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Séance du Grand Conseil du mardi 25 mai 2021, point 12 de l'ordre du jour

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M. Gérard Mojon (PLR) — Rapporteur-trice de majorité

La Commission des finances a traité cet objet dans sa séance du 12 mars 2020 et vous propose de ne pas prendre cette initiative en considération. S’inspirant de l’Echange automatique de renseignements (EAR) au niveau bancaire international, la motionnaire souhaiterait pouvoir transposer le principe au niveau national. Pour ce faire, elle propose de déposer une initiative cantonale demandant d’autoriser l’échange de données financières à l’intérieur du pays en complétant l’article 47 de la Loi fédérale sur les banques et les caisses d’épargne (LB) en y introduisant un paragraphe 4bis stipulant que la transmission d’informations aux autorités fiscales n’est pas punissable. Sans vouloir abolir le secret bancaire, l’auteure de l’initiative se dit convaincue que cet échange automatique de renseignements au niveau national produirait un effet important sur le volume financier à fiscaliser.

La discussion en Commission des finances a fait ressortir de nombreux éléments. L’échange automatique de renseignements au niveau international est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Si cela paraît extrêmement simple et léger, cela est loin de l’être. Les flux d’informations provoqués par un échange national seraient énormes, extrêmement difficiles à gérer, malgré les capacités informatiques des établissements bancaires et de l’Etat. Aux yeux des majoritaires, un tel système tendrait à déresponsabiliser les contribuables, transférant partiellement leurs responsabilités sur les instituts bancaires. Contrairement à une affirmation souvent relayée, le système actuel ne facilite en rien l’évasion fiscale. Les signataires du rapport de majorité rappellent que le défaut de déclaration est un délit potentiellement pénal pouvant ouvrir la porte à la levée du secret bancaire et que l’arsenal pénal sur la provenance des fonds est l’un des plus performants à ce jour.

Si quelques membres de la commission considèrent l’évasion fiscale comme quantitativement importante, d’autres estiment au contraire les contribuables suisses plutôt honnêtes. Finalement, à l’endroit où l’auteure de l’initiative voit un pas vers l’égalité de traitement entre les habitants d’un même pays et un renforcement de la confiance dans le système, la majorité de la commission voit surtout une usine à gaz extrêmement onéreuse, même pour l’Etat, sans garantie d’efficacité et constituant un affront envers tous les contribuables honnêtes de ce pays. En résumé, une fausse bonne idée, une disposition qui manquerait simplement sa cible.

En conclusion, au vote, la Commission des finances recommande au Grand Conseil de ne pas prendre en considération cette initiative par 7 voix contre 6 et 1 abstention.

Mme Amélie Cherbuin (SOC) — Rapporteur-trice de minorité 1

La minorité de la Commission des finances vous recommande de prendre en considération cette initiative. Comme cela a été dit, depuis le 1er octobre 2018, l’échange automatique de renseignements est entré en vigueur en Suisse. Cette norme internationale que nous appliquons maintenant permet d’éviter entre autres que des concitoyens se soustraient à l’impôt en ouvrant des comptes à l’étranger et en « omettent » de déclarer les fonds s’y trouvant. Cela permet également aux pays étrangers de récupérer les impôts provenant de fonds cachés dans nos banques. Or, aujourd’hui, une personne habitant en Suisse qui possède des fonds en Suisse, mais déposés hors de son canton de domicile et qu’elle n’aurait pas déclarés, est protégée par une loi qui rend punissable la transmission d’informations par les banques et les caisses d’épargne aux autorités fiscales. Cet état de fait est totalement incongru et, comme le propose Mme la députée Induni, la minorité de la commission estime indispensable de modifier l’article 47 de la LB par voie d’initiative cantonale afin que l’échange de données à l’intérieur du pays ne soit plus punissable.

Le but de cette intervention parlementaire n’est pas de créer un outil pour contrôler le travail au noir, mais bien de permettre la prise en compte de montants de fortune non déclarée de type comptes de placement ou d’épargne. De plus, contrairement aux arguments avancés, la minorité de la commission estime que l’arsenal légal suisse ne permet pas aujourd’hui de lutter contre ce type de fraude de manière efficace. Quant à suivre le raisonnement qui consiste à dire que la mise en place d’un système d’échange automatique des données noierait les services sous des masses d’informations pas toujours utiles, cela revient à faire fi de la performance des systèmes informatiques permettant le tri et le ciblage des données nécessaires à ces contrôles. Au contraire, avec une bonne programmation, cela permettrait même de simplifier le travail de l’Administration cantonale des impôts (ACI).

Par conséquent, au vu de ce qui précède, les commissaires de minorité prient le Grand Conseil d’accepter cette initiative cantonale qui autorise l’échange de données financières à l’intérieur du pays en modifiant l’article 47 de la LB en le complétant par l’alinéa 4 bis suivant : « La transmission d’informations aux autorités fiscales n’est pas punissable » et, de demander au Conseil d’Etat de la déposer auprès de la Confédération. Ainsi, nous permettrons une réforme d’un système aberrant qui prévoit que le fisc suisse a, actuellement, moins de pouvoir pour lutter contre la fraude fiscale dans son propre pays que ses pairs étrangers qui bénéficient de l’échange automatique d’informations. Je vous remercie de soutenir le rapport de minorité.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est ouverte.

Mme Valérie Induni (SOC) —

L’EAR est entré en vigueur en 2018, en Suisse, ce qui signifie une transparence fiscale garantie à l’échelle internationale. Or, rien de tout cela n’existe à l’intérieur même de la Suisse. Cela crée une inégalité de traitement entre contribuables, certains ayant leurs données bancaires transmises automatiquement, alors que d’autres pas. L’entrée en vigueur de l’EAR a été accompagnée d’un système de dénonciation spontanée sans conséquences pénales pour les avoirs non déclarés, ce qui a conduit à une augmentation des recettes fiscales d’une ampleur inattendue dans certains cantons. On peut estimer qu’il en serait de même si un échange de données financières pouvait être introduit à l’intérieur même de notre pays et cela à un taux d’impôt constant sur la fortune.

L’initiative proposée ne vise pas une suppression du secret bancaire en tant que tel, mais permettrait un échange de renseignements entre établissements bancaires et autorités fiscales par la modification de l’article 47 de la LB en rendant non punissable la transmission d’informations des banques et caisses d’épargne. Notons qu’il existe déjà une sorte d’échange automatique de données dans un autre cadre. En effet, les employeurs, respectivement les institutions de prévoyance professionnelle et de prévoyance individuelle liée ont l’obligation d’établir un certificat de salaire et une attestation de rente pour chaque employé et rentier, d’en remettre un exemplaire à l’ACI, selon l’article 179, alinéa 1, lettre d, de la Loi sur les impôts directs cantonaux (LI), et ce, depuis novembre 2011. Dans le cadre de la modification de la procédure de dépôt des déclarations, celles-ci peuvent être déposées par Internet. Est-ce une usine à gaz ?

Par conséquent, il existe deux poids, deux mesures en matière de transmission d’informations aux autorités fiscales. Il est temps pour nous d’accroître la transparence dans le domaine fiscal afin de lutter contre la soustraction d’impôts, d’assurer une égalité de traitement entre contribuables et de renforcer la confiance de toute la population envers l’impôt et les autorités de taxation. Je vous invite à accepter cette initiative.

M. Hadrien Buclin (EP) —

Après la crise financière de 2008, les autorités de plusieurs pays se sont enfin résolues à mieux lutter contre la fraude fiscale et contre l’opacité des paradis fiscaux qui sont responsables de très grandes pertes fiscales pour les collectivités publiques. Cette pression bienvenue en faveur d’une plus grande transparence fiscale a amené les autorités suisses à accepter d’introduire, en 2018, l’échange d’informations entre la Suisse et les autres Etats. Avant cette date, les demandes d’entraide fiscale – en cas de soupçon d’évasion fiscale – déposées auprès des autorités suisses se heurtaient souvent à un mur. En effet, la législation helvétique introduisait une distinction entre fraude et évasion fiscale. Seuls des soupçons étayés de fraude, c’est-à-dire qui impliquent la falsification de documents, des faux dans les titres, pouvaient faire l’objet d’une entraide fiscale. En revanche, la simple évasion, soit la dissimulation de revenus ou de fortune, sans recours à la falsification de documents, ne justifiait pas d’entraide, selon la législation helvétique.

Depuis 2018, l’échange de renseignements est désormais également en vigueur lorsque des Etats ont de simples soupçons d’évasion fiscale. Il ne s’agit donc pas de millions de données qui transiteront chaque jour entre les Etats, mais bien de données jugées pertinentes en cas de soupçon d’évasion fiscale. Toutefois, la distinction entre fraude et évasion a été maintenue à l’interne de la Suisse. En d’autres termes, les autorités fiscales helvétiques ne peuvent pas obtenir de renseignements auprès des banques en cas de simples soupçons d’évasion fiscale, seule la fraude impliquant des faux dans les titres pouvant justifier une demande de levée du secret bancaire. Ainsi, je suis-je amené à quelque peu nuancer les affirmations de M. Mojon qui parle de possibilités de lever le secret bancaire sur le simple soupçon d’évasion fiscale.

Il s’agit d’une situation inacceptable et, comme l’a bien expliqué Mme Cherbuin, une situation où les fiscs étrangers ont davantage de pouvoir pour lutter contre l’évasion fiscale qui transite par la Suisse que le fisc helvétique lui-même. En 2013, la conseillère fédérale en charge des finances, Mme Widmer-Schlumpf, qu’on ne peut soupçonner de sympathie avec le parti socialiste ou la gauche, avait prévu d’étendre l’échange d’informations au fisc helvétique, mais elle y a finalement renoncé sous la pression, notamment d’une initiative lancée par un banquier proche de l’UDC. Lorsque Mme Widmer-Schlumpf a renoncé à étendre l’échange d’informations au fisc helvétique, cette initiative a finalement été retirée.

Reste que l’absence d’échange d’informations entre les banques et les autorités fiscales suisses permet à l’évasion fiscale de continuer à prospérer en Suisse, un phénomène qui, par définition, est difficile à quantifier. Néanmoins, des indices montrent que les proportions de l’évasion fiscale restent très élevées. Par exemple, en 2014, dans son rapport sur la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III), le Conseil fédéral proposait l’engagement de 75 inspecteurs fiscaux supplémentaires. Selon les estimations du Conseil fédéral, l’engagement de ces 75 inspecteurs fiscaux aurait rapporté à lui seul 300 millions de francs de recettes fiscales supplémentaires par an : un indice de l’ampleur de l’évasion fiscale en Suisse. En outre, en 2012, l’ancienne présidente de la Commission du Conseil national, Margret Kiener Nellen, affirmait que le manque à gagner pour les recettes fiscales suisses était d’environ 15 milliards de francs par an. En outre, elle ne parlait pas du volume des montants soustraits au fisc, mais bien des pertes fiscales elles-mêmes. Par conséquent, il s’agit de pertes fiscales extrêmement importantes qui avoisinent les 8 % des recettes fiscales annuelles des communes, des cantons et de la Confédération : une illustration de l’ampleur des pertes induites. Par ailleurs, cette évasion fiscale profite avant tout à des contribuables fortunés, une autre raison de mieux la combattre, car il est quand même plus facile de dissimuler des éléments de fortune lorsque vous possédez de grandes fortunes immobilières plutôt que lorsque vous êtes un salarié ou un retraité sans fortune et que vous êtes directement imposé sur votre fiche de paye ou votre rente AVS.

Dans la situation de crise que nous vivons, de crise sanitaire pour laquelle la Confédération et les cantons ont prévu des milliards de dépenses supplémentaires, il paraîtrait d’autant plus opportun de prendre des mesures pour réduire les pertes provoquées par l’évasion fiscale. Dans ce contexte, la proposition de Mme Induni tombe à point nommé. La démarche du canton auprès des Chambres fédérales aurait également du poids, puisqu’une intervention similaire a été décidée par le canton de Berne. Vaud et Berne totalisant presque 2 millions d’habitants – ce qui équivaut à plus d’un cinquième de la population suisse – il y aurait donc de bonnes chances que la démarche de ces deux grands cantons soit prise au sérieux à Berne. Pour toutes ces raisons, je vous invite à soutenir la proposition de notre collègue.

Mme Anne Baehler Bech —

La norme internationale d’échange automatique de renseignements aux comptes financiers en matière fiscale s’applique sur le plan international, vous l’aurez compris, mais pas sur le plan national. Les Verts et Vertes ne peuvent comprendre cette dichotomie. En Suisse, les moyens pour lutter en particulier contre l’évasion fiscale, comme M. Buclin nous l’a fort bien décrit, ne sont pas suffisants. L’initiative de notre collègue Valérie Induni permettrait de les renforcer.

Les Verts souscrivent à cette démarche. En effet, lutter contre la fraude et l’évasion fiscales est un devoir au nom des principes de transparence, d’égalité de traitement et de responsabilité personnelle. Cela renforcerait d’autant la confiance des habitants de ce pays en notre système fiscal que démocratique. De plus, il va sans dire que cette lutte sur le plan national contre l’évasion et la fraude fiscales serait un moyen non négligeable de renforcer les caisses publiques ; un plus par les temps qui courent. Vous l’aurez donc compris, les Verts soutiennent cette initiative et vous recommandent de la renvoyer au Conseil d’Etat afin que celui-ci puisse entamer des démarches auprès des Chambres fédérales.

M. Stéphane Masson (PLR) —

Si je comprends bien que cette proposition d’initiative cantonale vise une modification de la LB, je me perds un peu, comme d’autres commissaires, à la lecture du texte de l’initiative et des rapports s’y référant. En effet, le titre présuppose la mise en place d’un échange de renseignements entre banques et autorités fiscales dans le but de lutter efficacement contre la fraude éponyme, alors que le corps du texte se réfère à l’échange automatique de renseignements dans le cadre de la lutte contre l’évasion fiscale. Ce n’est pas tout à fait la même chose, comme l’a d’ailleurs relevé M. Buclin.

Aujourd’hui, en présence d’une fraude ou d’une escroquerie fiscale, les banques de notre pays collaborent avec les autorités, sur leur requête. Par ailleurs, ces mêmes banques, lors de l’ouverture de tout nouveau compte, exigent de leurs clients une déclaration de conformité fiscale tout en demeurant vigilantes sur l’origine de toute entrée subséquente et significative de fonds. Aussi, et cela est mentionné dans le rapport de majorité que je vous invite à suivre, les cantons ont instauré, pour certains d’entre eux, des possibilités de dénonciation spontanée ou d’amnistie individuelle. Enfin, gardons à l’esprit que l’impôt ne manquera certainement pas de se mettre à jour, s’il ne l’a pas fait avant, lors de l’ouverture de successions.

Forts de ce qui précède, vous comprendrez ainsi que bon nombre de mesures existent déjà et produisent leur effet. Alors, s’il s’agit bien d’un échange automatique d’informations que Mme Induni demande par le biais de sa proposition d’initiative, je dirais que cette mesure, défendable intellectuellement aussi pour notre pays, est toutefois, en l’état, disproportionnée, eu égard à son coût et à son efficacité, compte tenu des mesures déjà en place. Finalement, ce ne seraient peut-être que quelques petits épargnants qui se verraient pris dans un coûteux filet, alors que les gros poissons naviguent depuis longtemps, déjà, dans les eaux internationales. Pour toutes ces raisons, je vous invite à ne pas prendre en considération cette initiative.

M. Serge Melly (LIBRE) —

Lutter efficacement contre la fraude fiscale : voilà un programme qui ne peut faire que l’unanimité auprès des personnes responsables à un titre ou à un autre de la marche de l’Etat. Et, pourtant, nous voilà encore une fois avec deux rapports, celui de majorité qui, à trois reprises, en appelle à la confiance envers les contribuables – globalement honnêtes – et à la responsabilité individuelle. Mais c’est là que les avis divergent ! Pour la minorité, un renforcement de la responsabilité individuelle et de la confiance dans le système ne peut se faire qu’en garantissant que les personnes honnêtes ne seront pas celles qui seraient prétéritées, se trouveraient finalement les dindons de la farce, alors que les requins restent protégés par le secret fiscal.

Enfin, et j’insiste encore une fois après mes préopinants, que le fisc suisse ait actuellement moins de pouvoir pour lutter contre la fraude fiscale dans son propre pays que les administrations fiscales étrangères – qui, elles, bénéficient de l’échange automatique d’informations – me paraît tout de même un comble. Il est temps de loger tout le monde à la même enseigne ; au nom des Libres, je vous propose d’accepter cette initiative.

M. Gérard Mojon (PLR) — Rapporteur-trice de majorité

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à l’origine même de l’EAR et défenseur ô combien convaincu de la transparence fiscale, a renoncé à l’échange national. Il vaut peut-être la peine de se demander pourquoi. A cela, il faut répondre que la masse d’informations à gérer au niveau national serait absolument gigantesque… et, permettez-moi d’avoir des doutes sur le « y a qu’à programmer ». Toute personne qui travaille régulièrement avec quelques programmes informatiques sait très bien que le « y a qu’à, faut qu’on » en matière informatique… ce n’est pas tout à fait ça ! Trop d’informations tuent l’information, c’est bien connu ! Alors, informer l’autorité fiscale… pourquoi pas, mais laquelle ? De quel canton ? Le banquier sait-il dans quel canton son client est imposable ? Il n’a même pas à le savoir… Alors, il informe un canton, celui-ci transmet cette information à un autre – sans être complètement certain non plus de la pertinence du destinataire – cela augmente peut-être un petit peu le traitement des dossiers. En outre, s’il faut informer l’autorité fiscale, il faudra aussi informer le client lui-même. En matière internationale, le client est informé de ce qui est transmis au fisc. Par conséquent, il existe non seulement un flux depuis la banque à l’autorité fiscale, mais également le même flux de la banque à son client. Qui va payer ? Le fisc ? Non, cela m’étonnerait. Les banques ? Dans un premier temps peut-être, mais elles répercuteront le coût sur les clients… sur tous les clients… même les clients honnêtes, monsieur Melly !

M. Buclin a exposé de manière tout à fait correcte la différence entre la fraude fiscale et l’évasion du même nom. C’est d’ailleurs le seul qui s’y est employé de manière parfaitement correcte. Car, sinon, je n’ai entendu parler que de fraude, qui relève du domaine pénal, du domaine des faux. Le nouvel article que nous propose Mme Induni ne réduira en rien la fraude fiscale. Les fraudeurs sont bien organisés, cet article ne les retiendra pas. En revanche, cela diminuera peut-être un petit peu l’évasion. Le compte de la feue tante Adèle ressortira peut-être, alors qu’elle n’avait jamais voulu le déclarer de son vivant. Simultanément, cet article retourne de fait le fardeau de la preuve. En effet, actuellement, le contribuable est responsable de sa déclaration qu’il signe.

Si, par hasard, l’autorité fiscale est en possession de certaines informations, le contribuable devra démontrer qu’un montant n’est pas imposable et le justifier. Malgré les propos entendus il y a quelques minutes, je reste persuadé que la très grande majorité des contribuables suisses est honnête, et je m’oppose à la punition collective.

Finalement, on peut s’interroger sur le résultat économique global de ces changements – un élément à analyser. Sans aucun doute, cela sera plus cher pour les banques, pour les titulaires de comptes, pour l’Etat qui va devoir augmenter l’ensemble des traitements. Pour combien d’impôts supplémentaires ? A mon avis, il s’agit d’une opération beaucoup plus négative que positive. Je vous encourage vivement à refuser cette initiative.

Mme Valérie Induni (SOC) —

J’ai suivi avec intérêt tout ce débat. Je constate que lorsqu’on veut tuer un objet, alors on dit : « C’est impossible ! Trop compliqué ! On n’y arrivera pas ! » et cela semble suffire. Je rappelle simplement que mon texte stipule qu’il ne faut plus punir la transmission d’informations par les banques au fisc. C’est le corps du texte qui est proposé aujourd’hui. Alors, qu’entendons-nous ? Que nous aurons une masse d’informations que nous ne parviendrons pas à traiter… Mais nous n’en sommes pas encore là ! Le jour où il s’agira de réfléchir à cette soi-disant masse d’informations à traiter, ce qui est annoncé pourra être décidé, par exemple les montants des avoirs. Je rappelle que l’ensemble des employeurs et des institutions de prévoyance transmettent chaque année toutes les informations aux autorités fiscales. S’agit-il pour autant d’une usine à gaz ? Sur ce point, nul besoin d’accorder notre confiance aux rentiers et aux salariés, mais plutôt demander que ces informations soient systématiquement communiquées au canton ? A l’inverse, si je vous entends, pour l’épargne, cela devient un manque de confiance. Il me semble bien qu’il y ait là une incroyable et inacceptable différence de traitement. J’ai encore entendu que nous n’attraperions que de petits poissons en Suisse, que les gros nagent en eaux internationales. J’émets un doute sérieux sur le fait qu’aucun résident suisse n’ait des avoirs importants en banque. Franchement, j’ai de la peine à l’imaginer. Et, finalement, ce que j’entends se résume à une soi-disant impossible mise en œuvre. On oublie qu’il existe maintenant des possibilités de traitement de données à large échelle, que les salariés et les rentiers expérimentent déjà une transparence complète sur ce qu’ils gagnent, qu’ils sont les seuls astreints à ce devoir de transparence, que nous établissons déjà des différences importantes entre les citoyens de ce canton. En conclusion, je vous invite à soutenir cette initiative pour redonner un peu de cohérence à notre système fiscal et au traitement que nous réservons aux gens qui sont ensuite taxés dans notre canton et notre pays.

M. Hadrien Buclin (EP) —

En réponse brève à M. Mojon qui parle de punition collective, la punition, aujourd’hui, est celle que subissent finalement tous les contribuables honnêtes qui s’acquittent de la charge fiscale pour une minorité, certes petite, mais une minorité qui existe tout de même, composée de contribuables peu scrupuleux qui dissimulent des comptes ou d’autres éléments de revenu ou de fortune au fisc. Le système serait beaucoup plus équitable si la charge fiscale était répartie sur l’ensemble de la population et non sur les seuls citoyens honnêtes. Monsieur Mojon, votre complaisance pour les personnes qui dissimulent des avoirs au fisc – et donc d’une certaine manière qui volent la collectivité – m’étonne. A fortiori, lorsque l’on parle de vol, de petite criminalité, la droite est la première à demander une réponse sévère de la part de l’Etat. Pourquoi la dissimulation au fisc ferait-elle exception ?

M. Gérard Mojon (PLR) — Rapporteur-trice de majorité

Je tiens à répondre directement à M. Buclin. Rassurez-vous, je ne nourris aucune complaisance vis-à-vis des gens qui ne déclarent pas l’intégralité de ce qu’ils devraient. Je déclare mes intérêts comme mandataire en matière fiscale. Autant vous dire que si j’encourageais les gens à ne pas déclarer ce qu’ils doivent, je n’aurais plus aucune possibilité de travailler avec les autorités fiscales pour défendre mes clients. Non, je ne suis pas complaisant vis-à-vis de ces gens-là. Toutefois, ce n’est pas en transmettant automatiquement une masse d’informations que nous allons réussir à corriger quelque chose. Bien entendu, quelques comptes ressortiront, c’est évident.

En réponse à Mme Induni, je dois avouer que votre remarque sur le fait que nous n’en sommes pas encore là, que nous pourrons voir pour finalement éviter la transmission de masse quelles sont les informations pertinentes… en d’autres termes qu’il n’est pas grave que de petits épargnants s’adonnent à l’évasion fiscale, qu’on pourra les laisser continuer, en revanche pas les gros… Non ! Non, car il y a des choses honnêtes et d’autres pas. On ne peut pas dire « Tu peux faire de l’évasion jusqu’à 1000 francs ou 2000 francs, mais à partir d’un certain point, ce n’est pas possible ! »

En conclusion, il est clair que si nous souhaitons être corrects, il faut faire confiance aux contribuables, même si l’on sait qu’il y aura toujours et encore des moutons noirs, et cela, partout !

Mme Valérie Induni (SOC) —

J’aimerais simplement m’inscrire en faux par rapport aux propos de M. Mojon, car je n’ai jamais dit que les petits contribuables pouvaient frauder, mais pas les grands. Je n’ai absolument rien dit de tel, mais j’ai simplement indiqué que si un jour cet échange de renseignements pouvait être fait, il s’agirait à ce moment-là, pour les autorités compétentes, de déterminer si l’ensemble des informations sont transmises. Pour le moment, nous ne pouvons pas le savoir. J’insiste : je m’inscris en faux sur la manière qu’a M. Mojon d’entendre ce que j’ai dit, car il signifie que je suis d’accord avec une soustraction fiscale chez certains contribuables et pas chez d’autres – ce qui n’est évidemment pas mon propos.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est close.

Le Grand Conseil refuse la prise en considération de l’initiative par 75 voix contre 63 et 2 abstentions.

Mme Valérie Induni (SOC) —

Je demande le vote nominal.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

Cette demande est appuyée par au moins 20 députés.

Celles et ceux qui soutiennent l’initiative votent oui, celles et ceux qui s’y opposent votent non ; les abstentions sont possibles.

Au vote nominal, le Grand Conseil refuse la prise en considération de l’initiative par 76 contre 62 et 2 abstentions.

*Insérer vote nominal.

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