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Séance du Grand Conseil du mardi 5 octobre 2021, point 17 de l'ordre du jour

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RC-20_PRE_3 - Sergei Aschwanden

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Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Sergei Aschwanden (PLR) — Rapporteur-trice

Pour rappel, le dépôt de l’initiative Dolivo s’inscrivait dans le prolongement de l’action initiée par M. le député Mathias Reynard au Conseil national sur le même thème. A titre informatif, le Conseil national n’a pas donné suite à l’initiative parlementaire Reynard. Je vous rappelle que, dans son rapport, la Commission des affaires juridiques du Conseil national dit, je cite : « la majorité de la commission maintient la position qui a été défendue jusqu’ici. Si dans les cas prévus à l’article 6 de la loi sur l’égalité, l’employeur peut fournir sans trop de difficultés une preuve permettant d’écarter les soupçons de discrimination, la situation n’est pas la même dans les cas de harcèlement sexuel. C’est la raison pour laquelle ces derniers doivent être traités différemment. Par ailleurs, la majorité de la commission estime que l’allégement du fardeau de la preuve est difficilement conciliable avec certains principes de notre système juridique comme la présomption d’innocence la répartition du fardeau de la preuve inscrite à l’article 8 du Code civil. » Forts de ce constat, deux points essentiels ressortent :

  1. la difficulté pour l’employeur d’établir les faits, de démontrer qu’il y a eu discrimination ou non ;
  2. la crainte que ce qui peut être décidé dans le cadre de la procédure, la partie demanderesse et son entreprise puissent affaiblir la présomption d’innocence dans le cadre de la procédure entre la victime supposée et son agresseur supposé.

L’allégement du fardeau de la preuve complique les choses pour les employeurs. Comment un employeur pourra-t-il démontrer la mise en place de toutes les mesures, tout en sachant qu’un auteur n’en tiendra peut-être pas compte ? De plus, le Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO) propose une abondante documentation qui permet aux entreprises d’élaborer des chartes, des directives et autres règlements. Un grand nombre d’entreprises ont adopté des dispositions en la matière, même si cela paraît plus aisé pour une grande entreprise que pour une petite. Toutefois, l’existence d’une charte n’empêchera pas une employée ou un employé de porter plainte pour harcèlement et ne pourra a priori pas libérer un employeur de toute responsabilité. Dans ces circonstances, il convient de ne pas créer de seconde victime, à savoir un employeur accusé qui aura ainsi beaucoup de difficultés à prouver qu’il est en dessus de tout soupçon et qui sera probablement condamné, la vraisemblance de sa responsabilité dans un cas d’espèce étant suffisante.

Plutôt que de mettre de l’énergie dans une initiative cantonale vouée à l’échec, il serait à notre avis plus judicieux de travailler au niveau de la sensibilisation, de l’orientation ou de l’aide aux entreprises dans le cadre de la prévention du harcèlement sexuel. C’est la raison pour laquelle plusieurs commissaires sont plutôt favorables à ce que les parlementaires vaudois siégeant à Berne prennent ce dossier en main. Il est connu que le dépôt d’une initiative parlementaire a très peu de chances d’aboutir. La cheffe du Département des infrastructures et des ressources humaines tient à préciser que c’est le harceleur, et non l’employeur, qui est condamné par les tribunaux. Cependant, la victime peut attaquer l’employeur si ce dernier n’a entrepris aucune action de prévention ou de protection en lien avec le harcèlement sexuel, ou insuffisamment. L’allégement du fardeau de la preuve permet à l’employeur de s’exonérer s’il a mis en place des directives claires de formation. Il comprend un objectif de prévention afin que les entreprises se dotent des bonnes pratiques en la matière. A ce titre, la Conférence suisse des directrices et directeurs de l’égalité a élaboré un kit « clés en main » pour les PME. En l’occurrence, il n’est pas question de déterminer la culpabilité de l’auteur. Dans le cadre de la procédure entre la partie demanderesse et l’entreprise, il s’agit de s’assurer que l’entreprise a mis en place des consignes, que ces dernières sont connues du personnel et que, lorsque l’entreprise a pris connaissance des faits, elle a agi avec diligence. Dans le sens où il ne s’agit pas, en l’occurrence, d’établir la culpabilité de l’auteur supposé, l’allégement du fardeau de la preuve n’affaiblit pas la présomption d’innocence.

Pour information, l’Etat de Vaud remplit ses obligations dans ce domaine avec la création du Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes (BEFH), le travail du Service du personnel de l'Etat de Vaud (SPEV) et l’action du Groupe Impact, entité indépendante chargée de la gestion ou du traitement des conflits d’ordre du mobbing ou de l’agression sexuelle. L’Etat a mis en place une organisation des directives-chartes qui préviennent les situations de harcèlement sexuel sur le lieu de travail. Il a également mis en place des procédures qui permettent de traiter des cas signalés. Il faut aussi savoir que le Groupe Impact détermine la totalité des situations qui lui sont soumises et procède à des instructions. 90 % des cas communiqués au Groupe Impact font l’objet d’une reconnaissance des situations de harcèlement, 10 % des cas relèvent d’accusations infondées de mobbing ou de harcèlement. Fort de cet exemple, il est souhaité de l’employeur qu’il mette en place de la formation en la matière, qu’il communique clairement sur le rejet du harcèlement sexuel et qu’il contribue à générer un environnement de travail exempt de tout harcèlement sexuel. Il faut tout de même être sensible au fait que les PME ne disposent généralement pas des moyens de se doter d’un groupe comme le Groupe Impact. Ce n’est pas ce qui est attendu des PME, mais plutôt qu’elles élaborent une charte et des directives claires, comme l’affirmation de la tolérance zéro en matière de harcèlement sexuel au sein de l’entreprise ou la possibilité de recours à une hiérarchie bienveillante. Les choses ne doivent pas être tues afin d’éviter que les victimes endurent l’inacceptable. Toutefois, ces mesures de prévention sont visées par la dimension de l’allégement du fardeau de la preuve. Une question se pose de savoir en quoi l’acceptation du principe de l’allégement du fardeau de la preuve permettrait de diminuer le taux d’échec dans les instances de plainte pour harcèlement sexuel. Je vous rappelle que, actuellement, une personne qui s’estime victime de harcèlement doit convaincre le ou la juge que l’atteinte a été réelle avant de voir sa demande admise. Un certain nombre de plaintes ne passent ainsi pas ce seuil de recevabilité. L’allégement du fardeau de la preuve change fondamentalement les choses. En effet, la personne qui se sent victime doit rendre la plainte vraisemblable, c’est-à-dire convaincre le ou la juge qu’il s’est produit un acte constitutif de harcèlement sexuel. A partir de cet instant, il incombe à l’entreprise de démontrer qu’elle a agi en conformité avec la loi, par l’élaboration de directives, la mise en place de formations, l’écoute des protagonistes, d’enquêtes internes, etc. Cela a pour avantage de permettre de passer de manière plus confortable l’étape souvent insurmontable où la victime doit apporter en amont les preuves du harcèlement sexuel. C’est une amélioration significative, sachant que des agissements ne constituent pas des éléments de preuve recevables et que les témoignages sont l’unique moyen de rendre le harcèlement valable. Ceci a pour conséquence et comme avantage que l’employeur est en posture de convoquer ses équipes et de recueillir des témoignages, ce qu’une victime ne peut pas faire, sauf si elle peut compter sur la bonne volonté de collègues et leur courage à s’exposer. En effet, il est prouvé qu’il est extrêmement difficile de témoigner contre des collègues si la situation de harcèlement n’est pas avérée pour ensuite retourner travailler avec lesdits collègues.

A ce titre, certains commissaires estiment que la Loi sur l’égalité entre femmes et hommes (LEG) prévoit déjà des obligations pour les employeurs en matière de prévention, de protection des employés et de traitement des plaintes. A contrario, certains pensent que l’initiative Dolivo ne devrait rien changer pour les employeurs – grands ou petits – car ils n’auront pas plus de tâches à accomplir. Il est aussi ajouté que, dans le cadre de la procédure pénale pour harcèlement sexuel, les moyens de preuve sont recherchés par d’autres acteurs tels que le Ministère public ou la police. Dans le cadre de la procédure civile, en vertu de la LEG, la personne qui se sent victime de harcèlement se retourne contre son employeur. Les éléments de preuve portent alors sur le respect ou non par l’employeur de ses obligations légales en matière de prévention, comme l’existence d’une charte ou d’un règlement relatif au harcèlement sexuel ou de protection, comme la définition d’une instance de confiance à laquelle s’adresser et finalement de traitement de la plainte avec une écoute et une prise de mesures pour régler la situation. L’allégement du fardeau de la preuve concerne ces éléments. De ce fait, l’allégement du fardeau de la preuve ne constitue pas une charge supplémentaire pour l’employeur, de toute manière soumis aux exigences de la LEG. Cependant, l’allégement de la preuve fait toute la différence pour la personne qui se sent victime de harcèlement et qui n’a pas forcément un accès aisé à l’ensemble des éléments spécifiques à l’employeur. Il fait aussi toute la différence pour les collègues de travail et les témoins potentiels : la recherche des moyens de preuve par la victime supposée risquant de perturber les relations de travail.

Pour toutes ces raisons, la commission recommande au Grand Conseil d’accepter l’entrée en matière sur ce projet de décret par 8 voix contre 3 et 4 abstentions.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion sur l’entrée en matière est ouverte.

M. Hadrien Buclin (EP) —

Notre groupe recommande bien entendu d’accepter ce projet de décret pour que la demande d’améliorer la lutte contre le harcèlement sexuel sur les lieux de travail soit portée aux Chambres fédérales, suite à la proposition de notre ancien collègue de groupe, M. Jean-Michel Dolivo. Dénoncer le harcèlement sexuel sur son lieu de travail est une démarche difficile. Il faut rompre avec le silence qui entoure souvent ce type d’abus ; il faut aussi braver la crainte d’éventuelles représailles de la part de l’employeur ou de collègues. Face à de telles difficultés, nous considérons que la législation devrait faciliter les démarches des victimes et non pas les décourager. Aujourd’hui, la législation oppose tellement d’obstacles à ce type de démarche, qu’il s’agit plutôt de découragement que d’encouragement à faire valoir ses droits de victimes de harcèlement, ne serait-ce que parce que les preuves doivent aujourd’hui être entièrement établies par la victime, avec toutes les difficultés que cela suppose. Un rapport de recherche de 2017, cité par l’initiant le rappelle : sur l’ensemble des jugements analysés, 62 % sont majoritairement ou entièrement défavorables à la partie employée qui invoque une discrimination, en particulier 91 % des plaintes pour congé de rétorsion ont été rejetées et le taux de décision défavorable à la partie salariée est aussi très élevé – près de 83 % – lorsque la discrimination invoquée est un harcèlement sexuel. Les prétentions en versement d’une indemnité pour harcèlement sexuel sont également rejetées dans une nette majorité des cas, soit 76 %. La question de savoir si les mesures de prévention nécessaires ont été prises par la partie employeuse est rarement examinée par les tribunaux.

Avec ces quelques chiffres, on voit que la législation actuelle est beaucoup trop défavorable aux victimes de harcèlement sexuel, ce qui rend nécessaire une modification, en particulier dans le sens d’un allégement du fardeau de la preuve. De telles modifications ont été proposées au Parlement fédéral, mais des blocages sont intervenus dans ce dossier, ce qui a rendu nécessaire une mobilisation des cantons pour porter ces revendications à Berne. Les blocages dans ce dossier sont d’autant plus consternants que cela montre qu’une majorité du Parlement se montre sourde à la mobilisation massive des femmes et des hommes solidaires du 14 juin 2019, mobilisation à laquelle je rappelle que près d’un demi-million de personnes avaient participé. Cette mobilisation illustrait la colère d’une grande partie de la population par rapport aux inégalités persistantes entre les femmes et les hommes. La question des violences et du harcèlement était très présente dans les revendications des participantes et des participants à ce grand mouvement social. La prise en compte de la présente initiative est donc aussi un élément de réponse à ce mouvement qui a été particulièrement massif dans le canton de Vaud, avec prêt de 60 000 personnes à Lausanne – du jamais vu. Je pense que les majorités politiques ne peuvent pas rester indifférentes à ce grand mouvement pour l’égalité. Ici, une problématique particulièrement importante est soulevée : celle du harcèlement sur les lieux de travail qui a, pendant des décennies, fait l’objet d’une omerta extrêmement difficile à vivre pour les victimes.

L’initiative Dolivo a déjà été acceptée une première fois par le Grand Conseil, le débat a donc déjà eu lieu. Je vous invite dès lors à confirmer votre premier vote et à soutenir le décret proposé par le Conseil d’Etat pour que ce texte puisse être renvoyé aux Chambres fédérales.

Mme Carine Carvalho (SOC) —

Le groupe socialiste soutient ce projet de décret et l’initiative de notre ancien collègue Jean-Michel Dolivo pour la raison très simple qu’aujourd’hui, les femmes et les victimes de harcèlement sexuel au travail ne sont pas suffisamment protégées par la loi fédérale sur l’égalité. Aujourd’hui, il s’agit d’un parcours de la combattante ou du combattant – les victimes pouvant être des femmes ou des hommes – pour voir ses droits au travail être respectés. Comme cela a été dit par le rapporteur ou par mon préopinant, il revient aujourd’hui aux victimes d’apporter la vraisemblance des faits. Elles ne sont pas soutenues dans ce processus, si elles n’ont pas pu réunir suffisamment de preuves, avec les contraintes que cela comporte, c’est-à-dire d’impacter les relations de travail, d’instaurer un climat de travail délétère ou de s’exposer à de la rétorsion. Les victimes ne peuvent souvent pas voir leur situation être traitée par les tribunaux. Pourquoi cette situation ? Parce que le harcèlement sexuel est le seul type de discrimination pour lequel il n’y a pas une inversion du fardeau de la preuve prévue dans la loi fédérale sur l’égalité. Cette inversion est prévue pour l’égalité salariale : l’employeur doit prouver la qualité de son système de rémunération. Néanmoins, ce n’est pas le cas en cas de harcèlement sexuel.

Il faut bien sûr comprendre que lorsqu’on dépose une plainte au niveau fédéral sur la base de la LEG, on ne dépose pas plainte contre son harceleur, mais contre son employeur pour avoir manqué à son devoir de protection. Aujourd’hui, s’il est extrêmement compliqué pour les victimes de faire reconnaître qu’elles n’ont pas été suffisamment protégées, il est par contre assez simple, pour tout type d’employeurs ou d’entreprises, de mettre en place un dispositif de prévention. Aujourd’hui, le SECO, le Bureau fédéral de l’égalité ou les bureaux cantonaux de l’égalité mettent à disposition des outils et des modèles de formation qui peuvent tout de suite être applicables en entreprise et qui sont très simples d’utilisation. Il y a aussi des listes d’entités de confiance pouvant écouter les victimes ou mener des investigations sur les places de travail. Aujourd’hui, il est relativement simple, pour tous les employeurs – qu’il s’agisse de PME ou de grandes entreprises – de mettre en place un dispositif de prévention et de gestion des cas de harcèlement sexuel. Il est par contre beaucoup plus difficile pour les victimes de faire valoir leurs droits.

C’est pour toutes ces raisons et pour soutenir les victimes de harcèlement sexuel sur le lieu de travail que nous vous invitons à accepter ce projet de décret.

M. Dylan Karlen (UDC) —

Si personne ne conteste le bien-fondé de la lutte contre toute forme de harcèlement, notamment sur le lieu de travail, il convient de mettre en perspective plusieurs données figurant dans cet exposé des motifs et projet de décret, des données qui ont le mérite d’interroger. Premièrement, on restera dubitatif devant le dilemme imposé au juge qui consiste à déterminer le degré de vraisemblance des allégations exprimées par les victimes. Pendant ces puissantes cogitations, une personne, voire deux, l’accusé et l’employeur, sont à la merci d’une présomption de culpabilité ou en tout cas d’une forte suspicion. Ce qui nous amène à une deuxième remarque : il est fait état des statistiques produites par le Bureau fédéral de l’égalité mentionnant le fort taux de non-aboutissement des plaintes, 71 % pour le harcèlement sexuel. Ceci relève principalement du fait que les actes incriminés ne sont pas considérés comme importuns. Le Conseil d’Etat se permet ici de juger de la qualité du travail des tribunaux, puisqu’il prétend que ces derniers ont tendance à nier purement et simplement l’existence de harcèlement sexuel. De deux de choses l’une, soit la justice est incompétente soit la grande majorité des plaintes est infondée. Notre gouvernement a choisi…

En ouvrant la possibilité de plaintes et en allégeant le fardeau de la preuve, cette initiative fédérale ne va-t-elle pas engorger les tribunaux pour de piètres résultats ? L’allégement du fardeau de la preuve renforcera-t-il les plaintes, en particulier l’importunité des actes dénoncés ? Malgré une bienveillance qui frise la mièvrerie, on peut raisonnablement douter de l’efficacité de cette initiative. Par conséquent, je vous invite à ne pas entrer en matière sur ce projet de décret.

Mme Alice Genoud (VER) —

Sans surprise, comme ils avaient déjà soutenu l’initiative Dolivo, les Verts vont soutenir le renvoi de cette initiative au niveau fédéral. Mme Carvalho et M. Buclin ayant déjà dit certaines choses que je voulais dire, je ne vais pas les répéter, mais je pense qu’il faut quand même remettre sur la table le fait que, aujourd’hui, notre système judiciaire n’est pas forcément capable de répondre à ces questions de harcèlement sexuel sur le lieu de travail, notamment quant à l’aspect de l’allégement de la preuve. M. Karlen l’a dit, beaucoup de ces situations ne sont pas jugées aujourd’hui. Il faut mettre en avant le fait que ces actes sont graves et méritent d’être mieux pris en compte par notre système judiciaire.

En commission, beaucoup de choses ont également été dites, surtout en ce qui concerne la question des entreprises, notamment la crainte que ces dernières aient plus de travail ou n’aient pas les capacités de mettre en place une charte ou un autre système pour combattre le harcèlement sexuel dans leur institution. A mon avis, c’est une peur infondée. Comme l’a dit Mme Carvalho, beaucoup de choses sont aujourd’hui déjà mises en place par différentes institutions, que ce soit au niveau fédéral ou au niveau cantonal. J’ai toujours travaillé dans de petites institutions avec peu de personnes employées, mais nous avons toujours eu un règlement du personnel qui prenait en compte ces questions ou une charte sur les questions de harcèlement sexuel. Finalement, je pense que nous sommes toutes et tous capables de le faire. Par ailleurs, cela est bénéfique dans la mesure où ça permet de réfléchir à cette question, de voir comment la traiter dans une entreprise. Je pense que, au contraire, nous pouvons amener quelque chose de positif sur ce sujet.

Pour toutes ces raisons, il faut renvoyer cette initiative à Berne et espérer qu’elle sera un peu mieux prise en compte par les Chambres fédérales. En effet, il y a déjà eu des initiatives sur le sujet au niveau national, mais elles se sont un peu cassé les dents. Cela ne veut pas dire qu’il faut arrêter d’appuyer sur cette thématique. M. Buclin l’a très bien dit : il y a aussi eu de grands mouvements féministes sur ces questions, notamment des manifestations dont l’une des revendications était une meilleure prise en compte du harcèlement. Aujourd’hui, on ne peut pas dire qu’il n’y a pas de problème et refuser la prise en compte de cette initiative. Je pense qu’il faut la renvoyer à Berne, et si possible rapidement !

M. Maurice Neyroud (PLR) —

J’étais membre de la commission, mais je faisais partie de ceux qui n’ont pas voté en faveur du renvoi de cette initiative à l’Assemblée nationale. Cela a été dit, dans la LEG, l’allégement du fardeau de la preuve ne s’applique que dans les questions d’attribution des tâches, des conditions de travail, de l’équité dans les salaires, dans la formation ou dans la formation continue. Par contre, les articles 4 et 5 de cette même loi fédérale parlent du harcèlement. L’article 5 dit notamment la chose suivante à son alinéa 3 : « Lorsque la discrimination porte sur un cas de harcèlement sexuel, le tribunal ou l’autorité administrative peuvent également condamner l’employeur à verser au travailleur une indemnité, à moins que l’employeur ne prouve qu’il a pris les mesures que l’expérience commande, qui sont appropriées aux circonstances et que l’on peut équitablement exiger de lui pour prévenir ces actes ou y mettre fin. » On constate donc que l’employeur porte déjà aujourd’hui une responsabilité très importante. Alléger le fardeau de la preuve voudrait dire que le plaignant doit simplement rendre la chose vraisemblable aux yeux du juge qui pourrait ainsi inverser le fardeau de la preuve. Il incomberait donc à ce moment à l’employeur d’apporter la preuve qu’il a mis en place toutes les conditions. Evidemment, cela va être compliqué pour lui. Mettre en œuvre un système de prévention dans une entreprise n’enlève pas le risque qu’un acte soit commis. Il sera donc facile pour un plaignant de dire que l’employeur n’a pas tout mis en œuvre, et ce dernier risque d’être condamné. Nous risquons donc effectivement de faire une deuxième victime : en plus de la première personne qui a subi le harcèlement, on reprochera à son employeur de n’avoir pas tout mis en œuvre pour empêcher cet acte ignoble.

Pendant très longtemps il est vrai, dénoncer un tel cas était trop difficile pour la victime. Aujourd’hui, fort heureusement, les choses changent ; la parole se libère. Le mouvement #MeToo encourage les victimes à déposer des plaintes, mais encourage aussi des témoins à témoigner et à apporter ainsi une preuve stricte, ce qui permet au juge de statuer plus sereinement que sur une simple vraisemblance.

Avec cette initiative, le canton de Vaud veut une fois de plus s’occuper de modifier des lois fédérales. Cela a déjà été dit, mais il faut le rappeler : la même demande a été faite par le biais du conseiller national Mathias Reynard sous la forme d’une motion au Conseil national. Cette motion a été refusée, non pas « à la raclette », mais par 130 voix contre 51, pour les raisons que je vous ai citées, mais également pour des questions d’incompatibilité avec d’autres lois. Par exemple, elle était difficilement conciliable avec le principe juridique de la présomption d’innocence. Il faut punir le coupable sévèrement, mais il est important d’abord de prévenir et d’informer. Il faut souligner que beaucoup d’entreprises font un excellent travail de prévention – et c’est une bonne chose. Le canton en tant qu’employeur, en collaboration avec la Confédération et le Bureau de l’égalité, a émis une directive qui est entrée en vigueur en juillet 2021. Cette directive assène avec justesse que le harcèlement est totalement interdit et qu’il n’y a pas de tolérance en la matière. Des affiches à placarder ont été créées ; un kit de prévention a été distribué, mais aussi des fiches à l’intention du personnel avec des explications, des conseils et démarches à suivre en cas de problème. Pour le public et les entreprises, le site Internet www.harcèlementsexuel.ch fournit énormément d’informations pour les employés et pour les entreprises pour la prévention du harcèlement sexuel au travail et sur la manière d’intervenir face à de tels comportements. Oui, certainement, il y a encore du travail d’information à fournir auprès du grand public ou des entreprises. Notre canton pourrait mieux faire pour éviter de tels cas. Il faut condamner sévèrement tous cas de harcèlement, mais ne pas faire porter la responsabilité sur les entreprises. Pour toutes ces raisons, le groupe PLR vous encourage à refuser de renvoyer cette initiative à l’assemblée fédérale.

Mme Muriel Thalmann (SOC) —

J’aimerais revenir sur les propos tenus par le député Karlen. Je vais vous rendre attentifs au fait qu’il est déjà obligatoire pour un employeur d’investiguer, d’écouter. Si ce dernier peut prouver qu’il a investigué et qu’il avait effectivement mis en place un dispositif permettant de lutter contre le harcèlement sexuel, il ne sera pas condamné. Il y a donc une grande majorité d’employeurs qui sont exemplaires, mais il est aussi des cas de harcèlement. Dans ces cas, il faut pouvoir se défendre.

Je vous rends aussi attentifs au fait que la commission a soutenu, dans sa grande majorité, cette initiative. En outre, il est extrêmement difficile pour une employée ou un employé d’apporter le fardeau de la preuve, alors que l’employeur est bien mieux outillé pour être en conformité avec la loi. Une employée ou un employé sont souvent livrés à eux-mêmes et doivent se défendre seuls. Il est évident qu’il faut alléger le fardeau de la preuve. Comme la majorité de la commission, je vous remercie donc d’entrer en matière sur ce projet de décret.

Mme Carine Carvalho (SOC) —

Je voudrais très rapidement revenir sur la question de la présomption d’innocence mentionnée par M. Neyroud. Je précise qu’il n’y a pas de problème lié à la présomption d’innocence avec le renversement du fardeau de la preuve. Sur la base de la LEG, on porte plainte contre son employeur pour ne pas avoir suffisamment protégé une victime sur sa place de travail. Ceci est déjà une obligation présente dans toute une série d’actes normatifs, comme la loi sur le travail, la LEG, etc. Le renversement n’annule pas cette présomption d’innocence : cette dernière est toujours prévue dans les procédures administratives ou pénales. Avec le renversement du fardeau de la preuve, il s’agit simplement de faciliter le fait de pouvoir être examiné par les tribunaux. Il n’y a pas d’attaque contre la présomption d’innocence. C’est un argument souvent utilisé – mais qui est fallacieux – lorsqu’il s’agit de mieux protéger les personnes, notamment les femmes, sur leur lieu de travail.

Mme Nuria Gorrite (C-DCIRH) — Conseiller-ère d’Etat

Comme cela a été rappelé, le Conseil d’Etat ne s’oppose pas à la prise en considération de cette initiative pour les raisons suivantes. Tout d’abord, parce que les procédures pour harcèlement sexuel sont révélatrices de la difficulté, pour les victimes, d’apporter la preuve des agissements pour lesquelles elles entament une demande en justice. Pour le juge, il s’agit souvent de confronter les versions, les faits contradictoires. Souvent les partis ont été, en matière de loi sur l’égalité, dans une relation de travail et il existe parfois entre l’harceleur et sa victime un rapport hiérarchique, ce qui rend les témoignages assez difficiles. Le rapport d’analyse du 1er juin 2017 de la jurisprudence cantonale relative à la loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes, mandaté par le Bureau fédéral de l’égalité, met en exergue le taux d’échec particulièrement élevé – 82,8 % – des procédures lorsque la discrimination invoquée est un harcèlement sexuel, la preuve de cette discrimination demeurant très difficile à apporter. C’est la raison pour laquelle les auteurs de ce rapport recommandent d’alléger le fardeau de la preuve en cas de harcèlement sexuel. Beaucoup de personnes ont parlé de l’inversion du fardeau de la preuve, ce n’est pas ce que demande l’initiative Dolivo. Il ne s’agit pas d’une inversion du fardeau de la preuve, mais bel et bien d’un allégement du fardeau de la preuve, ce qui fait une grande différence par rapport aux arguments que j’ai entendus tout à l’heure. Le changement proposé permettra ainsi, sans nul doute, d’améliorer la situation de la partie défenderesse qui fait valoir le harcèlement sexuel. Les exigences en matière de preuve ont certes été adoucies par les différentes jurisprudences au vu de la difficulté de prouver le harcèlement sexuel, mais le fait d’appliquer l’article 6 de la LEG permettrait de se satisfaire de la simple vraisemblance. Il s’agit de rendre vraisemblable la situation de harcèlement, ce qui constitue sans aucun doute une amélioration procédurale. Cela permettrait d’ailleurs d’unifier la pratique des tribunaux en la matière, dès lors que celle-ci semble parfois fluctuer.

Jusqu’ici, les autorités se sont opposées à l’allégement du fardeau de la preuve en matière de harcèlement sexuel en arguant que l’employeur ne détient pas les informations qui lui permettent d’apporter la preuve de l’absence de discrimination. Cet argument n’est pas pertinent : d’une part, la partie employeuse dispose de moyens d’établir l’existence d’un harcèlement sexuel. Vous l’avez d’ailleurs rappelé, des moyens existent qui ne sont pas accessibles à la partie travailleuse. La partie employeuse peut en effet mener une enquête interne à l’entreprise, interroger les employés ou se doter d’instances qui peuvent le faire. D’autre part, dans le cadre de l’indemnité fondée sur l’article 5, alinéa 3l, de la LEG, la partie employeuse ne sera pas tenue de démontrer qu’il n’y a pas eu de harcèlement sexuel dans l’entreprise, mais qu’elle a pris les mesures commandées par les circonstances afin de prévenir et de lutter contre le harcèlement sexuel dans l’entreprise. Dans ce cas, la partie employeuse est en possession des éléments nécessaires pour apporter la preuve des mesures prises et s’exonérer ainsi de sa responsabilité.

De plus, la solution proposée ici pourrait encourager la partie employeuse à prendre des mesures préventives et de lutte contre le harcèlement sexuel, ce qui contribuerait sans aucun doute à changer la culture d’entreprise et ainsi à participer à la lutte contre le harcèlement sexuel. C’est ainsi que le Conseil d’Etat recommande, à l’instar de la commission, d’entrer en matière sur l’initiative Dolivo-Porchet.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est close.

L’entrée en matière est admise par 71 voix contre 49 et 16 abstentions.

Le projet de décret adopté en premier débat avec quelques avis contraires et abstentions.

M. Sergei Aschwanden (PLR) — Rapporteur-trice

Je demande le deuxième débat immédiat.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

Le deuxième débat immédiat est refusé, la majorité des trois quarts n’étant pas atteinte (71 voix contre 56 et 5 abstentions).

Le deuxième débat interviendra ultérieurement.

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