuxième rapport très complet – montre bien, notamment grâce à l’expertise du professeur Favrat, que l’efficacité énergétique des chauffages électriques est à peu près nulle et qu’aujourd'hui nous devons visiblement rechercher d’autres solutions et moyens. Il est notamment fait référence aux PAC qui permettent de réguler été comme hiver un certain nombre de problématiques, pour sortir de l’idée de continuer à travailler avec des chauffages électriques. C’est dans ce sens que les Verts auront des propositions à amener.  

Mme Cloé Pointet (V'L) —

Depuis la dernière fois que nous avons traité cet objet, le contexte général a beaucoup évolué, le rendant encore plus pertinent. Pour atteindre les objectifs énergétiques sans péjorer de façon conséquente notre confort, nous devons consommer mieux. Et, s’il y a 30 ans, le chauffage électrique direct était une forme de « consommer mieux », ce n’est plus le cas aujourd’hui. Malgré une interdiction de montage et de renouvellement des chauffages électriques directs depuis 2006, le nombre d’installations de ce type stagne et ne semble pas diminuer «naturellement». Bien que les augmentations actuelles et futures des prix de l’électricité puissent accélérer l’assainissement des installations électriques directes, nous n’avons plus le temps de compter sur cette éventuelle accélération, de surcroît si nous essayons de limiter les augmentations de prix en subventionnant à tout va. Par conséquent, je souhaiterais souligner deux arguments soutenant le contre-projet.

Premièrement, ce projet est proportionné. Nous sommes face à deux types d’installations : celles dans les bâtiments étant équipés d’un circuit d’eau – centralisé – et celles dans des bâtiments ne l’étant pas – décentralisé. Deux problèmes différents, deux solutions adaptées. Ensuite, si l’on reprend les différents chiffres – rectifiés depuis le dernier passage en plénière de cet objet – concernant la consommation de ces chauffages qui touchent 15'000 bâtiments – et 27'000 pour les chauffe-eau électriques – on obtient entre 8,5 et 13 % de l’électricité consommée annuellement dans notre canton. En assainissant, on peut diviser la consommation pour le chauffage par un facteur compris entre 2 et 4. Cela signifie qu’en touchant uniquement une petite partie des bâtiments vaudois, on peut éliminer au minimum 4,25 % de notre consommation électrique. Et j’insiste sur le mot minimum, car ces 4,25% sont obtenus en prenant à chaque fois les chiffres les plus pessimistes…

En conclusion, les Vert’libéraux vous recommandent de voter l’entrée en matière.

M. Laurent Balsiger (SOC) —

Bien que déçu que nous n’ayons pu muscler le projet de décret très symbolique du point précédent, je me réjouis de traiter la problématique des chauffages électriques, car nous touchons une question clé pour les enjeux de pénurie et de révolution énergétique que nous devrons un jour, je l’espère, empoigner sérieusement dans ce cénacle. D’abord, je déclare mes intérêts : je suis toujours spécialiste en énergie, diplômé postgrade EPFL en la matière, directeur d’un distributeur d’énergie, président de Multidis, et ancien directeur de l’énergie du canton de Vaud. A ce dernier titre, avec mes collègues de l’époque que je salue, j’ai largement participé à l’élaboration du décret que vous avez sous les yeux.

Quel temps précieux perdu à tergiverser depuis tant d’années sur un objet d’une telle importance ! Imaginez si, en 2013, nos prédécesseurs avaient adopté l’article 30, alinéa 3, de la Loi vaudoise sur l’énergie relatif au délai d’assainissement des chauffages électriques, article présenté par une conseillère d’Etat PLR, Jacqueline de Quattro. Imaginez un instant que la moitié des bâtiments concernés aient procédé aux rénovations à ce jour ! Nous consommerions 5, voire 10 % de moins cet hiver ; car avec une consommation moyenne de 5 à 10 % par an pour tous les chauffages et autres chauffe-eau électriques, cela correspond à une part de quelque 10 à 20 % de la consommation hivernale, contre moins de 1 % pour le décret que nous venons de voter. Ainsi, atteindre seulement la moitié de cet objectif nous éviterait les deux premières mesures du Plan Ostral : les économies d’énergie et les interdictions. Cependant, si elles étaient mises en œuvre – ce qui est souhaitable et qui nous ferait franchir quelques pas – elles permettraient de ne pas mettre en œuvre le contingentement tant redouté par nos entreprises.

Aujourd’hui, au seuil de plusieurs hivers difficiles avec des risques de pénurie difficiles à gérer, nous ne pouvons plus dire, comme ce fut le cas en 2012, que cette interdiction est inutile, et comme on vient de l’entendre à peu près de la part de M. Gaudard, que de toute façon il y a et il y aura toujours assez d’électricité ; nous ne pouvons plus dire cela. Nous ne pouvons plus nous permettre de ne plus y faire attention. Pour éviter le gaspillage d’une énergie précieuse – et l’électricité l’est le plus – et surtout pour réduire rapidement le risque de pénurie pour les années à venir, il faut soutenir ce décret mesuré qui propose des alternatives à ceux qui ont fait ou souhaitent faire des efforts, comme d’isoler leur maison ou de produire sur place de l’énergie renouvelable. S’il n’y avait déjà aucune raison de ne pas y consentir en 2012, il existe une véritable urgence à s’y employer aujourd'hui.

Pour répondre à M. Gaudard, j’aimerais lui rappeler quelques chiffres. Une PAC est trois à cinq fois plus efficace qu’un chauffage ou un chauffe-eau électrique. Il existe d’ailleurs des chauffe-eau PAC. Il n’y a aucune raison de maintenir un chauffe-eau électrique quand on peut très avantageusement – de surcroît avec la hausse des prix que nous allons vivre – bénéficier de chauffe-eau PAC qui permettront des économies rapides à leurs propriétaires et aux locataires… à bon entendeur, salut ! Quant à une voiture électrique, son efficacité énergétique est trois fois supérieure à celle d’une voiture fossile… j’ignore comment vous faites vos calculs, monsieur Gaudard… car une voiture électrique équivaut à 90 % d’efficacité, alors que les véhicules fossiles sont de véritables chauffages ambulants, à quelque 30 % d’efficacité.

Il faudra une révolution énergétique et des investissements massifs pour opérer la transition énergétique. Mais, si nous nous passons de ces équipements efficients et que nous continuons de gaspiller l’énergie, je ne vous explique pas… ! Ce ne sont pas seulement tous les toits, une partie des Alpes et des terrains de foot qu’il faudra recouvrir, mais aussi les collines avec des éoliennes… je ne crois pas qu’il soit souhaité d’en arriver à ce point. Faisons par conséquent les efforts en vue de la sobriété et de l’efficacité énergétique et fuyons l’immobilisme qui nous maintient dans une dépendance aux énergies fossiles et nucléaires, à la merci de ceux qui les vendent, sans parler bien entendu de la catastrophe climatique. Je vous recommande très instamment de soutenir le contre-projet, élément clé tant pour une lutte efficace contre les risques de pénurie que tremplin indispensable à la révolution énergétique.

M. Sylvain Freymond (UDC) —

Pour prendre sa décision, la commission s’est basée sur le contre-projet à l’initiative dite « des glaciers » qui prévoit de verser 2 milliards de francs sur 10 ans aux cantons pour l’assainissement des différents systèmes de chauffage, y compris l’assainissement des chauffages électriques. Dans l’immédiat, il nous paraît impossible de prendre une décision à ce jour, compte tenu de l’absence de garantie relative à l’obtention des financements fédéraux prévus dans le contre-projet. Pour rappel, le montant des subventions s’élèverait à environ 20 millions de francs par année pour le canton de Vaud. Les rénovations pouvant être très conséquentes, il sera impératif de savoir quels montants sont en jeu avant de prendre une décision sur la date d’interdiction d’utilisation des chauffages électriques. Concrètement, si nous nous engageons aujourd'hui et que le contre-projet est rejeté, nous serons engagés sur un assainissement massif sans en connaître les conséquences financières.

Dans sa majorité, le groupe UDC acceptera par conséquent l’innovation, mais déposera une motion d’ordre par la suite pour renvoyer le texte au Conseil d'Etat en attendant la votation fédérale en 2023.

M. Hadrien Buclin (EP) —

Pour réagir aux propos de MM. Gaudard et Freymond, j’aimerais rappeler que la commission a auditionné des spécialistes reconnus de cette question – en particulier le professer Favrat – qui contredisent totalement vos propos, monsieur Gaudard. Je considère que nous devons davantage accorder notre confiance à l’appréciation de ce spécialiste, pour la raison simple qu’il n’a pas d’intérêts commerciaux directs dans le domaine, alors que de votre côté, vous vous trouvez tout de même dans un certain conflit d’intérêts.

Le professeur Favrat considère que le chauffage électrique est aujourd'hui la pire pratique de mésusage de l’électricité, car il existe des techniques qui consomment entre 3 et 5 fois moins que les chauffages électriques. Par comparaison, dans le cas des chaudières à mazout, la consommation est de deux à trois fois supérieure. Les chauffages électriques sont vraiment pires que ceux à mazout qui par ailleurs posent d’autres problèmes. Le professeur Favrat considère également – ce qu’il a indiqué très clairement lors de l’audition – que la technique du chauffage électrique stagne du point de vue de son efficacité par rapport à d’autres technologies comme les PAC, dont l’efficacité, elle, a progressé significativement ces dernières années. En effet, même avec un chauffage qui s’éteint lorsque les portes s’ouvrent, transformer directement de l’énergie en chaleur reste en soi quelque chose de totalement inefficace – un fait indubitable auquel, monsieur Gaudard, vous ne pourrez vous opposer. En outre, votre propos admet un aspect assez contradictoire, puisque vous parlez de chauffages intelligents qui désormais peuvent être installés ; or, je vous rappelle que remplacer un chauffage électrique par une autre installation électrique est aujourd'hui interdit par la Loi sur l’énergie. Par conséquent, nous faire miroiter de nouveaux chauffages qui arriveraient sur le marché est tout simplement contraire aux faits, puisque les propriétaires n’ont pas le droit de les installer, à moins que vous ne reconnaissiez que des propriétaires le font en toute illégalité ; un débat que nous pourrions mener dans la suite de nos travaux.

Enfin, même en admettant que le contre-projet à l’initiative dite « des glaciers » soit refusé, il est clair qu’il resterait financièrement avantageux de remplacer son chauffage électrique par un chauffage renouvelable. D’autres subventions existent indépendamment de celles qui pourraient venir s’ajouter au niveau de la Confédération et, surtout, vous amortissez le coût du changement au fil des années par les économies de charges d’électricité. Rapidement, le système devient avantageux. Pour toutes ces raisons, monsieur Gaudard, vous menez, me semble-t-il, un combat d’arrière-garde qui n’est plus en phase avec les enjeux actuels.

M. Guy Gaudard (PLR) —

Entendre M. Buclin dire qu’il s’agit d’un combat d’arrière-garde… j’estime qu’il faut qu’il révise un peu ses bases en électricité et en chauffage de cette nature ! Quant aux propos de mon locuteur précédent quant au fait que je privilégierais le chauffage électrique et la voiture thermique aux véhicules électriques, cela est erroné, car ce n’est pas ce que j’ai dit. En effet, supprimer le chauffage électrique équivaudra à utiliser cette énergie pour charger les véhicules électriques. Nous savons que la proportion de véhicules électriques sur le marché est énorme. Tous les constructeurs s’y mettent. A un certain moment, nous serons de toute façon confrontés à un problème lié à ces bornes de recharge. Voilà ce que j’ai simplement dit. Ce n’est pas en supprimant 5 % d’énergie et en ajoutant 20 % que nous réglerons le problème. J’espère que nous pourrons à nouveau débattre de ce sujet la semaine prochaine. 

M. Vassilis Venizelos (CE22-27) — Conseiller-ère d’Etat

Je suis ravi que ce débat puisse avoir lieu 8 ans après le dépôt de l’initiative de notre collègue Jean-Yves Puidoux, que je salue s’il nous écoute. Comme indiqué par plusieurs d’entre vous, l’une des clés de la réussite de la transition énergétique réside probablement dans l’efficacité énergétique, avec la sobriété énergétique et la production d’énergies renouvelables. Cela a été rappelé par le biais des propos du professeur Favrat : les chauffages électriques sont particulièrement inefficients ; il s’agit d’un fait et non d’une position partisane. En revanche, le changement des systèmes nécessite parfois des investissements importants, raison pour laquelle, d’une part, le canton possède un Fonds pour l’énergie pour accompagner différentes mesures et notamment pour s’affranchir de ces chauffages fossiles.

Par le biais de son contre-projet à l’initiative dite « des glaciers », la Confédération mettra sur la table deux milliards, ce qui représente à peu près 200 millions pour le canton de Vaud, soit 20 millions par année. Si on y ajoute la part cantonale, cela signifie que nous bénéficierons de 40 millions par année pour changer les différents systèmes de chauffage. Cela est évidemment dépendant de la votation qui aura lieu suite au dépôt du référendum, mais indépendamment de cette votation, une volonté très forte du Conseil d'Etat prévaut de nous affranchir de nos appareils les plus inefficients, et des moyens sont à disposition pour compléter le dispositif, si nécessaire. Je me réjouis que ce débat puisse se déployer et du vote portant sur l’opportunité ou non d’une innovation, un levier important dans la perspective de la réussite de la transition énergétique. Nous avons débattu tout à l’heure de décrets urgents sur des mesures à court terme ; il est important d’inscrire notre action sur le long terme dans la perspective d’une transition énergétique qui nécessite de déployer tous les efforts.

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

Le Grand Conseil accepte le principe d’innovation par 88 voix contre 24 et 8 abstentions.

Le débat est interrompu.

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