Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 15 mars 2022, point 14 de l'ordre du jour

Texte déposé

Le 19 mars 2019, le Grand Conseil a adopté une résolution proclamant l’urgence climatique dans le canton de Vaud. Ce décret purement symbolique engendre néanmoins d’inquiétantes dérives en matière de désobéissance civile, nombre de militants écologistes légitimant leurs actions illégales au travers de cette « urgence » climatique et d’un hypothétique « état de nécessité ». Ces concepts d’urgence et de nécessité, politiquement et scientifiquement contestables, semblent ainsi devenir le passeport de toutes les transgressions.

 

Au-delà du respect de la propriété privée, principale cible des éco-délinquants, il s’agit de préserver l’intégrité des dispositions légales et réglementaires relatives au maintien de l’ordre public. Les conséquences de cette urgence s’aggravent lorsque plusieurs zadistes de la colline du Mormont sont acquittés par la justice vaudoise de première instance. Des verdicts largement influencés par le climat de peur et une supposée imminence du danger créés par cette simple résolution de 2019.

 

Si une résolution votée par le parlement ne revêt qu’une portée symbolique et ne jouit pas d’une force légale, son esprit est toutefois pris en compte dans l’élaboration de la jurisprudence. Face à un tel dérèglement juridique, qui met en péril l’intégrité de nos lois et règlements (de police, par exemple), notre serment d’élu, garant de l’ordre public, nous oblige à urgemment clarifier la position du Grand Conseil.

 

En conséquence, il est nécessaire d’adopter la résolution suivante :

 

Par la présente résolution, le Grand Conseil du Canton de Vaud proclame que l’urgence climatique décrétée le 19 mars 2019 ne peut et ne doit en aucune circonstance légitimer une quelconque forme de désobéissance civile et d’éco-délinquance.

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Jean-François ThuillardUDC
François CardinauxPLR
Gérard MojonPLR
Sacha SoldiniUDC
José DurusselUDC
Pierre-Alain FavrodUDC
Jean-Marc SordetUDC
Aliette Rey-MarionUDC
Maurice TrebouxUDC
Florence GrossPLR
Pierre-André RomanensPLR
Nicolas GlauserUDC
Josephine Byrne GarelliPLR
Jean-Daniel CarrardPLR
Céline BauxUDC
Nicolas BolayUDC
Cédric WeissertUDC
Yann GlayreUDC
Jean-Luc BezençonPLR
Philippe LinigerUDC
Georges ZündPLR
Yvan PahudUDC
Fabien DeillonUDC
Denis RubattelUDC
Daniel DeveleyPLR
Alain BovayPLR

Document

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Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La résolution étant accompagnée de 26 signatures, le président ne demande pas l’appui de 20 membres.

M. Dylan Karlen (UDC) —

Le 19 mars 2019, le Grand Conseil a adopté une résolution proclamant l’urgence climatique dans le Canton de Vaud. Ce décret purement symbolique engendre néanmoins d’inquiétantes dérives en matière de désobéissance civile. En effet, nombre de militants écologistes légitiment leurs actions illégales au travers de cette urgence proclamée et d’un état de nécessité supposé qui semblent ainsi devenir les passeports de toutes les transgressions. Au-delà du respect de la propriété privée, principale cible des éco-délinquants, il s’agit de préserver l’intégrité des dispositions légales et règlementaires relatives au maintien de l’ordre public. Si une résolution votée par le Parlement ne revêt qu’une portée symbolique – elle ne jouit pas d’une force légale – son esprit est toutefois pris en compte dans l’élaboration de la jurisprudence. Un tel dérèglement juridique met en péril l’intégrité de nos lois et règlements, par exemple les règlements de police dans les différentes communes. Cela nous oblige urgemment à clarifier la position du Grand Conseil. C’est pour cette raison que je vous invite à adopter la résolution suivante :

« Par la présente résolution, le Grand Conseil du Canton de Vaud proclame que l’urgence climatique décrétée le 19 mars 2019 ne peut et ne doit en aucune circonstance légitimer une quelconque forme de désobéissance civile et d’éco-délinquance ».

Je vous remercie d’accueillir favorablement cette résolution.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Stéphane Balet (SOC) —

M. le député Karlen nous a déjà habitués à des formulations plus que polémiques : je me souviens encore de la manière dont il a torpillé le premier volet du Plan climat, parlant à la volée de révolution culturelle, de formation zadiste par l’école vaudoise et autres joyeusetés. Aujourd’hui, ses propos ont trait à l’urgence climatique notamment, laquelle ne devrait en aucune circonstance légitimer une quelconque forme de désobéissance civile. Cette formulation me semble inadéquate dans la mesure où elle s’oppose à une liberté fondamentale qui consiste à manifester, de manière pacifique, son opposition à toutes formes de décisions prises par l’Etat. N’oublions jamais que ce type d’actions ont permis de faire avancer bien des causes telles que celles des droits des travailleurs ou encore le droit de vote des femmes.

Le deuxième aspect concerne l’éco-délinquance et je pourrais y souscrire, mais encore faut-il se mettre d’accord par ce que ce terme désigne. Pour moi, il représente tout ce qui contribue à l’aggravation du dérèglement climatique, par exemple acheter un gros 4x4 pour rouler uniquement en ville, manger de la viande à tous les repas, partir le weekend en avion pour faire les soldes à Barcelone. La liste n’est évidemment pas exhaustive. Si c’est ce que sous-entend le député Karlen, je pourrais à la rigueur soutenir une résolution avec un amendement consistant à enlever simplement « désobéissance civile ». Toutefois, avec un tel amendement, la résolution n’aurait plus aucune portée, raison pour laquelle le groupe socialiste ne la soutiendra pas.

M. Maurice Mischler —

La résolution de M. le député Karlen pose une question orientée et mortifère, à savoir est-ce qu’une action illégale visant à mettre en évidence l’urgence climatique doit être punie comme n’importe quel délit. En droit, lorsqu’une faute est commise, on actionne parfois ce que l’on appelle des circonstances atténuantes, comme la légitime défense, l’absence d’inscriptions au casier judiciaire ou encore si l’accusé est mû par des mobiles altruistes et si la faute a une portée raisonnable sur la personne ou l’entité lésée. Or, cette résolution met en avant l’adage dura lex, sed lex. Or, de quoi parlons-nous ? De dérèglement climatique. Le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de 2021 portait sur la compréhension physique du système climatique et du changement climatique. Il était très porté sur des faits et il confirmait surtout scientifiquement les données des précédents rapports. De plus, vous vous en souvenez peut-être, il a été demandé que chaque décideur puisse – et même doive – avoir une connaissance au moins basique du contenu de ce rapport ; je pense que cela vous aurait été utile, monsieur Karlen.

Le 28 février dernier, un nouveau rapport a été publié. De quoi parle-t-il ? Il se concentre sur les impacts, la vulnérabilité et l’adaptation de nos sociétés au dérèglement climatique. Il propose même des solutions mais il s’agira de l’objet du prochain rapport. Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), qui a pourtant d’autres chats à fouetter actuellement – vous en conviendrez – a même indiqué en lien avec ce rapport que « rien n’est comparable à ceci ». Ce rapport indique également que « le changement climatique représente une menace grandissante pour le bien-être de tous les êtres humains et la santé de la planète. Tout retard dans la mise en place d’une action préventive d’atténuation et d’adaptation à l’échelle internationale nous ferait perdre la toute petite fenêtre d’opportunités qui nous reste pour assurer un futur soutenable et vivable pour tous. Sans un changement rapide et une action immédiate et ambitieuse, il deviendra impossible de nous adapter aux impacts du dérèglement climatique ». Par conséquent – et nous l’avons ressassé des dizaines de fois – l’heure est grave et il faut agir rapidement.

Pourtant, au lieu de cela, notre Grand Conseil a, selon les dire d’une conseillère d’Etat, infligé un pied de nez à toute la jeunesse du canton, lors de notre refus d’investir 7 millions pour le volet « formation » du Plan climat. Au lieu de soutenir cette action, M. Karlen lance à la tête de tous les gens de bonne volonté que « nous n’avons pas besoin de former de futurs zadistes », alors que des scientifiques du monde entier dénoncent par discours, actions, voies de presse, lettres ouvertes, déclarations ou articles dans des revues internationales l’inaction coupable des politiques dont nous faisons partie. Monsieur Karlen, ne venez donc pas nous parler de résolution symbolique à propos du dérèglement climatique. Il faudrait ainsi se fendre d’une résolution mortifère qui condamnerait brutalement les rares personnes qui osent s’insurger, de manière peut-être un peu maladroite, contre cette situation. Non ! Chères et chers collègues, mettons cette résolution aux oubliettes et passons à des choses un peu plus constructives.

Mme Elodie Lopez (EP) —

Si le groupe Ensemble à Gauche et POP est opposé à cette résolution, il est également inquiet de son contenu et interpellé par sa visée, notamment en raison de la remise en cause du réel état d’urgence climatique et de la nécessité d’agir qu’elle contient. En effet, on peut lire que « tant l’urgence que l’état de nécessité sont politiquement et scientifiquement contestables » et que « nous serions baignés d’une supposée imminence du danger créée par la simple résolution ». Il est fait ici référence à l’urgence climatique déclarée par ce Parlement en 2019. Si on peut être quelque peu déçu de la manière dont l’état d’urgence climatique est pris au sérieux, ces déclarations nous inquiètent, car elles arrivent pratiquement au lendemain de la dernière publication du GIEC. Bien que cela nous rafraichirait la mémoire, je vous passe l’état des lieux dramatique qu’il dresse. Toutefois, pour notre groupe, ces déclarations ont du mal à passer.

Par ailleurs, nous estimons que cette résolution se trompe de cible. Lorsqu’on se réfère à la mise en danger de l’ordre public, lorsqu’on craint pour sa vie en collectivité avec, pour responsables, des militants pour le climat, on est totalement à côté, car c’est bien la situation climatique, soit celle de l’environnement, qui représente un péril. Nous avons déjà pu le vivre : pandémies, lacs qui débordent, canicules, inondations dans les terres agricoles qui mettent en difficulté la production alimentaire et la situation des agricultrices et agriculteurs siégeant dans vos rangs. C’est bien parce que nous n’arrivons pas à remettre en question un système qui nous mène droit dans le mur et à prendre des mesures à la hauteur de cette situation que notre vivre-ensemble est aujourd’hui en péril. C’est aussi pour cette raison que des jeunes, des grands-parents, des médecins, des scientifiques et une multitude d’autres personnes s’engagent dans toutes les voies possibles pour que le politique prenne des mesures et surtout qu’il prenne conscience de l’ampleur de la situation actuelle.

Le contenu de cette résolution nous montre une fois de plus combien les militantes et militants pour le climat ont raison de s’engager pour attirer notre attention, car il montre qu’il y a encore des personnes au sein de nos institutions qui n’ont pas pris la mesure de la situation. Nous estimons également que vous vous trompez lorsque vous visez à maintenir l’ordre en niant le bien-fondé de la situation climatique ainsi que les revendications des mouvements pour le climat et la possibilité pour les plus jeunes à s’équiper pour la transition – nous ne reviendrons pas sur le volet « formation » du Plan climat, mais on l’a encore bien en mémoire. Nous avons l’impression que cette résolution polarise encore plus, alors même qu’il faudrait prendre acte et agir là où nous devrions toutes et tous tirer à la même corde. Par conséquent, l’objectif et la visée de la résolution nous interpellent et il nous semble que le chemin emprunté est susceptible de provoquer des effets contraires à ce qu’elle vise. Pour ces raisons, le groupe Ensemble à Gauche et POP vous invite vivement à refuser cette résolution et réitère son soutien inconditionnel aux mouvements sociaux.

Mme Rebecca Joly (VER) —

Cette résolution intrigue, voire questionne. En effet, notre Canton a reconnu l’urgence climatique et ce n’est pas un acte que l’on peut défaire. L’urgence climatique est là, qu’on l’accepte ou non. Ce sont finalement des faits scientifiques reconnus par un des plus larges consensus scientifiques qui existe. Il est donc de notre responsabilité de le reconnaître et d’agir en conséquence. Il est relativement piquant que cette résolution s’attaque à des jugements rendus par les tribunaux de ce canton, alors qu’il y a encore trois semaines, l’une de nos collègues était attaquée parce qu’elle avait eu le droit à une tribune dans la presse critiquant l’action du Procureur général. Au nom de la séparation des pouvoirs, nous ne devrions pas critiquer ou invalider des décisions de justice dans ce plénum. Ce n’est pas notre rôle et cela m’interpelle que cela vienne de la partie de l’hémicycle ayant critiqué et rappelé cette même séparation des pouvoirs, il y a à peine quelques semaines. Finalement, cette résolution n’a pas vraiment de portée, à part d’édulcorer les faits. Or, les faits sont là et sont têtus : l’urgence climatique existe, elle appelle de nous des actions fortes et reprocher aux personnes qui se démènent dans la rue pour nous le faire comprendre et nous faire agir, nous décideuses et décideurs, est un peu fort de café. Avec le groupe des Verts, je vous enjoins fortement à rejeter cette résolution.

M. Jean-Luc Bezençon (PLR) —

Le dérèglement climatique est reconnu de toutes et tous, des agriculteurs dont je fais partie, comme de la grande majorité des acteurs des métiers de la terre qui ont compris cette évolution et sont certainement les premiers à avoir observé les signes de ces changements, plus que tout autres. Les conséquences directes liées à une telle évolution se traduisent par un accroissement des tâches et une complication des travaux. La lente évolution de la situation confronte également les éleveurs à des difficultés accrues pour la garde des animaux et qui se soldent finalement pour toutes les personnes concernées par un manque à gagner très important – et je pèse mes mots.

Quantité de dispositions ont été prises par l’ensemble des collaborateurs de la nature pour essayer de limiter les dégâts. Toutefois, à aucun moment, nous avons enregistré des débordements de la part de ceux qui auraient pourtant la légitimé de le faire et c’est sur ce point que notre vision de la société nous différencie. En effet, le respect de nos institutions fait partie de notre ADN, gens de la terre, cette petite partie de la population qui chaque jour vous permet de survivre. Il est réjouissant de constater qu’une large partie de la population, de gauche comme de droite, respecte les règles essentielles de notre fonctionnement démocratique pour garantir la paix sociale et s’inquiète des actes illicites qu’une petite partie de la société utilise pour se faire entendre en faisant fi, lors d’actions coup de poing, de l’élémentaire respect des concitoyens, encore moins de celui de la propriété.

Si cette situation suscite le soutien de certains, d’autres s’interrogent sur l’impartialité de la justice, en raison de plusieurs acquittements prononcés par des tribunaux de première instance, des Cours de justice probablement mises sous pression par une partie de l’opinion publique et certainement aussi par une résolution acceptée symboliquement et à juste titre par notre Grand Conseil en mars 2019, sans lui donner pour autant – c’est important de le dire – force de loi. À la suite des diverses interventions que j’ai déposées au nom du groupe PLR – pour lesquelles nous attendons encore des réponses – et en raison de ces interpellations qui vont en partie en direction des inquiétudes du député Karlen, je vous encourage, comme plusieurs membres de mon parti, à accepter cette résolution. En effet, quelles que soient les causes pour lesquelles nous nous engageons, aucune n’autorise les débordements auxquels nous avons assisté ces derniers temps. Pour conclure, je tiens à nuancer mes propos en précisant que je ne retiendrai pas la phrase du texte déposé, soit « hypothétique état de nécessité » et me limiterai simplement à vous encourager à accepter la conclusion qui demande « le Grand Conseil proclame que l’urgence climatique décrétée le 19 mars 2019 ne peut et ne doit en aucune circonstance légitimer une quelconque forme de désobéissance civile et d’éco-délinquance ».

Mme Jessica Jaccoud (SOC) —

Une partie de ce Grand Conseil s’interroge sur l’impartialité de la justice, laquelle serait mise sous pression par l’opinion publique. Si le Grand Conseil devait voter cette résolution, l’organe législatif mettrait ouvertement, et dans sa majorité, en doute l’impartialité de la justice à appliquer le droit et à déterminer sur quelles bases juridiques des éléments peuvent être justifiés par l’état de nécessité ou encore la légitime défense. Je dois vous avouer que je goûte ce débat avec un certain plaisir, et ce, après avoir tout entendu ou presque à la suite d’une chronique que j’ai publiée il y a quelques semaines et sur laquelle plusieurs critiques ont été adressées en termes de séparation des pouvoirs. Aujourd’hui, une partie de ce plénum serait donc prêt à engager non pas sa plume et opinion personnelles, mais bien le Grand Conseil, soit l’entier du législatif et du premier pouvoir de notre canton, pour dire clairement la manière dont nos tribunaux doivent rendre la justice. Si vous êtes prêts à effectuer ce passage, je vous demande d’accueillir avec bienveillance les futurs courriers que vous recevrez du Procureur général et de l’Ordre judiciaire vous rappelant, à juste titre, deux à trois fondamentaux dont vous avez aimé vous gargariser il y a quelques semaines, s’agissant de principes garantissant l’Etat de droit, l’indépendance de la justice et la séparation des pouvoirs.

Sur les questions de fond, je rejoins entièrement les propos prononcés par les différents élus de mon bord politique. Je vous appelle à la plus grande retenue s’agissant du contenu de ce texte et à le refuser avec véhémence, tant sur le fond que sur la forme car, si vous passez ce cap, vous recevrez bien plus qu’un courrier…

M. Jean-Luc Chollet (UDC) —

Je m’étonne de ce glissement progressif, mais ferme des termes du débat. Notre collègue Karlen n’a jamais parlé ni attaqué frontalement la justice. L’UDC ne se le permettrait pas. M. Karlen a posé d’autres questions ; je n’avais cependant pas la naïveté de penser que sa résolution passerait comme une lettre à la poste. Nous partageons certaines valeurs et constats avec vous, collègues de gauche. Comme vous, nous constatons l’épuisement des réserves naturelles et nous déplorons également la course à la consommation. De plus, nous nous interrogeons sur l’axiome de ces trente dernières années : je consomme donc je vis, je vis donc je suis heureux. Nous déplorons aussi que, quotidiennement, un convoi de 40 tonnes circulant dans le tunnel du Gothard et qui descend de la Suisse vers l’Italie avec de l’eau Valser croise son homologue italien qui monte d’Italie vers la Suisse avec de la San Pellegrino, alors même que nous avons une eau garantie et sûre à nos robinets et que l’on ne paie pas au litre mais au m3. Nous partageons toutes ces préoccupations, de même que nous nous interrogeons sur la notion du bonheur qui dépend forcément du fait d’aller passer un weekend à Barcelone, à un prix qui fait passer les chemins de fer pour des profiteurs, alors que le débat est totalement perverti. L’objectif du plein emploi – nous partageons votre point de vue – ne justifie pas et plus la course au gaspillage.

Cela étant, en quoi l’environnement se trouve-t-il soulagé parce qu’une équipe considère normal d’aller se coucher sur le pont Bessières ou Chauderon, à un moment de grande circulation, avec des moteurs qui tournent, des gens qui s’énervent et des risques d’accident ? En quoi cela fait-il avancer la cause de la protection de l’environnement ? Et en quoi l’occupation du Mormont, avec toute l’énergie et les frais générés par la remise en état des lieux, fait-elle avancer la cause de la purification de l’air et de la protection de l’environnement ? Alors que, depuis une quinzaine de jours, nous sommes toutes et tous les témoins impuissants et consternés de ce qui se passe aux marches de l’Europe, avec des événements qui sont autrement plus graves, j’aurais souhaité que nous ayons un peu plus de tenue et que nous sortions, pour une fois, de la caisse à sable pour nous rendre compte que les problèmes que nous avons – pour graves et sérieux qu’ils sont – sont des problèmes de riches par rapport à ce que vit une partie de nos frères et sœurs en Ukraine.

M. Laurent Miéville (V'L) —

Je prends la parole en tant que porteur de l’urgence climatique au mois de mars qui a été votée par ce Grand Conseil. Il s’agit dès lors de votre urgence climatique à toutes et tous. Afin de ne pas partir dans des directions relativement éloignées de l’objectif initial, il serait judicieux de rappeler les quatre points principaux de l’urgence climatique qui figuraient dans le texte validé par une écrasante majorité de notre Grand Conseil :

  1. Déclarer l’urgence climatique et atténuer les effets de cette dernière ;
  2. S’engager à examiner de manière prioritaire tout objet pouvant minimiser l’impact des effets de l’urgence climatique sur notre canton ;
  3. Informer la population le mieux possible ;
  4. Se baser sur des documents du GIEC qui sont validés scientifiquement.

Au-delà de ces quatre points, il n’y a pas d’autre message et il est par conséquent dangereux de vouloir faire dire à l’urgence climatique ainsi qu’à la résolution votée en mars 2019 des choses qu’elles ne disent pas. Il ne s’agit pas d’encourager ou de décourager des personnes de commettre des actes répréhensibles, mais bien de montrer à la population que le Grand Conseil est conscient de l’importance de sa tâche et qu’il s’y attèle de manière productive, informée et efficace. Au-delà, nous partons dans des débats stériles et qui ne font qu’encourager ce type de comportement. Montrons à nos citoyennes et citoyens que nous pouvons nous réunir ensemble, indépendamment de notre parti, autour de mesures concrètes ayant déjà eu des effets. Soutenons également le Conseil d’Etat lorsque ce dernier vient avec des mesures efficaces. Evitons toutefois de partir dans des polarisations stériles qui ne feront qu’encourager des comportements répréhensibles, illégaux, dit parfois même de désobéissance civile. C’est à la justice de décider si ces personnes doivent être condamnées ou pas. La désobéissance civile est une notion très large. Lorsque nous plantons nos affiches en pleine période de campagne électorale, nous ne nous conformons pas toujours aux règles cantonales. Or, est-ce de la désobéissance civile ? Je vous laisse en juger.

Pour toutes ces raisons, je vous encourage à garder l’axe que nous avons pris il y a quatre ans. Je tiens d’ailleurs à ce que les effets de cet axe soient projetés :

*insérer graphique

Il s’agit d’un graphique – j’aime bien les graphiques – illustrant les mentions que le Grand Conseil a traitées sur l’urgence climatique durant ces dernières années. En rouge, il s’agit du moment où cette résolution a été traitée. Vous constaterez que le Grand Conseil a fourni un travail relativement important, avec parfois des débats nourris, mais toujours autour de l’urgence climatique. Dès 2020, les chiffres s’amenuisent avec l’arrivée de la pandémie. Je souhaiterais que le Grand Conseil reprenne des discussions constructives. Mettons-nous au travail et examinons des mesures concrètes. Nous avons voté des crédits ; certains de mes collègues députés attendent des propositions concrètes et nous sommes tous là pour travailler ensemble. Evitons encore une fois ces polarisations. Mon groupe vous recommande donc de rejeter cette proposition de résolution.

M. Jean Tschopp (SOC) —

Je ne souhaite pas d’un Parlement qui s’épuise à voter des résolutions à la suite de telle ou telle infraction. En début d’ordre du jour, Mme Misiego est intervenue pour dénoncer des menaces de mort proférées sur l’Hôtel de Ville de Lausanne contre des candidats ou élus de son Parlement. Ce n’est pas pour autant qu’elle vient déposer une résolution indiquant à la police ou à la justice la manière dont elles doivent faire leur travail. J’ai confiance en la justice de mon pays et de mon canton et ce Grand Conseil n’a pas à s’égarer à longueur de séance et à voter des résolutions au motif qu’il faudrait s’attarder plus sur tel cas que sur un autre. Il existe, dans ce pays, une séparation des pouvoirs ; je vous invite donc à la respecter. Il est important de ne pas nous égarer avec ce texte et je vous invite par conséquent à le refuser.

M. Blaise Vionnet (V'L) —

Le texte déposé par notre collègue Karlen me pose plusieurs problèmes en lien avec certaines affirmations auxquelles je ne peux pas adhérer. Premièrement, ce texte laisse entendre que la résolution proclamant l’urgence climatique est responsable de la désobéissance civile. Ce raccourci est inacceptable. L’urgence climatique est une chose en soi, la désobéissance civile en est une autre ; ne mélangeons pas tout. Deuxièmement, cette résolution sous-entend que l’urgence climatique est scientifiquement contestable. Permettez-moi d’émettre quelques doutes à ce sujet : les experts du GIEC ne seraient-ils que des scientifiques de deuxième classe ? Troisièmement, nous tenons tous, dans notre démocratie, à la séparation des pouvoirs et cela a été relevé par plusieurs de mes préopinants. Cette résolution voudrait remettre de l’ordre dans le domaine juridique, mais laissons chaque pouvoir exercer ses droits au plus près de sa conscience sans que nous, Grand Conseil, mettions notre nez là-dedans. Quatrièmement, le terme d’éco-délinquance est mentionné dans cette résolution. Or, si nous demandions aux 150 parlementaires de quelle manière ils comprennent ce terme, nous aurions 150 définitions. Vous l’aurez compris, je ne soutiendrai pas ce projet de résolution et je vous invite à en faire de même.

M. Stéphane Masson (PLR) —

Je souhaite dédramatiser le débat. Il ne s’agit pas de porter atteinte à la séparation des pouvoirs. Il faut s’en tenir à la forme : il ne s’agit rien d’autre que d’une résolution. Or, comme nous le savons tous, une résolution est une déclaration ou un vœu qui n’a pas d’effet contraignant. En vertu du parallélisme des formes et comme nous avons voté l’urgence climatique, nous pouvons aussi nous permettre d’apporter une précision, sans pour autant y adjoindre une injonction. On ne fait rien d’autre que de souligner que l’urgence climatique n’est pas une invitation à la désobéissance civile et à l’éco-délinquance. En ce sens, il est tout à fait possible de soutenir cette résolution et je vous invite à en faire de même.

M. Jean-Daniel Carrard (PLR) —

Encore une fois, il ne s’agit en aucun cas de remettre en question la décision du Grand Conseil proclamant l’urgence climatique. Si on peut s’interroger sur le texte développé avant la conclusion, il est nécessaire de se focaliser sur cette dernière qui indique que tout n’est pas acceptable pour arriver à un résultat. Il est important de rappeler qu’il y a un cadre et des règles à respecter et cela est tout à faire acceptable. J’ai entendu auparavant des interventions indiquant que les résolutions devaient respecter certaines conditions. Or, ce n’est pas le cas : les résolutions ne sont pas à géométrie variable. On peut très bien avoir des déclarations et nous en avons soutenu une avant qui visait à indiquer que l’on ne peut pas se permettre, en pleine période électorale, de menacer des personnes et avoir des comportements tels que des tags sur les murs, et ce, au même titre que l’on ne peut pas avoir des textes sur les réseaux sociaux qui invitent à tuer des patrons.

J’en reviens à cette résolution. Cette dernière recadre simplement le débat en indiquant, d’une part, « oui à l’urgence climatique » – c’est d’ailleurs ce qui est demandé en conclusion – et, d’autre part, que cela ne justifie pas toutes les formes d’expression, dont la désobéissance civile. Je vous invite donc à suivre cette résolution.

M. Dylan Karlen (UDC) —

Je souhaite recadrer le débat. La gauche de cet hémicycle s’est empressée de tout mélanger. Je remercie donc mes collègues de droite d’avoir recadré les débats. L’élément central de cette résolution est la thématique du respect de nos institutions. On évoque le respect de la loi, laquelle serait potentiellement dure. Or, je constate que le côté gauche de cet hémicycle distingue les manifestations qui sont des dispositifs légaux et autorisés pour permettre aux citoyens de s’exprimer sur différentes thématiques de la désobéissance qui est, par définition, un acte illégal. Nous pouvons nous mettre d’accord sur le fait que, si ce Grand Conseil se tient à ce qui a été mentionné par la gauche de cet hémicycle, il peut potentiellement légitimer des actions qui contreviennent aux dispositions légales et réglementaires. Il s’agirait d’un signal extrêmement grave vis-à-vis de notre population, quelle que soit la thématique mise en évidence.

Enfin, il y a le débat autour de la justice et de la séparation des pouvoirs. Mesdames et Messieurs, je tiens à rappeler que le Parlement est le législateur. A ce titre, il vote les lois, lesquelles sont appliquées et exécutées par l’organe exécutif et les éventuelles contraventions à ces dispositions sont traitées par l’organe judiciaire. Dans une disposition, qu’elle soit légale ou réglementaire, il y a toujours le texte et l’esprit. Pour prendre sa décision, la justice se base sur ces deux éléments. Il n’a donc été à aucun moment, dans ce débat, question d’interférence, voire de violation des pouvoirs. C’est bien le parlement qui a décrété l’urgence climatique et c’est lui également qui peut donner une précision, le décret formulé par la résolution ayant des conséquences quotidiennes sur l’interprétation des différentes lois ou réglementations. Au travers du texte qui vous est soumis aujourd’hui, il est important d’apporter ce recadrage et cette précision sur la notion d’urgence climatique.

M. Jean-Luc Bezençon (PLR) —

Après avoir écouté les propos tenus dans cet hémicycle, on se rend compte que nous sommes tous d’accord sur l’urgence climatique – je l’avais indiqué dans mon précédent plaidoyer. Le député Karlen demande simplement le respect de nos institutions et je tiens à vous rappeler que c’est pour cette cause que nous avons prêté serment au début de la législature. En effet, nous avons toutes et tous prêté un serment ayant pour objectif le respect de nos institutions. D’un côté, la droite demande que la désobéissance civile ne reste pas impunie et, d’un autre côté, j’entends certains d’entre vous être tolérants par rapport à celle-ci. Comme rappelé à plusieurs reprises, nous sommes évidemment en faveur de la séparation des pouvoirs et je ris un peu lorsque j’entends certains députés de gauche parler de son respect : les derniers événements nous ont montré que ce n’est pas toujours le cas. La dernière phrase de la résolution de M. Karlen est claire et nous sommes d’accord avec cela. Nous souhaitons que la justice puisse faire son travail et, de votre côté, vous tolérez les actes de désobéissance civile impunis.

Mme Béatrice Métraux — Conseiller-ère d’Etat

J’ai écouté avec un grand intérêt vos débats, mais je dois avouer que j’en ressors quelque peu dubitative. Mesdames et Messieurs, vos résolutions sont des textes importants. Ils expriment vos opinions et ce pour quoi vous êtes prêts à vous engager. Nous l’avons constaté la semaine dernière, vous étiez tous prêts à vous engager pour la transition énergétique et prêts à accélérer les procédures. En outre, vous avez tous souligné l’importance de la résolution de M. Marc-Olivier Buffat. Il s’agit donc d’un élément, d’un acte et de paroles fortes. Or, cela ne se traduit pas par un décret, mais bien par une intention politique. Contrairement à ce que laisse entendre le développement du texte de la résolution, la question du réchauffement climatique est incontestable. Sur le plan scientifique, vous semblez visiblement d’accord sur ce fait, mais ce n’est pas ce qui figure dans la résolution. Le consensus scientifique établit depuis plus de 30 ans l’impérieuse nécessité de réduire de manière drastique et sans attendre – d’où l’urgence – les émissions de gaz à effet de serre, si nous souhaitons collectivement maintenir un climat favorable au bien-être, à la prospérité humaine ainsi que, M. le député Bezençon l’a rappelé, aux difficultés des agriculteurs.

M. Karlen indique que la résolution déclarant l’urgence climatique « engendre néanmoins d’inquiétantes dérives en matière de désobéissance civile ». M. Bezençon quant à lui mentionne l’impartialité de la justice à ce sujet. M. Carrard a souligné le fait qu’il fallait absolument respecter le cadre et recadrer tout le monde, en gros. Toutefois, et je remercie M. Miéville de l’avoir fait, il suffit de lire le texte voté par le Grand Conseil le 19 mars 2019 pour se rendre compte qu’à aucun moment il est question de justifier des actes ou des comportements contraires à la loi. La résolution s’adresse en premier lieu au Conseil d’Etat afin qu’il prenne toutes les mesures nécessaires pour faire face au changement climatique – et il a été dit, ici et là, que le Conseil d’Etat n’en faisait pas assez.

Au-delà de ces considérations, il m’apparait que cette résolution porte atteinte à la séparation des pouvoirs, dont votre législatif s’est ému ces dernières semaines. En effet, les juges appliquent le droit dont les sources sont la loi, la jurisprudence, à savoir les décisions rendues par les tribunaux supérieurs, mais aussi la doctrine, soit les auteurs. Un acte contraire au droit sera jugé comme tel : qu’il s’agisse d’atteintes au patrimoine ou d’incitations à la haine, les infractions doivent être poursuivies. Il y va de l’égalité de traitement entre les citoyennes et les citoyens de notre pays. C’est un des fondements de notre démocratie et de notre Etat moderne et les conditions de punissabilité au pénal dépendent du Code pénal qui est de droit fédéral. Les cantons n’ont donc aucune compétence en la matière. Ainsi, la résolution déposée par M. Karlen laisse croire à tort que les juges sont influençables, ce qui, vous en conviendrez, porte atteinte à leur probité et à leur devoir premier qui est celui d’appliquer le droit en toute indépendance. Aussi, l’acceptation d’une telle résolution ferait non seulement fi de tous les faits attestés scientifiquement et, de plus, elle serait de nature à nuire au bon fonctionnement et à la crédibilité de l’ensemble de nos institutions. Je vous invite donc à ne pas soutenir cette résolution.  

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est close.

La résolution est refusée par 72 voix contre 56 et 6 abstentions.

M. José Durussel (UDC) —

Je demande un vote nominal.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

Cette demande est appuyée par au moins 20 membres.

Celles et ceux qui soutiennent cette résolution votent oui ; celles et ceux qui la refusent votent non. Les abstentions sont possibles.

Au vote nominal, la résolution est refusée par 72 voix contre 57 et 7 abstentions.

*insérer vote nominal

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