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Séance du Grand Conseil du mardi 18 mai 2021, point 28 de l'ordre du jour

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M. Jérôme Christen (LIBRE) — Rapporteur-trice

En substance, la commission a procédé à une pesée d’intérêts. Les partisans du postulat ont plaidé pour des postes fixes pour les nettoyages des locaux de l’administration pour les raisons suivantes : emploi de personnel local, de personnes peu qualifiées et/ou cherchant des postes partiels, meilleure qualité du travail, maintien au travail de personnel plus âgé, baisse des coûts sociaux liés au chômage des personnes qui perdent leur emploi, si une autre entreprise remporte le marché. On citera aussi les bas salaires souvent pratiqués par les entreprises de nettoyage, alors que l’Etat est en général – du moins on l’espère – un employeur exemplaire. Quant à eux, les opposants à ce texte ont mis en avant les avantages de l’externalisation, soit un personnel disponible pour quelques heures au moment le plus opportun de la journée, des remplacements assurés en cas d’absence et des économies budgétaires.

En conclusion, dans sa majorité, la commission estime qu’il ne s’agit pas de faire de l’internalisation un dogme. Dans deux situations particulières, le recours à des prestations de service privées se justifie. Premier critère : il faut des compétences très pointues et difficiles à acquérir. Deuxième critère : le volume d’activité est trop faible pour créer une entité étatique. Dans le cas présent, nous estimons que le volume d’activité est largement suffisant pour justifier que l’entité publique prenne en charge les nettoyages, qu’il ne s’agit pas de prestations requérant des compétences qu’on peut qualifier de rares et sans recours à des expertises. Les ressources humaines sont largement disponibles. Ainsi, cette internalisation permettrait de réduire la pression pesant sur le personnel de nettoyage en proie à des abus et dont les conditions de travail précaires sont souvent peu enviables. Les prestations de ces entreprises ne sont pas par ailleurs particulièrement avantageuses, bien au contraire. Par conséquent, la commission vous recommande par 6 voix contre 3 de prendre en considération ce postulat et de le renvoyer au Conseil d’Etat.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est ouverte.

Mme Valérie Induni (SOC) —

Année après année, on voit un certain nombre de postes de nettoyages disparaître à la Direction générale des immeubles et du patrimoine (DGIP) au moment du budget au profit d’entreprises de nettoyage privées. Au moment de la séance de commission, on dénombrait environ 730 collaborateurs dans ce domaine représentant 460 ETP. Selon le conseiller d’Etat, l’externalisation n’a pas pour but de faire des économies, mais de simplifier l’organisation du travail. En tous les cas, depuis mon dépôt, 6,86 postes ont encore été externalisés dans le budget 2020 ainsi qu’une diminution non précisée d’ETP pour 225 000 francs au budget 2021. On parle maintenant d’Agents de propreté et d’hygiène (APH). Dans son programme de législature, le Conseil d’Etat annonce sa volonté d’être un employeur exemplaire. En externalisant les postes de nettoyage, il déplace les postes vers des entreprises privées. Or, celles-ci doivent répondre à des appels d’offres publics pour obtenir des marchés. Pour cela, il leur faut réduire au maximum leurs coûts afin d’être concurrentielles. Lorsqu’une entreprise de nettoyage perd un gros marché, elle résilie souvent une partie des contrats de ses employés qui, par la suite, sont parfois réengagés par l’entreprise ayant décroché le marché. Toutefois, lors de ces transferts, les travailleurs et travailleuses, en particulier les plus âgés, ne sont pas repris et se retrouvent sans travail.

A plusieurs reprises, dans le cadre de mon activité de municipale, j’ai pu rencontrer des employés ainsi licenciés qui cherchaient un travail fixe et sûr. Or, il est relativement différent de travailler en externe que d’être en charge, sur le long terme, de locaux auxquels on peut s’identifier, qu’on connaît bien. Ainsi, le rapport que je demande via ce postulat devrait permettre d’accéder à une idée plus précise de l’ampleur de l’externalisation de ces postes, de savoir quels sont les bâtiments servant aux activités administratives et à l’enseignement dont le nettoyage et l’entretien sont confiés à des sous-traitants et, enfin, d’obtenir des éléments permettant de mieux appréhender la politique de l’Etat de Vaud, en particulier de la DGIP, dans le domaine de l’entretien de ces bâtiments cantonaux ainsi que dans sa politique du personnel. Je vous remercie de bien vouloir transmettre ce postulat datant de 2018 au Conseil d’Etat.

M. David Raedler (VER) —

Au nom du groupe des Vertes et des Verts vaudois, je remercie la postulante d’avoir mis en lumière une thématique absolument essentielle, car trop souvent invisibilisée. Le personnel de nettoyage ? Ce sont ces personnes, hommes et femmes, qui nous permettent d’avoir nos bureaux, nos salles de conférence, nos salles de rencontre et nos lieux publics propres et bien rangés : un personnel absolument essentiel qui se charge d’un travail difficile, qui souvent cumule plusieurs emplois différents, additionnant ainsi les heures, commençant très tôt le matin et terminant très tard le soir. Et pourtant, ce sont des personnes qui sont absolument essentielles au bon fonctionnement de notre société, à la société elle-même.

A titre personnel, je remercie également la postulante. En effet, comme étudiant, j’ai eu la chance d’exercer moi-même ce travail pendant plusieurs années, lorsque j’étais au collège et au gymnase. J’ai pu constater cette invisibilisation. Ainsi, dès le moment où nous passons du rôle d’étudiant – un statut souvent bien vu – à celui de personnel de nettoyage – malheureusement mal vu – nous devenons invisibles, moins intéressants, moins importants. Par trop souvent, on constate être traité d’une façon que bien des personnes ne souhaiteraient pas : une situation particulièrement triste contre laquelle il est impératif d’agir. Dans ce contexte, l’Etat avec un « e » majuscule, en tant qu’employeur, mais surtout en tant que grand employeur d’un nombre important de personnes dans le domaine du nettoyage, a un rôle central à jouer, d’une part par la visibilisation du personnel et, d’autre part, par les conditions de travail adaptées et correctes qui leur sont offertes. Et, parmi les conditions de travail, l’une est tout simplement essentielle : la stabilité. En effet, sans stabilité, le personnel de nettoyage – et d’ailleurs toute personne – perd le sens réel de son activité, entre dans une incertitude que personne ne souhaite. Très souvent, le personnel de nettoyage est soumis à l’incertitude, à une situation dans laquelle il n’arrive pas à savoir ce qui va se passer dans le futur proche, une incertitude qui est d’autant plus grande lorsque les postes de nettoyage sont externalisés à des entreprises privées qui, effectivement, peuvent perdre tout ou partie d’un mandat, et donc avoir à licencier. Dans ce contexte, il est impératif que l’Etat conserve à l’interne les postes de nettoyage. En outre, aucune difficulté ne prévaut à assurer une flexibilité des emplois, à avoir, comme cela a été évoqué en commission, des personnes qui sont engagées pour quelques heures. A nouveau, cela été mon cas, j’étais employé en tant qu’étudiant pour quelques heures par jour. Une situation bien évidemment utile lorsqu’on est étudiant, mais malheureusement moins sympathique lorsqu’il s’agit d’un emploi fixe et unique. Par conséquent, il est absolument essentiel de renvoyer ce postulat au Conseil d’Etat, de mettre en lumière l’importance de conserver ces postes au sein de l’Etat, de montrer surtout les possibilités en termes d’organisation qui existent lorsque ces postes y sont conservés.

M. Jean-François Thuillard (UDC) —

Chaque bâtiment ou propriété d’une collectivité, géré par cette dernière, a ses spécificités et ses spécialités. Les responsables en tiennent chaque fois compte pour le choix de l’entretien : intendant interne ou externe, appui externe, remplaçant, personnel fixe, etc., tout est possible. M. le conseiller d’Etat nous l’a dit en commission : « externaliser les postes de nettoyage ne se fait pas pour des économies d’argent, mais pour améliorer l’organisation. » En tant que syndic d’une commune vaudoise, je peux confirmer les dires de M. le conseiller d’Etat. Le groupe UDC vous recommande de ne pas renvoyer ce postulat, même partiellement, au Conseil d’Etat.

M. Alain Bovay (PLR) —

Au nom du groupe PLR, je vous invite à ne pas prendre en considération ce postulat. La question de l’externalisation à des entreprises privées de postes de nettoyage intervenant au sein de l’Etat de Vaud a déjà fait l’objet de réponses du Conseil d’Etat. Je relève que la postulante, Mme Valérie Induni, prend notamment en référence son dicastère de municipale de Cossonay, où elle a justement recours à ces prestations d’entreprises privées. Elle dénonce le caractère précaire des entreprises mandatées.

Mais comparaison n’est pas raison, que ce soit dans les communes ou encore à l’Etat de Vaud, les postes de nettoyage sont souvent confiés à des personnes dites subalternes du nettoyage, qui s’engagent dans des activités à temps partiel, voire pour quelques heures par jour. Et, pour cause, les nettoyages sont effectués avant ou après la prise de travail : cela coule sous le bon sens. Le recours à des entreprises privées permet de recruter des personnes prêtes à travailler dans ces conditions et aussi d’harmoniser cette activité partielle avec la vie privée ou encore d’autres opportunités de travail qui peuvent être planifiées dans la journée. Les a priori énoncés, tels que la précarité, voudraient nous faire croire que la loi de la jungle dicte cette activité. Or, ce n’est pas le cas. La protection des travailleurs est garantie par les entreprises du secteur du nettoyage qui sont signataires d’une Convention collective de travail (CCT). De son côté, le canton doit veiller à ce que les entreprises mandatées soient adhérentes à cette CCT. Le cadre est donc clairement fixé et se décline principalement ainsi : les CCT ont pour mission de veiller à valoriser le métier, les horaires sont explicitement fixés dans les contrats de travail, par exemple pour le travail dominical régulier ou irrégulier, payé à 150 %. En outre, la CCT encourage la formation à tous les niveaux, et les commissions paritaires sont présentes pour effectuer des contrôles. Par ailleurs, la Fédération romande des entrepreneurs en nettoyage a mis en place un label sous le nom de 100 % Pro, pour garantir l’éthique, la formation, protéger les emplois, dans le respect de la CCT qui couvre l’étendue des activités de la profession. Le secteur public et le secteur privé sont complémentaires. La CCT et le respect du label 100 % Pro protègent les emplois et offrent une stabilité. Ainsi, le groupe PLR vous recommande de ne pas suivre la commission et de classer ce postulat.

M. Jérôme Christen (LIBRE) — Rapporteur-trice

J’aimerais relayer la position du groupe des Libres – ou du moins ce qu’il en reste – et qui complète le point de vue de la majorité de la commission. La concurrence effrénée qui prévaut dans ce secteur a toujours provoqué une forte pression dans un domaine où le personnel est précarisé, s’agissant d’une main-d’œuvre essentiellement féminine, non qualifiée et en grande partie issue de l’immigration. Les horaires sont découpés en deux blocs : tôt le matin et tard le soir. Il s’agit d’un travail extrêmement éprouvant sur le plan physique, dont la pénibilité est assez souvent renforcée, quand même, par de mauvaises conditions de travail, par exemple du matériel inadapté, des locaux qui se prêtent mal à un nettoyage rationnel ou l’utilisation de produits dangereux pour la santé. Les études réalisées à ce sujet le démontrent. En ce sens, nous estimons que l’Etat a un rôle à jouer. La spécialiste de la santé au travail, Viviane Gonik, dans une publication d’ailleurs fort bien documentée, édifiante, parue dans Le Courrier du 16 septembre 2009, arrive à la conclusion que la recherche de rentabilité à tout prix influe sur les questions sanitaires et la sécurité au travail. Raison pour laquelle le groupe des Libres soutiendra le renvoi de ce postulat au Conseil d’Etat.

Mme Valérie Induni (SOC) —

Je me permets d’abord de réagir aux affirmations péremptoires de M. Bovay : non, la commune de Cossonay n’externalise pas son nettoyage. Il est un peu surprenant de vous entendre tenir ce propos, car ce n’est pas le cas, nous avons notre propre personnel de nettoyage dans la commune. Ceci étant dit, je suis frappée d’entendre les deux poids et deux mesures au niveau de la politique du personnel du Conseil d’Etat. D’un côté, une internalisation extrêmement importante de tout ce qui est service informatique. En effet, on nous a expliqué qu’il fallait pouvoir garder les compétences à l’interne du canton – une internalisation que je comprends très bien et à laquelle je me suis toujours montrée favorable – plutôt que de travailler avec des entreprises externes. Toutefois, lorsqu’on compare ces deux types de personnel, on observe qu’on procède à une internalisation lorsqu’il y a des compétences techniques particulières, mais que finalement les nettoyeurs sont résumés à des bras, qui n’ont pas de compétences propres, qu’on peut externaliser sans aucun problème : un nettoyeur étant égal à un autre nettoyeur. Pour ma part, j’estime la différence dans la manière de considérer le personnel assez frappante. Il est vrai qu’on trouve beaucoup de personnel de nationalité étrangère, beaucoup de femmes dans ces métiers. Pour de simples considérations d’organisation, il n’y aurait plus besoin d’avoir son propre personnel… je le regrette. J’aurais bien aimé obtenir par le biais du postulat des informations chiffrées sur l’importance de ce phénomène. Je vous encourage par conséquent à renvoyer ce postulat au Conseil d’Etat.

M. Jean Tschopp (SOC) —

Il faut bien considérer la pratique en cas d’externalisation, car souvent il s’agit de marchés publics qui amènent l’entreprise la moins chère et qui peut prendre le plus de marge – ou qui a tendance à prendre le plus de marge sur les salaires en les réduisant – à gagner le marché public. Je ne saisis pas comment on peut défendre une externalisation pour des postes qui sont certainement les plus précaires que l’on connaisse, que ce soit à l’intérieur de l’Etat ou en dehors. Je suis assez choqué par les propos entendus qui consistent à promouvoir à tout-va l’externalisation de postes, surtout, comme M. Christen l’a dit, lorsque l’on sait que la majorité du personnel est issu de l’immigration, bénéficie d’un niveau de formation souvent faible. Par conséquent, ce sont, tout au contraire, des postes et des employés qu’il faut protéger, qu’il faut essayer de valoriser et de former le plus possible. Je ne comprends pas l’attitude qui consiste à se laver les mains des postes précaires, une attitude revenant à dire que finalement l’Etat, pour ce type d’emplois, ne doit pas assumer ses responsabilités. En lisant le projet de budget 2019, nous avons des raisons d’être inquiets. Mme Induni le cite dans son texte : une diminution de 5 ETP dans le domaine du nettoyage. Cela donne à penser que l’externalisation augmente. Ainsi, ce postulat arrive à point nommé, car nous avons besoin d’une vision d’ensemble de la situation. L’Etat doit aussi assumer ses responsabilités. Il prévoit des salaires minimaux jusque dans le nettoyage ; c’est très bien ainsi. L’Etat ne doit pas indirectement servir une forme de sous-enchère. En outre, s’il existe en effet une CCT, les contrôles sont assez rares, faute de moyens. Je vous invite par conséquent à renvoyer ce texte au Conseil d’Etat, car nous avons besoin de postes de nettoyeurs et de nettoyeuses au sein de nos collectivités publiques.

M. Arnaud Bouverat (SOC) —

Je déclare mes intérêts comme secrétaire syndical au syndicat Unia qui est notamment signataire de la CCT cité par mon collègue Bovay tout à l’heure. Si le partenariat social constitue un édifice extrêmement important pour de bonnes conditions de travail, il n’est en revanche pas judicieux d’afficher une déconcertante naïveté par rapport à la réalité du marché du travail, y compris dans les domaines couverts par des CCT, reconnus pour des conditions de travail malgré tout précaires, en tous les cas pour une bonne partie des salariés. Les raisons de cette précarité sont aussi connues ; elles dépendent très clairement du taux d’organisation des salariés dans les branches concernées. Dans ce domaine, l’Etat peut aussi avoir un rôle de facilitateur à jouer par rapport à l’engagement et à l’encouragement du personnel à défendre ses droits, à développer la formation au sein de son personnel, mais aussi, pourquoi pas, au sein des entreprises sous-traitantes dans la valorisation des formations.

Le postulat de ma collègue Induni met en lumière plusieurs questions qui ne sont pas entièrement réglées par le partenariat social, la question de la protection du personnel âgé par exemple, qui ne fait aujourd’hui pas partie de beaucoup de CCT, tout comme celle du transfert du personnel au moment de l’externalisation des emplois auprès des entreprises et du suivi de leur trajectoire professionnelle. En effet, des pays comme la Belgique ont des dispositions spécifiques pour la gestion des transferts de public à privé, de privé à privé. Ce sont des dispositions très intéressantes, notamment relativement à la question des conditions de travail du personnel. L’analyse systématique de la possibilité d’un transfert vers des horaires de jour, de fin ou milieu de journée suivant les bureaux, ne fait pas partie des solutions clés en main offertes par le partenariat social. Ainsi, le postulat en question invite le Conseil d’Etat à examiner ces pistes d’amélioration. Elles relèvent de la responsabilité de l’Etat. Dogmatiquement, elles n’ont aucune raison de soulever votre opposition.

Il faut affronter la réalité des conditions de travail dans les domaines externalisant des prestations, et cela impose de voter le renvoi de ce postulat au Conseil d’Etat, car toute autre démarche équivaudrait à fermer les yeux sur cette réalité, signifierait que vous auriez peur du résultat de la réponse à ce postulat. Si vous assumez le côté parfaitement positif et aussi idéal que vous le soutenez dans vos discours, alors c’est une raison de plus de voter ce postulat, car finalement, il vous confortera dans votre position. J’espère que vous aurez confiance en vos propres paroles.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est close.

Le Grand Conseil refuse la prise en considération du postulat par 71 voix contre 54 et 3 abstentions.

M. Arnaud Bouverat (SOC) —

Je demande le vote nominal.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

Cette demande est appuyée par au moins 20 députés.

Celle et ceux qui soutiennent le renvoi du postulat au Conseil d’Etat votent oui, celle et ceux qui s’y opposent votent non ; les abstentions sont possibles.

Au vote nominal, le Grand Conseil refuse la prise en considération du postulat par 72 voix contre 56 et 2 abstentions.

*Introduire vote nominal.

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