Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 16 février 2021, point 21 de l'ordre du jour

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Texte adopté par CE

RC-218

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M. Yvan Luccarini (EP) — Rapporteur-trice

Pour rappel, ce postulat visait à la mise en œuvre d’outils pour combattre le fléau des faillites à répétition. Le Conseil d'Etat partage les préoccupations de la postulante en précisant que les pistes consistent principalement à des modifications légales sur le plan fédéral — la scène fédérale étant d’ailleurs saisie de plusieurs objets dans ce domaine. Toujours selon l’avis de la commission et du Conseil d'Etat, la meilleure piste qui s’offre serait la mise en place d’un registre cantonal, voire intercantonal, des faillites. Le Conseil d'Etat indique que cela ne sera possible qu’à l’horizon 2023, en raison notamment de contraintes et de modalités techniques qui visent à harmoniser, compiler et vérifier les renseignements concernant des mêmes personnes auprès de dix registres.

Enfin, lors de la discussion générale, la question du Code pénal et de ses dispositions visant à réprimer les comportements de personnes qui abuseraient des faillites à répétition a été soulevée ; il est à relever ici qu'aucune statistique n’existe en la matière. De plus, il est à observer l’absence d’instructions ou de directives de la part du Tribunal cantonal à l’intention des offices, pour dénoncer, par exemple, les personnes qui ne tiennent pas ou sommairement une comptabilité. Par conséquent, les membres de la commission souhaitent soumettre ces problématiques à la Commission de haute surveillance du Tribunal cantonal pour une éventuelle analyse dans un prochain rapport. Si vous partagez son vœu, l’interpellation de la commission pourrait se faire via un courrier, dont la formulation est la suivante : « La commission souhaite que la Commission de haute surveillance du Tribunal cantonal se penche sur la question de l’unification des pratiques en matière de dénonciation pénale ainsi que sur les statistiques des Offices de faillite afin d’obtenir un monitorage. »

Enfin, la commission vous recommande d’accepter le rapport du Conseil d'Etat à l’unanimité des membres présents.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est ouverte.

Mme Valérie Induni (SOC) —

Je remercie le Conseil d'Etat pour sa réponse. Le problème des faillites à répétition a été identifié par le Conseil d'Etat qui l’a intégré dans son Programme de législature 2017-2022 au chapitre 2.4 avec l’action suivante : « lutter contre les faillites en cascade, éviter les abus liés à ce phénomène en modifiant au besoin les bases légales en concertation avec les partenaires sociaux. » Le conseiller d’Etat en charge a évoqué, dans ce cadre, la mise sur pied d’un groupe de travail qui a pu identifier de nombreuses pistes mais généralement de rang fédéral. Par ailleurs, six objets ont été déposés au Conseil national pour lutter contre ce problème.

Ce système, souvent lié à des réseaux de type criminel, crée une concurrence déloyale, une sous-enchère salariale, et reporte des charges sur la collectivité, par exemple au niveau de la caisse de chômage, des assurances sociales.

En tant que postulante, mon intention n’est pas de jeter l’opprobre sur un entrepreneur ou une entrepreneuse qui aurait fait faillite et se lancerait dans une nouvelle activité. En effet, en particulier pendant la période spéciale que nous vivons, il est important de bien distinguer le système de faillites en cascade, qui constituent des abus de droit, de celles qui se produisent lorsqu’une entreprise a mal évalué ses risques, est empêchée de travailler — comme c’est le cas maintenant pour passablement d’entre elles ‑ ou se retrouve dans un secteur où la demande est en baisse.

Dans son rapport, le Conseil d'Etat émet des réserves importantes en ce qui concerne la mise sur pied de listes noires. Toutefois, les buts de cette liste pourraient être atteints au niveau fédéral par la mise en place d’un système du même type que celui contre le travail au noir. Dans la Loi sur le travail au noir (LTN), le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) dispose d’une liste d’entreprises exclues des marchés publics pour avoir occupé des travailleurs au noir. Actuellement, il y a quatre registres de faillite dans notre canton. Je remercie le Conseil d'Etat d’avoir initié les démarches de reprise des données afin d’avoir en 2023 un registre cantonal. Je regrette toutefois qu’il faille encore attendre 2 ans, le Conseil d'Etat ayant jugé qu’il y aurait trop de travail pour reprendre les anciens dossiers.

Je souhaite que le Conseil d'Etat en charge puisse nous informer de l’avancée de ce dossier. Je soutiens également le vœu de la commission pour que la Commission de haute surveillance du Tribunal cantonal se penche sur les pratiques des divers offices de poursuites et faillites afin d’aller vers une unification des pratiques. Enfin, je remercie le Conseil d'Etat pour les informations fournies dans le rapport afin d’éviter des risques dans le cadre des marchés publics. J’accepte le rapport et accueille le vœu de la commission, remercie le Conseil d'Etat, tout en espérant qu’il continuera à s’engager avec détermination sur cette problématique figurant dans son Programme de législature.

M. Guy Gaudard (PLR) —

Je déclare mes intérêts comme entrepreneur électricien ; j’occupe une cinquantaine d’employés, dont des apprentis. J’ajoute qu’une partie de mes propos ont un caractère redondant par rapport aux propos de Mme Induni et de M. Luccarini, néanmoins, je tenais à apporter mon témoignage par rapport à ces faillites en cascade. En effet, pour une entreprise bien intégrée dans le tissu local, une multitude de documents sont à fournir pour participer à une soumission publique, par exemple la garantie de bonne exécution. Cette dernière implique, avant de débuter un travail — par exemple de 1,5 million — que vous versiez 10 % du montant de l’adjudication, comme garantie de bonne exécution, au cas où vous faites faillite pendant les travaux, car ainsi le maître de l’ouvrage a de quoi voir venir pour engager une autre entreprise. Il s’agit d’un montant qu’il faut avoir en trésorerie, ce qui n’est pas forcément évident. Ensuite, sont exigés l’extrait de l’Office des poursuites, celui du paiement des impôts et des charges sociales, la garantie de fin de travaux. Pour cette dernière, lorsque vous avez fini les travaux, vous établissez la facture finale, mais 10 % sont retenus pendant deux ans. Encore une fois, au niveau de la trésorerie, ce n’est pas non plus évident. En outre, le paiement des acomptes se fait maintenant régulièrement à 60 jours et non plus à 30 jours. Quant au paiement de la facture finale, l’habitude s’établit aussi de plus en plus entre 60 et 90 jours. Par conséquent, aujourd’hui, pour être entrepreneur, il faut avoir les reins solides, une bonne dose d’abnégation et de confiance en soi.

Quant à la question des faillites en cascade, dans la construction il s’agit d’un véritable sac de nœuds. En effet, les coquins sont nombreux, et il manque tout de même quelques outils pour parer à ces faillites que je qualifie de douteuses. En effet, pour le moment, il n’existe aucune transversalité entre les divers offices de poursuites et faillites suite à une incompatibilité du matériel informatique. Or, une transversalité devrait être possible entre le registre du commerce, l’administration cantonale des impôts, les institutions qui encaissent les charges sociales et l’AVS, ce qui faciliterait les renseignements désirés sur la solvabilité du soumissionnaire.

Ainsi, un registre cantonal des poursuites est indispensable. Si le délai est fixé à 2023, je considère qu’il devrait être accéléré, car nous avons de plus en plus de tricheurs dans le secteur de la construction, surtout pour les gros travaux. Nous devrions aussi disposer d’une liste noire des entreprises qui abusent du système, car nombre de données transmises au pouvoir adjudicataire sont incomplètes, voire fausses.

Lors de faillites, il devait être d’office possible de poursuivre les administrateurs de la SA ou des gérants de la Sàrl. A titre personnel, je considère qu’il faudrait pouvoir aller chercher leurs biens privés — pour autant qu’ils en aient. Ensuite, il faudrait également se montrer plus sévère au niveau des amendes, que le gérant de la SA ou de la Sàrl soit sévèrement amendé, que se pose en outre l’interdiction de changer, six mois avant la faillite, d’administrateur ou de gérant. En effet, cette pratique est assez fréquente, et il est toujours surprenant de découvrir dans la Feuille des avis officiels (FAO) une annonce de changement d’administrateur, puis, six mois après, la faillite de l’entreprise. Ensuite, l’interdiction de soumissionner publiquement pendant 5 à 10 ans, pour celui qui a provoqué une faillite que j’appellerais douteuse, serait aussi nécessaire. Les faillites en cascades sont le cancer du bâtiment.

En conclusion, je vous invite à suivre le vote de la commission qui, à l’unanimité, a décidé d’envoyer ce postulat au Conseil d'Etat ; j’en profite pour remercier Mme Induni de son initiative.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

Pour que les choses soient claires, il s’agit d’accepter le rapport du Conseil d'Etat qui répond à ce postulat.

M. Nicolas Mattenberger (SOC) —

J’ai fait partie de la commission qui a étudié le rapport du Conseil d'Etat, et je voudrais insister sur le vœu émis par la commission, c’est-à-dire de mandater ou de proposer à la commission de Haute surveillance d’étudier la politique en matière de dénonciation, dans le cas de faillites, puisque nous avons pu le voir dans le cadre de nos travaux, il n’existe pas d’informations sur les éventuelles directives au sein des offices des faillites, pour savoir dans quels cas des plaintes pénales sont déposées.

Dans le cadre de mon activité professionnelle d’avocat, je suis très souvent étonné du manque d’entrain de la part de l’Office des poursuites et faillites à dénoncer des cas pour lesquels, dans certaines situations, des gens reviennent d’une société à l’autre, avec des pratiques qui sont toujours plus ou moins les mêmes. Des questions relatives aux charges sociales et aux impôts se posent également. Je considère qu’il est effectivement important, car c’est l’un des seuls points pour lesquels notre canton a des compétences, d’étudier la politique pénale des offices des faillites, pour que les cas — de plus en plus nombreux — soient dénoncés à la justice, qu’il existe aussi un rôle répressif pour éviter que, dans le futur, des individus recommencent sans qu’il n’y ait de conséquences sur le plan pénal ou punitif. S’agissant des autres mesures proposées aujourd’hui, il est vrai que pour une grande partie, ce sont des mesures d’ordre fédéral, en étant conscient que lorsqu’on entreprend ou crée une SA ou Sàrl, une certaine latitude dans la gestion est également essentielle. Il s’agit de se concentrer sur les gens qui abusent du système, que les lois pénales permettent déjà de poursuivre. Toutefois, il faut que les dénonciations soient faites, que prévale une véritable volonté de politique pénale en la matière.

Mme Catherine Labouchère (PLR) —

A juste titre, la question de l’exploitation des faillites à répétition préoccupe le monde politique. Il ne s’agit pas de stigmatiser les entreprises qui connaissent des difficultés et qui doivent recourir à cette procédure, mais d’empêcher celles qui l’exploitent par en emploi abusif, dans un but de concurrence déloyale. Dans le canton, un registre cantonal des faillites est institué, mais la législation sur ce thème est fédérale. Plusieurs interventions sont d’ailleurs en cours à ce sujet auprès des Chambres fédérales. Les préposés de l’Office des poursuites et faillites sont également tenus, s’ils découvrent des cas susceptibles d’être des infractions pénales, de les dénoncer. Comme ce registre cantonal des faillites n’est pas unifié, les pratiques peuvent être différentes d’un office à l’autre, et cela constitue un souci supplémentaire. C’est pourquoi les membres de la commission émettent le vœu que la Commission de haute surveillance du Tribunal cantonal se penche sur la question de l’unification des pratiques en matière de dénonciation pénale, ainsi que sur les statistiques des offices de faillites pour en avoir un suivi régulier. Le PLR vous recommande d’accepter le rapport du Conseil d'Etat ainsi que le vœu formulé par la commission.

M. Arnaud Bouverat (SOC) —

Je déclare mes intérêts comme Secrétaire syndical au syndicat Unia. J’aimerais témoigner de la situation d’impunité qui règne malheureusement dans le domaine du bâtiment en regard du nombre de faillites frauduleuses — ou soupçonnées frauduleuses — qui minent une juste concurrence et péjorent les conditions de travail des salariés de toutes les branches concernées. Ceci est dû, d’une part, au faible nombre estimé d’enquêtes en la matière et, d’autre part, à des instruments parfois informatiques ou administratifs, qui ne sont pas adaptés aux enjeux de la branche, mais aussi de l’internationalisation des financements des entreprises actives dans ce domaine. Plusieurs préopinants ont relevé l’importance de la transversalité des informations au sein du canton avec l’élaboration d’un registre cantonal. En effet, il est aussi important de posséder une très bonne transparence du suivi des administrateurs, afin qu’une véritable gestion des risques puisse être établie, tant par les commissions paritaires actives dans la branche que par les collectivités publiques qui lancent des marchés en faveur de ces branches.

Le rapport d’aujourd’hui ne saurait être considéré comme une fin en soi, mais plutôt comme une première étape qui va dans la bonne direction, une étape relativement timide, puisqu’une grande partie des progrès ne pourrait intervenir qu’au niveau fédéral. Par contre, pour ce qui relève de notre compétence, la formulation des ambitions de ce premier rapport demeure fort modeste. En effet, si examiner la faisabilité constitue une incontournable étape, il apparaît que relativement à l’urgence de la situation, et pour éviter un nombre de faillites en cascade supplémentaire, d’appeler le Conseil d'Etat à se montrer le plus proactif possible dans la mise en place de ce registre cantonal et de ses améliorations informatiques, à veiller à ce que les éventuels impacts économiques que pourrait avoir le Covid, durant ces prochains mois, ne retardent pas la mise en place des dispositifs hautement nécessaires à la préservation d’un tissu économique viable pour notre canton.

M. Marc-Olivier Buffat (PLR) —

La question des faillites à répétition nous a déjà occupés à de nombreuses reprises. Pour l’essentiel, cette problématique ressort d’une part du droit fédéral, de la Loi sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP) et du Code des obligations, d’autre part. Nous vivons dans une société où tout devient urgent… le Covid, le climat… et maintenant le registre cantonal des faillites que notre collègue Bouverat veut aussi placer au rang des urgences.

C’est un petit pas ; je me permets d’attirer votre attention sur le fait que tant que nous n’aurons pas de registres intercantonaux plutôt que cantonaux — et c’est là que résident toute la difficulté et l’ampleur de la tâche à accomplir — il restera extrêmement facile de déplacer son siège à Châtel-Saint-Denis, par exemple et, ni vu ni connu, on file sous le radar ! En effet, il est extrêmement aisé de déplacer le siège d’une société — peut-être l’une des choses les plus simples en matière administrative — et d’en recréer une autre, sur les mêmes bases et les mêmes conditions, juste à quelques kilomètres de la frontière cantonale.

Il y a peut-être effectivement urgence à traiter cette question, car depuis que je suis député, nous en parlons. Toutefois, cette urgence est quand même extrêmement relative face à l’objectif à atteindre, à la pertinence des moyens à mettre à disposition. Soyons lucides : tant que nous n’aurons pas un registre national des faillites et des poursuites, il restera très facile — surtout pur des gens dépeints comme des petits malins — de continuer à pratiquer de la sorte. Bien entendu, on ne peut que déplorer ces agissements, qui ont parfois un caractère pénal, mais dans ce type d’affaires, la justice pénale demande aussi beaucoup de moyens. Je prends acte de la volonté du Conseil d'Etat d’aller dans le sens de ce registre cantonal, mais j’attire votre attention sur le fait que cela ne résoudra pas ou que très faiblement la problématique que vous voudriez voir résolue.

M. Jean Tschopp (SOC) —

En effet, il faut avoir l’honnêteté de le reconnaître, la question du registre des faillites ne résoudra sans doute pas tout. Dans ce contexte, il est intéressant d’observer la pratique en cours dans d’autres cantons, notamment le cas du Tessin, qui a dévolu à la lutte contre les faillites à répétition, une cellule du Ministère public dédiée à des enquêtes instruites contre ce type d’activités. Ces dernières sont un fléau, non seulement pour les salariés, sous-payés, exploités, mais aussi pour les entrepreneurs honnêtes qui subissent les conséquences d’une concurrence déloyale.

Au fond, la question des moyens, puisqu’il est beaucoup question de bases légales qui sont largement fédérales, revient à celle des moyens d’investigation ; cela me rappelle le sujet de la traite des êtres humains. En effet, longtemps, dans ce canton, les statistiques donnaient le sentiment d’un nombre très faible d’êtres humains victimes de traite. Puis, sans changer la loi, des moyens ont été mis en place, notamment la naissance d’Astrée, une association subventionnée par l’Etat qui lutte contre la traite d’êtres humains, qui œuvre à la protection des victimes. Depuis sa mise en place, il y a 5 ans, on observe, dans ce domaine, année après année, le nombre de victimes de ce fléau. Par conséquent, il me semble qu’il s’agit de poser la question des moyens, car elle est au moins aussi importante à mes yeux que les bases légales à imaginer ou à développer dans ce domaine. Nous attendons aussi des réponses du Conseil d'Etat à ce niveau.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est close.

Le rapport du Conseil d’Etat est approuvé à l’unanimité.

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