25_INT_135 - Interpellation Mathilde Marendaz - 82 tentatives de suicide en un an dans l’enfer des zones carcérales : interroger l’usage excessif des détentions avant jugement.
Séance du Grand Conseil du mardi 28 octobre 2025, point 2.1 de l'ordre du jour
Texte déposé
Suite aux révélations de la Commission vaudoise des Visiteurs de prisons sur les 82 tentatives de suicide à la zone carcérale de l’hôtel de police de Lausanne en un an, un élu communal lausannois a interpellé la Municipalité sur la pratique illégale de la détention dans les zones carcérales, que le Grand conseil - aligné avec les instances internationales - dénonce depuis près d’une décennie.
Rappelons que selon les professionnel·le·s, séjourner plus de 48h dans ces zones carcérales sans lumière du jour et sans activité rend malade toute personne sans troubles psychiques préalables. Cela conduit à la sur-médication des personnes pour apaiser leur souffrance générée par les zones carcérales : l’État participe à rendre malades et dépendants des individus présumés innocents.
De nombreux·ses acteur·ice·s se rejoignent sur la nécessité de mettre fin aux conditions illégales de détention dans les zones carcérales, qui amènent à des situations tragiques comme ce nombre très élevé de tentatives de suicides. Le Grand conseil a pris en considération le 21.03.23 la motion Jean-Marc Nicolet « Au nom de la Commission des visiteurs du Grand Conseil - Mettre fin aux conditions illégales de détention dans les zones carcérales».
Une mise en contexte de ces «prisons de la honte» est nécessaire : ces zones sont utilisées par le SPEN pour placer les personnes en détention avant jugement, en raison de la surpopulation carcérale, notamment dans les établissements prévus pour la détention avant jugement (DAJ).
Pour comprendre les causes de la surpopulation carcérale dans le Canton de Vaud et agir à la racine du problème, le Conseil d’Etat a commandé une étude scientifique, dont le rapport final a été rendu par l’expert Brägger le 27 février 2024. Le rapport montre que la politique pénale du Canton de Vaud est responsable de cette surpopulation carcérale par une application plus punitive et sévère du CPP fédéral, un recours excessif aux détentions avant jugement (par leur nombre et leur durée supérieure à la moyenne suisse) et le prononcé de peines privatives de liberté fermes trop fréquentes et sévères. Le Conseil d’Etat a retardé la publication de cette étude, demandant à l’expert d’atténuer ses critiques à l’encontre des pratiques des autorités pénales vaudoises, lesquelles ont été consultées.
En bref, la surpopulation carcérale vaudoise découlant sur l'incarcération dans des zones ne respectant pas le droit, et sur ces situations tragiques de tentatives de suicides ou de sur-médication, sont en partie le résultat de politiques pénales punitives vaudoises.
Dans son annexe envoyée en commentaire du rapport Brägger n°1 (d'août 2023), le Procureur général conteste ces explications scientifiques en évoquant « le terrain » de la « spécificité cantonale vaudoise » en matière de criminalité – un deuxième expert de l’École des Sciences Criminelles a été mandaté pour démontrer une spécificité cantonale vaudoise: il conclut qu’il n’en existe pas.
Dans le dossier de la surincarcération vaudoise, l'attitude et les réponses du Conseil d'État interrogent : ce dernier n’a pas répondu à la recommandation principale n°1 du rapport Brägger qui propose de développer une stratégie cantonale de politique criminelle qui indique les objectifs les priorités à poursuivre. En revanche, alors que Vaud a parmi les plus hauts taux de places par 100'000 habitant·e·s de Suisse, le Conseil d’État a fait savoir son projet d’étendre davantage le parc pénitentiaire de 60 places en construisant des structures modulaires sur le site du Pôle pénitentiaire du Nord vaudois à Orbe, pour limiter à 48h l’occupation des zones carcérales de police. Cette future «zone d’attente carcérale» aura un coût total estimé à 28.5 millions de francs.
Les réponses du Conseil d’État à la situation actuelle de la surpopulation carcérale et de ses conséquences sur les conditions de détention notamment dans les zones carcérales, qui conduisent aux tentatives de suicides élevées, ne semblent pas en cohérence avec les études scientifiques commandées par l’État lui-même. Cette situation appelle à plusieurs clarifications sur le sujet.
- Comment le Conseil d’État entend-il faire face au nombre très élevé de tentatives de suicide et à la sur-médication générées par la souffrance extrême liée aux conditions de détention dans les zones carcérales?
- Comment le Conseil d’État entend-il développer une stratégie cantonale de politique criminelle (comme dans les Cantons de Fribourg ou Genève), selon la revendication principale n°1 du rapport Brägger ?
- Alors que Vaud a un taux de place de détention par habitant·e supérieur à la moyenne suisse (95 places / 100'000 habitant·e·s contre 81 pour la moyenne suisse), comment expliquer que la seule réponse du Conseil d’Etat après ces études soit la construction couteuse de places de détention, alors que les études scientifiques commandées mettent en avant des solutions plus structurelles et de coordination des politiques pénales ?
- Le conseil d’Etat a demandé à l’expert Brägger de modifier son rapport intermédiaire – rendu le 12 août 2023 – sur la base des critiques émises par le Ministère public au nom du Procureur général Kaltenrieder envoyées par écrit le 12 février 2024, après une audition avec les acteur·ice·s de la chaine pénale qui a eu lieu le 6 novembre 2023. Brägger rend ensuite son rapport final le 27 février 2024 (titre : « rapport analysant la situation de la surpopulation carcérale vaudoise »). Ce rapport final sera encore altéré de ses conclusions les plus critiques par le Conseil d’État, qui en fabrique une version édulcorée qui sera publiée le 10 février 2025 selon le titre « rapport concernant la situation de surpopulation carcérale dans le canton de Vaud ». Pourquoi avoir supprimé certaines phrases entre le rapport final de Benjamin Brägger, déjà modifié, du 27 février 2024, et la version rendue publique ?
- Quels sont les fondements scientifiques et empiriques sur lesquels se basent les déterminations du Procureur du 12 février 2024, selon lesquelles l’expert Brägger n’a pas suffisamment étudié la « spécificité criminelle vaudoise » - hypothèse démentie par le rapport Champod ?
- À plusieurs reprises, alors que divers·es député·e·s ont signalé que la criminalité vaudoise a diminué de manière constante entre 2014 et 2020, le Conseiller d’Etat a affirmé que ces propos étaient erronés et que la «criminalité augmentait» : il est vrai qu’elle augmente depuis 2020, mais n’atteignant de loin pas les taux à partir de 2014. Comment le Conseil d’État explique-t-il que malgré une criminalité bien plus basse qu’en 2014, nous ayons des taux d’incarcération plus élevé qu’alors ?
- Quels divers montants ont été versé aux experts Brägger (pour les différentes étapes de son rapport : la première étape du rapport intermédiaire du 12 août 2023, la deuxième étape du rapport final du 27 février 2024, et la version publique du 10 février 2025) et Champod ?
Conclusion
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