Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 25 mai 2021, point 19 de l'ordre du jour

Texte déposé

Le 13 juin prochain, la population Suisse est amenée à voter sur deux initiatives radicales qui sont intitulées « pour une eau potable propre » et « pour l’interdiction des pesticides ». Initiatives trompeuses qui véhiculent de fausses promesses, mais malheureusement « les promesses rendent les fous heureux ».

 

Le Conseil Fédéral, de même que le parlement fédéral demandent de refuser ces deux initiatives car leurs effets sont désastreux pour notre pays, pour notre agriculture et pour nos citoyens.

 

Rappelons que notre eau potable est protégée, elle est totalement consommable et il n’y a aucun danger pour la population à la boire.

 

Rappelons que nos agriculteurs nourrissent la population, qu’ils ne l’empoisonne pas et qu’ils contribuent grandement à la biodiversité.

 

L’acceptation de ces initiatives par la population :

  •  entrainerait une diminution du volume de production agricole d'au moins 30% ;
  • entraînerait une hausse des prix des denrées alimentaires, le caractère d’îlot de cherté de la Suisse serait renforcé ;
  • entraînerait une augmentation de produits importés et favoriserait le tourisme d’achat alimentaire ;
  • compromettrait la sécurité de l’approvisionnement alimentaire de la  Suisse ;
  • entraînerait la disparition de milliers d’emplois ;
  • entraînerait une diminution de la biodiversité ;
  • entraînerait un démantèlement d’une partie de notre agriculture ;
  • entraînerait une diminution de notre choix alimentaire ;
  • entraînerait la fin de certaines productions comme le colza, la pomme de terre ou la betterave.

 

 

Au vu de ce qui précède, le Grand Conseil vaudois, rappelant le rôle essentiel de notre agriculture, relevant les conséquences désastreuses qu’auraient l’acceptation des deux initiatives :

 

Appelle les citoyennes et citoyens du Canton de Vaud à rejeter les deux initiatives phytos extrêmes le 13 juin prochain.

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Maurice TrebouxUDC
Pierre-André PernoudUDC
Jean-Marc SordetUDC
Yann GlayreUDC
Nicolas BolayUDC
Aliette Rey-MarionUDC
Marc-Olivier BuffatPLR
Pierre-André RomanensPLR
Cédric WeissertUDC
Nicolas GlauserUDC
Céline BauxUDC
Patrick SimoninPLR
Anne-Lise RimePLR
Philippe LinigerUDC
Yvan PahudUDC
Jean-Bernard ChevalleyUDC
Sacha SoldiniUDC
Marion WahlenPLR
Jean-François ThuillardUDC
Sylvain FreymondUDC
Josephine Byrne GarelliPLR
Denis RubattelUDC
José DurusselUDC
Werner RiesenUDC
Dylan KarlenUDC
François CardinauxPLR
Fabien DeillonUDC
Pierre-Alain FavrodUDC

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La résolution étant accompagnée de 28 signatures, le président ne demande pas l’appui de 20 députés.

M. Julien Cuérel (UDC) —

J’ai déposé cette résolution urgente puisque, le 13 juin prochain, la population suisse sera amenée à voter sur deux initiatives radicales : pour une eau potable propre et pour l’interdiction des pesticides. Le Conseil fédéral, de même que le Parlement fédéral, vous demande de refuser ces deux initiatives. Je tiens à rappeler ici que les agriculteurs nourrissent la population, mais qu’ils ne l’empoisonnent pas et qu’ils contribuent grandement à la biodiversité de notre pays. A ce titre, d’ailleurs, ils bénéficient de soutiens de la Confédération et c’est juste. Ces soutiens doivent contribuer à maintenir un paysage ouvert, par l’exploitation de l’ensemble du territoire, à maintenir la capacité de production et contribuer à la sécurité de l’approvisionnement de notre pays. C’est également un soutien pour maintenir et promouvoir la diversité des espèces et des habitats, ainsi qu’un soutien au maintien de la diversité paysagère et à la beauté de nos paysages, enfin pour promouvoir les systèmes de production particulièrement proches de la nature écocompatibles et respectueux de la vie animale.

Ces importantes activités réalisées par nos agriculteurs en lien avec l’utilisation durable des ressources naturelles disparaîtront si les deux initiatives radicales sont acceptées. Et cela ne s’arrêtera pas là. Le volume de production diminuera jusqu’à 30 % et touchera également l’agriculture biologique, car d’importantes pertes de récoltes vont survenir et certaines cultures disparaîtront de Suisse, telles que la pomme de terre, le colza ou la betterave sucrière. La production indigène de viande de porc ou de poulet deviendra rare et onéreuse, car les éleveurs ne peuvent pas nourrir leurs animaux sans acheter de la nourriture à l’extérieur de leur exploitation, ils ne disposent pas des terres arables nécessaires. Les produits issus d’élevages intensifs à l’étranger combleraient alors les trous dans les rayons des magasins, pour autant que nous arrivions à importer la quantité de produits nécessaires, ce qui n’est de loin pas forcément garanti, encore moins en période de pandémie. Ce serait une absurdité écologique : au lieu de soulager l’environnement, ce dernier subirait encore davantage de dégradations.

En plus de la diminution de l’offre indigène, les exigences extrêmes de production imposées par ces initiatives entraîneraient des coûts de production supplémentaires élevés et, par conséquent, forcément, une hausse des prix de ces mêmes denrées et ainsi, de nombreux produits d’origine suisse ne deviendraient accessibles qu’aux personnes les plus aisées. Les conditions de production à l’étranger ne peuvent pas respecter les normes suisses en matière d’écologie et de bien-être animal. Mais comme il faudra importer beaucoup plus de nourriture, la majorité des Suissesses et des Suisses seraient amenés à se nourrir avec des aliments de qualité inférieure. C’est quand même un comble ! L’industrie alimentaire suisse a besoin de matières premières indigènes et, si ces dernières diminuent, il serait forcément plus rentable d’importer des produits finis et cela entraînera la disparition d’emplois dans notre pays. Au vu de tous ces éléments, au nom du groupe UDC, nous rappelons le rôle essentiel de notre agriculture et nous relevons les conséquences désastreuses qu’aurait l’acceptation de ces deux initiatives radicales. Nous vous demandons d’accepter la présente résolution afin d’appeler les citoyennes et citoyens du canton à rejeter les deux initiatives phytosanitaires, le 13 juin prochain.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Stéphane Balet (SOC) —

Chaque fois que nous traitons d’un sujet qui touche à l’agriculture, on nous ressort le même type d’argument ; chaque fois que nous émettons des doutes sur les façons de produire, c’est comme si nous nous attaquions aux agriculteurs eux-mêmes. Pourtant, nier le fait que les choix faits par l’agriculture ont un impact important sur l’environnement ainsi que sur notre qualité de vie relève de la fraude intellectuelle.

Examinons certains des arguments fournis avec la résolution. Il y a tout d’abord le fait que l’agriculture nourrit les Suissesses et les Suisses : la Suisse est très loin de l’autosuffisance, depuis fort longtemps ! Une baisse de productivité contribuera, certes, à péjorer la situation, mais dans des proportions relativement faibles. La question de l’augmentation du prix des denrées alimentaires est également systématiquement brandie, mais réellement, qu’en est-il ? Quand on voit le poids de l’alimentation, dans le budget des ménages, corrélé avec le pourcentage que représentent les produits agricoles suisses, l’impact se fera surtout sentir sur la viande et sur certains produits laitiers, mais pour le reste, vu la proportion des produits provenant de l’étranger, l’effet sera également assez faible. Quant à la disparition de milliers d’emplois, par quel mécanisme ? Je ne vois vraiment pas de lien entre les deux initiatives et une disparition des emplois dans le domaine de l’agriculture. Et quant à la diminution de la biodiversité, il s’avérerait donc que l’emploi de pesticides favoriserait la biodiversité ? Cet argument à lui seul démontre le manque d’objectivité des personnes à l’origine de la résolution.

Dans son texte déposé, M. le député Cuérel parle de la qualité des eaux que l’on peut boire sans danger. C’est peut-être vrai à Baulmes, mais un peu moins dans le reste du Nord Vaudois. Il est temps que je déclare mes intérêts : je suis administrateur de la Société anonyme de gestion des eaux du Nord vaudois (SAGENORD), une société responsable de la distribution d’eau dans une partie du Nord vaudois. Les normes fixées concernant le chlorothalonil sont dépassées dans la plupart de nos sources d’approvisionnement. Nous allons donc devoir traiter notre eau, c’est-à-dire devoir investir des millions, avec pour effet une augmentation du prix de l’eau pour l’ensemble des habitants. A mon sens, les arguments avancés sont soit faux, soit insuffisants face aux inconvénients qu’engendre la situation actuelle. Si une résolution devait être déposée, ce serait plutôt pour appeler les Vaudoises et les Vaudois à soutenir les deux initiatives. Pour terminer, je ne comprends pas bien pourquoi le Grand Conseil vaudois devrait donner un mot d’ordre à la population sur une initiative fédérale. Le groupe socialiste s’opposera à cette résolution et vous propose d’en faire autant.

M. Andreas Wüthrich (V'L) —

On peut se calmer : l’épée de Damoclès, soit la menace des deux initiatives contre les pesticides, s’est éloignée. Les derniers sondages sont clairs et fiables : on peut baisser les armes. Cette bataille semble être gagnée, mais pas la guerre. La guerre contre les écologistes ? Non ; la guerre contre une dégradation accélérée des conditions de vie sur la Terre. Nous allons voir se multiplier les attaques de formes différentes : initiatives, manifestations, déprédations, pandémies, intempéries, exodes de populations, etc. Bref, cette résolution n’a aucune raison d’être adoptée par le Grand Conseil. Je souhaite qu’aujourd’hui nous ne perdions pas trop de temps ou d’énergie à en débattre, car nous avons mieux à faire.

Je vous parle de guerre, car j’ai l’impression que nous avons une bataille de retard. Le message que nous allons transmettre à la population par la résolution proposée sera le suivant : « Votez contre ces initiatives, laissez-nous tranquillement continuer sur cette voie et faites de même. Circulez, il n’y a rien à voir. » Mais ce comportement nous amène inévitablement au désastre. Ce n’est pas moi, simple gardien de la terre et des ressources qui le sais et le dis, mais ce sont les scientifiques qui le constatent et l’expriment ainsi. Le message devrait être conçu ainsi : « Nous, les deux à trois pourcents de la population, nous sommes prêts à relever les défis pour l’environnement et pour les vies futures, si vous le voulez. Mais nous ne pouvons le faire sans vous. Tout le monde doit faire des efforts, en se privant de commodités qui entraînent de la pollution. Venez participer au travail physique de la production de nourriture saine et au maintien d’un environnement sain. Privez-vous aussi, dans votre vie quotidienne, de produits non élémentaires et polluants ; arrêtez de nous éblouir et de nous vendre des produits miraculeux pour l’agriculture et qui vous rapportent beaucoup d’argent. »

Ce que je vous dis là est basé sur mon vécu. Cela fait quarante ans que je suis venu en Suisse Romande, au Landeron précisément, un CFC de mécanicien de précision en poche. Une famille d’agriculteurs cherchait un jeune homme et j’avais répondu. C’était une grande ferme encore assez diversifiée, mais employant des quantités considérables d’engrais et de produits phytosanitaires de synthèse. Le fils du patron n’allait jamais traiter les cultures avec ces produits, car il y était allergique. Mon scepticisme est devenu grandissant envers ces méthodes. Revenir aux racines et pratiquer l’agriculture, c’était ma vocation, mais entrait en ligne de compte uniquement une agriculture indépendante des grandes entreprises multinationales. Voilà comment j’ai commencé ma formation en agriculture bio en 1983. Quel destin m’était dès lors réservé ? Notre mariage fut célébré à Bâle le 1er novembre 1986. Je ne sais pas si cette date vous rappelle l’événement d’une importance majeure qui a eu lieu dans la région bâloise durant la nuit du 31 octobre au premier novembre 1986 appelée la catastrophe de Schweizerhalle ? Un dépôt de l’entreprise Sandoz – devenue Syngenta depuis lors – de produits agro-chimiques a pris feu. Tôt le matin, nous étions prisonniers dans l’appartement de nos amis, en ville de Bâle. Une fois libérés grâce à l’intervention extrêmement intelligente et courageuse des pompiers, en traversant le Rhin avec le tram, nous avons constaté que l’eau du fleuve était toute colorée d’un brun-rouge couleur rouille : une pollution majeure du Rhin et de la nappe phréatique s’était produite. Une catastrophe du même ordre de grandeur que celle qui s’était produite à Bhopal, en Inde, deux ans auparavant, fut tout juste évitée. Pour mon épouse et moi-même, il ne pouvait y avoir de confirmation plus forte de la justesse de notre décision de nous passer des produits de l’industrie agrochimique. Je peux témoigner que mon économie rurale ne se porte pas moins bien que celle d’agriculteurs employant des pesticides et des engrais de synthèse. La vie pullule à la ferme et aux alentours ; nous nourrissons de nombreux proches et clients fidèles. Pour l’anecdote, cette semaine, deux porcelets nés chez nous seront installés à la ferme que vous voyez depuis la fenêtre, sur la gauche. (La séance se tient au Swiss Tech Conference Center à Ecublens. N.D.L.R) Nous pourrons transmettre une ferme très vivante à la prochaine génération, motivée à continuer de l’améliorer. Alors non, ne votons pas cette résolution qui vise uniquement à mettre la marche arrière. Demandons à la population d’être cohérente et responsable et allons de l’avant.

M. Andreas Wüthrich (V'L) —

Je ne pensais pas intervenir sur cet objet, mais j’ai entendu tellement d’aberrations que je ne peux résister à l’envie de vous parler aussi. J’ai failli verser une larme en entendant M. Wüthrich vous parler de ses expériences, en passant par son mariage. Mais nous ne sommes pas dans « La petite maison dans la prairie », qui ressemble un peu à l’exploitation qu’a M. Wüthrich et à sa vision de l’agriculture. Aujourd’hui, nous ne sommes pas dans cette situation-là, mais dans celle de devoir nourrir le peuple. Nous avons la chance de vivre sous des latitudes et d’avoir des terrains agricoles qui nous permettent de produire. Je ne rappellerai pas tout ce qu’a dit M. Cuérel, que je rejoins totalement, tout comme le groupe PLR. Par contre, je m’élève contre les propos tenus par notre collègue Balet qui ne reflètent absolument pas la réalité des choses. Vous apeurez le peuple et je ne peux pas l’admettre.

J’ai eu la chance de pouvoir remettre mon exploitation agricole à mon fils. Comme M. Wüthrich, je vais vous parler d’affaires personnelles. J’ai eu cette chance de pouvoir remettre mon exploitation agricole. J’ai vu toute l’évolution dans l’agriculture, depuis l’année 1970 où j’étais apprenti et où nous avions du matériel qui nous permettait de commencer à soigner des cultures malades, à une époque où certaines variétés de cultures étaient très sensibles. J’ai travaillé pendant plus de 25 ans avec les stations fédérales, sur un terrain qu’ils ont acquis à Goumoëns-la-Ville. J’ai pu travailler plus de 25 ans avec ces chercheurs, qui n’ont fait que chercher à sélectionner des plantes résistantes – ce que nous devons absolument faire – afin de faire diminuer les nécessités de traitement. Lorsque j’ai commencé et que les machines commençaient à se développer, nous délayions des produits de traitement – tous étaient autorisés sur le plan suisse, naturellement – dans 800 à 1000 litres d’eau par hectare, pour les répartir. Il y a quinze jours ou trois semaines, soit juste avant que revienne la pluie, nous avons testé une machine qui fait ce même travail, mais avec un produit dilué de cinq litres à l’hectare, car le développement du mécanisme le rend capable de détecter la plante à traiter. C’est une technique absolument incroyable et son évolution va continuer, mais laissez-nous le temps, bon sang ! Laissez aux chercheurs le temps de trouver des solutions ! Pendant plus de quarante ans, j’ai été expert grêle et j’ai eu l’occasion d’aller partout dans le pays et même en France voisine. Nous avons toujours vu des exploitations bio et mon idée n’est pas de dresser les uns contre les autres, mais plutôt de travailler ensemble, car je crois que chacun a quelque chose à apporter à l’autre et qu’en travaillant ensemble, on peut développer des nouvelles techniques, améliorer des choses. Certains sont prêts à faire des expériences et à nous les communiquer. Pourtant, chaque fois que j’ai été dans ces domaines bios, je puis vous assurer que, si toute l’agriculture avait été menée de la même manière, nous ne mangerions pas deux fois par jour et que les assiettes ne seraient pas aussi pleines. Il faut savoir ce que l’on se veut.

Une fois pour toutes, je crois qu’il faut absolument travailler ensemble et se donner le temps pour améliorer les choses. Pendant la campagne absolument magnifique sur ces deux initiatives, j’ai été choqué de voir des gens n’ayant absolument aucune expérience et qui ne sauraient même pas cultiver un carreau de salades venir faire des théories, avant de se rendre compte, en discutant avec nous et en visitant l’exploitation – car j’avais invité les gens à venir directement sur l’exploitation et à qui j’ai pu tout expliquer. C’est pourquoi j’ai confiance, pour ces votations, car il y a passablement de personnes qui ont enfin compris que la peur que brandit le parti des Verts repose sur des choses dites absolument aberrantes. J’estime donc qu’il faut absolument appuyer la résolution afin que le peuple puisse être enfin tranquillisé sur le fait de pouvoir manger à sa faim et que les agriculteurs soient tranquillisés de savoir qu’ils vont pouvoir continuer à travailler comme ils le font maintenant, c’est-à-dire avec un parfait respect de l’environnement et de la nature. Je vous remercie de votre attention et vous encourage à accepter la résolution.

M. Jérôme Christen (LIBRE) —

Le plus gros défaut de la résolution proposée est qu’elle touche à deux objets de portée différente. En termes juridiques, on dirait qu’il n’y a pas d’unité de matière, car il se trouve que l’une des deux initiatives est plus acceptable que l’autre ou inversement moins acceptable. Voilà pour le problème de forme, qui est loin d’être anodin.

Le groupe des LIBRE est partagé sur les deux objets. J’aimerais ici faire quelques commentaires à titre personnel. Les détracteurs des deux initiatives prédisent un cataclysme en cas d’acceptation. Or, nombre d’agriculteurs convertis à des méthodes bios ont, dans nombre de cas, des rendements supérieurs ou égaux à ceux de l’agriculture agrochimique alors que des quantités non-négligeables d’aliments finissent à la poubelle. Si les aliments bios sont plus chers, la responsabilité en incombe essentiellement aux intermédiaires, soit les géants du commerce de détail qui profitent d’une offre encore insuffisante pour pratiquer des prix surfaits – il faut donc stimuler cette offre. Les funestes conséquences de l’usage des pesticides sont multiples, non seulement pour la santé, mais pour les sols et la biodiversité. Il est clair qu’en continuant ainsi, on court à notre propre perte ! Le délai de mise en œuvre des initiatives est de dix ans. Nous avons largement le temps de trouver des solutions adaptées.

L’Union suisse des paysans (USP) voudrait nous faire croire qu’elle a compris le message et que la fin des pesticides se fera progressivement. Comment la croire, alors qu’elle ne cesse de trouver tous les moyens possibles et imaginables pour reculer cette échéance ? D’autant plus, avec l’odieux marchandage qui a eu lieu entre l’USP et Economiesuisse – le mariage de la carpe et du lapin – soit l’accord entre le financier et le paysan, en 2018. Economiesuisse soutenait la réforme agricole 2022, mais voyant que l’initiative pour des multinationales responsables prenait de l’ampleur, elle a proposé à l’USP de s’opposer à la Politique agricole 2022 (PA22) en échange de l’opposition de l’USP à l’initiative pour des multinationales responsables. C’est ainsi que la PA22 ne servira pas de contreprojet direct aux deux initiatives phyto. Si l’agriculture avait voulu opter pour une agriculture durable, elle l’aurait fait depuis longtemps. Dans les faits, elle est sur les pattes arrières, comme les banques avec le secret bancaire. Il s’avère donc nécessaire, maintenant, de prendre des mesures plus contraignantes. Finalement, peut-on donner tort au conseiller national vert et paysan bio Killian Baumann qui disait, il n’y a pas longtemps : « L’USP ne représente plus les intérêts des agriculteurs, mais ceux de l’industrie agroalimentaire. » Pour toutes ces raisons, je refuserai la résolution Cuérel.

M. Pierre Fonjallaz (VER) —

Au nom de mon groupe, je prends la parole pour le double « oui ». Je le fais également et surtout en fonction de mes convictions personnelles, qui concernent avant tout l’initiative « Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse. » Elle représente mon histoire de vie des trente dernières années. En effet, j’ai moi-même évolué dans ma pratique professionnelle pour travailler depuis dix ans en biodynamie, pratique qui se fait sans pesticide de synthèse, après avoir pratiqué la production intégrée (PI) pendant vingt ans. L’agriculture a vécu une évolution constante depuis le début du XXe siècle. La mécanisation a permis d’alléger un travail manuel éprouvant, l'arrivée des produits chimiques a révolutionné le travail de la terre en le simplifiant et le sécurisant : moins de pertes de récoltes liées aux ravageurs ou aux maladies. L’arrivée massive des engrais a aussi permis d’intensifier la production. Mais cette période enthousiasmante n’a somme toute duré que très peu de temps, car déjà dans les années nonante, la conscience des dégâts liés à l’utilisation de la chimie et de la surproduction a amené la profession à créer une agriculture dite raisonnée : la PI. Ce fut aussi une période enthousiasmante, que j’ai moi-même vécue, mais elle montra vite ses limites. Depuis, l’agriculture subit de plus en plus de pressions de la part de la Confédération et de la société liées à la problématique de l’utilisation des pesticides de synthèse et de la production intensive, pour une évolution vers une agriculture de plus en plus durable.

Dans ce contexte, on peut citer l’engagement de la Confédération pour le Plan d’action de réduction des pesticides de synthèse, en cours depuis 2017, ou le programme PestiRed du canton. Evidemment, la Confédération ne dira jamais que l’on peut « faire sans » ; nous sommes tout de même au pays de la chimie et le lobby de l’agrochimie est suffisamment puissant pour avoir bien participé à donner une direction chimique à l’agriculture, sans trop s’occuper des conséquences. D’ailleurs, la plus grande majorité des financements de la recherche est allée à ce type d’agriculture. Pourtant, cette agriculture n’a qu’une cinquantaine d’années, contre 5'950 années sans pesticides de synthèse sur les 6000 ans d’histoire de l’agriculture. Serions-nous plus stupides, au XXIe siècle, que nos ancêtres qui n’avaient ni notre technologie ni nos moyens de communication ? Jamais les possibilités d’échange d’informations pour trouver des solutions à une agriculture sans pesticides de synthèse n’ont été si importantes. Pour moi, nous allons inexorablement vers l’arrêt de ces substances qui créent trop de problèmes à l’environnement, à la santé des professionnels et de la population, sans parler de la dégradation des sols et de la perte de biodiversité. Cette initiative apparaît donc comme une opportunité. Rappelons-nous par exemple du problème historique du dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT), ou plus récemment du chlorothalonil dans les eaux, des néonicotinoïdes et des abeilles, du glyphosate très médiatisé, etc.

Je me permets de prendre en vrac quelques arguments rassurants. Nous allons probablement perdre en production pendant ce que l’on peut appeler la période de transition. C’est un immense défi et nous devons trouver des solutions valables à toutes les cultures, tout en améliorant la qualité de nos sols et donc de notre alimentation. Nous pourrons assez vite, je pense, produire l’équivalent et de meilleure qualité. En Suisse, 6000 fermes bio ont déjà fait ce pas et, dans ma région, notre association Lavaux-Vins bios compte déjà onze membres et accueille régulièrement de nouveaux courageux qui font le pas. Je rappelle que le bénéfice en est une amélioration de la qualité de nos sols et donc de la valeur nutritive de nos aliments, et par conséquent de notre santé, avec surtout une préservation accrue de notre environnement et une amélioration de la biodiversité.

Pour atteindre cet objectif, pendant la période de transition de dix ans que laisse l’initiative, nous aurons besoin de toutes les forces en vigueur, d’un renforcement massif de la recherche – cette fois dans le sens d’une agroécologie, d’un développement intensif des formations, de garanties financières aux producteurs, de soutiens techniques et financiers aux changement de pratiques et probablement aussi de soutiens psychologiques. Bref, il faut un accompagnement de cette transition complètement assumée par toute la société et non seulement par les agriculteurs, comme c’est souvent le cas avec de nouvelles directives. Nous pourrions aussi profiter de ces dix ans pour réfléchir tous ensemble à ce que nous voulons pour notre futur. Quelques thèmes parmi d’autres me paraissent intéressants à traiter : le rapport entre la production et la grande distribution, le revenu paysan, revisiter notre type de consommation et quelle paysannerie nous voulons.

Concernant l’approvisionnement national, nous pouvons produire longtemps et à plus long terme avec une agriculture sans produits de synthèse et avec de bonnes pratiques. La lutte contre le gaspillage alimentaire, la récupération de surfaces produisant de l’alimentation pour les animaux destinés à l’alimentation humaine peuvent aussi améliorer la situation. Il est clair que la quantité de l’assortissement que l’on trouve dans des magasins va diminuer, du moins dans un premier temps, avec l’initiative qui concerne aussi des produits d’importation – ce qui fait sa qualité, d’ailleurs. Le bio a montré jusqu’à présent une augmentation de la diversité des variétés cultivées et un rapprochement de la relation producteur/consommateur. La gamme bio augmente d’ailleurs année après année et cela va s’accélérer avec un oui. Et même ! Si certains produits risquent de disparaître, serait-ce vraiment un drame ? Une forme de sobriété peut aussi faire partie de la solution. Les éléments cités ci-dessus me font dire que les arguments donnés par les auteurs de la résolution ne me semblent pas justes sur le moyen terme. Pour illustrer ce que je viens de dire, nous avons vu dans le canton un développement de céréales diverses – épeautre, petit épeautre, blé ancien ou d’autres – transformées en pain, en pâtes, en bircher, en barres de céréales, et tout cela localement. Je voudrais citer mon exemple personnel. Sur mon domaine, à Lavaux, en biodynamie depuis 2012, j’ai vécu la transition dont je parle sans aide extérieure, avec des pertes de récoltes les cinq premières années. Depuis, je produis l’équivalent de mes collègues, avec une très bonne qualité, des sols qui s’améliorent d’année en année et beaucoup plus de biodiversité dans les vignes. Surtout, quel bonheur de travailler dans des vignes pleines de vie ! Et en plus, l’activité et la vie sur le domaine sont devenues très durables, vu que j’utilise moins de 100 litres d’essence pour toute l’année et que le reste de l’énergie utilisée est entièrement renouvelable. Je précise que l’économie du domaine se porte bien : c’est donc possible.

En conclusion, nous faisons partie de la vie de cette merveilleuse planète ; respectons-la et aimons-la. Nous pouvons y vivre sans la dégrader. Je crois vraiment à un futur plus durable et, entre autres, à l’arrêt de l’utilisation des pesticides de synthèse. Au nom des Verts, je propose donc de voter non à cette résolution.

Mme Céline Baux (UDC) —

Dans ces débats sur les initiatives, alors que nous devrions toutes et tous tirer à la même corde pour sauver la planète, en même temps que nos emplois et notre économie, je trouve étonnant que nous nous battions les uns contre les autres. En écoutant celles et ceux qui soutiennent l’initiative, j’ai l’impression d’un jugement de l’agriculture sans même la connaître et sans connaître son évolution depuis de nombreuses années. Notre agriculture entretient nos paysages, elle est gardienne de la nature et de sa biodiversité, car c’est maintenant grandement pour cela qu’elle est rétribuée, et non plus pour ce qu’elle produit, alors qu’elle nous nourrit. Les agriculteurs n’ont aucun plaisir à traiter leurs terres avec des produits phytos. S’ils le font, c’est pour sauver la récolte ou lutter contre la prolifération de plantes envahissantes et indésirables. Ils mettent beaucoup d’espoir dans la recherche qui leur permet de diminuer, voire stopper le recours à la chimie, comme l’a dit M. Bezençon. Ces paysannes et paysans aiment leur terre plus que tout ; elle est non seulement leur outil de travail, mais leur âme, leur cœur, leur métier – et le métier d’agriculteur n’est pas un travail mais une vocation. Il y a une évolution continuelle vers l’écologie. C’est ce dont nous avons besoin, c’est ce que prévoit le Conseil fédéral. Faisons confiance à l’immense majorité du monde agricole qui préconise de ne pas soutenir ces deux initiatives. Suivons-les et soutenons notre agriculture locale et durable. Merci de soutenir la résolution.

M. Jean-Luc Chollet (UDC) —

C’est finalement une façon comme une autre de finir un bonne journée de Grand Conseil : par une demi-heure de dialogue de sourds dans lequel l’émotionnel, l’irrationnel, le pathos, prennent allégrement le pas sur le factuel ou le scientifique. Nous sommes finalement des gens comme les autres, au cas où nous l’aurions oublié. Je m’adresse très rapidement à deux personnes. Monsieur Balet, on peut se passer de changer son salon, de remplacer sa voiture et ses habits, mais hélas, pas de manger – peut-être pas trois ou quatre fois par jour, mais en tout cas deux fois. Or, les paysans suisses ne nourrissent la population qu’un jour sur deux, à cinquante pourcent. Si nous diminuons encore, croyez-vous que nous aurons un contre-pouvoir au niveau des prix ? Si ce qui vient de l’étranger a des prix attractifs, c’est qu’il existe encore la concurrence des produits du pays. Si elle n’existe plus ou est trop affaiblie, il faudra passer à la caisse. Monsieur Wüthrich, lorsque j’ai remis mon exploitation, il y a six ans, les propriétaires étant la Ville de Lausanne, ils ont pris la sage décision d’affecter dorénavant Rovéréaz à la production maraîchère bio. Or je constate – une simple constatation – que mes successeurs accrochent les pulvérisateurs à un de leur tracteurs à la mi-avril et ne les redécrochent qu’à la mi-octobre ; entretemps, ils les utilisent chaque semaine. Ils ne peuvent pas s’en passer alors qu’ils sont bio ! Ils traitent avec des produits naturels et pas avec de produits de synthèse, bien sûr : avec du cuivre et du souffre, qui une fois dans le terrain ne se comptent pas en années, mais en générations – et ils en sont parfaitement conscients. Mes successeurs me disent que si le oui passe, ils sont cuits, comme les autres. Alors voyez-vous, on peut faire beaucoup de discours et opposer les pesticides au bio, mais dans vingt ans ou même dans dix ans, nous serons tous dans un trend qui fera qu’en raison de l’amélioration génétique des plantes et avec la diminution de la nocivité des produits de traitement, avec ou sans initiative, nous en serons au même point. L’effet couperet et brutal la rend insupportable.

M. François Cardinaux (PLR) —

Il me paraît clair et net que nous avons encore la possibilité d’entendre tous les agriculteurs et les proches de l’agriculture pour tout ce qui les concerne. Aujourd’hui, on nous demande de voter une résolution qui est claire et qui demande au Conseil d’Etat d’être clair également. Nous devons maintenant passer au vote, que je demande formellement par une motion d’ordre. J’aimerais que nous votions sur ce que nous allons demander à notre gouvernement.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

Je dois donner un éclaircissement : la résolution n’est pas adressée au Conseil d’Etat en lui demandant de se positionner. Les destinataires du texte sont les citoyennes et citoyens vaudois, dont j’imagine qu’ils se prononceront, massivement ou non, le 13 juin prochain, que la résolution soit acceptée ou non.

La demande de motion d'ordre est soutenue par au moins 20 députés.

La discussion sur la motion d’ordre est ouverte.

M. Philippe Leuba — Conseiller-ère d'État

Pour ne rien vous cacher, puisque j’interviens après le plaidoyer de M. Wüthrich et les confidences personnelles, ce n’est pas par manque d’intérêt, mais les règles du Conseil d’Etat m’empêchent de m’exprimer à cette tribune dans ce cadre.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La motion d'ordre est acceptée par 75 voix contre 39 et 18 abstentions.

La discussion est close.

La résolution est adoptée par 64 voix contre 63 et 7 abstentions.

M. Alexandre Démétriadès (SOC) —

Je demande un vote nominal.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

Cette demande est soutenue par au moins 20 députés.

La résolution est adoptée par 66 voix contre 64 et 8 abstentions.

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