Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 19 mars 2024, point 9 de l'ordre du jour

Texte déposé

Dans un arrêt du 20 février 2024 (Affaire I.L. c. Suisse ; requête no 36609/16), la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après : la Cour) a condamné la Suisse, notamment, pour la violation de l’interdiction de la torture et des traitement inhumains et dégradants, ainsi que du droit à la liberté et à la sûreté garantis aux articles 3 et 5 § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme (ci-après : la Convention).

 

Dans cette affaire, le requérant, souffrant de troubles psychiques, a été condamné, en sus d’une peine privative de liberté, à une mesure institutionnelle de l’art. 59 CP, qui prévoit expressément, à son alinéa 2 : « Le traitement s’effectue dans un établissement psychiatrique approprié ou dans un établissement d’exécution des mesures. ». Or, il s’est plaint d’avoir dû passer plusieurs années en exécution de cette mesure dans un établissement pénitentiaire.

 

Il n’a ainsi :

  • pas bénéficié pendant cette période d’un placement dans une institution qui fût appropriée au traitement médical requis ;
  • pas bénéficié pendant cette période d’une prise en charge médicale adéquate ;
  • pas eu la possibilité de suivre une thérapie adaptée à son état de santé.

 

La Cour a constaté à l’unanimité que la détention du requérant, notamment dans des conditions d’isolement, au sein d’établissements pénitentiaires ne pouvant lui offrir de soins appropriés, et l’infliction de sanctions disciplinaires, ont dû exacerber la souffrance liée à sa maladie mentale et s’analysent en un traitement inhumain et dégradant au sens de l’art. 3 CEDH (par. 109).

 

Ensuite, après un long exposé de sa jurisprudence, la Cour (par. 147ss) a considéré que la privation de liberté subie par le requérant n’était pas « régulière », faute d’avoir été effectuée dans un établissement approprié. Elle conclut donc à une violation de l’article 5 § 1 de la Convention par la Suisse.

 

La condamnation de la Suisse dans cette affaire n’est pas une surprise. En effet, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitement inhumains dégradants (CPT) n’a cessé de rendre attentif le Conseil fédéral dans ses rapports successifs sur cette situation alarmante.

 

Au 31 janvier 2023, les 89 établissements pénitentiaires de Suisse comptaient 7 196 places de détention, dont 89,6% étaient occupées.

 

Selon l’Office fédéral de la statistique, parmi ces détenu-e-s en établissements pénitentiaires, 713 (654 hommes, 59 femmes) exécutaient une mesure institutionnelle conformément à l’art. 59 CP en 2022.

 

C’est donc potentiellement 713 cas de violation, par la Suisse, des articles 3 et/ou 5 § 1 de la Convention.

 

Sur le plan cantonal, il ressort du Rapport de la commission des visiteurs du Grand Conseil du 10 juillet 2023, que plus de 70 personnes sous mesures (art. 59, 60, 61 et 64 CP) étaient détenues dans les établissements pénitentiaires vaudois. La Commission a déploré l’insuffisance d’établissements dédiés à la prise en charge de personnes nécessitant des soins médicaux.

 

Dans sa réponse à l’interpellation de Sébastien Pedroli, intitulée « Mesures institutionnelles : le Canton de Vaud en fait-il assez ? », le Conseil d’Etat a indiqué qu’en date du 30 juin 2021, 6 personnes condamnées à une mesure thérapeutique institutionnelle, présentant un risque de récidive ou de fuite au sens de l’art. 59 al. 3 CP attendaient au sein des Etablissements pénitentiaires de la plaine de l’Orbe une place au sein de l’Etablissement concordataire pénitentiaire fermé de Curabilis à Puplinge (GE).

 

Sur la base de ce qui précède, j’ai l’honneur de poser les questions suivantes au Conseil d’Etat que je remercie d’avance pour ses réponses :

 

  1. Quelle est l’appréciation du Conseil d’Etat s’agissant de la condamnation dont la Suisse a fait l’objet dans l’affaire I.L. c. Suisse ?
  2. Combien de personnes sous mesure de l’art. 59 CP sont détenues actuellement dans un établissement pénitentiaire vaudois ?
  3. Le Conseil d’Etat estime-t-il que des cas vaudois pourraient tomber sous le coup d’une condamnation analogue à l’affaire précitée ?
    1. a) Le cas échéant, quelles actions le Conseil d’Etat entend-il entreprendre afin de se conformer à la jurisprudence de la Cour et éviter des condamnations ?

Conclusion

Souhaite développer

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Théophile SchenkerVER
Patricia Spack IsenrichSOC
Denis CorbozSOC
Alice GenoudVER
Felix StürnerVER
Géraldine DubuisVER
Isabelle FreymondSOC
David RaedlerVER
Alexandre DémétriadèsSOC
Sébastien CalaSOC
Sylvie Pittet BlanchetteSOC
Cédric RotenSOC
Vincent BonvinVER
Vincent JaquesSOC
Claude Nicole GrinVER
Yves PaccaudSOC
Rebecca JolyVER
Cédric EchenardSOC
Sandra PasquierSOC
Carine CarvalhoSOC
Joëlle MinacciEP
Sébastien KesslerSOC
Cendrine CachemailleSOC
Pierre DessemontetSOC
Nathalie JaccardVER
Muriel ThalmannSOC
Eliane DesarzensSOC
Romain PilloudSOC
Valérie ZoncaVER
Claire Attinger DoepperSOC

Document

24_INT_51-Texte déposé

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
Mme Thanh-My Tran-Nhu (SOC) —

La Suisse a été condamnée récemment par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour la non-prise en charge de soins médicaux pour une personne détenue souffrant de troubles psychiques, qui plus est, dans un établissement inapproprié. Ce n’est pas une surprise, car le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains dégradants n’a cessé d’alarmer nos autorités sur cette situation préoccupante. D’autres décisions de la CEDH n’ont pas donné lieu à une condamnation, car une indemnité avait été versée aux personnes détenues lesquelles ont retiré leur requête. Cela engendre, bien entendu, un coût financier et, pire, un coût humain pour notre société laquelle est responsable de la dégradation de la santé mentale de personnes souffrantes. Dans le cadre de ma pratique d’avocate, je sais qu’il y a des personnes détenues sous une mesure de l’article 59 du Code pénal. J’attends ainsi de la part du Conseil d’Etat qu’il nous renseigne sur le nombre exact de ces cas et qu’il nous informe de son appréciation de l’arrêt de principe de la CEDH.

M. Laurent Miéville (V'L) — Président-e

L’interpellation est renvoyée au Conseil d’Etat qui y répondra dans un délai de trois mois.

Retour à l'ordre du jour

Partager la page

Partager sur :