Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 5 avril 2022, point 26 de l'ordre du jour

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Rapport de la commission - 21_PET_8 - Guy Gaudard

Dépôt

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M. Guy Gaudard (PLR) — Rapporteur-trice

Je déclare mes intérêts : je suis formateur de deux apprentis afghans de première et deuxième année. Les pétitionnaires ont évoqué la situation géopolitique catastrophique qui règne en Afghanistan à la suite du retrait des troupes américaines. Ces réfugiés afghans s’inquiètent de la situation de leur famille restée au pays. Une conférence réunissant près de 300 personnes s’est déroulée à Lausanne, afin que ces personnes sachent les possibilités qui leur sont offertes de rester en Suisse. Elles s’étonnent qu’une personne faisant l’objet d’une demande d’asile en cours ne puisse voyager à l’étranger, car il leur est impossible de se rendre en Afghanistan pour rendre visite à leur famille. De nombreux Afghans regrettent qu’ils n’aient pas pu fuir leur pays, puisque la Suisse préfère leur offrir l’aide sur place. Ils nous demandent donc de faire pression au niveau fédéral pour que les choses avancent. Un nombre important de réfugiés afghans reçoit l’aide d’urgence ou un permis F. Ils souhaiteraient que l’accès au permis B leur soit facilité.

Le représentant de l’Etat souligne que ce problème est de compétence fédérale et non cantonale. Une seule demande concerne le canton : que la procédure pour l’obtention du permis B soit accélérée. Certains commissaires craignent qu’un assouplissement des mesures provoque un afflux de réfugiés afghans, quand d’autres sont sensibles à la démarche de notre conseiller d’Etat, Philippe Leuba, à l’égard des cyclistes afghanes et à cette pétition qui ont le mérite de débloquer le dossier afghan et permettraient pour la première fois de traiter la question d’une régularisation d’un groupe de personnes du même pays. Pour cette raison, sept commissaires sont favorables au renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat, tandis que trois se déclarent pour son classement et qu’un s’abstient. A titre personnel, avant de conclure, j’espère bientôt pouvoir former un ou deux apprentis ukrainiens.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Olivier Petermann (PLR) —

Je déclare mes intérêts : je suis membre de la Commission thématique des pétitions. Concernant la demande des pétitionnaires, à savoir un arrêt immédiat de l’exécution des renvois Dublin des réfugiés afghans, cette pétition pose le problème des compétences. En effet, l’approbation de tous les titres de séjour et des autorisations de voyager reposent sur les autorités fédérales et non cantonales, comme rappelé par le rapporteur de la commission. Je ne soutiendrai pas cette pétition, car elle est ciblée sur un seul pays et une seule population. Le canton de Vaud applique correctement les règles et les lois relatives aux procédures en matière d’asile avec tout de même une certaine souplesse. Au nom du groupe PLR, je vous recommande de ne pas renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.  

M. Pierre-André Pernoud (UDC) —

Il faut fréquemment rappeler aux pétitionnaires que le cadre législatif fédéral régit toute la problématique de l’accueil des requérants d’asile. La transition d’un permis F vers un permis B s’établit sur une demande du requérant analysée à la lumière des éléments qui concernent sa situation personnelle et non celle liée à une population, dans le cas précité, afghane. Il faut relever que l’équité de traitement entre les différentes ethnies est primordiale. Par conséquent, il est compliqué, voire inadéquat de privilégier un peuple plutôt qu’un autre. En conclusion, le groupe UDC classera cette pétition.

M. Pierre Zwahlen (VER) —

Également membre de la Commission thématique des pétitions, j’interviens au nom de la majorité pour laquelle notre collègue Gaudard s’est exprimé avec rigueur, ce dont je le remercie. La situation en Afghanistan s’est encore aggravée depuis l’examen de cette pétition par notre commission. Ces derniers jours, beaucoup d’Afghanes, écolières, sont revenues en pleurs, parce qu’elles sont désormais interdites d’école. Les talibans n’ont pas respecté les engagements pris à l’égard des diplomates étrangers sur ce point. La situation sanitaire se dégrade encore dans ce pays qui compte certainement le moins d’infrastructures favorables aux enfants et aux mamans. Dans ce contexte, il est important que notre canton puisse adresser à la Confédération un message qui permette au Secrétariat d’Etat aux migrations de modifier son attitude et de prendre en compte les évolutions politiques atterrantes que connaît l’Afghanistan aujourd'hui. Certes, il est difficile de parler de ce pays à l’heure où la solidarité avec les femmes et les enfants d’Ukraine s’exerce avec force. Toutefois, en tant qu’élues ou élus, nous devons porter aussi attention à d’autres régions du monde dans lesquelles se passent également des politiques criminelles. Je vous invite par conséquent à suivre le rapport de notre collègue Gaudard, largement soutenu en Commission thématique des pétitions, et à transmettre la pétition au Conseil d'Etat.

Mme Sylvie Pittet Blanchette (SOC) —

Également membre de cette commission, je ne répéterai pas les propos de mon préopinant. En revanche, je considère qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, et même si certaines demandes de droit de rester sont d’ordre ou de compétence fédérales, certains points sont de notre ressort, ici, dans le canton de Vaud, notamment le fait de demander l’accélération des demandes d’obtention de permis B. Pour ces raisons, je vous invite au nom du groupe socialiste à suivre le rapport de la majorité.

M. Philippe Leuba — Conseiller-ère d’Etat

A l’évidence, le Conseil d'Etat ne s’est pas déterminé sur cette pétition qui, pour l’heure, ne lui a pas été renvoyée. Un certain nombre de corrections doivent être apportées sur les faits qui ont été relatés ou sous-entendus par l’un ou l’autre d’entre vous. D’abord, monsieur Zwahlen, il n’y a pas de renvois en Afghanistan ni aucune exception à cette règle, sauf, bien entendu, si nous avons affaire à des gens qui menaceraient la sécurité de la Suisse et qui seraient ici. Il ne faut par conséquent pas, et encore moins à moi qu’à d’autres, expliquer quelle est la situation des filles à l’école afghane ou celle du réseau hospitalier ou plutôt de son absence, puisque les renvois n’existent pas, en dehors – encore une fois – du seul cas d’Afghans qui menaceraient la sécurité en Suisse, en étant en Suisse. Les seuls renvois concernés sont ceux dépendants des accords Dublin : une législation fédérale adoptée en votation populaire, y compris par une majorité de Vaudoises et de Vaudois. Vous ne pouvez pas demander au Conseil d'Etat de suspendre de son seul fait l’application d’une décision prise conformément à notre ordre juridique par le souverain. Certains d’entre vous ont rappelé les démarches entreprises pour les cyclistes afghanes en conformité du droit et en associant très étroitement le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) ; nous n’avons pas inventé une politique en la matière, mais essayé de sauver ce qui pouvait l’être, dans une situation particulièrement difficile. Dans ce domaine, je crois pouvoir m’exprimer en toute connaissance de cause sur la situation afghane et des Afghans.

Cependant, il faut raison garder et regarder ce que demande concrètement cette pétition. Il ne s’agit pas d’appeler le Conseil fédéral ou le SEM à un geste d’ouverture à l’endroit des femmes ou des hommes afghans. Le Conseil fédéral, et je peux en témoigner dans l’opération à laquelle j’ai contribué, a fait preuve d’une volonté d’ouverture et a voulu trouver des solutions qui permettaient à ces Afghanes et aux Afghans qui les accompagnaient d’obtenir un permis B, d’être reconnus au travers d’un traitement individualisé de leur demande de statut de réfugié. Or, cette pétition demande autre chose, et cela vaut la peine de passer en revue les cinq points qui sont suggérés par le collectif « Droit de rester », auteur de cette pétition, pour savoir ce que vous entendez ou non transmettre à Berne.

D’abord, et il s’agit du premier point, « l’arrêt immédiat de l'exécution de tous les renvois Dublin concernant des Afghan-e-s ». Je l’ai dit, cela est contraire à notre ordre juridique. Ce n’est pas parce que le pays d’origine connaît une situation scandaleuse – et je pèse mes mots – qui doit horrifier tout un chacun, qu’un renvoi en Suède ou en Allemagne ne doit être effectué, si c’est l’un ou l’autre de ces pays qui est compétent pour traiter la demande d’asile, sachant qu’aucun pays européen ne renvoie vers l’Afghanistan. Par conséquent, le risque d’y être renvoyé depuis l’Allemagne ou la Suède n’existe pas en réalité. Ainsi, ce premier point est absolument contraire à notre ordre juridique, aux accords de Dublin votés et adoptés par le peuple, et sans que ces accords ne menacent la sécurité des Afghans ou des Afghanes, puisque, encore une fois, l’Union européenne ne renvoie pas en Afghanistan.

Quant au second point, « une procédure rapide et facilitée pour l'obtention de permis B pour les Afghan-es titulaires d'une admission provisoire », si je vous ai bien comprise, madame la députée, vous considérez que cela relève du champ de compétences cantonale. Or, il n’en est rien. La loi fédérale fixe à 5 ans le temps de résidence en Suisse pour obtenir un permis B. Il n’y a par conséquent pas de compétence, pas de permis B cantonaux ni de compétence cantonale pour enfreindre la législation fédérale, lorsqu’elle fixe des conditions. Il en va différemment si les Afghans obtiennent l’asile au moment où ils entrent en Suisse, mais encore une fois, il s’agit d’une compétence exclusivement fédérale. Le canton ne peut pas reconnaître quelqu’un comme demandeur d’asile et lui octroyer au titre de l’asile un permis B : les permis B cantonaux n’existent pas. Il n’y a, par conséquent, en la matière, pas de compétence cantonale.

Relativement au troisième point, « une procédure rapide et facilitée pour les autorisations de voyage des Afghan-e-s », au nom de la commission, M. Gaudard a indiqué que les auteurs de la commission s’offusquaient que les Afghans qui sont ici ne puissent pas rentrer dans leur pays pour y voir leur famille. De deux choses l’une : soit ces gens sont menacés par les talibans, et ils peuvent obtenir l’asile chez nous, soit ils peuvent se rendre en Afghanistan sans aucun problème, alors, nulle raison de leur accorder l’asile. On ne peut prétendre être menacé par l’autorité qui gouverne son pays, sauf pendant les vacances… ! Cette idée est porteuse d’une contradiction absolue qui, entre nous soit dit, lorsqu’on dit regretter qu’un Afghan ne puisse rentrer dans son pays pour voir sa famille, consiste en réalité en un affront à cette population qui a dû fuir dans des conditions épouvantables. Cette demande est incompréhensible. On ne peut à la fois se dire menacé en Afghanistan et envisager d’y retourner, cela fût-il pour y voir sa famille.

Quant à la quatrième mesure, « que la Suisse fasse valoir son droit de souveraineté et réintègre immédiatement dans la procédure suisse tou-te-s les Afghan-e-s frappé-e-s par les accords Dublin », là encore, cela ne concerne aucune compétence cantonale et est parfaitement incompatible avec le droit fédéral qui stipule un traitement individualisé des requérants. Si vous mettez le doigt dans des régularisations collectives, vous admettez ipso facto des renvois collectifs, au mépris de la situation et des droits individuels de tout un chacun à voir sa situation traitée en fonction de ce qu’elle est et non pas du groupe auquel vous appartenez. Le droit suisse – ainsi qu’une bonne partie du droit occidental – prévoit justement que chacun ait le droit de voir sa situation jugée pour ce qu’elle est et non pas en fonction d’une appartenance à un groupe social, ethnique ou à une race, quelle qu’elle soit, car c’est bien le traitement individuel qui doit être privilégié. Ainsi, ce quatrième point est parfaitement incompatible avec notre ordre juridique. Que diriez-vous si, parmi la population afghane – puisqu’il s’agit de réintégrer immédiatement dans la procédure tous les Afghans – figurait un émissaire taliban ? Trouveriez-vous parfaitement normal que l'on intègre, justement au titre d’une généralisation d’un régime couvrant toute la population afghane ? Vous seriez les premiers à vous offusquer de ce traitement collectif ! Et, vous auriez parfaitement raison. Je plaide pour un traitement conforme à notre Etat de droit, c’est-à-dire individualisé. C’est la situation de chacune des personnes qui doit être prise en compte. Ainsi, il n’y a ni régularisation ni renvoi collectifs.

Enfin, quant au point 5, « accorder le statut de réfugié à tou-te-s les Afghan-e-s présent-e-s en Suisse, en particulier aux femmes », cela est à nouveau relatif à un traitement collectif qui fait fi des droits et des obligations individuelles.

En conclusion, le Conseil d'Etat a appuyé la démarche entreprise d’entente avec l’Union cycliste internationale et démontré ce faisant une ouverture exceptionnelle à l’endroit de la souffrance des Afghanes et des Afghans, singulièrement des Afghanes qui, par leur activité individuelle, étaient menacées dans leur intégrité. Le seul canton à l’avoir fait... Par voie de conséquence, vous me permettrez de dire qu’en la matière nous avons été à certains égards particulièrement exemplaires. Enfin, si nous voulons, dans le cadre d’autres crises humanitaires, obtenir ce que nous avons obtenu pour les cyclistes afghanes, c’est-à-dire le concours du SEM et des autorités fédérales y compris de conseillers fédéraux, nous devons rester crédibles. Le Conseil d’Etat vaudois, assurément, est favorable à une étude cas par cas de la situation des Afghans et des Afghanes avec bienveillance et d’ailleurs avec la volonté du SEM et du Conseil fédéral. Il ne pourrait souscrire à des demandes incompatibles avec l’ordre juridique et avec ce que le peuple souverain a voulu. Malheureusement, la pétition, pétrie de bonnes intentions – personne ne le conteste – est truffée de demandes tout simplement impossibles à reprendre à notre compte. Encore une fois, s’il s’agissait de démontrer notre solidarité à l’endroit de l’Afghanistan et singulièrement à l’endroit des Afghanes et des jeunes Afghanes, qui sont privées de manière scandaleuse de droits élémentaires, vous trouveriez assurément le Conseil d'Etat à vos côtés, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Et ce ne sont pas des propos de circonstance que je tiens, car nous avons concrètement démontré notre volonté au travers de l’exfiltration des cyclistes afghanes : nous faisons ce que nous disons, et nous disons ce que nous faisons. Manifestement, cette pétition comprend trop d’éléments incompatibles avec notre droit et ne présente aucune chance aux yeux du Conseil fédéral. Je m’en remettrai naturellement à votre sagesse, mais je crois sérieusement que si nous voulons mener à bien des opérations telles que celles que nous avons mises en œuvre, nous devons fondamentalement être crédibles face au Conseil fédéral Et, malheureusement, cette pétition ronge la confiance que Berne aurait à l’endroit des autorités vaudoises.

M. Guy Gaudard (PLR) — Rapporteur-trice

J’aimerais simplement revenir sur un point, celui du désir manifesté par les Afghanes et Afghans de rejoindre leur famille au pays. Je considère qu’il s’agit d’une mauvaise traduction. Pour ma part, mes deux apprentis afghans rencontrent leur famille au Pakistan. Il faut savoir que leurs familles prennent beaucoup de risques pour franchir la frontière. Deux de mes apprentis érythréens se confrontent d’ailleurs au même problème, car ils vont à la rencontre de leur famille en Somalie. A l’évidence, ils ne se rendent pas dans les mains des talibans ou des troupes de Daech pour être assassinés ou massacrés. J’estime que c’est une mauvaise traduction ou explication qui a dû prévaloir lors de la séance.

M. Philippe Leuba — Conseiller-ère d’Etat

Monsieur Gaudard, je vous remercie. J’avais saisi qu’ils regrettaient de ne pouvoir rentrer dans leur pays. Mais peu importe, ne chipotons pas. S’il s’agit de se rendre dans un autre pays, des demandes dûment étayées peuvent être formulées, et il est parfois possible d’obtenir une dérogation pour se rendre dans un pays tiers et en revenir. Cela est possible en regard du droit fédéral qui régit ces questions, mais c’est à nouveau relatif à un traitement individuel d’étudier les motifs réels. Si ces motifs sont purement familiaux, en principe une entrée en matière est possible, par exemple pour assister au mariage de la sœur, un exemple de la vie concrète. En revanche, que les voyages à l’étranger soient généralisés est impossible compte tenu du droit fédéral. En outre, il faut être conscient de la nécessité d’obtenir l’accord du pays de destination. En effet, si une Afghane ou un Afghan peut sortir de Suisse, il faut ensuite qu’il ou elle puisse entrer dans le pays de destination. Comme vous le savez, bon nombre de pays à travers le monde sont moins ouverts que la Suisse en la matière.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est close.

Le Grand Conseil décide de classer la pétition par 72 voix contre 53 et 5 abstentions.

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