Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 16 mars 2021, point 29 de l'ordre du jour

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Rapport de la commission (20_POS_207) - Vincent Keller

Objet

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M. Vincent Keller (EP) — Rapporteur-trice

Le postulat qui nous est proposé par Mme la députée Joly concerne l’introduction, dans notre canton, d’un revenu de transition écologique (RTE). Le RTE est le résultat des recherches de Sophie Swaton, maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne, économiste et philosophe. Le RTE est inspiré par le fameux revenu de base inconditionnelle (RBI) qui a fait l’objet, il y a cinq ans, d’une initiative refusée par 76,9 % des votants. D’ailleurs, Sophie Swaton est très critique envers le RBI ; je la cite : « Mais soyons lucides. Nous ne sommes plus dans le monde des années 1990 ! On croyait encore au développement durable, au découplage grâce aux seules technologies pour nous sortir de l’ornière pointée par le GIEC ou l’IPBES. » Le RTE poursuit donc un autre objectif qui se décline en trois axes : social, écologique et politique. Si on peut simplifier au maximum le concept de RTE — je sais la postulante très précise, je la laisserai répondre à toutes vos éventuelles questions — il permet de verser un revenu à des personnes physiques en échange d’un travail au sein d’un projet qui doit inclure la transition écologique et sociale. Ce n’est pas un arrosoir, comme c’était prévu pour le RBI ; je cite à nouveau Sophie Swaton : « Aujourd’hui, compte-tenu du triple contexte social, écologique et politique, est-ce bien raisonnable de ressortir des tiroirs sans recontextualiser, cette très vieille idée de verser inconditionnellement un revenu à tout le monde, aux soignants et aux agricultrices comme aux traders et aux pilotes de ligne ? » Sophie Swaton répond donc par le RTE : « A mon sens, c’est en prenant pleinement en compte les besoins du terrain, localement, ainsi que les demandes des plus précaires qui souhaitent trouver un travail épanouissant, et non pas vivre d’un revenu d’assistance, que l’on peut dépasser les freins et identifier de véritables emplois inscrits dans les limites planétaires : agroécologie, permaculture, construction low tech, alternatives à l’obsolescence programmée, mobilité, urbanisme, énergie citoyenne, éducation environnementale (photo du toit végétalisé du DIP à Genève), économie de la fonctionnalité etc. » Le Conseil d’Etat estime, de son côté, qu’il promeut déjà une forme de RTE avec une mesure forte, un appel à projets lancé par la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), projets qui ont ensuite été évalués par la fondation Zoein, dirigée par Sophie Swaton. Cet appel a permis de démarrer des projets concrets : « Transfo » — l’ouverture d’une bibliothèque d’objets à Yverdon — et « Cultive ton talent » — qui permet à des bénéficiaires du revenu d’insertion (RI) de se réinsérer grâce à la permaculture. Le Conseil d’Etat précise encore que 2021 verra d’autres projets démarrer. Mme la conseillère d’Etat pourra certainement préciser l’état d’avancement de ces projets.

La commission s’est intéressée aux coûts du RTE, un coût qui est difficile à estimer aujourd’hui, puisque les mesures de réinsertion sociale dont parlait Mme la conseillère d’Etat — « Transfo » et « Cultive ton talent » — sont incluses dans les mesures de réinsertion sociale qui représentent à peu près 50 millions dans le budget 2021. Au vote final, la commission recommande au Grand Conseil de prendre en considération ce postulat par 4 voix contre 3.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est ouverte.

Mme Rebecca Joly (VER) —

Tout d’abord, je remercie la commission pour le bon accueil qu’elle a fait à ce postulat. C’est un texte qui me tient particulièrement à cœur, puisque cet outil du RTE me semble intéressant à un double point de vue. Tout d’abord, c’est un outil qui permet la réinsertion socioprofessionnelle des personnes qui sont a priori en décrochage, qui sont à la recherche d’un travail depuis de nombreuses années, mais qui n’y arrivent pas pour un tas de raisons. Cela permet de les réinsérer dans le monde du travail à travers des projets à dimension écologique et sociale. Cela permet, d’un côté, de réinsérer ces personnes qui veulent le faire, mais qui n’y arrivent pas, et, de l’autre côté, cela permet aussi d’aider des porteurs de projets à dimension écologique à mener à bien leurs projets grâce à cette aide et l’apport de personnes formées pour ces projets, qui y travaillent et pour lesquels il n’y a pas besoin de verser un salaire au moment du lancement du projet, puisque celui-ci est pris en charge par l’Etat. C’est une forme un peu différente d’investissement dans des projets à vocation écologique. Pour moi, il s’agit d’une mesure gagnant-gagnant.

Je précise que cet objet est un postulat : le but de mon texte est vraiment que le Conseil d’Etat analyse et étudie les différents risques et les différentes opportunités de la mise en place d’une telle mesure, afin que l’on puisse éventuellement la prendre et avancer dans ce sens. La question du coût, qui a été soulevée, est une des questions à laquelle il faudra répondre dans l’étude de ce postulat.

Entre la séance de la commission et aujourd’hui, le Parlement jurassien a accepté un postulat similaire d’un collègue vert jurassien qui demande aussi d’étudier la mise en place d’un RTE dans le canton du Jura. Il y a donc un élan pour trouver des solutions à la transition écologique, mais aussi à la question de la réinsertion professionnelle, dans un moment où la question de la réinsertion professionnelle d’un certain nombre de métiers se pose au vu de la transition écologique. Je pense qu’il y a des choses intéressantes à faire en collaborant avec le Jura qui va lancer une telle étude. Pour toutes ces raisons, je vous remercie de suivre la commission et de renvoyer ce postulat au Conseil d’Etat.

M. Philippe Germain (PLR) —

En préambule, je déclare mes intérêts : j’étais membre de cette commission. Le postulat déposé par Mme Rebecca Joly et consorts demande au Conseil d’Etat d’étudier la possibilité de développer un nouvel outil à vocation sociale et écologique, outil à la fois monétaire — par le biais du versement d’un revenu minimum à des travailleuses et travailleurs œuvrant à la transition vers une économie durable — mais également une aide à des projets de transition écologique. Une des clés de ce RTE serait également l’accompagnement social des bénéficiaires. Mme la conseillère d’Etat a précisé qu’une série de mesures de réinsertion socioprofessionnelle, en accord avec le Plan climat adopté en juin 2020 par le Conseil d’Etat, a été lancée en automne 2020 et que d’autres projets sont d’ores et déjà prévus en 2021. Il est à noter que ces mesures ont été développées en collaboration avec la fondation dirigée par la professeure Sophie Swaton qui a initié et développé le concept de RTE. Mme la conseillère d’Etat a également indiqué aux commissaires que ces mesures existantes et à venir sont imputées au budget annuel de 50 millions de francs alloués aux mesures d’insertion sociale. Suite à ces précisions, la question suivante se pose : ces mesures déjà en place ne sont-elles pas suffisantes ? Ou tout du moins, ne serait-il pas adéquat de leur laisser le temps de se développer pour pouvoir porter un regard objectif sur leurs résultats concrets, avant de développer d’autres outils proches ou similaires dont les coûts ne seraient pas forcément pris en charge par le budget précité ? Pour ma part, les arguments de Mme la conseillère d’Etat et la mise en place des projets en cours — qui vont, selon elle, se poursuivre — me semblent répondre aux questions du postulat. Est-il nécessaire de charger l’administration publique d’une telle étude, surtout en ces temps de pandémie, plutôt que d’attendre le résultat des projets déjà lancés ? C’est la raison pour laquelle, au nom du groupe PLR, je vous demande de ne pas prendre en considération ce postulat.

M. Jean Tschopp (SOC) —

Ce texte de notre collègue Rebecca Joly intervient dans un contexte particulier : notre session du jour est centrée sur les objets en lien avec le coronavirus et la crise dans laquelle nous nous trouvons encore plus d’une année après le début de cette pandémie. Naturellement, cette crise pose des questions sur le monde dans lequel nous vivons, sur les choses que nous devons changer pour relever le défi climatique qui s’impose à nous, qui engage nos autorités et qui nous engage aussi en tant qu’élus. De ce point de vue, le postulat de notre collègue arrive à point nommé. Je constate que d’autres contributions — je pense notamment au texte de notre collègue Jessica Jaccoud sur l’assurance générale de revenu — sont aussi des propositions qui sont sur la table. Nous avons tout intérêt à renvoyer ce postulat au Conseil d’Etat. Nous le constatons avec la crise, il y a des fonctionnements que nous devons changer. Il y a aussi certainement des métiers en voie de disparition. Nous devons identifier où sont les métiers de demain et où sont les métiers qui permettront de relever le défi de l’urgence climatique. Je note aussi une forte précarisation de tous les métiers liés au secteur de plate-forme, qu’il s’agisse de la livraison à domicile, du secteur des voitures de transport avec chauffeur (VTC), des taxis. Cela se développe bien évidemment dans plusieurs autres services à la personne. Ce modèle d’affaires qui génère beaucoup de revenus pour les plates-formes — qui exploitent souvent leurs travailleurs en les faisant passer pour des indépendants — est aussi un défi qui se pose à nous. C’est aussi un facteur de précarisation et nous devrons poser un cadre pour combattre ce type de dérives qui ne profitent à personne, à part à ces entreprises qui exploitent leurs travailleurs. Il s’agit d’un postulat et je pense que nous avons tout intérêt à ce que le Conseil d’Etat nous renseigne sur les secteurs d’activité qui pourraient faire l’objet d’une reconversion professionnelle. Pour toutes ces raisons, je vous invite avec conviction à soutenir ce postulat et à le renvoyer au Conseil d’Etat.

M. Jérôme Christen (LIBRE) —

Les Libres sont sensibles à l’objectif de cet outil qui est de créer de nouveaux emplois, de réinsérer des gens sur de nouveaux marchés professionnels plus en phase avec le changement climatique. Au fond, c’est un soutien à l’innovation écologique. Notre groupe acceptera le renvoi de ce postulat au Conseil d’Etat, notamment au vu de trois expériences réussies — ou en voie de réussite — qui sont évoquées dans le blog du journaliste Philippe Le Bé :

1.       La coopérative de transition écologique à Grande-Synthe, dans la périphérie de Dunkerque, dans le département du Nord, qui a permis des réalisations concrètes : la rénovation de meubles anciens, traiteur en circuit court avec dimension sociale, production et vente de compost en circuit court, réutilisation et recyclage d’outils de maraîchage. Il est important de montrer qu’il ne s’agit pas seulement d’études, mais aussi de réalisations concrètes.

2.       A Tournon-d’Agenais, dans le Lot-et-Garonne, le projet TERA propose de relocaliser 85 % de la production vitale à ses habitants et d’abaisser l’empreinte écologique de cette production à moins d’une planète.

3.       Il y a aussi des projets transversaux qui font appel à des réseaux existants, dans la vallée de l’Aude, des actions de coopération entre des entreprises classiques, des entreprises d’économie sociale et solidaire. Des organismes de formation ont été mis sur pied.

Ces projets sont d’ores et déjà en cours, mais de nombreux autres sont en gestation et devraient prochainement éclore, notamment – nous l’espérons – dans notre canton. Nous vous encourageons donc à renvoyer ce postulat au Conseil d’Etat.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est close.

Le Grand Conseil prend le postulat en considération par 68 voix contre 65.

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